Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle
Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.
Syndrome d’Axenfeld-Rieger : une malformation pan-oculaire ?
Le syndrome d’Axenfeld-Rieger (SAR) est caractérisé par une malformation plus ou moins sévère du segment antérieur (embryotoxon postérieur, synéchies irido-cornéennes étendues et correctopie ou hypoplasie de l'iris) et est lié dans la grande majorité des cas à un défaut d’expression des gènes PITX2 et FOXC1.1 La découverte récente de l’importance de la mise en évidence d’une hypoplasie fovéolaire pour le diagnostic clinique d’aniridie liée au gène PAX6 a souligné l’intérêt d’une caractérisation phénotypique pan-oculaire de tous les tableaux de malformations oculaires.2 Bien que quelques cas d’anomalies du segment postérieur non spécifiques aient été rapportées dans le SAR (en particulier persistance de la vascularisation fœtale), aucune anomalie rétinienne n’est entrée de façon consensuelle dans le spectre clinique de cette maladie.
Dans l’article de Untaroiu et al. publié par Investigative Ophthalmology & Visual Science, des examens rétiniens multimodaux (OCT, OCT angiographie, optique adaptative) ont été réalisés chez des patients atteints de SAR, afin de définir plus clairement l’éventuel phénotype rétinien de cette dysgénésie du segment antérieur. Sur les 40 patients inclus initialement, 27 ont été exclus en raison d’une exploration incomplète ou de la mauvaise qualité des acquisitions réalisées. Au total, les deux yeux de 13 patients atteints de SAR, âgés de 12 à 52 ans, ont été analysés, dont 10 sujets présentant une mutation du gène PITX2 et 3 une mutation du gène FOXC1. Tous les paramètres mesurés ont été exprimés pour chaque patient par la moyenne des valeurs mesurées au niveau des deux yeux. L’OCT maculaire a identifié une hypoplasie fovéolaire légère bilatérale chez 4 patients PITX2. De plus, la profondeur et le volume de la dépression fovéolaire des patients PITX2 étaient significativement moins importantes que la normale (p<0,001, significativité maintenue après exclusion des hypoplasies fovéolaires avérées), alors que ces paramètres n'étaient pas modifiés chez les patients FOXC1 (p>0.05). La surface de la zone avasculaire centrale mesurée en OCT angiographie ne différait pas de la normale dans les deux groupes. Par ailleurs, la densité de cônes maculaires, mesurée en optique adaptative chez les patients inclus, n’était pas différente des valeurs normales décrites dans la littérature. Des analyses génétiques complémentaires ont été réalisées et ont permis d’écarter la présence d’anomalies des gènes classiquement associés à l’hypoplasie fovéolaire.
Pour la première fois, cette étude met en évidence la présence d’une hypoplasie fovéolaire chez les patients atteints de SAR avec mutation du gène PITX2. Ces données suggèrent un rôle de PITX2 dans le développement du segment postérieur de l'œil, et plus spécifiquement de la fovéa humaine, en plus des structures du segment antérieur. Compte-tenu des nombreuses limites de ce travail (faible effectif, inclusion des deux yeux, biais de sélection), il reste difficile de définir les facteurs associés à la présence de cette malformation maculaire chez les patients atteints de SAR. Des travaux supplémentaires comprenant un plus grand nombre de patients, notamment des patients atteints d’un spectre plus large de mutations, devront être réalisés afin de mieux caractériser le phénotype rétinien du SAR.
1) Reis LM, Maheshwari M, Capasso J, et al. Axenfeld- Rieger syndrome: more than meets the eye. J Med Genet. 2023;60:368–379.
2) Daruich A, Robert MP, Leroy C, et al. Foveal hypoplasia grading in 95 cases of congenital aniridia: correlation to phenotype and PAX6 genotype. Am J Ophthalmol. 2022;237:122–129.
Untaroiu A, Reis LM, Higgins BP, et al. In vivo assessment of retinal phenotypes in Axenfeld–Rieger syndrome. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2024;65(4):20.
Reviewer : Paul Bastelica, thématique : génétique, rétine.
Altérations des nerfs cornéens et des cellules épithéliales liées à l’âge.
Depuis son développement au début des années 2010, la microscopie confocale in vivo cornéenne (IVCM, in vivo confocal microscopy) s’est montrée particulièrement intéressante pour le diagnostic et le suivi de nombreuses kératopathies, en particulier pour les dystrophies cornéennes et les kératites infectieuses. Au fil des ans, ses applications se sont multipliées, notamment dans le domaine de la recherche. L’IVCM est actuellement largement utilisée pour l’étude de l’épithélium et des nerfs cornéens, dont l’intégrité joue un rôle majeur pour le maintien de l’homéostasie cornéenne. De nombreux paramètres ont été développés pour caractériser les anomalies qualitatives et quantitatives de l’épithélium et des nerfs cornéens dans de nombreuses pathologies oculaires et systémiques. Toutefois, l’absence de base de données normatives et la discordance des conclusions des précédentes études ayant exploré l’effet de l’âge sur ces paramètres, limitent actuellement l’interprétation des données obtenues grâce à l’IVCM
Dans leur article publié par le journal Cornea, Chin et al. ont étudié les modifications de l’épithélium et des nerfs cornéens en fonction de l’âge. Les sujets inclus étaient tous indemnes de pathologie du segment antérieur, de diabète et de maladie auto-immune, et étaient classés en 6 catégories d’âge : 0 à 29 ans, 30 à 39 ans, 40 à 49 ans, 50 à 59 ans, 60 à 69 ans et > 70 ans. Des acquisitions en IVCM ont été réalisées sur les deux yeux de chaque patient sur 5 zones distinctes (centrale, supérieure, inférieure, temporale et nasale). Les images de meilleure qualité ont été sélectionnées :
- 5 images par zone pour les nerfs cornéens du plexus sous-basal (total de 25 images), permettant de calculer 7 paramètres (longueur, densité, surface, largeur, densité de ramifications à partir du tronc nerveux principal, densité de ramifications totale, et dimension fractale, qui mesure la complexité du plexus) ;
- 3 images par zone pour l’épithélium cornéen (total de 15 images), afin de quantifier 3 paramètres quantitatifs sur les cellules épithéliales (densité, taille, circularité).
Au total, 11240 images issues de 281 yeux de 143 patients ont été analysées. Aucun test statistique n’a été réalisé pour comparer les données socio-démographiques et les différents paramètres mesurés entre les 6 groupes. Des courbes de régression linéaire ont montré, en dépit d’une grande variabilité des paramètres mesurés sur les nerfs cornéens, une légère tendance à la baisse de la quasi-totalité des paramètres mesurés (en dehors de la densité en cellules épithéliales). Probablement en raison d’un manque de puissance statistique, les auteurs ont seulement comparé les paramètres mesurés en IVCM entre les yeux des patients de moins (n= 210) et de plus de 65 ans (n=71). Les patients âgés de plus de 65 ans présentaient une longueur et une densité des nerfs cornéens ainsi qu’une circularité des cellules épithéliales significativement plus faibles que les sujets de moins de 65 ans (respectivement p= 0.011 ; p=0.046 ; p= 0.011). L’ensemble des autres paramètres mesurés n’étaient pas statistiquement différents entre les deux groupes d’yeux.
L’âge avancé serait donc associé à une diminution de la densité et de la longueur des fibres nerveuses du plexus sous-basal cornéen, et à une modification morphologique des cellules épithéliales cornéennes. Selon les auteurs, cette raréfaction en nerfs cornéens pourrait être à l’origine de la diminution de la circularité globale des cellules épithéliales cornéennes, par une diminution du taux de cellules épithéliales immatures nouvellement régénérées (de forme typiquement ovoïdes) liée à une carence locale en facteurs de croissance neurotrophiques. Les résultats obtenus dans cette étude sont toutefois biaisés par la non prise en compte des nombreux cofacteurs socio-démographiques, oculaires et systémiques qui pourraient influencer les paramètres cornéens mesurés. En particulier, l’absence d’évaluation concomitante de la surface oculaire, dont les altérations peuvent influencer la morphologie des cellules épithéliales et l’architecture des nerfs cornéens, constitue une limite majeure de cette étude et compromet donc ses conclusions.2
1) Sagga N, Kuffova L, Vargesson N, et al. Limbal epithelial stem cell activity and corneal epithelial cell cycle parameters in adult and aging mice. Stem Cell Res. 2018;33:185–198.
2) Alhatem A, Cavalcanti B, Hamrah P. In vivo confocal microscopy in dry eye disease and related conditions. Semin Ophthalmol. 2012 Sep-Nov;27(5-6):138-48.
Reference article : Chin JY, Liu C, Lee IXY, Lin MTY, Cheng CY, Wong JHF, Teo CL, Mehta JS, Liu YC. Impact of Age on the Characteristics of Corneal Nerves and Corneal Epithelial Cells in Healthy Adults. Cornea. 2024 Apr 1;43(4):409-418.
Reviewer : Paul Bastelica, thématique : imagerie, cornée.
Neuropathie optique myopique ou glaucomateuse ?
Les yeux myopes subissent divers changements structuraux lors de l'allongement axial. L'amincissement et la déformation de la sclère postérieure, notamment autour de la tête du nerf optique (TNO) pourraient expliquer la vulnérabilité de ces yeux aux dommages de la neuropathie optique glaucomateuse (NOG)
Cependant, certains yeux myopes présentent un amincissement de la couche des fibres nerveuses péripapillaires (RNFL) et des atteintes campimétriques différentes de celles du glaucome. Certains auteurs estiment que ces altérations seraient liées uniquement à la myopie et pourraient ne pas progresser selon le schéma de la progression de la NOG. Dans ce contexte, l’équipe d’ophtalmologie de l’Hôpital universitaire catholique de Séoul a proposé une nouvelle entité : « la neuropathie optique myopique (NOM) » caractérisée par une topographie particulière de l’atteinte des fibres et du champ visuel. Dans la NOM, l’amincissement des RNFL prédomine dans la région supéro-nasale, et est associée à des déficits campimétriques prédominant en inféro-temporal (contrairement au glaucome, où les altérations des fibres prédominent en inféro-temporal, avec des déficits campimétriques correspondant en zone supéro-nasale). Une des questions soulevées par cette nouvelle nosologie est l’intrication de NOM et NOG…. Et notamment, de savoir si les yeux myopes avec NOM pourraient être structurellement plus vulnérables à des dommages glaucomateux surajoutés.
Pour tester cette hypothèse, Shin et al. ont suivi des yeux myopes avec et sans NOM sur plus de 10 ans et analysé les facteurs associés au développement d’altérations typiques de NOG. Un total de 233 yeux myopes, sans élément typique de NOG, ont été inclus. Les patients myopes sans anomalies RNFL ou du champ visuel (CV) ont été classés comme yeux myopes sans NOM (N=128, équivalent sphérique −5,7 ± 4,6 D ; longueur axiale 26,0 ± 1,3 mm, PIO moyenne au cours du suivi 14,8 ± 3,9mmHg, pachymétrie 545 ± 40 µm). Les patients myopes présentant un amincissement supéro-nasal ou nasal des fibres avec des altérations campimétriques cohérentes (temporale ou inféro-temporale) ont été classés comme NOM (N=105, équivalent sphérique −4,63 ± 4,1 D ; longueur axiale 26,28 ± 1,6 mm, PIO moyenne au cours du suivi 14,4 ± 2,9 mmHg, pachymétrie 537 ± 38 µm). L’apparition d’un glaucome sur les yeux myopes était définie par la survenue d’altérations combinées d’un amincissement des fibres dans la région inféro-temporale, associée à un déficit campimétrique dans la région supéro-nasale. Sans surprise, les yeux myopes remplissant les critères de NOM avaient une épaisseur moyenne des fibres nerveuses péri-papillaire significativement plus mince et une déviation moyenne sur le champ visuel significativement plus basse. Ces yeux présentaient également un pourcentage plus élevé d’altérations inféro-temporales des fibres et une profondeur de la lamina cribrosa plus importante. Les yeux myopes avec NOM ayant développé un glaucome avaient une épaisseur moyenne des RNFL plus mince, une plus grande surface d’atrophie péripapillaire et une lamina cribrosa plus profonde et plus fine. L’analyse multivariée confirmait qu’une épaisseur plus fine des fibres temporales, une LC plus profonde et une atrophie péripapillaire plus importante étaient significativement associés à la survenue d’un glaucome chez les patients myopes, et notamment avec NOM. Au total, les yeux myopes avec NOM présentaient un risque plus élevé de développer un glaucome par rapport aux yeux myopes sans NOM. Bien que la distinction nosologique entre NOM et NOG puisse avoir un intérêt théorique, l’existence associée d’anomalies inféro-temporales en cas de NOM montre surtout l’étroit continuum entre ces 2 entités...et ces résultats ne permettent pas vraiment de définir des attitudes thérapeutiques spécifiques. En revanche, ils soulignent les difficultés du diagnostic de glaucome et la vigilance dont nous devons faire preuve chez les patients myopes…
Shin HJ, Park HL, Ryu HK, Oh SE, Kim SA, Jung Y, Park CK. Clinical characteristics and associated factors to the development of glaucoma in eyes with myopic optic neuropathy. Am J Ophthalmol. 2024 Apr;260:160-171.
Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : glaucome / myopie.
Risque de récidive de zona ophtalmique après vaccination anti-zostérienne
Le zona ophtalmique (ZO) représente 10 à 25% des cas de zona, soit entre 100 000 et 250 000 cas annuels aux USA. L’atteinte typique réalise une éruption métamérique vésiculeuse douloureuse dans le territoire innervé par le nerf ophtalmique. En plus des atteintes palpébrales, des atteintes oculaires (conjonctivites, kératites, uvéite, rétinites nécrosantes) peuvent survenir pendant l’éruption (principalement causées par la réplication du virus dans les tissus oculaires), ou bien de façon retardée (en partie liées à la réaction immunitaire antivirale). Des récurrences du zona à distance sont possibles : elles prennent le plus souvent la forme de manifestations intraoculaires, qui surviennent chez environ 25% des patients à 5 ans. L’autre complication redoutable du ZO sont les douleurs neuropathiques post-zostériennes, qui concernent près d’un tiers des patients, et dont l’intensité peut être l’origine de dépression, voire de conduites suicidaires.
Deux vaccins anti-zostériens ont été développé pour réduire le fardeau du zona : un vaccin vivant atténué et un vaccin sous-unitaire recombinant. Ils ont tous les deux prouvé leur efficacité pour réduire l’incidence du zona et de ses complications, y compris en prévention secondaire. En revanche, les patients avec un antécédent de ZO ont été exclus des essais cliniques ayant évalués ces vaccins.
Le vaccin sous-unitaire a une efficacité supérieure et plus durable, et tend à remplacer le vaccin vivant atténué (ce dernier a d’ailleurs été retiré de la commercialisation en 2020 aux USA).
Depuis leur mise sur le marché, plusieurs cas cliniques de récurrences de manifestations oculaires de ZO après vaccination anti-VZV ont été rapportés. La survenue de tels évènements semble assez logique, dans la mesure où la vaccination stimule la réaction immunitaire anti-VZV, elle-même impliquée dans certaines atteintes oculaires. Mais jusqu’à présent, aucune étude robuste ni aucune recommandation n’étaient disponibles concernant les effets bénéfiques ou délétères de la vaccination anti-VZV, en particulier avec le vaccin sous-unitaire, chez les patients ayant un antécédent de ZO.
C’est là tout l’objet de l’étude publiée par Walia et al. dans le numéro d’avril de JAMA Ophthalmology. Il s’agit d’une étude rétrospective cas-témoins réalisée sur les données d’un entrepôt de données regroupant les informations médicales de 26 millions d’américains (environ 8% de la population). Les auteurs ont comparé deux cohortes de patients avec un antécédent de ZO : la première constituée de patients vaccinés par le vaccin sous-unitaire après leur ZO (3646 patients âgés de 69±10 ans), la seconde constituée de patients non-vaccinés (12 762 patients âgés de 67±10 ans).
Les patients des 2 cohortes étaient appariés pour l’âge au diagnostic initial de ZO. Le critère de jugement principal était la survenue d’une récidive de ZO au cours des 8 semaines suivant la vaccination (période la plus à risque, et où l’imputabilité éventuelle de la vaccination était la plus vraisemblable). La période de suivi commençait après la 2ème dose vaccinale dans le groupe vacciné, et était appariée dans le groupe contrôle : par exemple, si un patient recevait sa 2ème dose 200 jours après son premier épisode de ZO, la période de suivi du patient du groupe contrôle démarrait 200 jours après son épisode initial de ZO.
Durant la période à risque des 8 semaines post-vaccination, l’incidence des récidives de ZO était de 37,7 pour mille personnes-années dans le groupe vacciné contre 26,2 pour mille personnes-années dans le groupe non vacciné.
Après ajustement pour i) la sévérité du ZO initial (évaluée par le nombre d’éventuels séjours en hospitalisation, de visites aux urgences et/ou chez l’ophtalmologiste), ii) les antécédents d’autres vaccinations reçues pendant la période de suivi (qui auraient également pu stimuler le système immunitaire), et iii) l’ethnie, la vaccination anti-zona avec le vaccin recombinant était associé à un surrisque de récidive de 1,64 (CI : 1,01-2,67, p= 0,04).
Les résultats de cette étude confirment l’intuition selon laquelle la stimulation du système immunitaire, et en particulier une stimulation spécifique, peut entrainer une réaction inflammatoire oculaire chez les patients ayant un antécédent de ZO. Si le surrisque relatif était somme toute modéré dans le groupe vacciné, il aurait été particulièrement intéressant d’en connaitre la valeur chez les patients dont le ZO initial comportait une atteinte intra-oculaire. Ce sont en effet ces patients, ayant eu une dissémination d’antigènes viraux dans les tissus oculaires au cours de l’épisode initial, qui semblent les plus exposés. Dans tous les cas, bien que la prophylaxie secondaire du zona soit très utile en général, elle semble périlleuse chez les patients avec un antécédent de ZO. Dans ces cas particuliers, le traitement et la prévention des récidives intraoculaires reposera plutôt sur l’utilisation de traitements antiviraux et anti-inflammatoires / immunomodulateurs topiques, à l’instar des pratiques recommandées dans la kératite herpétique. Les modalités de cette prophylaxie devraient être précisées par la Zoster Eye Disease Study1, dont les résultats ne devraient plus tarder à paraitre.
1) Cohen EJ, Hochman JS, Troxel AB, Colby KA , Jeng BH; ZEDS Trial Research Group. Zoster Eye Disease Study: rationale and design. Cornea. 2022; 41(5):562-571.
Walia A, Sun Y, Acharya NR. Risk of Herpes Zoster Ophthalmicus recurrence after recombinant zoster vaccination. JAMA Ophthalmol. 2024 Mar 1;142(3):249-256.
Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : infection
Aflibercept intravitréen à forte dose (8 mg) pour la DMLA exsudative et l’œdème maculaire diabétique : résultats de deux essais randomisés multicentriques de phase 3.
Deux essais randomisés multicentriques de phase 3 évaluant l’aflibercept intravitréen forte dose (8 mg) ont été récemment publiés dans la revue The Lancet, dans deux indications distinctes : l’un dans la DMLA exsudative, et le second dans l’œdème maculaire diabétique (OMD). Cette formulation à haute concentration de l’aflibercept (par rapport au dosage de 2 mg ayant actuellement l’AMM) a été développée afin d’augmenter la demi-vie intraoculaire du médicament et réduire la charge des IVT répétées. Cette charge pèse avant tout pour les patients, mais aussi pour les centres et les praticiens réalisant ces actes. Nous allons ici synthétiser chacune de ces études.
DMLA exsudative : étude PULSAR
Il s’agit d’une étude de non-infériorité à trois groupes, menée sur 1009 patients atteints de DMLA néovasculaire et naïfs de traitement, dans 223 sites répartis dans 27 pays. Leur âge moyen était de 74,5 ans. Le critère principal était le changement de l'acuité visuelle corrigée du meilleur œil (AVMC) à 48 semaines, par rapport au début du traitement. Les patients étaient randomisés 1:1:1 pour recevoir de l'aflibercept à la dose de 8 mg toutes les 12 semaines (8q12, n=336), 8 mg toutes les 16 semaines (8q16, n=338), et la dose actuellement sur le marché de 2 mg avec l’intervalle recommandé de 8 semaines, constituant le groupe témoin (2q8, n=337). Trois injections mensuelles initiales étaient effectuées dans chaque groupe. Les groupes 8q12 et 8q16 pouvaient raccourcir les intervalles sur des critères précis (baisse de l’acuité visuelle, augmentation de l'épaisseur maculaire centrale en OCT, signes d’activité néovasculaire au fond d’œil).
L'aflibercept à forte dose et à intervalles allongés (groupes 8q12 et 8q16) a permis un gain d’AVMC non-inférieur à celui du groupe témoin 2q8 (changement moyen de +6,7 et +6,2 contre +7,6 lettres, respectivement). L'étude a donc atteint son objectif principal à 48 semaines.
La majorité des patients randomisés à la dose de 8 mg ont maintenu leur intervalle de dosage « long ». Les critères secondaires étaient également en faveur du dosage 8mg, en termes d’efficacité et d’allongement des intervalles.
Œdème maculaire diabétique : étude PHOTON
Le schéma de l’étude PHOTON, essai randomisé de phase 2-3 en non-infériorité, est assez semblable à celui de l’étude PULSAR, transposé à l’OMD. Il compare l'efficacité et la tolérance de l'aflibercept intravitréen à forte dose (8 mg), démarré par une phase d’induction mensuelle sur 3 mois, suivi d'une administration toutes les 12 ou 16 semaines (8q12 ou 8q16), par rapport à la dose actuellement commercialisée de 2 mg, mensuelle pendant 5 mois puis toutes les 8 semaines (2q8). Les patients étaient randomisés en 1:2:1 (2q8, 8q12, 8q16).
L'objectif de cette étude sur 658 patients atteints d'OMD était de démontrer que la durabilité de l'aflibercept à 8 mg était supérieure à celle de 2 mg, mais avec les mêmes résultats en termes d'efficacité et de sécurité. Les résultats ont atteint le critère principal d'efficacité, montrant des résultats visuels non inférieurs à 48 semaines entre l'aflibercept 8q12 ou 8q16 et l'aflibercept 2q8, avec des intervalles prolongés et moins d'injections pour les groupes 8q12 et 8q16. Environ 90 % des patients assignés de manière aléatoire aux intervalles de dosage de 8q12 ou 8q16 ont atteint les 48 semaines de suivi, sans nécessité de raccourcir l'intervalle de traitement. Ces intervalles allongés ont permis de diminuer le nombre d'injections pour l'aflibercept 8q12 et 8q16 par rapport à l'aflibercept 2q8 (6 vs 5 vs 8 injections sur 48 semaines, respectivement).
Les résultats de ces deux études PULSAR et PHOTON sont donc très prometteurs. En particulier, le treatment burden, ou « fardeau », de ces traitements répétés pour les patients et leur entourage explique que l’observance diminue avec le temps, tant pour la DMLA exsudative que l’OMD. Des traitements permettant d’élargir ces intervalles sont donc très attendus.
D’un point de vue méthodologique, on regrettera que l'aflibercept 2mg à intervalles fixes de 8 semaines (2q8) choisi dans le bras contrôle des deux études soit injecté aux intervalles ayant reçu l’AMM, très éloignés des pratiques actuelles en vie réelle, qui après la phase initiale d’injections mensuelles s’adapte selon un schéma treat and extend de plus en plus répandu. Cette critique est d’autant plus valable que le nombre d’injections était l’un des critères secondaires dans les deux études.
L’étude de tolérance de l’aflibercept à forte dose réalisée dans chacune des deux études n’a pas révélé de différence avec le dosage à 2 mg, que ce soit oculaire ou systémique. En particulier, aucun cas de vascularite rétinienne n’a été rapporté. Le plus grand volume à injecter (0,7 ml versus 0,5 ml) n’a pas révélé d’augmentation de la pression intraoculaire, mais ce point présente deux limitations. D’une part, la tonométrie n’était réalisée que 30 minutes après l’injection, alors que l’on sait que le pic tensionnel survient généralement dans les 15 premières minutes. D’autre part, des séquelles de ces pics tensionnels sont possibles à long terme sur le nerf optique et sont préocupantes.1 Des études de durée prolongée seront donc indispensable chez les patients qui recevront le nouvel aflibercept 8 mg.
Dans deux commentaires2,3 accompagnant les études PULSAR et PHOTON, des experts dans le domaine de la rétine soulignent l’importance de ce nouveau dosage pour les patients. Ils souhaitent aussi qu’un suivi particulier « en vie réelle » soit poursuivi par l’ensemble des spécialistes, comme on l’a vu récemment avec l’introduction du nouvel anti-VEGF brolucizumab, dont les effets secondaires, notamment inflammatoires, n’avaient pas été détectés dans un essai clinique de phase 3 à grande échelle mais sont apparues en vie réelle.
1) Levin AM et al. Intraocular Pressure Elevation Following Intravitreal Anti-VEGF Injections: Short- and Long-term Considerations. J Glaucoma. 2021
2) Chew EY. Increasing concentrations of intravitreal therapies for neovascular age-related macular degeneration. The Lancet. March 2024
3) Gabrielle PH, Creuzot-Garcher C. Can high-dose aflibercept satisfy unmet treatment needs in diabetic macular oedema? The Lancet. March 2024
Lanzetta P et al. Intravitreal aflibercept 8 mg in neovascular age-related macular degeneration (PULSAR): 48-week results from a randomised, double-masked, non-inferiority, phase 3 trial. The Lancet. March 2024
Brown DM et al. Intravitreal aflibercept 8 mg in diabetic macular oedema (PHOTON): 48-week results from a randomised, double- masked, non-inferiority, phase 2/3 trial. The Lancet. March 2024
Reviewer: Alexandre Matet, thématique : rétine médicale, thérapeutique
Les complications neuro-ophtalmologiques des nouveaux traitements anti-cancéreux passés en revue
Les nouveaux traitements anticancéreux, apparus depuis le début des années 2000, ont progressivement révolutionné la prise en charge des cancers. Les thérapies ciblées agissent sur des récepteurs spécifiques, et leur indication dépend de leur expression par la tumeur. Les immunothérapies reposent sur des mécanismes moléculaires pour recruter le système immunitaire du patient contre le cancer. Ces traitements ont fait avancer la cancérologie dans l’ère de la médecine de précision, où les traitements dépendent du profil moléculaire des tumeurs.1
Néanmoins, avec la multiplication de ces traitements, les ophtalmologistes peuvent être confrontés à des patients traités pour un cancer et présentant des symptômes inattendus, et pouvant être d’origine iatrogène. Une revue très complète parue dans Graefe’s Archives, produite par une équipe australienne de l’Université d’Auckland, fait le point sur les complications neuro-ophtalmologiques de ces nouveaux traitements anti-cancéreux.
L’article met l’accent sur la rareté de ces effets secondaire, et cette revue repose principalement sur des case reports ou des petites séries. Néanmoins, les auteurs ont sélectionné les cas dans lesquels l’imputabilité causale semblait hautement probable, notamment lorsque la complication s’est résolue à l’arrêt du traitement anti-cancéreux incriminé.
Parmi les thérapies ciblées, citons les inhibiteurs de BCR-ABL1, protéine issue de la fusion des chromosomes 9 et 22, et retrouvée dans de nombreuses hémopathies malignes. Ces thérapies (exemple : imatinib) peuvent très rarement provoquer des neuropathies optiques, réversibles à l’arrêt du traitement.
Les inhibiteurs de ALK, comme le crizotinib, sont quant à eux utilisés pour la prise en charge du cancer pulmonaire non à petites cellules, dont une petite proportion présente un réarrangement du gène ALK avec le gène EML4, produisant la protéine de fusion EML4-ALK, cible de cette classe thérapeutique. Des cas de neuropathie optique extrêmement rares, mais réversibles à l’arrêt du médicament, ont été rapportés également. La FDA les estime à 0,2% parmi une cohorte de 1719 patients, issue du regroupement de plusieurs essais.
Les anti-VEGF, dont la molécule utilisée en oncologie médicale est le bevacizumab, autorisé dans le cancer du côlon, sont pourvoyeurs de complications sévères. Ils peuvent notamment provoquer une leucoencéphalopathie postérieure réversible, qui se manifeste au stade initial par une perte de vision, des céphalées, puis une confusion, des convulsions, avec à l’IRM un œdème cérébral occipital et pariétal. Elle peut être mortelle si elle n'est pas traitée rapidement. Cette complication est souvent associée à une hypertension artérielle, effet secondaire bien connu des anti-VEGF qui pourrait expliquer sa survenue. La fréquence de la leucoencéphalopathie postérieure réversible est estimée à 0,1% des patients traités par anti-VEGF systémiques.
Les anti-BRAF sont une classe qui a également révolutionné la prise en charge de certains cancers, principalement le mélanome cutané métastatique. Des mutations du gène BRAF sont présentes dans 66% des mélanomes. Les deux principales molécules de cette classe, le vemurafenib et le dabrafenib, ont été impliqués dans le développement très rare d’une leucoencéphalopathie postérieure réversible, mais aussi de cas de myasthénie.
Les inhibiteurs de HER2 sont employés dans environ 25% des cancers du sein qui expriment le récepteur HER2. La molécule emblématique de cette classe est le trastuzumab, pierre angulaire des protocoles actuels pour les néoplasies mammaires HER2+. Un cas de leucoencéphalopathie a également été rapporté avec cette molécule, qui s’est avéré réversible à l’arrêt du traitement.
Enfin, les auteurs recensent les complications survenues sous inhibiteurs de checkpoint immunitaire, classe qui regroupe les anti-PD1 (pembrolizumab, nivolumab), anti-PDL1 (atezolizumab, avelumab, durvalumab) et anti-CTLA4 (ipilimumab). Des effets secondaires résultant de leur mécanisme d’activation du système immunitaire ont été rapportés, comme à nouveau des cas de neuropathie optique, de leucoencéphalopathie postérieure réversible et de myasthénie. De très rares cas d’ophtalmoplégie et de paralysie des nerf crâniens ont été également décrits.
Les auteurs soulignent donc, pour les ophtalmologistes, l’importance de savoir évoquer l’origine iatrogène de ces symptômes et de savoir réagir rapidement en contactant les collègues en charge de la thérapie anti-cancéreuse. Un grand nombre de ces tableaux sont en effet résolutifs avec des moyens simples, comme l’arrêt du traitement responsable, ou une corticothérapie.
Les lecteurs trouveront dans l’article, disponible en open access, un tableau récapitulatif de ces molécules classées par famille, ainsi que leurs effets secondaires neuro-ophtalmologiques.
1) Tsimberidou AM, et al. Review of precision cancer medicine: Evolution of the treatment paradigm. Cancer Treat Rev. 2020
Oskam JA, Danesh‐Meyer HV. Neuro‐ophthalmic complications of modern anti‐cancer drugs. Graefe's Archive for Clin and Exp Ophthalmol. Feb 2024
Reviewer: Alexandre Matet, thématique : neuro-ophtalmologie, oncologie, pharmacologie