Quand la greffe de cornée fait le buzz

Revue de la presse Juillet - Août 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Quand la greffe de cornée fait le buzz !

Il n’aura échappé à personne cet été, au-delà de la canicule et des feux de forêts en France, l’énorme retentissement médiatique engendré par un nouveau type de greffe de cornée biosynthétique.

Effectivement, la publication de Rafat et col. dans la revue Nature Biotechnology du 11 août dernier a déjà des indices publimétriques qui affolent tous les compteurs avec un score d’attention mesuré par Altimetric a plus de 1700 au 1er septembre 2022, ce qui en fait, à J+20 de la parution de l’article, le deuxième meilleur score de tous les temps pour cette revue et le 168ème meilleur toutes revues confondues (sur plus de 300 000 publications prises en compte…).

Il est actuellement estimé que 12,7 millions de personnes serait en attente d’une greffe et que malheureusement, in fine, seulement un greffon sera disponible pour 70 patients éligibles. Au-delà des barrières économiques et technologiques incontestables, n’oublions pas également les barrières éthiques, culturelles ou politiques qui sont des freins considérables au don de cornée dans certaines régions du globe.

La société suédoise Linkocare AB développe un tissu cornéen biosynthètique et les travaux publiés semblent très prometteurs. Ce tissu est biosynthétisé à partir de collagène de type 1 porcin de grade médical (déjà utilisé pour des implants de drainage en chirurgie du glaucome). Il est acellulaire et subit un double cross linking afin d’en augmenter la stabilité et la résistance. Les travaux de recherche ont tout d’abord débuté sur des modèles animaux en particulier chez le rat où les réactions inflammatoires ont pu être étudiées après implantation sous cutanée, puis dans un modèle porcin de kératocône sévère, ce qui a permis d’améliorer la technique chirurgicale de pose en allant vers une méthode mini-invasive et d’en apprécier la stabilité dans le temps. Le tissu qui forme un hydrogel a ensuite été prélevé pour des études histologiques qui ont démontré une bonne stabilité et de grandes qualités de transparence en raison d’une organisation régulière des fibres de collagènes. D’autres travaux se sont focalisés sur la stabilité et la conservation de ce biomatériel. Ainsi, il n'a pas été remarqué de différence significative, chez le porc, entre un implant posé après deux ans de conservation ou un implant récemment fabriqué : les résultats post greffes étaient comparables et aussi durables.

Après ces validations chez l’animal, les 20 premiers patients humains ont été inclus et opérés soit en Iran (12 patients) ou en Inde (8 patients). La publication rapporte leurs résultats assez extraordinaires au bout de deux ans de suivi. Pour des considérations éthiques, les yeux sélectionnés pour cet essai étaient tous intolérants au port de lentilles rigides, avaient une vision faible avec une moyenne à 1/20ème corrigée en lunettes ou lentilles (14 yeux étaient en cécité légale) et il s’agissait de patients qui n’auraient pas pu être greffés par kératoplastie transfixiante en raison de l’absence de greffon disponible.

La chirurgie s’adressait à des patients porteurs de kératocônes sévères (kératométrie maximale moyenne de 62 à 69D et pachymétrie minimale moyenne à 400 et 368 selon la série) sans opacification cornéenne. Une dissection lamellaire était réalisée à l’aide d’un laser femtoseconde sur un diamètre de 9 mm avec une incision latérale de 2 à 4 mm afin d’implanter le greffon de 280 ou 400 m d’épaisseur préalablement trépané à 8 ou 8,5mm de diamètre. Cette technique a originalement été conceptualisée à visée réfractive par Barraquer dans les années 60 sous le nom de « kératophakie ».

La sécurité de la procédure a été jugée bonne par les investigateurs et toutes les cornées opérées ont présenté une bonne transparence à deux ans de la chirurgie. L’acuité visuelle finale avec correction était de 4/10ème dans la série iranienne et de 8/10ème dans la série indienne. La pachymétrie moyenne était largement augmentée par la procédure, avec une réduction de la kératométrie moyenne, permettant à nouveau le port de lentilles rigides chez tous les patients. Au total, alors que 14 yeux étaient considérés en état de cécité avant la procédure, aucun œil ne l’était deux ans après la chirurgie.

Voici donc une première série de patients opérés aux résultats tout à fait remarquables, expliquant l’enthousiasme médiatique suscité par la publication de cet article. Ces résultats devront être cependant confirmés par une série de plus vaste ampleur, y compris dans les pays industrialisés.

 

Rafat M, Jabbarvand M, Sharma N, Xeroudaki M, Tabe S, Omrani R, Thangavelu M, Mukwaya A, Fagerholm P, Lennikov A, Askarizadeh F, Lagali N. Bioengineered corneal tissue for minimally invasive vision restoration in advanced keratoconus in two clinical cohorts. Nat Biotechnol. 2022 Aug 11. Epub ahead of print.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : cornée