Revue de la presse de juillet et aout 2023

Revue de la presse de juillet et aout 2023

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées : 
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

Déficience visuelle sévère et cécité infantile aux États-Unis : trop de causes évitables

Dans un article paru dans Ophthalmology, Lim et collègues ont exploité l’important volume de données cliniques collectées dans le registre national IRIS (Intelligent Research in Sight), afin de déterminer les causes de déficience visuelle sévère et de cécité infantiles aux États-Unis.
Le registre IRIS, déployé par l’American Academy of Ophthalmology, collecte directement auprès des praticiens et centres affiliés sur tout le territoire, des données cliniques et les met à la disposition des chercheurs sous forme anonymisée.1 Le registre contient actuellement les données de 75 millions de patients, dont 7,4 millions d’enfants (âge < 18 ans). Pour l’année 2018, les chercheurs ont identifié 81 000 enfants dont l’acuité visuelle (AV) avait été enregistrée, et parmi ceux-ci, 961 (1,2%) présentaient une acuité corrigée du meilleur œil inférieure à 1/10, correspondant à une déficience visuelle sévère (AV <1/10) ou à une cécité (AV<1/20) selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Il existait d’importantes disparités socio-démographiques. Par rapport à l’ensemble de la population pédiatrique du registre IRIS, les enfants malvoyants étaient plus souvent originaires de zones urbaines (65% versus 28%), venaient d’un état du sud des États-Unis (47% vs 36%), étaient plus souvent d’origine hispanique (30% versus 12%) ou afro-américaine (11% versus 8%, p < 0,0001 pour l’ensemble de ces comparaisons). 
Concernant les diagnostics déclarés dans le registre, la première cause de malvoyance était la rétinopathie de la prématurité (ROP) (31%), suivie par le nystagmus (8%), la cataracte (7%), l’atrophie du nerf optique (6%), et le glaucome (5%). Parmi les causes malformatives, on retrouvait l’aphakie (3%) et l’aniridie (2%). Une déficience visuelle ou cécité d’origine corticale était déclarée chez 2% des enfants.
En classant les pathologies en fonction de la structure anatomique touchée, celles de la rétine prédominaient (48%), suivies par celles du nerf optique (12%), du cristallin (10%), et de la cornée (5%). Les diagnostics rétiniens étaient pour 66% la ROP, les autres étant l’albinisme, les décollements de rétine, la maladie de Stargardt, la rétinite pigmentaire, l’amaurose congénitale de Leber et autres dystrophies rétiniennes, les choriorétinites, et le rétinoblastome.

Selon les auteurs, il était totalement inattendu de retrouver 52% de causes potentiellement traitables, au premier rang desquelles la ROP, la cataracte, certains décollements de rétine et le glaucome (dont on suppose qu’il s’agit en grande majorité de glaucomes congénitaux, bien que cela ne soit pas précisé). Ces résultats confirment le taux très élevé de cas de ROP avancée, y compris dans un pays dont l’indice de développement humain (qui reflète assez fidèlement le niveau de développement économique et social) est élevé. Ce phénomène peut s’expliquer par la capacité technique de réanimer des nouveau-nés de plus en plus prématurés, par l’explosion du nombre de services de soins intensifs néonataux (1200 aux États-Unis), par l’inadéquation du dépistage de la ROP après la naissance et notamment la diminution du nombre d’ophtalmologistes qui sont capables de dépister et gérer ces situations complexes. Enfin, malgré le développement d’outils thérapeutiques pour la ROP (laser au microscope ou au casque, anti-VEGF), leur efficacité anatomique n’est pas toujours synonyme de récupération visuelle, d’autant qu’une malvoyance corticale, un nystagmus et une amblyopie lui sont souvent associés.
Les auteurs insistent donc sur les mesures qui permettraient de réduire la déficience visuelle sévère et la cécité dans la population pédiatrique : meilleur dépistage de la ROP, notamment suivi des recommandations des sociétés savantes (non respectées dans au moins 20% des unités de soins intensifs néonataux aux USA),2 détection plus précoce des pathologies traitables (glaucome, cataracte) et réduction des délais d’intervention et d’adressage en centre spécialisé afin de réduire le risque d’amblyopie. On pourrait regretter que les auteurs n’abordent pas frontalement la question des inégalités géographiques et démographiques au sein du territoire américain. En particulier, leur étude n’a pas considéré le type de structure médicale (structure publique ou privée) ni la couverture sociale des parents, facteurs qui pourraient expliquer les disparités, et sur lesquels des progrès à court terme sont possibles. 

Cette étude possède des limites intrinsèques, notamment la non prise en compte d’enfants plus lourdement handicapés qui ne consultent pas un ophtalmologiste ou chez qui une acuité visuelle n’est pas mesurable, ce qui peut expliquer le taux plus faible de déficience visuelles corticales observées par rapport à d’autres études.3 La méthodologie n’a pas permis de distinguer les cas de déficience visuelle sévère et de cécité. Il existe un important biais d’enregistrement, l’analyse n’ayant pu porter que sur les cas du registre IRIS, et un grand nombre de cas dont les données étaient incomplètes ont été exclus. De plus, certains diagnostics comme la cataracte ont pu être enregistrés avant traitement chirurgical, la cause finale de malvoyance étant probablement une amblyopie, sous-évaluée. Enfin, le système de codage est lacunaire, et n’a pas permis de décrire par exemple les traumatismes oculaires, absents de l’analyse bien que cause malheureusement classique de déficience visuelle infantile. 

 

1) Lee CS, Blazes M, Lorch A, et al. American Academy of Ophthalmology Intelligent Research in Sight (IRIS®) Registry and the IRIS Registry Analytic Center Consortium. Ophthalmology Science. 2022;2(1). 
2) Prakalapakorn SG, Greenberg L, Edwards EM, Ehret DEY. Trends in Retinopathy of Prematurity Screening and Treatment: 2008–2018. Pediatrics. 2021;147(6).
3) Bourne RRA, Steinmetz JD, Saylan M, et al. Causes of blindness and vision impairment in 2020 and trends over 30 years, and prevalence of avoidable blindness in relation to VISION 2020: The Right to Sight: An analysis for the Global Burden of Disease Study. Lancet Glob Health. 2021;9(2):e144-e160. 

Lim HW, Pershing S, Moshfeghi DM, Heo H, Haque ME, Lambert SR, et al. Causes of Childhood Blindness in the United States using the IRIS® Registry (Intelligent Research in Sight). Ophthalmology. 2023 Sep. 

 

Reviewer: Alexandre Matet, thématique : Pédiatrie, Epidémiologie.

 


 


Une intelligence artificielle peut-elle être l’auteure d’un article scientifique ?

L’intelligence artificielle (IA) va totalement transformer la médecine et l’ophtalmologie au cours du XXIème siècle. Déjà, de nombreuses applications se dessinent, allant de l’analyse d’images à l’exploration de bases de données,1 soulignées par de nombreux experts, qui nous alertent également sur la balance entre les avantages potentiels et les risques.2 Parmi les bénéfices attendus, l’IA pourrait par exemple fournir des outils d’analyse du fond d’œil et améliorer le dépistage de la rétinopathie de la prématurité,3 et ainsi contribuer à diminuer la malvoyance infantile évoquée ci-dessus. Concernant les risques, les technologies actuelles semblent encore incapables de lister exhaustivement et hiérarchiser différents diagnostics selon leur degré d’urgence, exposant à des erreurs médicales graves, comme l’ont récemment montré un groupe d’auteurs français.2

Dans son éditorial du mois de juillet, Russell Van Gelder, éditeur en chef de la revue Ophthalmology, se livre à un dialogue inattendu avec le robot conversationnel ChatGPT 4, désormais bien connu de tous, au sujet de la capacité d’une IA à accéder au rang d’auteur dans Ophthalmology.

Il commence par poser au logiciel la question suivante : « Écris un texte de 5 paragraphes expliquant pourquoi ChatGPT devrait être autorisé à être co-auteur d’articles dans la revue Ophthalmology ». ChatGPT s’exécute et livre une argumentation claire, concise et presque trop parfaite, en 5 paragraphes, développant les raisons de lui confier la rédaction d’articles scientifiques dans cette revue prestigieuse. Voici son propos :
1) Ce logiciel puise dans des bases de données de littérature scientifique plus vite qu’aucun humain ne le ferait.
2) Il est capable de produire des premiers jets d’articles bien structurés, et d’articuler des idées pour réduire le temps d’écriture d’un article.
3) Il produit des textes bien écrits, clairs, accessibles, sans jargon.
4) Il est accessible à toute la communauté ophtalmologique mondiale et peut favoriser les collaborations scientifiques et l’innovation par-delà les barrières géographiques et de langages.
5) Par son mode de fonctionnement unique basé sur l’auto-apprentissage, il a la capacité d’améliorer la qualité des articles, de proposer des points de vue innovants et donc s’aligner sur les critères rigoureux de revues de pointe. 

Tout en reconnaissant que ce texte est parfaitement rédigé et aurait pu passer pour une production humaine, Russell Van Gelder évoque le test de Turing, inventé par le père de l’informatique. Si devant une machine générant des réponses à ses questions, un humain ne peut pas déterminer s’il a affaire à une machine ou à un humain, alors celle-ci peut être considérée comme « intelligente ». Néanmoins, ChatGPT repose sur un réseau de neurones transformatif, qui convertit un texte en une suite de vecteurs, et détermine chaque mot suivant en s’inspirant des milliards de textes sur lesquels il a été préalablement entraîné. La notion d’intelligence au sens humain est donc difficilement extrapolable à son fonctionnement. La particularité de ChatGPT est sa capacité à générer du langage d’apparence humaine très réaliste, et à s’adapter au style de chaque conversation, par exemple le style scientifique, point que l’auteur de l’éditorial ne souligne pas mais qui explique en grande partie le succès de cette nouvelle génération d’IA.

La véritable question sous-jacente est donc de savoir si cette « intelligence » comprend véritablement ce qu’elle écrit. Et pour revenir à la question de la capacité d’une IA à signer un article comme auteur, un journal scientifique exige dans sa charte que « chaque co-auteur ait intégralement lu et pleinement compris l’article dont il est signataire ». Est-ce le cas de ChatGPT ? « Peut-être », se risque à affirmer l’éditeur en chef, mais à ce stade de la technologie, il ne pourra pas en assumer la pleine responsabilité au sens scientifique (et encore moins sur le plan éthique). Et un humain ne pourra pas non plus assumer la responsabilité au nom d’une IA rédactrice, car rien ne lui garantira que le contenu, toujours inspiré d’autres sources, n’a pas été entièrement plagié, dérivé d’une source commerciale, ou même inventé sur la base de données plausibles, mais scientifiquement fausses (issues de sources de type réseau social non contrôlé), comme c’est de fait souvent le cas avec les logiciels d’IA actuels. On peut d’ailleurs imaginer le développement futur de logiciels destinés à détecter l’usage d’IA dans la rédaction d’un texte, comme il existe aujourd’hui des détecteurs de plagiat.

Pour trancher le débat, l’éditeur en chef conclut sur la réglementation de la maison d’édition Elsevier, qui interdit strictement d’attribuer aux logiciels d’IA un rôle d’auteur, mais en autorise l’utilisation à des fins d’amélioration de l’écriture et de la clarté du propos, à condition que leur usage soit déclaré dans les « acknowledgements » - ce que fait d’ailleurs l’auteur puisque son Éditorial a été rédigé avec l’assistance de ChatGPT.

 

1) Benet D, Pellicer-Valero OJ. Artificial intelligence: the unstoppable revolution in ophthalmology. Surv Ophthalmol. 2022;67(1):252-270. 
2) Khanna RK, Ducloyer JB, Hage A, et al. Evaluating the potential of ChatGPT-4 in ophthalmology: The good, the bad and the ugly. J Fr Ophtalmol. Published online August 2023
3) Hoyek S, Cruz NF da, Patel NA, Al-Khersan H, Fan KC, Berrocal AM. Identification of novel biomarkers for retinopathy of prematurity in preterm infants by use of innovative technologies and artificial intelligence. Prog Retin Eye Res. Published online August 21, 2023:101208. 

Van Gelder RN. The pros and cons of artificial intelligence authorship in ophthalmology. Ophthalmology. 2023 Jul. 

 

Reviewer: Alexandre Matet, thématique : Intelligence artificielle.

 


 


Sécheresse oculaire et IVT : aggravation des symptômes, mais amélioration des signes ?

Les injections intravitréennes (IVT) sont les procédures intraoculaires les plus réalisées dans le monde (près d’1,5 million par an en France). La répétition des actes, qui s’accompagnent à chaque fois d’une antisepsie à la povidone iodée (PI) et du maintien de l’œil ouvert avec un blépharostat sont une source d’irritation de la surface oculaire très inconfortable pour les patients. La toxicité de la PI sur l’épithélium cornéen est d’ailleurs bien documentée, et augmente avec la concentration. Lorsqu’on ajoute à ces données l’âge des patients traités, qui constitue - par le biais du vieillissement et des comorbidités associées - un facteur de risque majeur de sécheresse oculaire, on comprend les craintes concernant les conséquences potentielles de la pratique d’IVT itératives sur la surface oculaire. 
Un impact négatif à court terme : 
Une des premières études solides à s’être intéressée à ce sujet a été menée par une équipe française1. Des patients traités par IVT (dexaméthasone et d’anti-VEGF) sur un seul œil étaient inclus, afin d’évaluer les effets de l’injection et de la préparation périopératoire comparativement à l’autre œil. Le critère de jugement principal était la différence entre le score OSDI (Ocular Surface Disease Index : évaluant les symptômes et le retentissement fonctionnel des pathologies de la surface sur une échelle allant de 0 à 100) à J1 et le score OSDI pré-IVT. Les autres éléments analysés étaient la douleur à J1 et les paramètres objectifs de la surface oculaire évalués à l’aide d’une plateforme d’imagerie multimodale avant l’IVT. Plus de 200 patients, âgés de 76 ± 10 ans étaient inclus. La dégradation de l’OSDI à J1 était significative tant statistiquement que cliniquement (19,2 ± 20,6 ; p < 0,001). Le temps de rupture lacrymal non invasif (ou NIBUT, réalisé par analyse automatisée de la rupture des mires de placido sans instillation de fluorescéine) était plus court dans l’œil injecté (6,4 ± 4,6 vs. 7,4 ± 4,4 secondes). Les facteurs significativement associés à l’OSDI post-IVT était le score de douleur oculaire à J1 ainsi que le nombre de traitement anti-glaucomateux. Ces résultats confirmaient l’impact à court terme des IVT sur la surface, tant sur les symptômes, que sur l’évaluation objective du film lacrymal.
Une autre étude de moindre envergure menée en Turquie explorait l’effet des IVT - et du protocole péri-opératoire associé - sur les glandes de Meibomius (GM).2 Là encore, toutes les pathologies rétiniennes et tous les types d’IVT étaient inclus, à partir du moment où les patients avaient reçu au moins 3 IVT. Un groupe de 28 contrôles non injectés appariés pour l’âge, mais pas les comorbidités, servait de comparateur. Quarante-cinq patients (21 atteints de DMLA exsudatives et 24 d’œdème maculaire diabétique, ont été inclus. Le drop out des glandes de Meibomius (rapport de la surface occupée par les glandes de Meibomius sur la surface tarsale) et le score OSDI étaient significativement plus importants dans le groupe traité. De même, le BUT et le NIBUT étaient plus bas dans le groupe traité. Il n’y avait pas de différence entre les patients diabétiques et DMLA. La portée des résultats de cette étude était limitée par la petite taille des groupes, le protocole péri-opératoire qui comportait un traitement par fluoroquinolone topique conservée 6X/ jours pendant 10 jours (ayant pu avoir des conséquences sur la surface), et l’inclusion de patients atteints de diabète, ce dernier ayant également pu avoir une influence négative sur les paramètres de la surface oculaire des patients traités. 
Mais un effet bénéfique à long terme ? 
Une étude publiée très récemment est venue jeter le doute dans ce contexte où tout semblait clair. Les auteurs ont exclusivement inclus des patients atteints de DMLA exsudative unilatérale en cours de traitement par IVT d’anti-VEGF (ils devaient en avoir reçu au moins 2), et étudié la surface oculaire de l’œil traité en utilisant l’œil controlatéral comme contrôle. Le protocole peropératoire des IVT était standardisé et ne comportait qu’une antisepsie pré-IVT à la povidone iodée, sans rinçage ni traitement postopératoire. Un examen objectif très complet de la surface oculaire était réalisé au moins 4 semaines après la dernière IVT par un observateur masqué pour le côté traité, et évaluait donc plus l’impact à moyen terme des IVT sur la surface. Il comprenait : une mesure de la hauteur du ménisque lacrymal, de l’osmolarité lacrymale, du BUT et du NIBUT, un test de Schirmer, une évaluation automatisée de l’hyperhémie conjonctivale (HHC, avec le Keratograph 5M d’Oculus). Il comportait également une évaluation du score d’Oxford, un scoring clinique de la dysfonction meibomienne et enfin une meibographie infrarouge avec mesure semi-automatisée du drop-out des GM. Quatre-vingt-dix patients âgés de 77,5 ± 8,4 ans, dont 52% d’hommes, étaient inclus. Les patients avaient reçu une médiane de 19,5 IVT (2 à 132). De manière inattendue, 3 paramètres étaient significativement meilleurs… sur les yeux traités ! 
Ainsi, le drop-out (donc l’atrophie) des GM était plus faible (aussi bien au niveau des paupières supérieures qu’inférieures, avec une différence de l’ordre de 6-8%), le score HHC était plus bas et enfin, la hauteur du ménisque lacrymal était plus importante du côté traité. Il n’y avait en revanche pas de différence significative entre les 2 yeux concernant les autres paramètres évalués. 
Ces résultats à l’opposé de l’hypothèse initiale des auteurs, soulèvent 2 pistes : 1) l’antisepsie de la surface oculaire pourrait améliorer la santé des GM en régulant le microbiote oculaire des patients (impliqué dans la survenue du DGM et de la sécheresse oculaire), 2) les anti-VEGF – via un passage systémique - pourraient avoir un effet bénéfique sur la surface oculaire via la diminution des télangiectasies palpébrales et leur action régulatrices sur certaines cytokines inflammatoires (toutefois la concentration plasmatique post IVT est si faible que cette hypothèse semble peu crédible). L’absence de différence en termes d’épithéliopathie cornéenne s’explique par le délai entre l’IVT et l’évaluation - plus important que dans les études précédentes-, ayant permis la guérison de l’épithélium cornéen. 
Ces résultats apparemment paradoxaux rappellent la discordance entre les signes objectifs et les symptômes subjectifs souvent observée dans les pathologies de la surface oculaire et on regrette qu’une évaluation des symptômes n’ait pas été combinée dans le protocole de cette étude. Une évaluation comparatives des nerfs cornéens et de la sensibilité cornéenne, ainsi qu’une confirmation de l’effet sur le microbiote conjonctival pourraient peut-être aussi aider à mieux comprendre ces résultats, qui devront être confirmés par d’autres équipes. 

1) Verrecchia S, Chiambaretta F, Kodjikian L, Nakouri Y, El Chehab H, Mathis T, Badri Y, Chudzinski R, Levron A, Chaperon M, Agard E, Pradat P, Dot C. A prospective multicentre study of intravitreal injections and ocular surface in 219 patients: IVIS study. Acta Ophthalmol. 2021 Dec;99(8):877-884. 
2) Polat OA, Çetinkaya Z, Evereklioğlu C, Karaca Ç, Erkiliç K. Effect of repeated topical povidone-iodine and antibiotic applications on meibomian glands and ocular surface parameters in patients with repeated intravitreal injections. Eye Contact Lens. 2021 Dec 1;47(12):651-654.

Malmin A, Thomseth VM, Førland PT, Khan AZ, Hetland HB, Chen X, Haugen IK, Utheim TP, Forsaa VA. Associations between serial intravitreal injections and dry eye. Ophthalmology. 2023 May;130(5):509-515.

 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : surface oculaire, rétine. 

 


 


Les pistes pour réduire l’empreinte carbone de la chirurgie de la cataracte

Le développement durable doit théoriquement répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs1. Il s’agit d’un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable1. Cet enjeu est au cœur du domaine de la santé, qui représente près de 10% des émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés, et concerne bien évidemment notre spécialité, et en particulier la chirurgie de la cataracte. En effet, cette chirurgie est la plus pratiquée en France (environ 1 million de procédures par an) et dans le monde (plus de 30 millions de procédures par an), sachant que près de 70% des déchets de santé proviennent du bloc opératoire2. Une étude menée dans le Service d’Ophtalmologie d’un CHU parisien a récemment estimé qu’une chirurgie de cataracte était responsable de l’émission de 80kgs de CO2, soit l’équivalent d’un trajet 800km avec une voiture thermique.  Les émissions sont très majoritairement liées aux matériels utilisés (plus de 70kgs de CO2) : instruments chirurgicaux, vêtements, implants, produits pharmaceutiques3. Chaque intervention génère environ 3kgs de déchet, alors qu’elle ne génère que 250g dans le centre tertiaire indien d’Aravind à Pondichery, avec des résultats visuels et un taux de complication comparables à celui des pays occidentaux4.
Il semble donc exister une marge de manœuvre très significative pour améliorer l’impact écologique de la chirurgie de la cataracte, et comme l’ont montré plusieurs sondages, une volonté assez consensuelle des cliniciens pour participer à cet effort.  Ce sont les différentes pistes possibles qu’explorent Sherry B. et al. dans une revue de la littérature très efficace publiée dans Ophthalmology cet été. Les auteurs proposent 3 types d’interventions pour améliorer le bilan carbone de la chirurgie de la cataracte : 
1) celles qui ne relèvent pas directement de la responsabilité du praticien, mais que ce dernier peut influencer, 
2) celles liées aux médicaments utilisés en péri-opératoire, 
3) celles liées l’organisation de la procédure chirurgicale, 
4) celles liées à la réduction des déchets. 
Nous nous contenterons ici d’un très (trop) rapide résumé de cette revue passionnante et invitons nos lecteurs à se plonger dans la lecture complète de l’article, disponible gratuitement en ligne en intégralité.
Dans la première catégorie, les cliniciens peuvent utiliser leurs statuts pour participer à l’éducation des personnels de santé, notamment sur la limitation du gaspillage et le tri des déchets, dont l’impact bénéfique a été démontré. Ils peuvent également jouer de leur influence auprès des décideurs (institutionnels ou privés) concernant la construction ou la rénovation des bâtiments des blocs opératoires, afin d’y intégrer les technologies les plus récentes en matière d’écologie. Enfin, ils peuvent jouer un rôle majeur auprès des industriels (laboratoires pharmaceutiques et fournisseurs de matériel chirurgical) pour améliorer les dispositifs (et leur chaine de fabrication) utilisés au quotidien dans leur pratique.
Dans la seconde catégorie, il s’agit surtout de limiter le gaspillage et optimiser le bilan carbone lié aux prescriptions peri-opératoires. Pour se faire, il y a tout d’abord l’utilisation de flacon multidoses pour l’anesthésie et la mydriase, beaucoup plus écologiques que les unidoses jetées dont le contenu n’est pas toujours complètement utilisé. La principale préoccupation est la contamination des flacons, très problématiques dans ce contexte, mais qui peut être drastiquement réduite (voire éliminée) par une éducation des personnels soignants aux bonnes pratiques : lavage des mains avant manipulation, évitement du contact avec la muqueuse conjonctivale du patient. Le fait de confier au patient le flacon de collyre utilisé en fin d’opération (en particulier combinaison antibio-corticoïde) pour qu’il puisse l’utiliser chez lui est une autre piste, qui n’est pas toujours conforme avec la réglementation de certains états. 
Concernant l’organisation de la chirurgie, c’est surtout l’implémentation de la chirurgie bilatérale simultanée séquentielle, dans les indications appropriées, qui pourrait faire la différence, en réduisant l’impact du trajet des patients, mais également des déchets générés par le bloc opératoire. 
Enfin, c’est la réduction des déchets où la marge de manœuvre est la plus grande. A titre d’exemples, et de façon non-exhaustive, les packs d’instruments à usage unique peuvent être adaptés à chaque chirurgien, pour éviter le gaspillage d’instruments inutiles ; la dimension des champs opératoires pourrait être drastiquement réduite pour ne couvrir que le visage. En outre, l’utilisation de casaques chirurgicales lavables a prouvé sa « supériorité écologique » par rapport aux casaques jetables, avec une réduction de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, de 41% de l’eau utilisée et de 93% des déchets solides générés. De même, l’utilisation de pyjamas réutilisables pour l’ensemble du personnel du bloc opératoire est clairement bénéfique pour le bilan carbone. 
Un autre levier, peut-être un peu plus délicat à mettre en œuvre dans les pays industrialisés est celui du pyjama de bloc que doivent revêtir les patients.  Dans la grande étude menée sur l’incidence de l’endophtalmie post-opératoire en Inde sur 600 000 procédures au centre d’Aravind, les patients étaient amenés au bloc en tenue civile, avec un taux d’endophtalmie de 0,04% comparable aux chiffres nord-américains, et ce grâce à la généralisation de l’antibioprophylaxie peropératoire4. Accessoirement, l’absence de passage au vestiaire améliore le temps de rotation, et diminuerait le stress des patients. 
La notion de « circuit court », pour le choix des fournisseurs et des dispositifs utilisés n’est pas abordée dans cette publication mais constitue un autre levier pour diminuer l’empreinte carbone de nos pratiques. 
Enfin, la revue fournit en plus un tableau didactique résumant les actions possibles, le niveau du bénéfice écologique, mais également des économies potentielles, qui participent intégralement à la notion de développement durable, et devrait susciter le plus vif intérêt de nos tutelles.

1) https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1644
2) https://eyewiki.aao.org/The_Environmental_Sustainability_of_Cataract_Surgery
3) Ferrero A, Thouvenin R, Hoogewoud F, Marcireau I, Offret O, Louison P, Monnet D, Brézin AP. The carbon footprint of cataract surgery in a French University Hospital. J Fr Ophtalmol. 2022 Jan;45(1):57-64. 
4) Venkatesh R, van Landingham SW, Khodifad AM, Haripriya A, Thiel CL, Ramulu P, Robin AL. Carbon footprint and cost-effectiveness of cataract surgery. Curr Opin Ophthalmol. 2016 Jan;27(1):82-8. 

Sherry B, Lee S, Ramos Cadena MLA, Laynor G, Patel SR, Simon MD, Romanowski EG, Hochman SE, Schuman JS, Prescott C, Thiel CL. How ophthalmologists can decarbonize eye care: a review of existing sustainability strategies and steps ophthalmologists can take. Ophthalmology. 2023 Jul;130(7):702-714. 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : cataracte, développement durable



Compréhension et prévention des troubles oculaires liés aux vols spatiaux.

    Les voyages spatiaux de Thomas Pesquet ont fait les gros titres ces dernières années en France, et ont, sans nul doute, fait naitre des vocations. Ce qu’on dit moins, c’est que ces séjours ne sont pas sans risque pour la santé des astronautes. En effet, la microgravité à laquelle sont exposés ces patients si singuliers peut être responsable de nombreux troubles, notamment musculo-squelettiques (1), mais également ophtalmologiques. Plus précisément, des signes oculaires spécifiques, découverts au décours de ces voyages dans l’espace, ont été identifiés (2) : le syndrome neuro-oculaire lié aux vols spatiaux (SANS pour Space flight -associated neuro-ocular syndrome).  Comme nous l’évoquions dans les colonnes de cette revue de presse en 2018, ce syndrome associe classiquement un œdème papillaire à des plis choroïdiens et à un aplatissement du globe oculaire responsable d’un shift hypermétropique. Ces troubles sont le plus souvent transitoires mais peuvent s’installer dans la durée et même persister tout au long de la vie. L’article publié par Joshua Ong et al. dans le numéro de juillet du British Journal of Ophthalmology fait état des dernières avancées sur la compréhension de la pathogenèse du SANS et sur le développement de futures mesures préventives visant à préserver la santé visuelle des astronautes et à garantir leur performance lors des missions prolongées. 
    L’environnement d’apesanteur est responsable d’une perte de pression hydrostatique et les fluides corporels sont anormalement redistribués au niveau des vaisseaux de la tête et du cou. En résulte une stase veineuse cérébrale et une hypertension intracrânienne relative qui serait responsable de l’œdème papillaire. Celui-ci étant le plus souvent isolé et asymétrique, le tableau diffère de celui d’une hypertension intracrânienne typique. Les auteurs font ainsi état de plusieurs cofacteurs qui entrent en jeu : une augmentation asymétrique de la pression du liquide céphalo-rachidien péri-optique, augmentant le gradient de pression translaminaire (de part et d’autre de la lame criblée), et un œdème cytotoxique lié à la stase veineuse, qui diminuerait l’activité métabolique des axones du nerf optique, fortement consommateurs d’ATP en regard de la lame criblée. Les plis choroïdiens pourraient également contribuer à la formation de l’œdème papillaire en exerçant une pression sur l’anneau scléral qui limiterait le drainage veineux et lymphatique de la tête du nerf optique. Par ailleurs, selon une théorie plus mécanique, le SANS serait lié à une traction du nerf optique vers le haut et l’arrière, par suite du déplacement des structures cérébrales consécutif au changement de gravité. Selon les auteurs, la persistance de l’œdème papillaire à distance pourrait être liée à un remodelage vasculaire secondaire à l’augmentation de la pulsatilité vasculaire. Le SANS est donc une affection multifactorielle dont la pathogenèse demeure relativement méconnue, notamment du fait des très faibles effectifs pouvant être étudiés… 
    Afin de mieux comprendre ces phénomènes, des analogues terrestres à ces conditions micro-gravitationnelles ont été développés afin de tester certaines mesures préventives. Ainsi des études sont actuellement menées sur des patients témoins, notamment lors de vols paraboliques qui permettent de maintenir les patients en apesanteur sur de très courtes durées, ou encore lors de séances de repos sur lits inclinés tête vers le bas pour reproduire ces phénomènes de stase veineuse cérébro-orbitaire. Des mesures préventives sont en cours d’évaluation grâce à ces méthodes. Ainsi, des dispositifs non invasifs permettant d’exposer les membres inférieurs à des pression négatives, tout comme des brassards de cuisse veino-constricteurs qui alternent des phases de compression et de décompression, sembleraient efficaces pour diminuer la stase veineuse cérébrale dans le SANS.  Par ailleurs, des lunettes pressurisées (type lunettes de natation) sont en cours d’évaluation afin d’augmenter la pression intraoculaire et de compenser l’augmentation de la pression du liquide céphalo-rachidien et donc de limiter l’effet du gradient de pression translaminaire.  Enfin, des compléments alimentaires, notamment en vitamine B9, sont en cours d’évaluation pour la résolution de l’œdème papillaire chez des patients atteints de SANS. De nombreux travaux sont donc en cours et demeurent nécessaires afin de mieux comprendre la pathogénie du SANS et de le prévenir pour maintenir la fonction visuelle de ces patients si singuliers. 

1) Demontis GC, Germani MM, Caiani EG, et al. Human pathophysiological adaptations to the space environment. Front Physiol 2017;8:547. 
2) Mader TH, Gibson CR, Pass AF, et al. Optic disc edema, globe flattening, choroidal folds, and hyperopic shifts observed in astronauts after long-duration space flight. Ophthalmology 2011;118:2058–69. 

Ong J, Tarver W, Brunstetter T, Mader TH, Gibson CR, Mason SS, Lee A. Spaceflight associated neuro-ocular syndrome: proposed pathogenesis, terrestrial analogues, and emerging countermeasures. Br J Ophthalmol. 2023 Jul;107(7):895-900.

 

Reviewer: Paul Bastelica, thématique : neuro-ophtalmologie, physiologie, astronomie.  

 



Le glaucome : facteur de risque de démence ? 

    Do Young Park et al. proposent, à travers leur article publié dans le dernier numéro du journal Ophthalmology, d’étudier l’association entre démences et neuropathie optique glaucomateuse. Ayant pour mécanisme commun une dégénérescence de cellules neuronales liée à des anomalies du transport axonal, l’hypothèse d’une association entre les deux pathologies avait déjà été posée par de nombreuses études. Ces études, d’abord histologiques, avaient démontré la présence de troubles du métabolisme des protéines précurseurs amyloïdes dans les cellules ganglionnaires rétiniennes sur des modèles animaux de glaucome (1). Des études épidémiologiques ont fait suite à ces découvertes, mais leurs résultats étaient non concordants et surtout biaisés par la présence de nombreux obstacles méthodologiques.  
    Dans cette étude de cohorte rétrospective, les auteurs se sont basés sur les données du service d’assurance maladie coréen afin de recenser tous les patients de plus de 45 ans sans diagnostic de glaucome ni de démence entre 2002 et 2005 (788 661 patients). Ils ont par la suite relevé tous les cas de démence et de glaucome apparus sur cette même population, entre 2006 et 2017, afin d’étudier l’association entre le diagnostic de glaucome et celui de démence. La moyenne d’âge des patients à l’inclusion (2006) était de 57,9 ans. Près de 7% des patients ont développé une démence et 3,8% un glaucome entre 2006 et 2017. L'incidence de la démence était significativement plus élevée chez les participants atteints de glaucome que chez ceux qui n'en souffraient pas (8,6 % contre 6,9 %, p < 0,0001), et inversement, une incidence significativement plus élevée de glaucome a été observée chez les participants diagnostiqués avec une démence (4,6 % contre 3,7 %, p < 0,0001). Sur cette période de 12 ans, l'incidence de la démence était 1,9 fois plus élevée (risque relatif = 1,89 ; Intervalle de confiance 95% = 1,57-2,27) chez les patients nouvellement diagnostiqués de glaucome que chez les personnes sans glaucome, indépendamment de nombreux facteurs confondants (âge, sexe, IMC, revenu, tabagisme, alcoolisme, diabète, hypertension, accidents vasculaires cérébraux, dépression). Curieusement, le diagnostic de glaucome était associé au diagnostic de maladie d’Alzheimer (risque relatif = 2,11 ; intervalle de confiance 95% = 1,70-2,61) mais pas au diagnostic de démence vasculaire (risque relatif = 1,69 ; intervalle de confiance 95% = 0,75-3,08), probablement par manque de puissance selon les auteurs, l’effectif des patients atteints de démence vasculaire étant relativement faible (effectif non évoqué dans l’article) par rapport à l’effectif total des démences et des glaucomes. 
    Les résultats de ce travail vont à l’encontre de ceux d’une méta-analyse récemment publiée sur le sujet (2), qui ne décelait pas de lien entre démence et glaucome. La principale force méthodologique de cette étude, par rapport aux autres travaux publiés, est de s’affranchir du biais de sélection et de classement des patients intégrés dans la cohorte, en ayant sélectionné une cohorte sans démence et en considérant le glaucome nouvellement diagnostiqué comme une variable d'exposition variable dans le temps. Cette étude rétrospective présente toutefois quelques limites : elle concerne uniquement la population coréenne et un biais de classement persiste du fait des méthodes diagnostiques utilisées, basées sur des codages de diagnostics et de prescriptions médicamenteuses. Ce travail suggère donc une association entre le glaucome et la maladie d’Alzheimer, mais des travaux prospectifs, réalisés sur des populations plus larges que la seule population coréenne, sont encore nécessaires afin de préciser le lien qu’il pourrait exister entre ces deux maladies neuro-dégénératives. 

1) Ito Y, Shimazawa M, Tsuruma K, et al. Induction of amyloid- b(1-42) in the retina and optic nerve head of chronic ocular hypertensive monkeys. Mol Vis. 2012;18:2647e2657. 
2) Zhao W, Lv X, Wu G, et al. Glaucoma is not associated with Alzheimer’s disease or dementia: a meta-analysis of cohort studies. Front Med (Lausanne). 2021;8:688551. 

Park DY, Kim M, Bae Y, Jang H, Lim DH. Risk of dementia in newly diagnosed glaucoma: a nationwide cohort study in Korea. Ophthalmology. 2023 Jul;130(7):684-691.

 

Reviewer: Paul Bastelica, thématique : glaucome, neurologie, épidémiologie.