Place de la mesure de l’hystérèse cornéenne pour le diagnostic et l’évaluation du risque de progression du glaucome.

Revue de la presse d’avril 2023

 

Auteur : Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

 

 

Place de la mesure de l’hystérèse cornéenne pour le diagnostic et l’évaluation du risque de progression du glaucome.

 

 

 

Les propriétés biomécaniques de l’œil constituent un des éléments majeurs pour mieux comprendre la physiopathologie du glaucome. Elles déterminent en effet comment l’augmentation de la pression intraoculaire (PIO) déforme la lamina cribrosa ; et par conséquent retentit sur les axones du nerf optique. Mais dans le domaine de la biomécanique, rien n’est simple… et à titre d’exemple, les tissus plus rigides pourraient avoir une meilleure résistance à la déformation, mais à l’inverse entrainer de plus grandes variations de PIO.

 

L'Ocular Response Analyzer (ORA, Reichert) est un tonomètre à air pulsé particulier permettant, dans une certaine mesure, d’évaluer les propriétés biomécaniques de la cornée, notamment par l’étude d’un paramètre dénommé hystérèse cornéenne.

 

On comprend donc l’intérêt des spécialistes du glaucome pour cette mesure, et ce faisant la nécessité de définir sa place exacte dans la prise en charge des patients encore suspects de glaucome ou déjà glaucomateux. C’est ce à quoi se sont attelés Sit et al. dans une revue d’évaluation des nouvelles technologies de l’Académie Américaine d’Ophtalmologie, publiée dans le numéro d’avril d’Ophthalmology.

 

Revenons d’abord sur le concept d’hystérèse cornéenne (HC). L’ORA envoie un jet d’air sur la cornée entrainant une aplanation, correspondant à une première estimation de la PIO (P1). La cornée s’indente ensuite sous l’effet du jet d’air, dont la pression diminue ensuite, permettant à la cornée de repasser par une phase d’aplanation, correspondant à une seconde estimation de la PIO (P2), puis de retrouver sa géométrie initiale.  L’hystérèse cornéenne (HC) est définie par la différence entre ces 2 estimations de la PIO, à savoir P1 et P2 (en mmHg). La valeur de l’HC est proportionnelle au degré de viscosité de la cornée, et inversement proportionnelle à son degré d’élasticité. La viscosité reflète la capacité des tissus à amortir une force (en l’occurrence le jet d’air), et détermine la vitesse à laquelle les tissus se déforment puis reprennent leur forme initiale. L'élasticité détermine quant à elle l'amplitude de la déformation sous l’effet de l’application d’une force.

 

La viscosité des tissus n'impacte pas la déformation des tissus en cas d’augmentation chronique de la PIO (elle ne fait que ralentir la vitesse de la déformation). En revanche, une viscosité élevée permet de limiter les déformations des tissus lors de variations à court terme de la PIO. Pour les augmentations chroniques de la PIO, c'est l'élasticité, ou le module d'élasticité des tissus qui détermine l'amplitude de la déformation.

 

S’il est très simple et très rapide d’obtenir une mesure d’HC, les implications cliniques de cette mesure pour la prise en charge du glaucome ne sont pas intuitives. 

 

D’une part, les tissus oculaires ne sont pas uniformes : leurs propriétés diffèrent selon les régions étudiées : l’HC cornéenne ne reflète pas forcément celle de la lamina cribrosa…
D’autre part, la déformation de la lamina cribrosa et de l'ouverture du canal scléral dépendent d’autres facteurs que la viscosité et l’élasticité, notamment la géométrie et l'épaisseur des tissus. Enfin, les propriétés biomécaniques oculaires varient également avec l'âge, la PIO, les traitements reçus, la longueur axiale et l'épaisseur cornéenne, ajoutant une complexité supplémentaire lors de l'interprétation de l’HC…

 

Faisons fi de cette complexité apparemment insoluble et voyons si le travail d’analyse de Sit et al.  permet de définir une place pour l’HC dans la prise en charge du glaucome. Les auteurs ont réalisé une analyse systématique des publications ayant exploré les relations entre HC, hypertonie oculaire (HTO) et glaucome, en incluant uniquement les études originales en anglais portant sur des adultes, et ayant étudié la capacité de l’ORA i) à différencier les patients glaucomateux des sujets sains, et ii) à déterminer le risque de progression.

 

Les abstracts de 423 études ont été identifiés, parmi lesquels 19 ont été retenus, puis classés par le panel des méthodologistes selon leur niveau de preuve. Seules les 13 études de niveau 1 et 2 ont finalement été inclues, parmi lesquelles 10 comportaient un groupe de patients atteints glaucome primitif à angle ouvert (GPAO), 8 un groupe contrôle, 3 un groupe de glaucome pseudo-exfoliatif (PEXG), 1 un groupe de syndrome pseudo-exfoliatif (PEXS), 4 un groupe de glaucome chronique par fermeture de l’angle (GCFA) et 2 un groupe de glaucome à pression normale (GPN). Il s’agissait, selon les publications, d’études comparatives (N=8) ou de cohortes (N=5). Les patients glaucomateux étaient le plus souvent traités, à l’exception d’un groupe de GPN dont l’HC était mesurée avant l’introduction du traitement.

 

Cette analyse méthodique de la littérature a permis de conclure que l’HC est plus faible chez les patients atteints de GPAO, de GCFA, de PEXG et de PEXS que celles des sujets sains.  Il en ressort également que la valeur de la HC peut être influencée par la valeur de la PIO et par les traitements hypotonisants. A noter que l’HC est plus basse chez les patients atteints de glaucome à pression normale naïfs de tout traitement, ayant une PIO similaire à des sujets sains. Enfin, une HC diminuée est associée avec une augmentation du risque de progression structurelle et/ou fonctionnelle chez les patients atteints de GPAO, y compris chez les patients avec une PIO apparemment contrôlée.

 

Les auteurs concluent que la mesure de l’HC est complémentaire des évaluations fonctionnelles et structurelles actuellement disponibles pour diagnostiquer le glaucome et surtout pour évaluer le risque de progression. Toutefois, le lien de causalité entre HC basse et i) risque de glaucome d’une part et ii) risque de progression d’autre part, reste à établir. La valeur de HC n’est par ailleurs pas facile à utiliser en pratique, en l’absence de bases de données normatives.

 

Notons que l’ORA fournit également une valeur de PIO corrigée (PIOc), dérivée des valeurs de P1 et P2 (PIOc = P2-KxP1, ou le coefficient K=0,43), qui s’affranchirait en partie des propriétés biomécaniques de la cornée, et approcherait mieux la vraie PIO chez certains patients. Mais contrairement à l’HC, la PIOc est une donnée beaucoup plus facile à utiliser en routine et elle déjà adoptée par de nombreux spécialistes, même si sa robustesse n’a pas malheureusement pas fait l’objet d’une évaluation aussi poussée et surtout critique que la HC…dommage…

 

 

Sit AJ, Chen TC, Takusagawa HL, Rosdahl JA, Hoguet A, Chopra V, Richter GM, Ou Y, Kim SJ, WuDunn D. Corneal hysteresis for the diagnosis of glaucoma and assessment of progression risk: a report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmology. 2023 Apr;130(4):433-442.

 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : glaucome

 

 


Ce qui reste à améliorer dans les essais cliniques évaluant des techniques chirurgicales…

Azuara-Blanco A, Carlisle A, O'Donnell M, Jayaram H, Gazzard G, Larkin DFP, Wickham L, Lois N. Design and conduct of randomized clinical trials evaluating surgical innovations in ophthalmology: a systematic review. Am J Ophthalmol. 2023 Apr;248:164-175.


Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : méthodologie / chirurgie