Prévalence et facteurs de risque de vision fantôme après amputation oculaire

Revue de la presse de novembre 2022

 

Auteurs : Antoine Rousseau, Jean-Rémi Fénolland
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées : 
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

 

Prévalence et facteurs de risque de vision fantôme après amputation oculaire : 

 

Le deuxième article sélectionné dans cette revue de presse émane également d’une équipe française et aborde un sujet plutôt méconnu des ophtalmologistes : le syndrome de l’œil fantôme (SOF), et en particulier de vision fantôme (VF) après amputation oculaire. 


Le SOF peut en effet comporter des sensations douloureuses et non-douloureuses au niveau de l’œil amputé (potentiellement confondues avec d’authentiques douleurs de la cicatrice), mais également des perceptions visuelles, dont la physiopathologie est mal comprise et l’épidémiologie assez peu décrite. Au-delà de l’intérêt intellectuel que peut susciter le SOF, ce dernier est surtout associé à des taux plus élevés d’anxiété et de dépression, ainsi qu’à un impact très négatif sur la qualité de vie. Les phénomènes de VF sont quant à eux le plus souvent vécus comme des symptômes effrayants par les patients.


Les équipes d’ophtalmologie et de prise en charge de la douleur du CHU de Nice ont coordonné une étude multicentrique visant spécifiquement à mieux décrire la clinique, la prévalence et les facteurs de risque de VF après amputation oculaire dont les résultats sont rapportés dans le numéro de novembre du British Journal of Ophthalmology. 


Les patients inclus étaient majeurs, avaient subi une amputation oculaire avec mise en place d’une prothèse acrylique plus de 3 mois auparavant, dans l’un des services de chirurgie oculoplastique impliqués dans l’étude (CHU de Nice, Fondation Ophtalmologique Rothschild à Paris et Hôpital Jules Gonin de Lausanne). 


Ils bénéficiaient d’un examen ophtalmologique complet, puis un questionnaire spécifiquement conçu leur était remis pour mieux cerner les VF, accompagné de questionnaires validés évaluant l’anxiété et la dépression (Hospital Anxiety and Depression) ainsi que la qualité de vie.
Les anomalies de la cicatrice (exposition de la bille, infection, granulome, instabilité de la prothèse) et les troubles neurologiques tels que le zona ophtalmique, les algies vasculaires de la face, ou encore l’existence d’un syndrome de Charles Bonnet (hallucinations visuelles de l’œil non-voyant) préopératoire constituaient des critères d’exclusion. 


Le SOF était diagnostiqué sur la présence d’au moins un des éléments suivants : 1) douleurs fantômes (DF), définies comme toute douleur dans ou autour de l’œil amputé, 2) visions fantômes, catégorisées en phénomènes visuels élémentaires (i.e. perception d’éclairs, de points, ou de couleurs) et complexes (i.e. visages, objets, paysages) et 3) sensations fantômes (SF), définies par la perception de sensations tactiles sur l’œil amputé. 
Sur les 185 questionnaires distribués, 115 étaient retournés, et 100 étaient suffisamment complets pour être analysés. Il y avait 53 hommes et 47 femmes, âgés en moyenne de 65 ± 13 ans. Les principales indications d’amputation étaient les mélanomes uvéaux (24%), les traumatismes (20%), les complications de décollement de rétine (20%), de glaucome (14%) et d’endophtalmie (12%). Le délai entre la chirurgie et le questionnaire était de 49 ± 64 mois. 
Un SOF était présent chez 68% des patients, avec des DF dans 47% des cas, des VF dans 30% des cas, et des SF dans 38% des cas. Les VF se manifestaient par des hallucinations visuelles simples dans 80% des cas, et complexes dans 20% des cas. Elles apparaissaient habituellement dans le premier mois postopératoire, avec des manifestations habituellement quotidiennes (40%), sans horaire particulier. Les VF duraient le plus souvent quelques secondes (36%) ou quelques minutes (27%), mais étaient continues chez près d’un quart des patients. Les VF avaient tendance à diminuer avec le temps chez 43% des patients, tandis qu’elles s’aggravaient chez 7%. Le stress et l’éclairage de haute intensité étaient rapportés comme facteurs déclenchant, tandis que l’obscurité et le calme soulageaient les patients. Un tiers des patients était demandeur d’un traitement médical ou chirurgical pour traiter les VF. 
Les facteurs de risque significativement associés à la survenue des VF – en analyse univariée - étaient un antécédent de protonthérapie préopératoire, le mélanome uvéal, une chirurgie d’énucléation (plus que d’éviscération), un score de dépression et ou d’anxiété ≥ 8 et enfin l’existence associée des autres symptômes du SOF (DF et SF). Aucun de ces éléments n’était toutefois significatif en analyse multivariée. 
Les résultats de cette étude d’envergure, relativement comparables à ceux publiés dans d’autres études illustrent bien l’ampleur du phénomène et la nécessité d’en informer les patients. Concernant les scores d’anxiété et de dépression, plus élevés chez les patients atteints de VF, il est difficile de conclure s’ils sont la cause ou la conséquence du problème…


Les aspects thérapeutiques ne sont pas l’objet principal de cette publication, mais les auteurs rappellent que les traitements du SOF ne sont pas bien codifiés. La réassurance, et les explications sur le caractère le plus souvent transitoire de ces anomalies en constituent la première étape. Pour les phénomènes de VF, Les traitements antiépileptiques peuvent être proposés, comme dans le syndrome de Charles Bonnet auquel les VF seraient apparentées. 


Martel A, Baillif S, Thomas P, Almairac F, Galatoire O, Hamedani M, Fontaine D, Lanteri-Minet M. Phantom vision after eye removal: prevalence, features and related risk factors. Br J Ophthalmol. 2022 Nov;106(11):1603-1609.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : neuro-ophtalmo / orbito-palpébral.