Retinopathie du prématuré: des conséquences insoupconnées et des mécanismes mieux identifiés

Pédiatrie

La rétinopathie du prématuré (ROP) est une complication potentiellement dramatique de la prénatalité : elle touche environ 50 000 nourrissons par an dans le monde. Le dépistage en est indispensable pour limiter le risque de cécité. Il est normalement fait de façon systématique, par un examen du fond d’œil après dilatation, chez tous les nourrissons à risque. Au Canada, pays d’origine des auteurs de cette étude, les critères de dépistage retenus sont une naissance avant 31 semaines de grossesse et/ou un poids de naissance inférieur à 1250 g. Cependant, comme chez l’adulte, l‘examen du fond d’œil après dilatation n’est pas une procédure anodine : elle est pour le moins inconfortable, elle peut même devenir douloureuse. Or, plusieurs études ont montré que les douleurs chez les grands prématurés peuvent générer un trouble du développement cognitif, et même une réduction de la taille des lobes frontaux et pariétaux du cerveau, associée plus précisément à une réduction de la substance blanche et de la substance grise sous-corticale. Il est donc plus que légitime de tenter de limiter toutes les causes de douleurs chez ces jeunes enfants très fragiles. 

Dans le cadre du dépistage de la rétinopathie du prématuré, il a aussi été suggéré qu’il s’agit d’un facteur de risque d’apnées dans les 24 à 48 heures suivant l'examen, dont la cause est actuellement inconnue. L’hypothèse des auteurs est que l’excès de lumière perçue par l’enfant pendant les heures qui suivent l’examen (dilatation pupillaire) génère un stress suffisant pour induire des complications qui peuvent être graves (bradycardie, désaturation, apnée).

 

Les investigateurs ont réalisé une étude bicentrique, prospective et contrôlée, randomisée comparant l’efficacité d’un masque facial, destiné initialement à protéger les yeux des nouveau-nés soumis à une photothérapie (dans le cadre d’un ictère néonatal), pour limiter le stress lumineux après examen de la rétine avec dilatation pupillaire. Une goutte de cyclopentolate 0,5% et de phényléphrine 2,5% ont été instillées, l’examen du fond d’œil a été réalisé, puis les prématurés ont été équipés, ou non (groupe contrôle), de ce masque facial (Natus Biliband) pendant les 4 heures après l'examen rétinien. Les nourrissons équipés du masque ont effectivement présenté moins d'événements cardio-respiratoires dans les suites de l’examen. Cependant, un facteur confondant s’est introduit dans le protocole, qui n’était pas anticipé, celui de l’utilisation d’une assistance respiratoire pendant l’examen du fond d’œil. Or, il s’agit là encore d’une cause de stress majeur, qui peut à elle seule, générer des périodes d’apnées dans les heures qui suivent. Malheureusement, après ajustement des résultats initiaux sur ce facteur, la signification statistique du bénéfice de l’intervention a disparu. Cela n’invalide pas toute l’étude, loin s’en faut : les arguments scientifiques sont là, d’ailleurs, une nouvelle étude sera probablement réalisée en incluant une stratification sur l’assistance respiratoire, ce qui permettra d’obtenir des groupes comparables. Quoi qu’il en soit le message important est déjà là, d’une nature qui dépasse largement l’ophtalmologie, celui de la prise en compte du problème des douleurs chez le nouveau-né. Il ne s’agit désormais plus d’un débat d’éthique sur le fait de limiter au maximum la souffrance chez des êtres incapables de l’exprimer, il s’agit dorénavant de considérer la douleur comme un évènement iatrogène aux conséquences somatiques potentiellement sévères sur le long terme (trouble cognitifs, troubles du développement cérébral). 


Szigiato AA, Speckert M, Zielonka J, Hollamby K, Altomare F, Ng E, Nisenbaum R, Sgro M. Effect of eye masks on neonatal stress following dilated retinal examination the MASK-ROP randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2019;137(11):1265-1272


Reviewer : Marc Labetoulle

L’article publié par Bal et collaborateurs sur l’évolution de la rétinopathie des prématurés est particulièrement intéressant grâce à la discussion sur les mécanismes pathogéniques sous-jacents. Comme souligné précédemment, l’un des principaux facteurs de risque est le faible poids de naissance. Or, il a été montré que ces jeunes enfants nés trop tôt subissent un sevrage lui aussi prématuré en facteur de croissance analogue à l'insuline (IGF-1), qui lui-même potentialise l'activité du facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF). Lors de la prise de poids des enfants après la naissance, les demandes métaboliques sont aussi augmentées, générant une hypoxie relative à l’origine d’une augmentation de la production de VEGF. Si chez le grand prématuré, le taux sérique d'IGF-1 est bas en raison de l’absence d’apport maternel (ce qui contribue à réduire la croissance des vaisseaux rétiniens), la fabrication endogène d'IGF-1 augmente avec l'âge et donc avec le poids, ce qui finalement laisse le champ libre à l’action promotrice des néovaisseaux du VEGF, lui-même synthétisé en raison des zones d’ischémie rétinienne liées à la prématurité. D’ailleurs, un faible niveau d'IGF-1 est un facteur prédictif de développement tardif d’une ROP sévère. 
Il existe par ailleurs de nombreux arguments en faveur de l’association entre un gain de poids précoce avec une ROP sévère ultérieure, mais l’association entre courbe de poids (plus ou moins rapide) avec la ROP est probablement complexe. Il a aussi montré que le changement de gain de poids (ou de gain de poids corporel - GPC) est un bon critère de substitution pour mesurer la sécrétion endogène d’IGF-1. En conséquence, il est logique d’utiliser l’accélération du gain de poids (AGPC) comme marqueur du changement du taux sérique d'IGF-1. 

Les responsables de cette étude ont donc étudié la relation entre AGPC et évolution de la ROP. Ils ont constaté que l’AGPC tardive (calculée sur la date des dernières règles de la mère, soit 34 à 38 semaines) est associée à un risque accru de ROP sévère. Cependant, l’effet de l’AGPC tardive dépend du gain de poids corporel immédiatement après la naissance, puisqu’un prématuré prenant peu de poids en début de vie présente un risque important de ROP sévère, quelle que soit l’accélération du gain de poids (AGPC) ultérieur. En revanche, cette accélération de gain de poids pouvait être délétère si le gain de poids initial est modéré ou haut. Autrement dit, le gain de poids faible dès le départ est un facteur de risque de développer une ROP, et à l’inverse si ce gain de poids est initialement bon, son accélération n’est pas souhaitable en termes de risques de ROP. La nature des relations entre poids corporel et risque de ROP n’est donc pas d’une simplicité évidente, mais il est clair que des critères de surveillance plus précis seront bientôt mieux identifiés, permettant d’alléger ces surveillances systématiques qui sont lourdes à la fois pour les jeunes patients et pour les médecins. 


Bal S, Ying G, Tomlinson L, Binenbaum G; for the Postnatal Growth and Retinopathy of Prematurity (G-ROP) Study Group. Association of weight gain acceleration with risk of retinopathy of prematurity.

 

Reviewer : Marc Labetoulle