Œdème maculaire diabétique : quid du bevacizumab ?

Revue de la presse Juillet - Août 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Œdème maculaire diabétique : quid du bevacizumab ?

Voici une nouvelle publication du DRCR retina network, réseau très actif nord-américain dont la dernière étude publiée, sur le protocole T, qui comparait le ranibizumab à aflibercept et donnait un avantage à ce dernier en cas de baisse d’acuité visuelle sévère secondaire à un œdème maculaire diabétique (OMD). A la suite du protocole T, le DRCR retina network a souhaité pousser la logique en comparant cette fois-ci l’aflibercept au bevacizumab en intravitréen, ceci bien entendu dans une logique de diminution des coûts et d’accessibilité au traitement, problème majeur de par le monde, et aux USA en particulier.

Cet essai clinique contrôle et randomisé vient d’être publié dans le prestigieux New England Journal of Medicine, et les résultats sont particulièrement instructifs. Au total, 312 yeux de 270 patients ont été randomisés avec un ratio 1 :1, 158 yeux dans le groupe aflibercept et 154 dans le groupe bevacizumab. Si les deux yeux d’un même patient étaient inclus, la randomisation portait sur l’œil à l’acuité visuelle la plus faible, et l’œil adelphe était inclus dans le bras alternatif de l’étude. La logique de cette étude était de comparer l’aflibercept au bevacizumab en réalisant pour ce dernier un traitement par étapes thérapeutiques, c’est-à-dire qu’en cas d’échec ou de réponse insuffisante au traitement pour les patients randomisés dans le groupe bevacizumab, un switch vers l’aflibercept était réalisé.

Les yeux inclus devaient présenter une baisse d’acuité visuelle inférieure ou égale à 5/10 et les modalités de leur traitement étaient les suivantes : dans le groupe de référence, le traitement comportait 6 IVT d’aflibercept mensuelles puis le retraitement par aflibercept était guidé par des critères fonctionnels d’acuité visuelle ou par des critères anatomiques en OCT. Dans le groupe bevacizumab d’emblée, le traitement débutait par 6 IVT mensuelles et se poursuivait comme pour l’aflibercept, mais au bout de 12, 24 ou 52 semaines, en cas de réponse insuffisante, selon les critères de l’étude, un switch vers l’aflibercept était automatiquement réalisé avec une induction de 2 IVT mensuelles puis un retraitement selon les critères OCT du premier groupe. La durée de l’étude était fixée à 2 ans de suivi.

Les patients (âgés en moyenne de 61 ans) ont été inclus de décembre 2017 à novembre 2019, avec une acuité visuelle initiale moyenne de 3/10ème en raison d’un OM secondaire à un diabète diagnostiqué en moyenne depuis 14,5 ans (EMC initiale moyenne à 488 m). 88% des patients inclus ont terminé l’essai, avec 22 visites en moyenne dans le groupe aflibercept et 22,5 dans le groupe bevacizumab d’emblée. Les yeux traités ont reçu en moyenne 14,6 et 16,1 IVT, respectivement. Le pourcentage cumulatif d’yeux initialement assignés au bevacizumab et finalement traités par l’aflibercept était de 39% à 24 semaines, 60% à 52 semaines et 70% au bout des deux ans de suivi. Le gain moyen d’acuité visuelle sur la durée de l’étude était de 15,08,5 lettres dans le groupe aflibercept et de 14,08,8 lettres dans le groupe bevacizumab en premier, différence non significative en comparant les aires sous la courbe pendant la durée du suivi (p=0,37). Une analyse de sensibilité a montré que l’analyse statistique des patients dont un seul œil était inclus donnait un résultat cohérent avec ce résultat global. En considérant uniquement l’acuité visuelle à deux ans, le gain était de 14,714,5 lettres dans le groupe aflibercept et de 15,912,4 lettres dans le groupe bevacizumab d’emblée. Au niveau anatomique, à deux ans, la réduction d’EMC était de -192143 m dans le groupe aflibercept et de -198160 m dans le groupe bevacizumab en premier, soit une différence non significative.
En termes de données de sécurité, un œil du groupe aflibercept a présenté une endophtalmie infectieuse, et des événements indésirables graves survenaient chez 52% du groupe aflibercept contre 40% des patients dans le groupe bevacizumab et 43% des 42 patients dont les deux yeux étaient traités en même temps (p=0,05). Ainsi, les événements indésirables graves semblaient moins fréquents dans le groupe bevacizumab et les auteurs rappellent dans leur discussion que ces données sont similaires aux autres études qui comparent, dans l’OMD, l’aflibercept au bevacizumab.

Au total, voici un nouvel essai clinique pour lequel on ne retrouve pas de différence significative à deux ans entre le traitement de référence, ici l’aflibercept, et un traitement qui n’a pas d’AMM en France, le bevacizumab. Il faut cependant pondérer ce résultat car d’une part l’aflibercept n’est pas utilisé selon son protocole de traitement standard, et d’autre part les données sont en faveur de l’aflibercept à un an. Toutefois, le switch dans le groupe bevacizumab vers l’aflibercept permet d’obtenir des résultats comparables à 24 mois. Enfin retenons qu’à la fin de l’étude, 30% des patients étaient encore sous bevacizumab, avec un coût aux USA de 70$ par injection contre 1830 $ pour l’aflibercept… C’est tout l’intérêt de réaliser un traitement par étapes dont discute Musch et Chew dans un bel éditorial du NEJM : celui de faire des économies non négligeables pour le système de santé tout en maintenant une bonne qualité et efficacité de soins. Nous nous souvenons tous de l’étude française GEFAL qui avait, en 2013, montré la non infériorité du bevacizumab contre le ranibizumab dans la DMLA exsudative sans pour autant faciliter l’usage du bevacizumab en France malgré une RTU parue en 2015 1. Cet anticorps monoclonal recombinant ciblant le VEGF ne possède pas d’AMM dans les indications ophtalmologiques mais bénéficie depuis 2021 d’un « accès compassionnel » qui vise à en « sécuriser » la prescription 2-3. En réalité ces contraintes réglementaires freinent l’usage du bevacizumab par les ophtalmologistes, alors que ce « vieux » traitement pourrait rendre des services tout en limitant les coûts de la prise en charge du diabète et de la DMLA en France.

 

Jhaveri CD, Glassman AR, Ferris FL 3rd et al; DRCR Retina Network. Aflibercept Monotherapy or Bevacizumab First for Diabetic Macular Edema. N Engl J Med. 2022 Aug 25;387(8):692-703.

 

Musch DC, Chew EY. Evidence for Step Therapy in Diabetic Macular Edema. N Engl J Med. 2022 Aug 25;387(8):751-752.

 

https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/201810/cteval396_reco_rtu_annexe_avastin_cd_2018_09_26_v0.pdf (site consulté  le 7/9/22)

 

https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/medicaments/professionnels-de-sante/autorisation-de-mise-sur-le-marche/article/autorisation-d-acces-precoce-autorisation-d-acces-compassionnel-et-cadre-de  (site consulté  le 7/9/22)

 

https://ansm.sante.fr/actualites/decision-du-31-08-2021-renouvellement-du-cadre-de-prescription-compassionnelle-davastin-25-mg-ml-solution-a-diluer-pour-perfusion-dans-le-traitement-de-la-degenerescence-maculaire-liee-a-lage-neovasculaire (site consulté  le 7/9/22)

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : rétine médicale