Nouveautés en correction des troubles réfractifs : un collyre contre la presbytie

Revue de la presse d’avril 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Nouveautés en correction des troubles réfractifs :

2) un collyre contre la presbytie 

 

Dans cette 2ème partie de la revue de presse, nous abordons un trouble de la réfraction qui nous concerne tous un jour ou l’autre : la presbytie !
L’article sélectionné ici apporte les résultats d’une évaluation d’un collyre à la pilocarpine dans cette indication. Rappelons que ce parasympaticomimétique, agoniste des récepteurs muscariniques, induit une contraction à la fois du sphincter pupillaire (qui agit comme un diaphragme en augmentant la profondeur de champ) et du muscle ciliaire (provoquant une accommodation, donc une meilleure vision de près à correction équivalente). Ces propriétés ont sans doute conduit les concepteurs de l’essai thérapeutique à tester cette molécule pour améliorer la vision de près de patients presbytes. Des essais de phase 2 avaient d’ailleurs permis d’établir qu’à une concentration de 1 ou 1,5%, l’efficacité de la pilocarpine topique sur la vision de près était maintenue - chez certains patients - jusqu’à 8 heures.1
L’étude que nous présentons ici est une phase 3 ayant comparé l’efficacité sur la vision de près d’un collyre de pilocarpine à 1,25%, formulé dans un nouveau « véhicule » mis au point pour améliorer la tolérance du traitement, en le comparant au véhicule seul. L’étude GEMINI, incluait des sujets âgés de 40 à 55 ans, en bonne santé générale, avec des signes objectifs et subjectifs de presbytie. L’acuité visuelle de près était mesurée alors que les patients portaient leur correction pour la vision de loin = AVP-CVL (pour Acuité Visuelle de Près avec port de Correction pour la Vision de Loin), à 40 cm, dans des conditions de fort contraste, à l’aide d’une échelle spécifique, donnant des résultats exprimés en fraction décimale : elle devait être de 2 à 5/10, témoignant de la presbytie. Les patients porteurs de comorbidités oculaires significatives (notamment antécédent de chirurgie oculaire - excepté chirurgie réfractive - sècheresse oculaire sévère, glaucome), ou une anisocorie > 1mm, étaient exclus.
Les sujets ont été randomisés pour recevoir le véhicule ou le médicament, à la dose de 1 goutte le matin, avec 4 stratifications spécifiques pour équilibrer les groupes (iris foncés ou clairs, âge < 50 ans ou > 50 ans, AVP-CVL < 3/10, ou comprise entre 3 et 5/10, et emmétrope ou non emmétrope).
Le critère de jugement principal était la proportion de sujets gagnant 3 lignes d’AVP-CVL au 30ème jour de cure, et 3 heures après la dernière instillation. Les critères secondaires étaient cette même proportion à 6 et 8 heures après la dernière instillation, et des scores de qualité de vie et de vision liés à la presbytie évaluées pas des questionnaires, ainsi que les effets indésirables liés aux instillations.
Au total, 163 sujets ont reçu le traitement et 160 le véhicule. L’âge moyen était de 49,6±3,5 ans, avec plus de 90% de caucasiens. Le critère de jugement principal a été obtenu chez 30% des sujets traités contre 8% des contrôles (sans différence notable entre les sous-groupes). Six heures après l’instillation, la proportion de sujets traités ayant une amélioration significative de la vision de près tombait à 18%. Le pic d’efficacité était obtenu à 1 heure de l’instillation, avec 42% des sujets traités obtenant une augmentation de 3 lignes de leur AVP-CVL. Aucun des sujets ayant validé le critère de jugement principal n’a présenté de baisse d’acuité visuelle corrigée en vision de loin. Les résultats des 3 questionnaires utilisés dans l’étude étaient significativement en faveur du traitement.
Des effets indésirables étaient rapportés par 35% des sujets du groupe traitement et 23% de ceux du groupe contrôle. On retrouvait parmi les plus fréquents : des céphalées (14% vs 9,4%), une sensation de baisse de vision (4,3 vs 0,6%) des nausées (2,5% vs 0%), une douleur ou une irritation oculaire (2,5% vs 0,6%). A noter que la grande fréquence des céphalées (y compris dans le groupe contrôle) peut s’expliquer par le mode d’analyse de cette éventualité, une échelle visuelle analogique, ce qui a pu induire un biais déclaratif (des céphalées sont globalement ressenties régulièrement par 15% de la population générale). Toutefois, 87% des céphalées rapportées dans le groupe des sujets ayant reçu le traitement n’ont pas nécessité de prise d’antalgique.
Etant donné le nombre de patients concernés et le degré d’insatisfaction associé aux moyens disponibles pour corriger la presbytie, cette publication va sans aucun doute faire couler beaucoup d’encre. Pour autant, ce traitement est loin de régler le problème : moins d’un tiers des patients présente une correction satisfaisante après 3 heures sans instillation, et moins d’un cinquième après 6 heures…. Cette durée d’effet limitée pourrait encourager certains patients à multiplier les instillations pour prolonger l’effet thérapeutique, à leur risques et périls... En effet, la fréquence des effets indésirables rapportée n’est pas anodine, alors même que l’étude ne portait que sur un mois, une durée insuffisante pour détecter les potentiels problèmes liés à l’instillation au long cours de pilocarpine (inflammation de surface et  intraoculaire, avec risque de synéchies irido-cristalliniennes). Des études de plus longues durées sont donc absolument indispensables avant d’envisager une utilisation de ce traitement dans cette indication, qui ne s’adressera probablement pas au plus grand nombre.

 

Waring GO 4th, Price FW Jr, Wirta D, McCabe C, Moshirfar M, Guo Q, Gore A, Liu H, Safyan E, Robinson MR. Safety and efficacy of AGN-190584 in individuals with presbyopia: the gemini 1 phase 3 randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2022 Apr 1;140(4):363-371.

Reviewer : Antoine Rousseau thématique : Réfraction