Revue de la presse de mai 2023

Revue de la presse de mai 2023

 

Auteur : Antoine Rousseau, Paul Bastelica
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 

 

Capsulotomie au laser Yag : pas si anodin…

L’incidence de l’opacification capsulaire postérieure cliniquement significative dans les 3 ans suivant une chirurgie de cataracte varie, selon les implants entre 5 et 30%.1  Parmi les 900 000 cataractes opérées chaque année en France (940 000 en 2021), c’est donc entre 45 000 et 270 000 patients qui bénéficieront potentiellement d’une capsulotomie au laser YAG pour recouvrer tout le bénéfice leur chirurgie. Malgré la rapidité et la relative facilité de ce geste, (considéré comme un acte chirurgical par la sécurité sociale), la procédure n’est pas dépourvue de complications. Toutefois, l’absence de suivi systématique des patients après capsulotomie, les déménagements, ou le recours à un autre praticien en cas d’urgence, rend difficile l’appréciation du taux de complication à l’échelle d’une pratique individuelle. Les big data issues en France du Système National des Données de Santé (SNDS), permettent une vision plus globale de la situation. C’est un échantillon représentatif de ce système (comportant 700 000 bénéficiaires de la sécurité sociale âgés de plus de 18 ans) qu’ont exploité Dot et al. dans une étude d’envergure pour évaluer l’incidence et les facteurs de risque de certaines complications sévères de la capsulotomie au laser YAG, à savoir :  l’hypertonie oculaire (HTO), l’œdème maculaire (OM) et le décollement de rétine (DR).  Cette étude de cohorte observationnelle, qui vise notamment à « rafraichir » les données épidémiologiques françaises sur le sujet, comportait un premier volet sur la fréquence et les facteurs de risque de capsulotomie (étude French YAG 1, présentée en communication orale à l’ESCRS, mais dont les résultats ne sont pas encore publiés), et donc ce volet sur les complications de cette procédure (étude French YAG 2). Elle était réalisée chez des patients qui n’avaient pas présenté de maladie oculaire au cours de l’année précédant le laser, ayant bénéficié d’une capsulotomie au laser YAG entre 2014 et 2017 avec des données de suivi sur les 12 mois post-laser.
Le délai avant la complication était estimé par la méthode de Kaplan-Meier et les risques relatifs (RR) par une analyse de régression multivariée.
Au cours de la période d’étude, les données de cet échantillon permettaient d’analyser 7958 capsulotomies réalisées chez 6210 patients, âgés de 75 ± 10 ans. Les fréquences des effets indésirables étudiés étaient de 8,6 et 13,3% à 3 et 12 mois, respectivement. Près de 70% des complications étaient survenues dans les 3 mois après le laser. Les fréquences à 3 mois d’HTO et d’OM étaient d’environ 5%. L’incidence du DR restait ≤ 0.5% sur l’ensemble du suivi.
L’analyse de régression montrait que les capsulotomies réalisées dans l’année suivant la chirurgie généraient un sur-risque de complications par rapport à celles réalisée plus tardivement (RR = 1,31 [1,03-1,67], p < 0,05), en particulier pour l’apparition d’un OM (RR =1,5 [1,09-2,07], p < 0,05). De même, le risque d’HTO post-YAG était plus important pour les capsulotomies réalisées entre 1 et 2 ans après la chirurgie de la cataracte que pour celles réalisées plus tardivement (RR = 1,43 [1,18-1,72], p < 0,0001). Enfin, les patients diabétiques avaient plus de risque de développer une HTO (RR : 1,23 [1,01-1,51], p < 0,05) et un OM (RR, 1,810 [1,45-2,27], p < 0.0001) que les patients non-diabétiques.
Pour résumer, d’après les données du SNDS, l’HTO et l’OM sont les complications les plus fréquentes de la capsulotomie YAG. Elles surviennent principalement dans les 3 mois après la procédure, d’autant plus fréquemment que le laser est précoce et/ou le patient est diabétique. Ces conclusions nous rappellent donc d’une part l’intérêt de retarder la procédure à chaque fois que cela est encore possible (analyse de la balance bénéfice/risque), et d’autre part la nécessité d’une surveillance systématique pendant les 3 mois suivant le laser. Ils incitent également à donner une information plus complète aux patients avant de réaliser le geste.

 

1) Belda JI, Dabán JP, Elvira JC, O'Boyle D, Puig X, Pérez-Vives C, Zou M, Sun S. Nd:YAG capsulotomy incidence associated with five different single-piece monofocal intraocular lenses: a 3-year Spanish real-world evidence study of 8293 eyes. Eye (Lond). 2022 Nov;36(11):2205-2210.

2) Milazzo S, Grenot M, Benzerroug M. La cataracte secondaire. Encylopédie medico-chirurgicale, 2014 https://www.em-consulte.com/en/article/943216.

Dot C, Schweitzer C, Labbé A, Lignereux F, Rozot P, Goguillot M, Bugnard F, Brézin AP. Incidence of retinal detachment, macular edema, and ocular hypertension after neodymium:yttrium-aluminum-garnet capsulotomy: a population-based nationwide study-The French YAG 2 Study. Ophthalmology. 2023 May;130(5):478-487.

 

 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : ophtalmologie générale

 


 

Abcès de cornée à pyocyaniques multi-résistants liés à des contaminations de flacons de substituts lacrymaux : le rôle de la pharmacovigilance

Une alerte récente du Center For Disease Control1 (CDC), suivie de la publication en ligne d’un cas clinique dans JAMA Ophthalmology2 a mis en lumière un évènement indésirable heureusement très rare de l’utilisation des collyres : des infections cornéennes (et parfois systémiques) causés par la contamination de flacons sans conservateur, en l’occurrence avec des bactéries multi-résistantes (BMR).
Au 31 janvier 2023, pas moins de 55 cas de patients, déclarés entre mai 2022 et janvier 2023, porteurs asymptomatiques ou atteints d’infection par la souche VIM-GES-CRPA du bacille pyocyanique, étaient identifiés dans 12 états différents des USA. Revenons d’abord rapidement sur la souche VIM-GES-CRPA, une « superbug » fort heureusement très rare et qui fait froid dans le dos… Cet acronyme mystérieux (VIM = Verona Integron-mediated Metallo-β-lactamase, GES = Extended Spectrum-β-Lactamase, CRPA = carbapenem-resistant Pseudomonas aeruginosa) signifie en substance que ce pyocyanique est porteur i) de beta-lactamases qui le rendent résistant à l’ensemble des beta-lactamines (y compris les carbapénèmes), et ii) de mécanismes de résistance aux fluoroquinolonbes et aux aminosides…
Les souches étaient identifiées à partir de prélèvements issus de crachats ou de lavages broncho-alvéolaires (N=13), de grattages cornéens, (N=11), d’urine (N=7), d’autres échantillons non stériles (peau, muqueuses… N=4), d’hémocultures et d’écouvillons rectaux pratiqués dans le cadre de dépistage systématique du portage de BMR (N=25). Ces souches, toutes très proches génétiquement, sont issues d’un sous-type qui n’avait jusque-là pas été rapporté aux USA.
L’analyse exhaustive des facteurs de risque a révélé que la plupart des patients, et en particulier ceux ayant présenté des infections oculaires, avait en commun l’utilisation de larmes artificielles de marque EzriCare, dispensée en flacons multidose sans conservateur. Le laboratoire du CDC a identifié la présence de souches VIM-GES-CRPA génétiquement identiques aux souches retrouvées chez les patients, dans des flacons ouverts d’EzriCare provenant de multiples lots, collectés auprès de patients avec et sans infection oculaire dans 2 états. L’inoculation des bactéries dans les flacons peut avoir eu lieu pendant l’utilisation ou lors du processus de fabrication. L’analyse de lots non-ouverts, nécessaire pour distinguer ces deux hypothèses, est en cours, mais en attendant les résultats définitifs, tous les flacons de substituts lacrymaux d’EzriCare ont été retirés du marché.
Le point crucial que le CDC ne précise pas dans son communiqué, concerne le flacon EzriCare : un flacon destiné à contenir un collyre conservé, et ne disposant donc d’aucun système prévenant la contamination (membrane semi-perméable, valve anti-retour…), pourtant essentiel pour les collyres non-conservés.
C’est l’un des cas de cette « épidémie » que détaillent Shoji et al. 2 Un patient âgé de 72 ans, porteur de lentilles de contact et utilisateur des substituts lacrymaux de marque Ezricare, avec comme principaux antécédents un diabète et des pathologies cardiovasculaires, présentait un abcès de cornée sévère (central, 6mm de diamètre, associé à un hypopion), peu de temps après la mise en garde du CDC. Les auteurs, informés, de cette alerte, ont réalisé un prélèvement cornéen et du flacon et ont démarré un traitement par des collyres antibiotiques fortifiés « classiques » (vancomycine et tobramycine) en instillations horaires, auxquels ils ont ajouté des collyres à base de polymyxine et de triméthoprime, dans la crainte d’une souche VIM-GES-CRPA. La confirmation de la présence de cette dernière sur la cornée comme dans le flacon a permis une adaptation rapide de l’antibiothérapie, avec poursuite de la polymyxine et du triméthoprime, tout en ajoutant un collyre à l’imipénème, à une concentration suffisante pour être efficace (malgré la résistance annoncée, cette dernière étant classiquement estimée sur la base des taux sériques). L’infection a été rapidement contrôlée, mais l’épisode a laissé une cicatrice centrale très pénalisante pour l’acutié visuelle.
Ce cas illustre tout d’abord l’intérêt des systèmes de pharmacovigilance et du partage rapide de l’information en cas d’évènement indésirable nouveau. Il souligne si besoin était l’importance cruciale de l’examen bactériologique dans les cas d’infections cornéennes sévères, prélevant non seulement la surface oculaire atteinte, mais aussi les flacons récents, et les lentilles le cas échéants …
Par ailleurs, cette « épidémie » met en exergue la différence culturelle majeure qu’il existe entre la France (et une partie de l’Europe), où ont été mis au point les systèmes de flacon multidose sans conservateur garantissant la sécurité microbiologique, et les USA, où la culture des collyres sans conservateur est encore très peu développée, avec en l’occurrence des carences flagrantes de régulation du marché de ces derniers…


1) US Centers for Disease Control and Prevention. Outbreak of extensively drug-resistant Pseudomonas aeruginosa associated with artificial tears. Published February 2, 2023. Accessed February 2, 2023. https://emergency.cdc. gov/han/2023/han00485.asp
2) https://www.ophthalmologytimes.com/view/dry-eye-foundation-continues-to-warn-against-the-use-of-unverified-and-unsafe-eye-drops


Shoji MK, Gutkind NE, Meyer BI, Yusuf R, Sengillo JD, Amescua G, Miller D. Multidrug-resistant pseudomonas aeruginosa keratitis associated with artificial tear use. JAMA Ophthalmol. 2023 Mar 22. doi: 10.1001/jamaophthalmol.2023.1109. Epub ahead of print.

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : infections

 


Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’aniridie congénitale

L’aniridie congénitale (AC) est une maladie génétique autosomique dominante liée à une perte de fonction de gènes régulateurs du développement oculaire (le plus souvent PAX6), classiquement caractérisée par une absence partielle ou totale d’iris. Le prestigieux Progress in Retinal and Eye Research consacre une revue très complète sur le sujet, signée par l’équipe de l’hôpital Necker-Enfants Malades. En plus d’une très bonne mise à jour sur les caractéristiques cliniques de l’aniridie congénitale, qui souligne le caractère panoculaire des anomalies, la revue détaille les nouvelles techniques de génétique moléculaire disponibles pour le diagnostic de la maladie, causée par pas moins de … 700 variants génétiques pathogènes !  
On y apprend tout d’abord que des progrès remarquables ont été réalisés sur le plan du diagnostic génétique de la maladie, historiquement compliqué par le grand nombre de variants pathogènes du gène PAX6 et de ses régions régulatrices. Un panel NGS (Next-Generation Sequencing), développé et utilisé dans les laboratoires de nombreux pays permet désormais la détection de variants à de grandes échelles génomiques, et il pourrait être utilisé comme test unique pour le diagnostic moléculaire de l’AC, en explorant non seulement le gène PAX6 mais aussi d’autres gènes impliqués dans l’embryogenèse oculaire en général, et dans le développement de l’AC en particulier. Les auteurs présentent dans cette revue les résultats d’une étude évaluant une stratégie NGS associée au séquençage du génome entier et confirment son haut potentiel dans le rendement diagnostic de cette pathologie rare, aux conséquences fonctionnelles majeures.
Cliniquement, l’AC se caractérise par une malformation oculaire congénitale bilatérale plus ou moins asymétrique qui est loin de se limiter à l’iris. En effet, l’hypoplasie irienne est volontiers associée à une insuffisance en cellules souches limbiques, une hypertonie oculaire (voire un glaucome), une cataracte et une hypoplasie fovéolaire.
 Cette malformation irienne est d’intensité très variable, mais il existe, dans une grande majorité des cas, un déficit tissulaire irien important avec perte de tout ou partie de l’épaisseur irienne. Des implants iriens sont disponibles sur le marché à visée esthétique et fonctionnelle, mais Daruich et al. rappellent qu’ils ne sont pas recommandés en France, en raison de leur toxicité éventuelle pour le fonctionnement de l’angle iridocornéen et de l’endothélium cornéen.
L’hypoplasie fovéolaire constituerait l’atteinte clinique la plus constante de la maladie, puisque présente à des degrés variables chez la quasi-totalité des patients. Le terme aniridie, depuis longtemps employé pour caractériser les manifestations phénotypiques du défaut d’expression du gène PAX6, est donc aujourd’hui remis en cause, l’hypoplasie de l’iris étant plus variable et moins spécifique que les malformations rétiniennes. Une nouvelle classification de l’aniridie congénitale est ainsi proposée : les aniridies avec hypoplasie fovéolaire, le plus souvent liées à un défaut d’expression du gène PAX6, et les dysgénésies isolées du segment antérieur, sans hypoplasie fovéolaire, impliquant d’autres gènes du développement oculaire (PITX2, FOXC1, CYP1B1, FOXE3...).
Les auteurs reviennent également sur les atteintes de la surface oculaire et de la cornée, très fréquentes dans l’AC. Les causes de cette kératopathie sont multifactorielles et impliquent les cellules souches limbiques, principalement via une perte du rôle majeur pro-cicatrisant cornéen du gène PAX6 et des anomalies d’expression des cytokératines cornéennes. L’insuffisance limbique de l’AC fait aujourd’hui l’objet d’une classification validée en 4 grades, allant de l’absence complète d’atteinte cornéenne (grade 0) au pannus cornéen complet, néovascularisé, envahissant le centre de la cornée (grade 4). Daruich et al. reviennent en détail sur les outils thérapeutiques de la kératopathie de l’AC (larmes artificielles non conservées, collyres anti-inflammatoires, sérum autologue, lentilles sclérales…), rappellent le mauvais pronostic des greffes de cornée transfixiantes dans ce contexte, et à l’inverse le rôle prometteur des allogreffes limbiques et autres techniques de greffes de cellules limbiques cultivées.
L’aniridie congénitale s’accompagne aussi volontiers d’anomalies du cristallin. Dans ce contexte, les cataractes sont soit congénitales (classiquement sous-capsulaires antérieures) ou surviennent plus précocement que dans la population générale, avec un aspect en rayon de roue, pathognomonique d’une anomalie du gène PAX6.  
Le glaucome des AC apparait le plus souvent à l’adolescence, par fermeture progressive de l’angle irido-cornéen, consécutive à la traction de l’iris vers l’avant par un tissu pré-trabéculaire pathologique (fibres stromales iriennes) présent dès la naissance. Le traitement médical n’est pas toujours suffisant pour contrôler la pression intraoculaire, et dans ce contexte, la chirurgie filtrante comporte aussi un fort taux d’échec. En effet, ces interventions concernent le plus souvent des sujets jeunes, dont le fort potentiel de cicatrisation compromet la pérennité des bulles de filtration, qui plus est sur le terrain pro-inflammatoire que constitue l’AC.
Le gène PAX6 étant également impliqué dans l’embryogénèse du système nerveux central et du pancréas, l’AC peut être associée à de nombreuses autres anomalies extra-oculaires, notamment des manifestations cérébrales (atrophie du bulbe olfactif, troubles cognitifs, neuropsychologiques et du sommeil) et des troubles métaboliques comme le diabète insulinodépendant. Dans le cadre de la perte de fonction concomitante du gène WT1, voisin du gène PAX6, l’aniridie congénitale peut s’inscrire dans un tableau plus large, le syndrome WAGR (Wilms tumor, Aniridia, Genito-urinary malformation, Mental retardation), entraînant un risque important de tumeur de Wilms (néphroblastome), un retard mental, et des anomalies génito-urinaires (de type cryptorchidie, hypospadias, anomalies utérines, stries ovariennes, gonadoblastome).    
La dernière partie de la revue aborde les difficultés d’établir des corrélations génotypes / phénotypes dans cette pathologie, et les dernières découvertes dans le domaine. À titre d’exemple, les mutations tronquantes ainsi que les délétions de la séquence codante de PAX6 présenteraient un phénotype rétinien plus sévère par rapport aux anomalies des régions régulatrices de PAX6. Les auteurs insistent sur la nécessité de coopération entre les différents centres de référence de la maladie pour améliorer la connaissance de ces corrélations, à visée pronostic, mais également thérapeutique avec en ligne de mire l’émergence de nouvelles stratégies de thérapie génique.

 

Daruich A, Duncan M, Robert MP, Lagali N, Semina EV, Aberdam D, Ferrari S, Romano V, des Roziers CB, Benkortebi R, De Vergnes N, Polak M, Chiambaretta F, Nischal KK, Behar-Cohen F, Valleix S, Bremond-Gignac D. Congenital aniridia beyond black eyes: From phenotype and novel genetic mechanisms to innovative therapeutic approaches. Prog Retin Eye Res. 2022 Oct 21:101133.

 

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : pédiatrie, génétique.