Nouveautés en correction des troubles réfractifs : Freination optique de la myopie

Revue de la presse d’avril 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Nouveautés en correction des troubles réfractifs :

1) Freination optique de la myopie

La myopie est devenue un véritable problème de santé publique dans nos sociétés modernes tout particulièrement en Asie, comme cela a déjà été évoqué dans cette revue de presse. Il y a donc un véritable enjeu médico-économique à freiner l’augmentation de la prévalence de ce trouble réfractif, qui est aussi un facteur de risque de plusieurs pathologies oculaires, notamment au-delà de -6 dioptries (D).
En 2020 une nouvelle technologie de verres développés par la société Hoya a soulevé un certain enthousiasme. Elle est régulièrement prescrite à visée freinatrice chez les enfants puisqu’environ 50 000 paires de lunettes équipées de ce type de verre ont été délivrées en France depuis l’arrivée sur le marché 1.
Cette nouvelle technologie, baptisée « DIMS » pour Defocus Incorporated Multiple Segments, vise à réaliser un défocus myopique de l’image périphérique qui se projette sur la rétine. Pour ce type de verres, une zone de correction centrale de 9 mm de diamètre est emmétropisante afin que l’acuité visuelle soit préservée tandis que l’image plus périphérique se projette en avant de la rétine afin de limiter le stimulus d’élongation de globe, donc la myopisation ultérieure. Ce défocus myopique est possible grâce à un anneau de 33 mm de diamètre qui comprend environ 400 microlentilles de 1,03 mm de diamètre, dont la puissance relative de +3,5 dioptries par rapport à la réfraction globale visée, induit la myopisation périphérique, tout en maintenant l’emmétropisation de la vision centrale.
Des résultats très encourageants ont été publiés dans un essai randomisé et contrôlé en double aveugle qui a analysé la progression de la myopie d’une population de 160 enfants myopes de -1 à -5 D avec un astigmatisme de moins de 1,5D. Un effet freinateur sur la myopie a été démontré dès la première année de suivi et il persistait au cours de la deuxième année de suivi dans le groupe de 81 enfants qui portait ces verres freinateurs alors que le groupe contrôle de 79 enfants équipés en verres unifocaux emmétropisants classiques progressait plus. Ainsi à deux ans, la progression myopique était de -0.41±0.06 D et l’allongement du globe de 0.21±0.02 mm dans le groupe où la myopie était freinée contre, respectivement -0,85±0,08 D et 0,55±0,02 mm, dans le groupe contrôle, soit une différence moyenne de -0,44±0,09 D (IC95% -0,73 à -0,37, p<0.0001) et de 0,34±0,04 mm (IC95% 0,22 à 0,37, p<0,0001). En d’autres termes, la freination sur la myopie était de 52% pour la puissance dioptrique et 62% sur la longueur axiale au bout de 2 ans.

Une publication récente du mois de mars 2022 de la revue JAMA Ophthalmology vient confirmer ces bons résultats avec une technologie légèrement différente développée par la société Essilor. Pour ce nouveau type de verre, une zone centrale emmétropisante est toujours présente, en revanche la zone périphérique comporte 11 anneaux concentriques de 1021 microlentilles qui permettent de former un « volume de défocus myopique ». Pour ce type de verres, il ne s’agit pas d’une simple myopisation périphérique à une puissance fixe mais d’une défocalisation myopique à des puissances variables, ce qui explique le concept de « volume de défocalisation ». A noter que la puissance myopisante des microlentilles incorporées dans le verre n’est pas communiquée par le fabricant.

 

Dans cette publication, un total de 170 enfants âgés de 8 à 13 ans et myopes de -0,75 D a -4,50 D, avec un astigmatisme inférieur à 1,5 D et une anisométropie de moins de 1D, ont été inclus et répartis dans 3 groupes : un groupe portant des verres avec un volume de défocus élevé, un deuxième groupe avec un volume de défocus faible, et un troisième groupe équipés en verre unifocaux classiques.
Au terme des deux ans de port à raison d’au moins 12h par jour, les résultats sont clairement favorables aux verres asphériques avec le plus haut niveau de défocus myopique car la progression de la myopie n’était que de -0,66 D (±0,09) contre -1,04 D (±0,06) pour les verres à faible degré de défocus et de -1,46 D (±0,09) pour les verres unifocaux. Les différences entre les 3 groupes et 2 à 2 étaient significatives (p>0,001). Des différences statistiquement significatives ont aussi été observées pour les modifications de longueur axiale puisqu’au bout de deux ans d’observation, l’allongement du globe était de 0,34 mm (±0,03) dans le groupe à haut degré de défocus, contre 0,51 mm (±0,04) avec le faible degré de défocus et de 0,69 mm (±0,04) pour les verres unifocaux. L’étude confirme également que l’effet freinateur se maintient dans le temps avec les verres à haut degré de défocus, tandis qu’au cours de la deuxième année de suivi, il n’y avait pas de différence significative entre le groupe de faible degré de défocus et le groupe de verre unifocaux. Il n’y avait pas de différence significative entre la durée du port des verres entre les trois groupes avec des durées de port journalier variant entre 13,4 h et 13,9h, et aucun évènement indésirable sévère n’a justifié d’arrêt de la participation à l’étude. Suite à ces résultats, les verres avec le plus haut niveau de défocus ont logiquement été choisis pour être commercialisés.

Il n’est pour l’instant pas possible de comparer l’effet freinateur entre ces deux verres à la seule lumière de ces deux publications dont les populations diffèrent. On note d’ailleurs que la progression de la myopie à deux ans en verres unifocaux (groupe contrôles) était deux fois plus forte dans l’étude Essilor que dans l’étude sponsorisée par Hoya.

Au total, voici donc une nouvelle technologie de verre qui semble pleine de promesses pour freiner la myopie, alors que les techniques alternatives comme les collyres atropiniques ou l’orthokératologie peuvent souffrir, respectivement, d’une tolérance limitée ou d’un accès restreint, faute de spécialiste disponible. D’après ces études, l’adaptation des enfants à ces deux types de verres semble rapide, sans pénaliser le confort visuel.

 

1 Price FW, Hom M, Moshirfar M, et al. Combinations of pilocarpine and oxymetazoline for the pharmacological treatment of presbyopia: two randomized phase 2 studies. Ophthalmol Sci. 2021; 1:100065.

 

Lam CSY, Tang WC, Tse DY, Lee RPK, Chun RKM, Hasegawa K, Qi H, Hatanaka T, To CH. Defocus Incorporated Multiple Segments (DIMS) spectacle lenses slow myopia progression: a 2-year randomised clinical trial. Br J Ophthalmol. 2020 Mar;104(3):363-368.

Bao J, Huang Y, Li X, Yang A, Zhou F, Wu J, Wang C, Li Y, Lim EW, Spiegel DP, Drobe B, Chen H. Spectacle lenses with aspherical lenslets for myopia control vs single-vision spectacle lenses: A randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2022 Mar 31:e220401.

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland thématique : myopie