Revue de la presse de juillet-aout 2024
Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle
Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.
Prescription d’opioïdes en post-opératoire de chirurgie ophtalmologique : de lourdes conséquences…
Depuis plusieurs décennies, de nombreux progrès ont été réalisés dans le domaine de la chirurgie oculaire, notamment avec le développement de nouvelles approches chirurgicales de moins en moins invasives, et in fine, moins douloureuses pour les patients. Bien qu’un faible nombre de procédures chirurgicales ophtalmologiques demeure aujourd’hui responsables de douleurs post-opératoires importantes (plaies du globe oculaire par exemple), la prescription d’antalgiques de paliers 2 et 3, et notamment d’opioïdes, peut encore s’avérer nécessaire. Au regard des risques associés à ces prescriptions (mésusage, dépendance), et du grand volume d'interventions chirurgicales réalisées par les ophtalmologistes chaque année, il est primordial que tout ophtalmologiste ait connaissance des complications à long terme que de telles prescriptions peuvent engendrer.
Afin de documenter ces conséquences, Thao al. proposent, dans leur article publié par Ophthalmology, d’identifier les potentielles associations entre la prescription d'opioïdes après une chirurgie oculaire et les risques postopératoires d’hospitalisation, d'overdose, de dépendance aux opioïdes, et de mortalité toutes causes confondues. Pour cela, les auteurs ont utilisé des données médicales anonymisées d’un entrepôt de données national (États-Unis), contenant les informations de patients qui bénéficiaient de l’assurance sociale fédérale Medicare et d’une assurance privée. Pour être inclus, les patients devaient être majeurs et avoir bénéficié d’une chirurgie ophtalmique entre 2016 et 2022 (soit une population potentielle de 1 577 692 patients). Les patients étaient ensuite identifiés comme ayant consommé des opioïdes lorsqu’une prescription périopératoire d’opioïdes avait été réalisée entre 30 jours avant et 7 jours après l’opération. Ces patients ont ensuite été appariés (sur l’âge, le sexe, l’ethnie, le type de chirurgie, ratio 1/1) avec des patients de la cohorte n’ayant pas eu de prescription d’opioïdes dans la période périopératoire. Les risques à court (1, 3 et 6 mois) et à long terme (6 ans) d'hospitalisation, d'overdose/dépendance/abus aux opioïdes (définitions du CIM-10), et de décès, ont été analysés. Au total, 285 932 sujets ont été inclus dans les deux groupes. Du fait de l’appariement, les données socio-démographiques étaient comparables entre les deux cohortes de sujets étudiées. La moyenne d’âge des patients étudiés était de 69,7 ans. La prescription d'opioïdes dans la période périopératoire de chirurgie oculaire était associée à une augmentation des risques de mortalité toutes causes confondues (hazard ratio [HR]=1,28 ; intervalle de confiance à 95 % [IC]=1,25-1,31 ; p<0,001), d'hospitalisation (HR=1. 51 ; IC = 1,49-1,53 ; p < 0,001), d’overdose (HR=7,31 ; IC=6,20-8,61, p< 0,001) et de dépendance aux opioïdes (HR=13,05 ; IC=11,48/14,84 ; p<0,001) par rapport à l'absence de prescription d'opioïdes, à 6 ans de la chirurgie. Des résultats similaires ont été retrouvés à toutes les dates d’évaluation à court terme (1, 3 et 6 mois).
Les résultats puissants de cette étude montrent donc une augmentation du risque de décès et d’hospitalisation, mais aussi, une forte majoration du risque de mésusage (dépendance/abus/intoxication aigue) lié à la prescription d’opioïdes après une chirurgie oculaire, à court et long terme. Grâce à ces résultats, les chirurgiens ophtalmologistes, qui peuvent être confrontés à des difficultés face aux attentes des patients en matière de gestion de la douleur, ont aujourd’hui les clés pour évaluer le rapport bénéfice/risque de telles prescriptions, et pour conseiller les patients de manière appropriée à tous les stades périopératoires sur les graves complications liées à la prescription d'opioïdes.
Thao V, Helfinstine DA Jr, Sangaralingham LR, Yonekawa Y, Starr MR. Hospitalization, Overdose, and Mortality After Opioid Prescriptions Tied to Ophthalmic Surgery. Ophthalmology. 2024 Aug;131(8):943-949.
Reviewer : Paul Bastelica , thématiques : chirurgie, addictologie.
Chirurgie ou traitement médical pour les glaucomes avancés : les résultats de l’étude TAGS à 5 ans.
Environ 25% des patients glaucomateux ont une maladie déjà au stade avancé au moment du diagnostic, ce qui, au demeurant, constitue un facteur de risque majeur d’évolution vers la cécité. Concernant la prise en charge de ces patients, les recommandations sont équivoques : l’American Academy of Ophthalmology (à travers ses recommandations nommées Preferred Practice Patterns) ne tranche pas vraiment entre chirurgie ou traitement médical, tandis que la Société Européenne du Glaucome privilégie la prise en charge chirurgicale d’emblée, tout en concédant que le niveau de preuve est faible. En l’absence de preuves solides, et par crainte des complications postopératoires, les sondages montrent que la majorité des ophtalmologistes préfèrent initier la prise en charge des malades atteints de glaucome avancés par un traitement médical, réservant l’option chirurgicale aux échecs de ce dernier. L’étude TAGS (Treatment of Advanced Glaucoma Study) - prospective, randomisée, impliquant 27 centres du Royaume Uni - vise justement à comparer les deux options en termes de qualité de vie liée à la vision (critère de jugement principal), et d’efficacité clinique (progression du champ visuel, pression intraoculaire – PIO -, effets indésirables). Les résultats à 5 ans viennent d’être publiés dans Ophthalmology. Les principaux critères d’inclusion / exclusion étaient la présence d’un glaucome à angle ouvert (y compris pseudo-exfoliatif, pigmentaire ou à pression normale) à un stade avancé (déviation moyenne < -12dB) sur au moins un œil au moment du diagnostic, et l’absence de facteur de risque d’échec de trabéculectomie (liste peu détaillée dans la publication, en dehors d’un antécédent de chirurgie conjonctivale ou de cataracte compliquée). Dans le groupe traité médicalement (groupe « med »), le traitement était prescrit selon les recommandations du National Institute of Health (NIH), avec une pression cible fixée à l’aide des recommandations canadiennes1 et escalade en cas d’échec des premières lignes, avec emploi d’inhibiteurs de l’anhydrase carbonique par voie orale ou trabéculoplastie au laser sélectif, voire recours à la chirurgie si besoin. Les patients du groupe chirurgie (groupe « trab ») étaient traités par trabéculectomie avec application peropératoire de mitomycine C (modalités laissée à la discrétion de l’opérateur).
Au total, 227 yeux de 227 patients étaient inclus dans le groupe trab, et 226 dans le groupe med. Après 5 ans de suivi, le groupe trab comportait encore 157 patients, et le groupe med 159. Les scores de qualité de vie (NEI VFQ25, EQ-5D-5L, HUI, GUI 3), ainsi que la perception subjective d’aggravation du glaucome n’étaient pas significativement différents entre les 2 groupes. La PIO était plus basse dans le groupe trab (12,1±5,2 vs 14,8±4,1 mmHg ; p< 0,001). La déviation moyenne sur le champ visuel automatisé, qui était comparable à l’inclusion (autour de -15 dB, sans différence significative entre les groupes) se détériorait dans le groupe med tandis qu’elle était stable dans le groupe trab (-16,7dB vs -14,3dB, respectivement) avec une progression documentée chez 3 patients du groupe trab contre 12 du groupe med. Le nombre de chirurgies de cataracte était quasi-identique entre les groupes : 57 dans le groupe trab contre 56 dans le groupe med. Dans ce dernier, une trabéculoplastie sélective au laser a été réalisée chez 11 patients, et une chirurgie filtrante a finalement été pratiquée chez 50 patients. Le nombre global d’effets indésirables n’était pas différent entre les groupes (environ 55% des patients). Néanmoins, il y avait évidemment plus de complications chirurgicales dans le groupe trab, et plus de complications liées aux collyres anti-glaucomateux dans le groupe med. Enfin, 3 pertes visuelles définitives de plus de 10 lettres en ETDRS (2 lignes) étaient à déplorer dans le groupe trab contre 1 dans le groupe med.
Les résultats de cette étude majeure plaident en faveur de la chirurgie de première intention dans les glaucomes avancés dès la découverte de la maladie. Toutefois, il faut souligner que la définition des patients « à risque d’échec de la chirurgie », et donc exclus, était peu précise, et en grande partie laissée à l’appréciation du chirurgien. De même, le risque de mauvaise observance, l’âge et les préférences du patient n’étaient pas pris en compte dans l’allocation du traitement de cette étude randomisée.
En outre, les traitements médicaux utilisés étaient potentiellement conservés (les traitements sans conservateur ne sont pas autant rentrés dans les mœurs au Royaume-Uni qu’en France), et donc plus enclins à être pourvoyeurs d’effets indésirables. Pour conclure, les résultats à 5 ans de l’étude TAGS valident la place de la chirurgie de première intention pour les glaucomes avancés, mais ne peuvent pas, dans ces situations souvent difficiles, se substituer à l’appréciation clinique face à un patient donné.
1) Damji KF, Behki R, Wang L; Target IOP Workshop Participants. Canadian perspectives in glaucoma management: setting target intraocular pressure range. Can J Ophthalmol. 2003;38(3):189e197.
King AJ, Hudson J, Azuara-Blanco A, Burr J, Kernohan A, Homer T, Shabaninejad H, Sparrow JM, Garway-Heath D, Barton K, Norrie J, Davidson T, Vale L, MacLennan G; TAGS Study Group∗. Evaluating Primary Treatment for People with Advanced Glaucoma: Five-Year Results of the Treatment of Advanced Glaucoma Study. Ophthalmology. 2024 Jul;131(7):759-770.
Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : glaucome
Le point sur les médicaments récemment autorisés par la FDA dans le traitement de la DMLA atrophique.
Le rationnel de l’inhibition du complément dans la DMLA atrophique (ou atrophie géographique - AG) repose sur l’association, retrouvée dans plusieurs études d’association génétique à grande échelle publiées dans les années 2000, entre certains polymorphismes du gène codant pour le facteur H du complément (FHC) - une protéine régulant l’activation des facteurs C3 et C5 - et la survenue d’AG.
Depuis, plusieurs inhibiteurs du complément ont été évalués dans la DMLA atrophique, et finalement, deux molécules administrées sous forme d’injections intravitréennes (IVT) mensuelles : le pegcetacoplan, inhibant le C3 (Syfovre, Appelis Pharmaceuticals) et l’avacincaptad, inhibant le C5 (Izervay, Astellas Pharma) ont été approuvés par la FDA au cours de l’année 2023.
Ces autorisations sont fondées sur la validation d’un critère de jugement morphologique, conforme aux recommandations émises par la FDA elle-même : à savoir, une diminution significative de la vitesse de progression de l’AG, mesurée sur des clichés en auto-fluorescence. Dans le cas du pegcetacoplan, les études de phase 3 randomisées contre placebo OAKS et DERBY ont en effet montré une diminution d’environ 20% de ce paramètre à 1 an, tandis que pour l’avacincaptad, la réduction était de 27 et 14% à 1 an dans les études GATHER 1 et 2, respectivement. Mais de façon surprenante, aucune de ces études n’a démontré de bénéfice sur la fonction visuelle, pourtant finement évaluée (acuité visuelle, vitesse de lecture, micropérimétrie…). C’est entre autres cette discordance qui a motivé Csaky et al. à publier une « perspective » captivante et d’une certaine manière à charge contre ces traitements, dans l’American Journal of Ophthalmology.
Les auteurs y discutent d’abord les causes possibles de la discordance entre l’amélioration morphologique et l’absence d’amélioration fonctionnelle dans ces études. Les hypothèses évoquées sont :
- une absence de prise en compte dans la répartition entre les groupes de la localisation des zones d’atrophie, alors que ce paramètre a un impact majeur sur la fonction visuelle en cas de progression (notamment en cas de lésions sous-fovéales),
- un potentiel biais lié au développement de néovascularisation (plus fréquents chez les patients traités par pegcetacoplan et par avacincaptad) qui fausse significativement les mesures en auto-fluorescence,
- enfin, l’inhibition du complément pourrait diminuer la clairance par les cellules immunitaires de l’EP dysfonctionnel hyper-autofluorescent en bordure des zones d’AG. Ce phénomène pourrait simuler une réduction de l’extension de l’AG, sans pour autant s’accompagner de bénéfice fonctionnel. L’analyse d’autres paramètres, comme l’intégrité des photorécepteurs en OCT, pourraient donner des réponses sur ce point.
Dans une autre partie, les auteurs remettent en question le bien fondé de l’inhibition du complément dans l’AG. Les études génétiques ancillaires de grandes cohortes comme l’AREDS (Age-Related Eye Disease Study) n’ont en effet pas retrouvé d’association entre les polymorphismes des gènes du complément et la progression des lésions d’AG. Paradoxalement, les allèles de C3 considérés comme « à risque » de DMLA seraient associés à une moindre progression de l’AG… Les études chez l’animal ont par ailleurs suggéré les rôles bénéfiques de C3 et C5 dans l’homéostasie de l’EP. Ces derniers « marqueraient » les débris du cycle visuel et faciliteraient ainsi leur élimination. Les modèles animaux délétés pour C3 et/ou C5 développent d’ailleurs des dégénérescences rétiniennes. Enfin, les modifications structurelles des variants de FHC « à risque » ne concerneraient pas des zones de la protéine interagissant avec les autres facteurs du complément. Elles affecteraient plutôt les capacités de captation des lipides par la membrane de Bruch qui favoriseraient la formation des drusens. Les pathologies à transmission mendélienne phénotypiquement proches de la DMLA sont d’ailleurs causées par des mutations de gènes codant pour des protéines impliquées dans le métabolisme de la membrane de Bruch, et a priori sans aucun rapport avec le complément.
Une autre problématique évoquée par les auteurs est plus d’ordre pratico-pratique, et concerne l’espacement ou l’arrêt d’un éventuel traitement par inhibiteur du complément. En l’absence de bénéfice fonctionnel mesurable, et de données sur leur effet après 2 ans de traitement, comment gérer la prescription de ces traitements sur le long terme ? Les études de « vraie vie » aideront à préciser ce point, mais la question est d’autant plus pertinente que ces médicaments ne sont pas dépourvus de risques : liés aux procédures itératives d’IVT d’une part, mais également à leurs effets indésirables : augmentation du risque de néovascularisation choroïdienne, de neuropathie optique ischémique et de vascularite occlusive…
La dernière partie de l’article est consacrée aux autres pistes de développement pour traiter l’AG. Les auteurs évoquent en particulier la protéine codée par le gène ARMS2/HTRA1 : une protéase sécrétée modifiant la matrice extracellulaire, et impliquée dans le renouvellement de la membrane de Bruch. Dans les études génétiques, les polymorphismes d’ARMS2/HTRA1 sont constamment associés à la progression de l’AG. La modulation de cette protéine pourrait avoir un effet sur l’extension de AG, mais des incertitudes persistent quant à l’effet - inhibiteur ou stimulateur – nécessaire pour être bénéfique. D’autres pistes : modulation du métabolisme mitochondrial, ou encore de l’inflammation (hors système du complément) sont également à l’étude.
A La lecture de cette perspective, on comprend mieux i) les raisons qui ont incité l’agence européenne du médicament à émettre des réserves sur ces deux molécules, et ii) pourquoi les inhibiteurs du complément ne constituent probablement qu’une étape dans la lutte contre l’AG.
Csaky KG, Miller JML, Martin DF, Johnson MW. Drug Approval for the Treatment of Geographic Atrophy: How We Got Here and Where We Need to Go. Am J Ophthalmol. 2024 Jul;263:231-239.
Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : rétine médicale
La triamcinolone intravitréenne en fin de chirurgie pour traumatisme à globe ouvert réduit-elle le risque de PVR ? Un essai randomisé.
Même en cas de succès de la réparation anatomique du globe oculaire, le pronostic visuel après traumatisme à globe ouvert est généralement très mauvais. Une des causes fréquentes est la présence d’un décollement de rétine rhegmatogène sur déchirures traumatiques, avec ou sans corps étranger intraoculaire, souvent déclenché ou aggravé par le développement rapide d’une vitréorétinopathie proliférative (PVR) sévère.
Cette étude réalisée en Chine, à l’Université de Tianjin, a évalué l’intérêt d’une injection intravitréenne (IVT) immédiate de corticoïdes intravitréens en fin de chirurgie de réparation du globe. Les auteurs ont sélectionné la triamcinolone en raison de sa plus grande accessibilité, notamment dans les pays à faibles revenus où le taux de traumatismes oculaires est le plus important. Plusieurs études ont démontré le rôle de l’inflammation dans le développement d’une PVR après DR rhegmatogène et évalué différentes thérapeutiques anti-inflammatoires pour la prévenir ou la limiter. Par ailleurs un modèle expérimental a identifié une inflammation précoce post traumatique conduisant à une PVR.1
Cette étude monocentrique randomisée, en simple aveugle, a porté sur des patients adultes, présentant un traumatisme à globe ouvert, sans antécédent oculaire, notamment chirurgical, et opérés dans les 24h maximum après le traumatisme. Comme la présence d’une plaie ne pouvait dans certains cas n’être confirmée qu’après exploration chirurgicale, les patients qui avaient donné leur consentement étaient randomisés pendant l’intervention chirurgicale. Sur 106 patients opérés pour plaie du globe entre février 2021 et juin 2022, 68 ont été randomisés en 1:1 entre groupe traité (n=34 recevant une IVT de 0,1 mL de triamcinolone acétonide en fin d’intervention) et contrôles (n=34 recevant 0,1 mL de BSS). Le design de l’étude comprenait une vitrectomie exploratoire systématique réalisée 10 ± 3 jours après la fermeture du globe. Ce point aurait pu être refusé par un comité d’éthique mais l’essai a été approuvé par l’« Ocular Trauma Group of the Chinese Academy of Ophthalmology ». D’ailleurs un patient a finalement refusé cette vitrectomie, et les auteurs ont constaté que les tissus intraoculaires étaient indiscernables lors de la vitrectomie chez 14 patients, qu’ils ont exclu secondairement (sans que cela soit spécifié dans les critères d’exclusion). Après exclusion de patients perdus de vue à 6 mois, l’analyse finale a porté sur 47 yeux (25 dans le groupe triamcinolone et 22 dans le groupe contrôle), dont les caractéristiques étaient comparables, notamment les délais entre trauma et chirurgie de réparation, et entre celle-ci et la vitrectomie.
Le critère de jugement principal, le stade de la PVR traumatique constaté lors de la vitrectomie, était significativement plus sévère dans le groupe contrôle que dans le groupe triamcinolone (P=0.028). Les auteurs ont utilisé pour cela un score de PVR traumatique spécifiquement conçu pour l’étude, dérivé du score de PVR utilisé dans le décollement de rétine rhegmatogène (I, surface rétinienne lisse ; II, surface rétinienne irrégulière sans membrane ; III membrane proliférative ; IV rétine froissée par la membrane), ainsi qu’un sous-score pour le nombre de quadrants affectés. Ce critère est subjectif, discutable (comme l’illustrent les 14 cas exclus pour cause de tissus indiscernables) et repose sur l’expertise du chirurgien, qui n’était pas masqué quant à la randomisation.
Concernant les critères secondaires, les auteurs ont observé une amélioration visuelle par rapport à la vision initiale (que l’on suppose très basse) plus importante dans le groupe triamcinolone, où 12 yeux (48%) avaient une vision supérieure au décompte des doigts, par rapport à 5 yeux (23%) dans le groupe contrôle (P=0.008). Le taux de ré-application rétinienne était supérieur dans le groupe triamcinolone (88% contre 63%, P=0.049), et le taux de récidive de PVR était moindre mais non significatif (40% contre 59%). Enfin, un seul cas ayant reçu de la triamcinolone a eu une hypertonie postopératoire, et il n’y avait pas de différence entre les groupes en termes de pression moyenne à 6 mois (en moyenne 13-14 mmHg).
En résumé, on peut louer la réalisation d’un essai randomisé dans le domaine négligé de la traumatologie oculaire, pourtant essentiel car il s’agit de la principale cause de perte visuelle dans le monde chez les enfants et jeunes adultes. Les auteurs ont surmonté des difficultés comme le fait de randomiser lors d’une chirurgie en urgence, parfois la nuit. En pratique, le conditionnement en poudre à température ambiante de la triamcinolone et son coût relativement bas justifient le choix de ce produit, dont le stockage et la délivrance souvent sur des heures de garde devraient être possibles dans de nombreux centres ophtalmologiques recevant des urgences.
On peut néanmoins s’interroger sur l’innocuité d’une IVT réalisée sans connaitre l’état précis des structures intraoculaires après une plaie du globe, induisant de possibles lésions rétiniennes. Réaliser l’injection dans un 2ème temps, lors de la vitrectomie, serait plus prudent mais avec une moindre efficacité pour prévenir la PVR, comme l’a montré une précédente étude randomisée sur 40 patients, réalisée au Royaume-Uni. Les auteurs ont observé des résultats anatomiques identiques chez les patients traités et chez les contrôles (50% de taux de ré-application rétinienne), avec une vision légèrement meilleure dans le groupe traité.2 Un schéma d’injections péri-oculaires précoces et répétées de corticoïdes, à débuter lors de la chirurgie initiale, pourrait représenter un compromis entre sécurité et efficacité.
1 Morescalchi F, Duse S, Gambicorti E, et al. Proliferative vitreoretinopathy after eye injuries: an overexpression of growth factors and cytokines leading to a retinal Keloid. Mediators Inflamm 2013;2013:269787.
2 Banerjee PJ, Xing W, Bunce C, et al. Triamcinolone during pars plana vitrectomy for open globe trauma: a pilot randomised controlled clinical trial. Br J Ophthalmol 2016;100:949–55.
Guo H, Yu J, He T, et al. Early use of intravitreal triamcinolone to inhibit
traumatic proliferative vitreoretinopathy: a randomised clinical trial. Br J Ophthalmol 2024 Aug; 108:1161–1167.
Reviewer: Alexandre Matet, thématique : traumatologie, rétine chirurgicale
Hausse préoccupante du taux de cancers chez les jeunes adultes : résultats d’une étude épidémiologique sur 23 millions de patients nés entre 1920 et 1990 aux USA.
Une équipe de la Société Américaine du Cancer a publié dans le Lancet Public Health une étude montrant une hausse préoccupante des cancers chez les jeunes adultes, âgés de moins de 50 ans. En exploitant plusieurs bases de données recouvrant la quasi-totalité du territoire des États-Unis, ils ont reconstitué l’incidence et la mortalité pour 34 types de cancers, en fonction de l’année de naissance, au cours des deux décennies de 2000 à 2019. Les données de 23 millions de patients atteints de cancers, dont 7 millions sont décédés sur cette période, ont donc été analysées, avec un ajustement statistique complexe, lissant les variations communes à toutes les tranches d’âges (liées par exemple à des progrès thérapeutiques), pour mettre en évidence des variations en fonction de l’année de naissance.
Les résultats montrent une augmentation constante et progressive du taux d’incidence à chaque génération plus jeune, par intervalles de 5 ans, entre la génération 1920 et celle née en 1990, pour 17 des 34 types de cancer étudiés. En particulier, le taux d’incidence était 2-3 fois plus élevé pour la cohorte née en 1990 par rapport à l’année de naissance 1955 (utilisée comme référence car située à mi-chemin entre 1920 et 1990), pour les cancers du rein, de l’intestin, du pancréas, et spécifiquement les cancers du foie et des voies biliaires chez les femmes.
Il existe également une augmentation paradoxale de l’incidence de plusieurs cancers chez les plus jeunes générations, alors que leur fréquence diminue chez les plus âgés : cancer du sein hormono-dépendant, du corps utérin, colorectal, gastrique, des voies biliaires, des ovaires, des testicules, et chez les hommes, cancer anal et sarcome de Kaposi (ces deux derniers étant explicables par l’épidémie VIH).
La mortalité s’est néanmoins stabilisée parmi les jeunes générations pour la plupart des cancers, sauf pour les cancers du foie (chez la femme), du corps utérin, des voies biliaires, des testicules et du colon-rectum, où elle a augmenté chez ces jeunes adultes.
Un certain nombre de ces cancers, notamment digestifs, sont en partie explicables par l’obésité, fléau qui touche particulièrement les jeunes générations aux États-Unis, la sédentarité, et la consommation d’alcool. On observe d’ailleurs que l’incidence du cancer du poumon et des cancers ORL liés au tabac a diminué chez les jeunes générations, ce qui est cohérent avec la baisse du tabagisme parmi cette population. Cette étude soulève néanmoins d’importantes questions de santé publique, car l’augmentation du développement de cancers chez de jeunes adultes dès 20 ans, suggère dans l’enfance une exposition accrue à des carcinogènes, non identifiés avec certitude à ce jour.
Il est important que la communauté ophtalmologique soit alertée sur ces jeunes adultes atteints de cancers, afin d’évoquer d’éventuelles métastases choroïdiennes, et de détecter les complications des traitements anti-cancéreux qu’ils pourraient recevoir, notamment les nouvelles thérapies ciblées et immunothérapies.
H Sung, C Jiang, P Bandi, et al. Differences in cancer rates among adults born between 1920 and 1990 in the USA: an analysis of population-based cancer registry data. Lancet Public Health 2024; 9: e583–93
Reviewer: Alexandre Matet, thématique : épidémiologie, cancérologie