Redonner la perception de la couleur dans les cécités rétiniennes ?

Fenolland Jean-Rémi
Rousseau Antoine

Revue de la presse de mars 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 


Redonner la perception de la couleur dans les cécités rétiniennes ?

Les prothèses épi-rétiniennes, qui stimulent les cellules ganglionnaires en « remplaçant » les photorécepteurs altérés, permettent de redonner un peu de vision et parfois une autonomie aux patients atteints de cécité causée par certaines dégénérescences rétiniennes. Ces implants transforment la luminosité d’une scène visuelle en stimulations électriques, mais ne rendent jusqu’à présent pas compte des informations chromatiques. Pourtant, ces dernières sont essentielles, surtout dans le contexte d’une résolution spatiale faible, comme c’est le cas des prothèses rétiniennes actuelles.

Une étude présentée au congrès de l’ARVO en 2012 avait déjà rapporté que des patients équipés de ce type de prothèse pouvaient percevoir des couleurs sur l’axe bleu-jaune, perceptions qui semblaient corrélées à la fréquence des stimuli électriques générés par la prothèse. Toutefois, la reproductibilité de ces perceptions et le rôle de l’amplitude des stimuli restaient à définir1. Yue et al. sont partis de ces observations pour tenter de restaurer, au moins partiellement, la perception chromatique chez 7 patients atteints de rétinopathie pigmentaire cécitante, équipés d’une prothèse épi-rétienne de type ARGUS 2 sur un œil.

Tous les patients, bien qu’aveugles depuis 15 à 30 ans, disaient avoir un bon souvenir de l’apparence des couleurs.

Précisons tout d’abord que l’étude était réalisée en mode « stimulation direct », c’est-à-dire non connecté au système d’acquisition des images qui sert habituellement à générer les influx électriques, mais directement à un système informatique capable de stimuler indépendamment chacune des 60 électrodes (6x10) de la prothèse. La première phase consistait à établir le seuil d’intensité électrique minimal pour déclencher une perception lumineuse. Ensuite, les auteurs ont sélectionné les électrodes avec un seuil de perception bas, pour faire les tests suivants sans trop risquer d’endommager la rétine. La seconde phase de l’étude consistait à moduler la fréquence des stimuli et à recueillir les perceptions de couleur des patients, en leur demandant de nommer les couleurs perçues, si possible en décrivant un pourcentage de chaque teinte composant la couleur perçue (rouge / jaune / vert et bleu avec un total de 100%), ainsi qu’un pourcentage de saturation de la couleur. Lorsque les patients n‘arrivaient pas à donner les pourcentages de teinte (une situation fréquente), ils pouvaient préciser la nature de la couleur perçue avec des analogies (exemples « bleu lavande »). Les perceptions ainsi exprimées par les patients étaient converties dans une échelle de teinte et de saturation pour objectiver, autant que faire se peut, les analyses.

Sans rentrer trop dans les détails techniques, avec les paramètres testés, 5 des 7 patients percevaient des couleurs dans un axe bleu-jaune, avec une transition du jaune vers le bleu en fonction de la fréquence de stimulation (mais une importante variabilité du seuil de transition du jaune vers le bleu en fonction des patients). La corrélation entre la fréquence des stimuli et la perception dans l’axe bleu-jaune semblait stable dans le temps (les expériences étaient répétées à 6 mois d’intervalle) et selon les électrodes pour un patient donné. Mieux encore, lors de la stimulation simultanée de 2 électrodes, les patients étaient capables d’avoir une perception « multicolore ».

Les auteurs ont essayé en outre de déterminer pourquoi 2 patients ne percevaient pas de couleur en examinant plusieurs paramètres cliniques (entre autres degré et ancienneté de la perte visuelle au moment de l’implantation, localisation de la prothèse), mais ils ne sont pas parvenus, sur cette petite cohorte, à identifier des facteurs associés à l’absence de perception chromatique.

Bien évidemment, le contenu de l’article peut décevoir certains espoirs nourris par son titre prometteur, mais cette première preuve de concept semble marquer un pas significatif dans la quête de la restauration visuelle des pathologies rétiniennes. Espérons que ces variations de fréquences seront bien tolérées par les tissus stimulés sur le long terme, et que ces chercheurs déterminés trouveront des solutions pour encoder d’autres couleurs, affiner leurs résultats, et appliquer ces algorithmes ou leurs dérivés aux futures générations de prothèses épi-rétiniennes.

 

1) Stanga PE, Sahel Jr JA, Hafezi F, et al. Patients blinded by outer retinal dystrophies are able to perceive simultaneous colors using the Argus II retinal prosthesis system. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2012;53, 6952-6952.

 

Yue L, Castillo J, Gonzalez AC, Neitz J, Humayun MS. Restoring Color Perception to the Blind: An Electrical Stimulation Strategy of Retina in Patients with End-stage Retinitis Pigmentosa. Ophthalmology. 2021 Mar;128(3):453-462.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : rétine