Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle
Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.
Nous profitons de cette édition de janvier pour souhaiter à nos lecteurs nos meilleurs vœux pour la nouvelle année, et les remercier chaleureusement de leur fidélité : en 2024, la revue de presse de la SFO a généré 32 657 vues sur le site SFO-Online : la plus belle des récompenses pour notre travail !
Un grand merci également à tous les collègues pour leurs messages de partage d’expérience concernant des sujets abordés dans la revue de presse.
C’est notamment le cas d’une alerte que nous avons récemment reçue concernant l’utilisation d’acétonide de triamcinolone par voie sous-conjonctivale en substitut au traitement postopératoire « classique » par collyres corticoïdes et anti-inflammatoires non stéroïdiens, abordé dans les colonnes de la revue de la presse d’octobre 20241. Un collègue et lecteur attentif de la revue de presse nous rapportait avoir tenté la mise en œuvre de cette modalité dans sa pratique avec des résultats très décevants, et notamment l’apparition d’importantes réactions inflammatoires de chambre antérieure, heureusement résolutives sans séquelles à la faveur d’un traitement intensif par corticoïdes topiques. Bien que la publication source paraisse tout à fait sérieuse, le traitement postopératoire « minute » n’a pas été évalué en France, et une évaluation encadrée du protocole suggéré par les auteurs de l’article, réalisé avec conditionnements et les dosages disponibles en France, apparait désormais souhaitable avant de déployer cette approche dans nos pratiques quotidiennes.
Shorstein NH, McCabe SE, Alavi M, Kwan ML, Chandra NS. Triamcinolone acetonide subconjunctival injection as stand-alone inflammation prophylaxis after phacoemulsification cataract surgery. Ophthalmology. 2024 Oct;131(10):1145-1156.
Réduire la durée de la mydriase pharmacologique après examen ophtalmologique
Malgré le développement des rétinographes non mydriatiques grand champ, l’examen du fond d’œil après dilatation pupillaire reste incontournable dans de nombreuses situations de consultation. Les patients comprennent bien l’utilité de cet examen, mais une proportion non négligeable le redoute ou l’évite en raison du moment difficile qui les attend en sortant du cabinet... La dilatation s’accompagne en effet d’un flou visuel, d’une photophobie, de halos et de difficultés de lecture très handicapantes, et qui durent plus longtemps qu’on ne le pense… : en moyenne 6 heures, mais près de 24 heures pour certains. Ces effets rendent dangereuse l’utilisation de véhicule et peuvent empêcher la reprise d’une activité professionnelle au cours de la journée qui suit l’examen, voire le lendemain.
Voilà donc posé le rationnel pour raccourcir la durée de ces effets en proposant un « antidote » administré après l’examen du fond d’œil. L’idée n’est pas nouvelle, mais s’est jusque-là heurté aux défauts de l’antidote (myopie, céphalées en barre, tractions vitréo-rétiniennes de la pilocarpine ; hyperhémie conjonctivale, brulures à l’instillation et complexité de la reconstitution du dapiprazole, un alpha-bloquant autorisé aux USA dans cette indication dans les années 90, mais rapidement retiré du marché).
L’industrie pharmaceutique (en l’occurrence Ocuphire Pharma) semble avoir trouvé une solution viable, qui vient d’ailleurs d’être autorisée par la FDA. Les données quasi complètes des deux essais cliniques (MIRA 2 et 3) ayant évalué le collyre alpha-bloquant à base de phentolamine 0,75% en unidose sans conservateur (Ryzumvi) sont publiées dans le premier numéro de l’année d’Ophthalmology.
Au total, 553 participants sans antécédents systémiques majeurs (notamment cardiovasculaires), ni oculaires (pas de collyres au long cours, pas d’antécédent de chirurgie oculaire), âgés de 12 à 80 ans (35+/- 15 ans), ont été randomisés dans ces études multicentriques menées aux USA avec un rapport de 1 pour 1 (MIRA 2) et 2 pour 1 (MIRA 3) pour recevoir soit le collyre à la phentolamine (N=338), soit un placebo (N=215), dans les deux yeux (deux gouttes à 5 minutes d’intervalle dans l’œil étudié – le droit, par convention – et une seule goutte dans l’autre œil). Le traitement évalué (ou le placebo) était instillé une heure après la mydriase induite par l'instillation de collyres qui variaient selon les sous-groupes : phényléphrine à 2,5%, tropicamide à 1 % (la situation la plus proche de la pratique française habituelle) ou bien association d'hydroxyamphétamine et de tropicamide à 0,25%. Le critère de jugement principal était la proportion de participants revenus à +/- 0,2 mm du diamètre pupillaire prédilatation dans l'œil étudié 90 minutes après l'administration du traitement. Cette « réversion » de la mydriase à 90 minutes était observée chez 55% des patients ayant reçu le traitement contre 6% de ceux ayant reçu le placebo (p<0,001). La différence entre les deux groupes était d’ailleurs significative dès 60 minutes (35% vs 2%). Plus inattendu, environ un tiers des participants ayant reçu le placebo n'avaient toujours pas retrouvé leur diamètre pupillaire de base 24 heures après la dilatation pharmacologique (contre 10 % des patients traités, P < 0,0001). En moyenne, le traitement réduisait la durée de retour au diamètre pupillaire initial (+/-2 mm) de 5 à 6 heures par rapport au placebo. L’effet, bien que légèrement différent en fonction des agents mydriatiques reçus et de la couleur de l'iris (la dilatation persistait plus longtemps après tropicamide que phényléphrine, et pour les iris foncés), était significatif dans tous les sous-groupes. A noter que pour les patients dilatés avec du tropicamide, la différence était approximativement de 7 heures (4 heures versus 11 heures). De même, la proportion des participants ayant rapporté une résolution des symptômes visuels causés par la mydriase était plus importante chez les patients traités, et ce dès la première heure (50 vs 30% si placébo). La tolérance du collyre au phentolamine semblait tout à fait acceptable, avec comme effets indésirables les plus courants une hyperémie conjonctivale modérée et transitoire (11,2 %), un inconfort lors de l’instillation (10,9 %) et une dysgueusie (3,6 %).
Bien que ce collyre ne semble pas strictement indispensable pour la santé du patient, il pourrait constituer un progrès significatif si une étude de l’impact médico-économique montrait un bénéfice en termes d’accidentologie ou de retour à une activité professionnelle après un examen oculaire ayant nécessité une mydriase. En outre, des études de vraie vie, avec des patients atteints de comorbidités, semblent nécessaires pour évaluer la sécurité de ce traitement sur des populations plus fragiles que celles sélectionnées pour cette étude.
Pepose JS, Wirta D, Evans D, Withers B, Rahmani K, Lazar A, Coleman D, Patel R, Jaber R, Sooch M, Brigell M, Charizanis K. Reversal of Pharmacologically Induced Mydriasis with Phentolamine Ophthalmic Solution. Ophthalmology. 2024 Sep 16:S0161-6420(24)00558-X.
Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : pratique ophtalmologique
Le mannitol fonctionne aussi sur les yeux vitrectomisés.
Le mannitol est un médicament diurétique qui agit en augmentant l'osmolarité plasmatique, facilitant ainsi le transfert d’eau des tissus vers la circulation sanguine. Il est particulièrement utilisé dans deux indications médicales : l’hypertension intracrânienne et l’hypertonie oculaire sévère (HTO). Dans cette dernière, le mannitol agit en induisant une déshydratation du vitré, mais cette activité peut être influencée par des changements structurels du vitré (1). L'ablation du corps vitré, plus ou moins associée à l'introduction d'agents de tamponnement ou de bulles de gaz, pourrait donc en théorie limiter l’effet hypotonisant du mannitol.
La méta-analyse de Serhan et al., publiée par l’American Journal of Ophthalmology permet de nous fournir quelques éléments de réponse sur l’effet hypotonisant du mannitol en cas de vitrectomie. Cette étude a analysé les travaux évaluant le niveau de baisse de PIO après administration intraveineuse (IV) de mannitol chez des patients vitrectomisés présentant une HTO. Seules les études de cohorte, les études cas-témoins, et les essais contrôlés randomisés ont été inclus, avec au final seulement 5 études retenues : quatre études comparatives prospectives et une étude cas-témoins rétrospective. Trois études incluaient à la fois des patients vitrectomisés (n=145) et non vitrectomisés (n=91), tandis que deux études n'évaluaient que des yeux vitrectomisés. Toutes ces études ont rapporté un effet bénéfique du mannitol 20% IV sur la réduction de la PIO dans les deux groupes de patients. En moyenne, la PIO a significativement baissé sur les yeux vitrectomisés à 60 min (-16,7% ; intervalle de confiance 95%(IC95) = -11 ; -23), à 90 min (-24,3% ; IC95 = -24,5 ; -24,2) à 2h (-27,4% ; IC95 = -35,8 ; -18), et à 3h (-30,8% ; IC95 = -40 ; -20,3) de l’administration de mannitol, tandis que les baisses de PIO observées à 30 min (-19% ; IC95 = -47 ; 24) et à 4h (-30% ; IC95 = -64,7 ; 35) n’étaient pas significatives. Par ailleurs, aucune différence significative n'a été observée dans les deux études ayant comparé les baisses de PIO entre des yeux vitrectomisés et non vitrectomisés. Une troisième étude a rapporté des résultats similaires en comparant spécifiquement les baisses de PIO obtenues sur des yeux vitrectomisés avec tamponnement par huile de silicone par rapport à des yeux non vitrectomisés.
Ces résultats suggèrent donc que le gradient osmotique établi par le mannitol à travers la barrière hémato-oculaire reste suffisant pour induire une baisse de la PIO en l'absence de vitré, et ce même sur les yeux tamponnés par silicone. L’efficacité du mannitol pourrait s’expliquer par la persistance de vitré périphérique, la réduction du volume choroïdien, mais aussi par des mécanismes centraux plus complexes, passant par les osmorécepteurs de l'hypothalamus qui contribueraient à l’abaissement de la PIO via une diminution de la production d'humeur aqueuse (2).
1- Mishra D, Gade S, Glover K, Sheshala R, Singh TRR. Vit- reous humor: composition, characteristics and implication on intravitreal drug delivery. Curr Eye Res. 2023;48(2):208–218.
2- Sahu A, Chandran P, Dhavalikar M, Vimalanathan M, Raman GV. Ocular biometry changes after mannitol ad- ministration in vitrectomized and non-vitrectomized eyes: a prospective, comparative study. Indian J Ophthalmol. 2023;71(6):2626–2628.
Serhan HA, Gupta PC, Khatib MN, Padhi BK, Gaidhane S, Zahiruddin QS, Gaidhane AM, Kukreti N, Rustagi S, Satapathy P. Effect of Intravenous Mannitol on Intraocular Pressure Changes in Vitrectomized and Non-Vitrectomized Eyes: A Systematic Review and Meta-Analysis. Am J Ophthalmol. 2024 Dec;268:45-53.
Reviewer : Paul Bastelica, thématique : pharmacologie, glaucome, rétine.
Sémaglutide : le traitement « miracle » du diabète et de l’obésité serait à risque de cécité ?
Le sémaglutide (SMG), un agoniste du récepteur du glucose-like peptide 1 (GLP1), a reçu l’AMM en France pour le traitement de deuxième intention du diabète de type 2 (DT2) et de l’obésité. Du fait de son effet amincissant, le SMG fait l’objet d’un mésusage important en France, qui accentue les tensions d’approvisionnement liées à l’utilisation croissante de ce médicament, et prive les patients de ce traitement devenu essentiel pour la prise en charge du DT2. Pourtant, le SMG n’est pas dénué de risques (troubles gastro-intestinaux, pancréatites ou encore hypoglycémies) (1)… Notamment oculaires…
Dans un article récent du prestigieux Jama Ophthalmology, Hathaway et al. ont en effet formulé l’hypothèse d’une potentielle association entre l’utilisation de SMG pour le traitement du DT2 ou de l’obésité/surpoids, et la survenue de neuropathie optique ischémique antérieure aigue non artéritique (NOIANA). Afin d’étudier cette association, les auteurs ont analysé une cohorte de 16827 patients examinés dans un établissement universitaire américain (Massachusetts Eye and Ear, Boston, USA) entre 2017 et 2023, sans antécédents de NOIANA. Parmi ces patients, 710 étaient atteints de DT2 et 979 étaient en surpoids ou obèses. Les cas de NOIANA ont été identifiés à partir des dossiers médicaux informatisés via le codage selon la classification CIM10 et des recherches textuelles spécifiques. Parmi les patients diabétiques, 169 patients étaient traités par SMG et ont été appariés (score de propension sur l'âge, le sexe, et toutes pathologies à risque de NOIANA) à 234 patients traités par un autre agoniste GLP1. Dans cette population, 17 épisodes de NOIANA sont survenus chez les patients traités par SMG, contre 6 dans la cohorte de patients ayant reçu d’autres agonistes GLP1. L’incidence cumulée de NOIANA à 36 mois était de 8,9 % (IC95 = 4,5-13,1) pour la cohorte SMG contre 1,8 % (IC95 = 0-3,5) pour la cohorte non traitée par SMG. Un modèle de régression de Cox a confirmé cette association en montrant un risque plus élevé de NOIANA pour les patients ayant reçu du SMG (hazard ratio (HR) = 4,28 ; IC95 = 1,62-11,29 ; p < 0,001). Cette association a également été retrouvée sur la cohorte de patients en surpoids/obèses : 20 épisodes de NOIANA sont survenus dans la cohorte ayant reçu du SMG contre 3 dans la cohorte ayant été traitée par d’autres agonistes GLP1. L'incidence cumulée de NOIANA sur 36 mois chez les patients traités par SMG et les patients non traités était de 6,7 % (IC95 = 3,6-9,7) contre 0,8 % (IC95 = 0-1,8 %), respectivement avec, là encore un risque nettement plus élevé chez les patients ayant reçu du SMG (HR = 7,64 ; IC95 = 2,21-26,36 ; p < 0,001).
Les résultats de cette étude suggèrent donc un surrisque de NOIANA chez les patients diabétiques et/ou en surpoids traité par SMG. Néanmoins, le lien de causalité et la pathogénie de cette complication restent à établir. L'expression du récepteur GLP-1 dans le nerf optique humain et l'augmentation de l'activité du système nerveux sympathique induite par le GLP1 (2) pourraient perturber la perfusion vasculaire de la tête du nerf optique et potentiellement expliquer l’augmentation du risque de NOIANA associé à l’utilisation des agonistes GLP1 de tout type, et plus particulièrement du SMG. La possibilité de cet effet indésirable grave doit faire discuter le rapport bénéfice/risque de la prescription de ce médicament de plus en plus prescrit chez les patients diabétiques et/ou en surpoids, et inciter à la plus grande vigilance.
1- Smits MM, Van Raalte DH. Safety of Semaglutide. Front Endocrinol (Lausanne). 2021 Jul 7;12:645563.
2- Hebsgaard JB, Pyke C, Yildirim E, Knudsen LB, Heegaard S, Kvist PH. Glucagon-like peptide-1 receptor expression in the human eye. Diabetes Obes Metab. 2018;20(9):2304-2308.
Hathaway JT, Shah MP, Hathaway DB, Zekavat SM, Krasniqi D, Gittinger JW Jr, Cestari D, Mallery R, Abbasi B, Bouffard M, Chwalisz BK, Estrela T, Rizzo JF 3rd. Risk of Nonarteritic Anterior Ischemic Optic Neuropathy in Patients Prescribed Semaglutide. JAMA Ophthalmol. 2024 Aug 1;142(8):732-739
Reviewer : Paul Bastelica, thématique : pharmacologie, neuro-ophtalmologie.
Une perspective éclairante sur les vascularites rétiniennes
Dans un article de « Perspective » paru dans l’American Journal of Ophthalmology, Janet Davis, spécialiste reconnue dans le domaine des uvéites exerçant au Bascom Palmer Institute de Miami, livre une synthèse des différentes significations du terme “vascularite rétinienne”, décrypte ces entités cliniques et leurs mécanismes, et propose une nomenclature révisée.
Elle part du constat que ce terme, qui décrit une fuite vasculaire rétinienne, est employé de façon indifférenciée pour diagnostiquer ce phénomène lorsqu’il survient de façon primaire, lorsqu’il accompagne une uvéite inflammatoire, infectieuse, ou un processus néoplasique, mais aussi lorsqu’il est secondaire à un agent externe - comme le brolucizumab en injection intravitréenne.
Il existe quelques diagnostics « emblématiques » où une vascularite rétinienne est au premier plan, comme la maladie de Behçet, le syndrome Susac ou la choriorétinopathie de Birdshot. Dans ces entités, les caractéristiques sémiologiques des anomalies vasculaires sont essentielles pour orienter le diagnostic, à l’aide de l’angiographie : fuite dans les grosses veines postérieures dans le Birdshot ; occlusions des vaisseaux de toute taille dans le Behçet ; occlusions des gros vaisseaux et hyperfluorescence segmentaire des artérioles dans le Susac. Néanmoins, le terme « vascularite » ne reflète probablement pas la physiopathologie sous-jacente, car parmi les patients atteints d’une véritable vascularite systémique, seuls 0,4 à 1,4% présentent une authentique vascularite rétinienne, sur 2 séries, américaine et française, totalisant 2676 patients.1,2 Ceci contraste avec la sur-représentation de ce diagnostic dans les classifications des « vascularites » oculaires.
Dans un grand nombre de diagnostics inflammatoires, infectieux ou autres, les manifestations sémiologiques de la vascularite sont indifférenciées. En périphérie, une pars-planite avec vascularite a minima peut être difficile à distinguer, sur les séquences angiographiques, d’une fuite vasculaire minime physiologique à la base du vitré. La nomenclature SUN (Standards of Nomenclature of Uveitis), très employée dans les études cliniques, n’a pas abouti à une définition consensuelle de la vascularite rétinienne plus spécifique que « inflammation oculaire avec modifications vasculaires ».
Dans sa recherche d’une nomenclature plus pertinente et lisible, l’auteure invite à retourner à la physiopathologie. La barrière hémato-rétinienne interne est formée par les jonctions serrées entre les cellules endothéliales des capillaires rétiniens. Sa disruption implique soit une altération « endoluminale » de ces jonctions, soit une déstabilisation de l’unité neurovasculaire rétinienne, composée par les péricytes sur la face externe ou « abluminale » des vaisseaux. Cette unité régule l’homéostasie des neurones rétiniens, sous le contrôle des cellules gliales de Müller. L’auteure propose de distinguer d’une part une véritable « vascularite », ouverture des jonctions serrées entre cellules endothéliales sur le versant endoluminal, comme dans le syndrome Susac (réaction immune anti-cellules endothéliales) ou dans les rares authentiques atteintes oculaires des vascularites systémiques, et d’autre part, une « vasculopathie rétinienne » par inflammation intra-oculaire, entrainant une disruption péricytaire (versant abluminal), comme dans la plupart des uvéites postérieures associées à des diffusions vasculaires angiographiques (Birdshot, Behçet et de nombreuses autres entités). Enfin, cette conception permet de mieux classer les différentes entités rassemblées sous le terme trop vague de « vascularites », comme également les réactions secondaires à certaines nouvelles molécules intravitréennes anti-angiogéniques, qui relèvent clairement d’une inflammation rétinienne induite par un agent externe, provoquant secondairement une ouverture de l’unité neurovasculaire abluminale.
Pour conclure, l’auteure propose que le terme de « vascularite » soit réservé aux pures ruptures endoluminales de la barrière hémato-rétinienne interne, et que les ouvertures de l’unité neurovasculaire abluminale, où le processus pathologique initial, le plus souvent inflammatoire ou infectieux, a lieu dans le tissu rétinien alentour, soient décrites par les termes de « vasculopathie rétinienne », qui pourrait ensuite être distinguée comme « occlusive » ou « non-occlusive ».
1. Rosenbaum JT, Ku J, Ali A, Choi D, Suhler EB. Patients with retinal vasculitis rarely suffer from systemic vasculi- tis. Semin Arthritis Rheum. 2012
2. Rothschild PR, Pagnoux C, Seror R, Brézin AP, Delair E, Guillevin L. Ophthalmologic manifestations of systemic necrotizing vasculitides at diagnosis: a retrospective study of 1286 patients and review of the literature. Semin Arthritis Rheum. 2013
Reviewer : Alexandre Matet, thématique : uvéite, rétine, imagerie, physiopathologie
Imagerie multimodale et options thérapeutiques dans la Prolifération Uvéale Mélanocytaire Bilatérale Diffuse (BDUMP) : une mise à jour
La Prolifération Uvéale Mélanocytaire Bilatérale Diffuse (BDUMP) est un syndrome paranéoplasique rare, consistant en une prolifération anormale mais bénigne de mélanocytes au niveau du tractus uvéal, dans un contexte de cancer, le plus souvent solide. Le BDUMP a été décrit pour la première fois par Machemer en 1966, puis Gass en a caractérisé cinq signes cliniques cardinaux en 1990.1
Dans une étude rétrospective publiée dans Retina, une équipe d’onco-ophtalmologistes de l’Université du Michigan nous propose une mise à jour de la description en imagerie multimodale et de la réponse aux traitements, dans une série de 16 yeux de 8 patients atteints de BDUMP, examinés entre 2006 et 2023. Cet effectif représente une des plus grandes séries dans la littérature, compte tenu de la rareté de ce syndrome paranéoplasique.
Les auteurs commencent par rappeler les cinq critères de Gass, qui restent d’actualité à l’ère de l’imagerie multimodale :
- plaques pigmentées multiples, rondes, au niveau de l'épithélium pigmentaire rétinien, bien visibles au fond d’œil ou en autofluorescence
- en angiographie, hyperfluorescence précoce multifocale, « en peau de girafe »
- tumeurs mélanocytaires uvéales multiples bénignes, dans la choroïde ou plus rarement le corps ciliaire ou l’iris, légèrement surélevées. Il peut exister également un épaississement diffus du tractus uvéal
- décollements de rétine exsudatifs
- cataracte rapidement progressive
Ces signes peuvent s’associer de façon variable, produisant un tableau clinique dont la sévérité et le pronostic visuel varient d’un patient à l’autre.
L’âge moyen de cette cohorte était de 68 ans [49-77 ans]. Elle se composait de 3 femmes, atteintes de cancers de l’endomètre (n=2) ou de l’ovaire (n=1) et de 5 hommes qui présentaient un cancer œsophagien (n=3), colique (n=1) ou une gammapathie monoclonale (n=1). Ce dernier patient pouvait également correspondre au cas de figure où le syndrome néoplasique précède la détection du cancer. Le symptôme le plus fréquent était la baisse visuelle, pour la moitié des yeux. Parmi 7 yeux phaques, tous présentaient une cataracte.
Tous les yeux présentaient un aspect en « peau de girafe » en autofluorescence et en angiographie fluorescéinique, et la moitié d’entre eux présentait une papillite. En OCT, un décollement séreux rétinien et des dépôts sous-rétiniens étaient présents chez tous les patients. Les auteurs décrivent de nouveaux signes en imagerie multimodale comme la présence de tubulations rétiniennes externes, et d’une fibrose sous-rétinienne, qui traduisent la chronicité de l’atteinte.
En échographie UBM, on observait un franc épaississement du corps ciliaire dans tous les yeux, avec dans 3 cas un décollement ciliaire. Ce signe nouveau a été récemment décrit et semble systématiquement retrouvé dans le BDUMP, ce qui en fait un signe clinique très sensible.2
Concernant le traitement, plusieurs stratégies ont été tentées sans qu’aucune ne parvienne à totalement contrôler ce processus paranéoplasique, parmi ces 8 patients. Outre bien entendu la prise en charge chirurgicale, médicale et par radiothérapie du cancer causal, les patients ont été traités par plasmaphérèse (n=4), visant à épurer le facteur de croissance mélanocytaire CMEP (cultured melanocyte elongation and proliferation factor), retrouvé dans le sérum de patients atteints et qui serait à l’origine du BDUMP via une sécrétion anormale par les cellules cancéreuses;3 ou par corticoïdes systémiques ou intravitréens (n=4), visant à contrôler l’inflammation intraoculaire intense ; ou immunoglobulines intraveineuses (n=1). L’efficacité de ces approches a été très limitée, en terme anatomique et fonctionnelle. On peut espérer que les nouveaux agents anti-cancéreux, notamment les immunothérapies, qui pourraient stimuler le système immunitaire contre cette prolifération mélanocytaire, puissent renforcer cet arsenal thérapeutique insuffisamment efficace, pour ce syndrome paranéoplasique rare mais sévère.
1. Gass JD, Gieser RG, Wilkinson CP, Beahm DE, Pautler SE. Bilateral diffuse uveal melanocytic proliferation in patients with occult carcinoma. Arch Ophthalmol. 1990
2. Guo J, Tang W, Liu W, Zhou M, Chang Q, Jiang C, Xu G, Wang W, Chen Q. A case report of ultrasonographic findings in bilateral diffuse Uveal melanocytic proliferation. BMC Ophthalmol. 2020 Dec
3. Miles SL, Niles RM, Pittock S, Vile R, Davies J, Winters JL, Abu-Yaghi NE, Grothey A, Siddiqui M, Kaur J, Hartmann L, Kalli KR, Pease L, Kravitz D, Markovic S, Pulido JS. A factor found in the IgG fraction of serum of patients with paraneoplastic bilateral diffuse uveal melanocytic proliferation causes proliferation of cultured human melanocytes. Retina. 2012 Oct
Sezenoz AS, Aykut A, Ayres B, Beser BG, Juntipwong S, Demirci H. Novel Multimodal Imaging in Bilateral Diffuse Uveal Melanocytic Proliferation and Change in the Findings During Follow-up and Treatment. Retina. 2024 Dec
Reviewer : Alexandre Matet, thématique : oncologie, rétine, imagerie