Plaidoyer pour le diagnostic microbiologique systématique des kératoconjonctivites à adénovirus

Revue de la presse de Juin 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Plaidoyer pour le diagnostic microbiologique systématique des kératoconjonctivites à adénovirus

Du fait de leur contagiosité, les conjonctivites et kérato-conjonctivites adénovirales (KCA) peuvent poser d’énormes problèmes dans les structures de soins. Les épidémies nosocomiales touchent autant les personnels soignants que les usagers et peuvent faire des ravages sur la surface oculaire, avec même parfois des conséquences durables sur l’acuité visuelle.

En cas de suspicion, les mesures préventives reposent habituellement sur la mise en place d’un parcours patient spécifique (patient isolé dès l’accueil et examiné dans un box à part), suivi d’un arrêt de travail (jusqu’à 10 à 15 jours en fonction de l’activité). Les conséquences de la maladie et des mesures préventives - parfois appliquées en excès -, sont majeures en termes de coûts : près d’un milliard de dollar aux USA estimé en 2007, sans compter les fermetures de services liées à des épidémies nosocomiales, et les prescriptions d’antibiotiques inutiles.

C’est ce constat qui a motivé le Dr Kuo, cornéologue dans le prestigieux Wilmer Eye Institute au Johns Hopkins de Baltimore et le Dr Gower, infectiologue responsable de la lutte contre les infections dans cet immense hôpital, de mettre en place une nouvelle stratégie de prise en charge des « yeux rouges » pour les employés du Johns Hopkins.

Pour expliquer le contexte, le service de cornée du Wilmer Eye Institute disposait d’un box isolé dédié aux « yeux rouges », mis en service à la suite d’une terrible épidémie nosocomiale de KCA dans l’établissement dans les années 90. Mais ce box a dû être fermé en 2008 pour des raisons budgétaires (un problème décidément universel…)

La nouvelle stratégie, mise en place en 2011, consiste en un adressage des patients présentant des yeux rouges en médecine du travail où ils sont triés par une infirmière. Si les symptômes sont compatibles avec une KCA, un écouvillon conjonctival est pratiqué pour PCR à la recherche du génome de l’adénovirus suivi d’un séquençage pour en déterminer le sous-type et suivre d’éventuelles épidémies.

Avant de poursuivre, précisions deux points à garder en tête pour l’analyse des données :  1) la PCR a une sensibilité de 95% et une spécificité de 100%, et 2) les patients avec un antécédent de chirurgie ou d’inflammation oculaire étaient directement adressés en ophtalmologie.

Après l’écouvillonnage, le patient reste sur place jusqu’à réception du résultat de la PCR, dans les heures qui suivent. Si elle est négative, le patient reprend le travail aussitôt que les symptômes s’améliorent (1 en 3 jours en moyenne). Si la PCR est positive, le patient est arrêté 14 jours si le génotype correspond à une souche responsable de kératoconjonctivite épidémique (KCE = forme sévère) ou 7 jours s’il s’agit d’un génotype de conjonctivite adénovirale banale. Dans les deux cas, un contrôle ophtalmologique est prévu juste avant la reprise du travail.

Cette stratégie vise donc à diminuer à la fois le recours à l’ophtalmologiste pour des contrôles non-indispensables, les arrêts de travail « préventifs » pour des yeux rouges non contagieux et la prescription non justifiée de collyres antibiotiques.

Les auteurs ont repris les chiffres correspondant à la période 2011-2018, soit 13 904 employés adressés en médecine du travail pour des symptômes ophtalmologiques, dont 2142 pour un ou des yeux rouges. Parmi ces derniers, 1520 avaient été écouvillonnés, dont 130 étaient positifs, et 41 avec des génotypes de KCE.

Nous ne rentrerons pas dans les détails de l’analyse médico-économique, qui partait du postulat que les 1520 patients écouvillonnés auraient, en l’absence de test, vraisemblablement été arrêtés 14 jours, tout en prenant en compte à l’inverse le coût de la PCR et du séquençage systématique. Même si les chiffres avancés ne peuvent être extrapolés à notre système de soins, ils sont éloquents : la stratégie mise en place permet d’économiser 442 000$ par an, soit un peu plus de 3M$ sur la période de l’étude. En outre, aucune épidémie (définie par un cluster d’au moins 2 personnes atteintes de KCA liées au même adénovirus dans un même service) n’a été détectée pendant la période étudiée.

Bien que très efficace, cette stratégie n’est cependant pas applicable partout, car elle ne peut être appliquée que dans de grands centres, équipés de laboratoires de virologie très performants. Enfin, il existe un risque de faux négatifs de la PC, 5% en l’occurrence, ce qui représente tout de même 1 patient sur 20 qui sera renvoyé dans le circuit rapide du contact avec ses collègues.

Dans tous les cas, cette étude est une grande première en la matière, et elle confirme l’intérêt de la standardisation des parcours de soins spécifiques aux « yeux rouges » tout en soulignant l’importance du diagnostic microbiologique devant toute infection présumée.

 

Kuo IC, Gower EW. Cost savings from a policy to diagnose and prevent transmission of adenoviral conjunctivitis in employees of a large academic medical center. JAMA Ophthalmol. 2021 May 1;139(5):518-524

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : surface / infection ;  , thématique : cornée