Revue de la presse de octobre 2024

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées : Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

Vismodegib oral, première thérapie ciblée pour le carcinome basocellulaire palpébral ou orbitaire localement avancé : une synthèse de l’American Academy of Ophthalmology

Dans ce rapport de l’American Academy of Ophthalmology, les auteurs nous proposent une synthèse sur une classe très novatrice de thérapies anticancéreuses, qui ciblent la voie Hedgehog, impliquée dans la tumorigénèse des carcinomes basocellulaires (CBC), et dont la molécule la plus utilisée est le vismodegib. Une de leurs qualités majeures est leur administration orale. L’autorisation délivrée par la FDA en 2012 (puis en Europe par l’EMA) était basée sur le résultat d’études dermatologiques incluant des localisations cutanées diverses.1 Une synthèse de leur efficacité et toxicité sur les localisations palpébrales et orbitaires auxquelles sont confrontés les ophtalmologistes était donc nécessaire.
Si le traitement de références des CBC péri-oculaires reste la résection chirurgicale avec marges saines en anatomopathologie, pouvant aller jusqu’à l’exentération orbitaire, ces thérapies ciblées ouvrent des perspectives pour les formes localement très avancées où cette résection entraine potentiellement de lourdes séquelles visuelles, esthétiques, fonctionnelles, psychologiques, et systémiques chez des patients souvent âgés et fragiles.

Seize publications ont été identifiées, dont 5 se rapportaient à des études prospectives, non comparatives, et 11 à des études rétrospectives sur de petits effectifs, que nous ne détaillerons pas ici. Les deux publications comprenant le plus grand effectif sont deux analyses post-hoc sur 244 patients avec un CBC orbito-palpébrale, issus de l’essai clinique Safety Events in Vismodegib (STEVIE).2-3 Les patients ont reçu du vismodegib oral sur une durée médiane de 40 semaines. Le taux de réponse clinique ou radiologique était de 67%, avec réponse complète chez 29% des patients, et partielle chez 39%. Au moins un effet indésirable a été observé chez 95% des patients (alopécie, spasmes musculaires, dysgueusie, amaigrissement étaient les plus fréquents) et 24% ont arrêté le traitement à cause de ces effets. Si le taux de réponse complète était de 55% parmi les tumeurs de taille <1 cm, elle était seulement de 23% pour des diamètres > 3 cm, qui sont précisément celles dont l’exérèse chirurgicale entraine de lourdes séquelles.
Les trois autres études prospectives4,5,6 portaient sur de plus petits effectifs, pour un total de 57 patients. Les taux de réponse et le profil de tolérance étaient très similaires à ceux décrits ci-dessus. Dans l’essai Vismodegib for Orbital and Periocular Basal Cell Carcinoma (VISORB), où un traitement oral d’une durée d’un an était prévu, 79% des 34 patients inclus ont demandé à être opérés d’un reliquat lésionnel avant d’avoir atteint l’année de traitement, en raison des effets indésirables (durée moyenne de traitement : 39 semaines). Parmi l’ensemble des patients opérés post vismodegib, la pièce opératoire ne montrait chez 67% d’entre eux aucun résidu tumoral histologique, et chez 22% un reliquat tumoral retiré avec des marges saines.
Nous mentionnerons une seule étude rétrospective, qui a étudié les reliquats tumoraux opérés, et a identifié des signes de maladie active même en cas d’anatomopathologie négative, via le séquençage de l’ARN. De plus, de nouvelles mutations dans la voie Hedgehog ont été retrouvées sur ces échantillons, dont certaines peuvent entrainer une résistance au vismodegib et aux autres inhibiteurs de Hedgehog comme le sonidegib.7
Les effets indésirables les plus fréquemment décrits comme l’alopécie, les spasmes, la dysgueusie, la perte d’appétit, impactent la qualité de vie sans menace vitale. Néanmoins, il existait un cas d’hépatotoxicité sévère, et un cas de sepsis possiblement imputable au traitement et ayant entrainé le décès du patient. Combiné au fait que la maladie rechute dans au moins un tiers des cas traités, et que son coût est estimé aux USA à 7500 USD par mois, la balance bénéfice/risque du vismodegib doit donc être sérieusement discutée avec le patient avant toute prescription.

Les auteurs livrent ici une revue de la littérature très précise sur ce sujet. On peut néanmoins souhaiter que cette synthèse soit suivie de véritables recommandations, y compris au niveau européen, afin de codifier la stratégie thérapeutique pour ces patients. Un outil absolument pas évoqué par les auteurs est la radiothérapie, très utile pour les cas très avancés et non opérables, en alternative à la chirurgie. Un schéma thérapeutique commençant par le vismodegib néoadjuvant, suivi d’une radiothérapie du reliquat, mériterait d’être évalué dans un essai prospectif, puis encadré par des recommandations formelles.

1) Sekulic A, Migden MR, Basset-Seguin N, et al. Long-term safety and efficacy of vismodegib in patients with advanced basal cell carcinoma: final update of the pivotal Erivance BCC study. BMC Cancer. 2017
2) Ben Ishai M, Tiosano A, Fenig E, et al. Outcomes of vismodegib for periocular locally advanced basal cell carcinoma from an open-label trial. JAMA Ophthalmol. 2020. 
3) Tiosano A, Ben-Ishai M, Fenig E, et al. The initial rate of tumour response to vismodegib treatment can predict a complete response outcome for periocular LA-BCC. Eye (Lond). 2023 
4) Wong KY, Fife K, Lear JT, et al. Vismodegib for locally advanced periocular and orbital basal cell carcinoma: a review of 15 consecutive cases. Plast Reconstr Surg Glob Open. 2017 
5) Gonzalez AR, Etchichury D, Gil ME, Del Aguila R. Neo- adjuvant vismodegib and Mohs micrographic surgery for locally advanced periocular basal cell carcinoma. Ophthalmic Plast Reconstr Surg. 2019
6) Kahana A, Unsworth SP, Andrews CA, et al. Vismodegib for preservation of visual function in patients with advanced periocular basal cell carcinoma: the VISORB trial. Oncologist. 2021
7) Unsworth SP, Tingle CF, Heisel CJ, et al. Analysis of residual disease in periocular basal cell carcinoma following hedgehog pathway inhibition: follow up to the VISORB trial. PLoS One. 2022 
EJ Wladis, VK Aakulu, MR Vagefi et al. Oral Hedgehog Inhibitor, Vismodegib, for Locally Advanced Periorbital and Orbital Basal Cell Carcinoma. A Report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmology. October 2024.

Reviewer : Alexandre Matet, thématiques : Orbito-palpébral, Cancérologie



Sous-conjonctivale de triamcinolone en traitement unique de l’inflammation postopératoire de la chirurgie de cataracte

Le traitement post-opératoire après chirurgie de cataracte est indispensable, mais les études montrent qu’il est très souvent mal suivi en raison de problèmes d’observance, de compréhension, ou encore de technique d’instillation des collyres chez des patients pas toujours rompus à l’exercice. Pour résoudre ces problèmes, des collègues du « Kaiser Permanente Northern California », ont commencé dès 2008 à substituer le traitement postopératoire classique (collyres corticoïdes et collyres aux AINS) par une injection sous-conjonctivale d’acétonide de triamcinolone (SCTA), à raison de 0,05mL d’une solution à 40mg /ml soit 2mg, que plusieurs équipes avaient déjà rapporté comme aussi efficace que le régime classique.

Dans une première étude parue en 2015, ils montraient que les patients traités par SCTA présentaient des fréquences d’uvéite antérieure et d’œdème maculaire postopératoire (OMP) identiques aux patients traités par collyre corticoïdes seuls (en l’occurrence, un collyre de prednisolone, plus utilisé aux USA que la dexaméthasone dans cette indication), mais une fréquence d’OMP supérieure de 50% par rapport aux patients traités par une combinaison de collyres aux corticoïdes et aux AINS. 

C’est pour cette raison que les mêmes auteurs rapportent ici les résultats d’une très grande étude rétrospective comparant plusieurs doses / concentrations de triamcinolone aux traitements conventionnels. Six groupes étaient constitués sur la cohorte de 69 832 patients (seul le premier œil opéré était inclus) : 
- 1 à 3 mg (petite dose) de triamcinolone délivrée par SCTA concentrée à 10 mg/ml (N= 5 609)
- 3 à 5 mg (grosse dose) délivrés par SCTA concentrée à 10 mg/ml (N= 3 890)
- 1 à 3 mg (petite dose) délivrés par SCTA concentrée à SCTA 40 mg/ml (N= 1 717)
- 3 à 5 mg (grosse dose) délivrés par SCTA concentrée à 40 mg/ml (N= 677)
- traitement par collyre d’acétate de prednisolone à 1% (PA) seul à une posologie non précisée (N= 32 509)
- traitement par PA + AINS (N = 24 530)
Les SCTA étaient toujours réalisées en inférieur à 6-8mm du limbe. 

Des analyses multivariées complexes et exhaustives étaient réalisées avec comme principaux effets analysés : l’apparition d’un OMP, d’une uvéite antérieure, et les effets indésirables liés au glaucome (en résumé : augmentation pressionnelle significative, et/ou procédure médicale ou chirurgicale anti glaucomateuse ayant dû être réalisés en postopératoire).  
De manière synthétique, l’OMP, l’uvéite antérieure et les EI liés au glaucome sont survenus respectivement sur 1,3%, 0,8%, et 3,4% des yeux ayant reçu un traitement topique (PA ou PA + AINS), et 0,8, 0,5 et 2,8% des groupes injectés. Dans l’analyse multivariée ayant le groupe PA comme référence, le risqué relative d’OMP était plus bas dans le groupe PA + AINS (RR = 0,88, IC = 0,74-1,04, p=0,135) tandis qu’il était encore plus bas dans tous les groupes injectés, avec le groupe grosse dose-SCTA 10 mg/ml atteignant le seuil de significativité (RR = 0,64, IC95% = [0,43 ; 0,97], p=0,033). Une tendance à une moindre fréquence d’uvéite antérieure postopératoire était observée dans les deux groupes SCTA 40mg/ml. Concernant les effets indésirables liés au glaucome (hypertonie de novo ou échappement d’un patient sous traitement), le RR était significativement inférieur à la référence (PA) dans le groupe SCTA 10 mg/ml petite dose, similaire dans le groupe SCTA 10 mg/ml grosse dose et significativement supérieurs dans les groupes SCTA 40 mg/ml petite et grosse dose (RR 1,46 et 2,14, respectivement). 
Notons enfin que les fréquences des patients hypertones ou glaucomateux en préopératoire étaient 2 à 3 fois moindres dans les groupes injectés que dans les groupes ayant reçus un traitement topique, témoignant du bon sens et de la prudence légitime des opérateurs. 
Cette étude, certes rétrospective mais bien conçue, et bénéficiant d’effectifs de grande taille, a permis de déterminer que le groupe SCTA 10 mg/ml grosse dose (soit 3 à 5 mg) était associée à une diminution du risque d’OMP comparable à celle de l’association PA + AINS avec un taux d’effets indésirables liés au glaucome similaire. 
Pour conclure, l’injection sous-conjonctivale de triamcinolone offre une alternative très intéressante chez les patients chez qui des problèmes d’observance sont probables. Il est toutefois préférable d’éviter cette technique chez les patients hypertone (ou glaucomateux, a fortiori) car nous ne disposons en France que de la formulation à haute concentration (40mg/mL). 

1) Shorstein NH, Liu L, Waxman MD, Herrinton LJ. Compara- tive effectiveness of three prophylactic strategies to prevent clinical macular edema after phacoemulsification surgery. Ophthalmology. 2015;122:2450e2456. 

Shorstein NH, McCabe SE, Alavi M, Kwan ML, Chandra NS. Triamcinolone acetonide subconjunctival injection as stand-alone inflammation prophylaxis after phacoemulsification cataract surgery. Ophthalmology. 2024 Oct;131(10):1145-1156. 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : cataracte. 


L’effet protecteur des implants jaunes sur la progression de la DMLA atrophique 

Plusieurs éléments, directs ou indirects sont en faveur d’un effet délétère de la lumière bleue sur la macula, et en particulier sur le développement de formes atrophiques de DMLA : i) in vitro, les longueurs d’onde bleues entrainent une apoptose des cellules de l’épithélium pigmenté ii) une très grand étude épidémiologique, la Beaver Dam Study, a montré que les activités en extérieur et l’exposition au soleil dans les premières années de vie constituait un facteur de risque et enfin iii) les patients plus exposés aux lumières visibles, notamment bleues, sont plus à risque de développer la maladie. A l’opposé, la lumière bleue est utile pour réguler le rythme nycthéméral via l’effet des cellules ganglionnaires à mélanopsine sur la sécrétion de la mélatonine.  

Les implants filtrant la lumière bleue (ICPBF, ou implants jaunes, qui représentent aujourd’hui un quart des implants posés), ont été conçus sur ce rationnel : ils absorbent les longueurs d’ondes bleue comprises entre 400 et 460nm. Les données concernant leur effet protecteur vis-à-vis de la DMLA sont équivoques :  une grande étude de cohorte récente n’a pas démontré d’effet contre la survenue et la progression des formes néovasculaires1 (DMLAN), tandis que les données cliniques sur les formes atrophiques (DMLAA) ne permettent pas de trancher.2 Par ailleurs, les ICPBF pourraient avoir des effets négatifs sur le sommeil, mais seraient associés à une moindre prévalence des douleurs oculaires post-opératoires.3
En outre, aucune donnée n’était jusqu’à présent disponible sur les formes mixtes, et en particulier sur l’effet de ces implants sur le développement et la progression de l’atrophie maculaire chez les patients atteints de DMLAN, une problématique de plus en plus prégnante depuis l’introduction des anti-VEGF. C’est l’objet de l’étude d’une équipe finlandaise spécialisée sur le sujet, publiée dans le numéro d’octobre de l’American Journal of Ophthalmology. 

Cette étude de cohorte incluait des patients atteints de DMLAN traités par IVT d’anti-VEGF (un œil par patient) ayant bénéficié d’une chirurgie de cataracte entre 2007 et 2018, et suivis jusqu’en 2023. Les taux de progression de l’atrophie après chirurgie (en mm2/an), déterminées manuellement de façon masquée sur les OCT itératifs, ont été comparés entre les yeux ayant reçu des implants filtrant la lumière bleue (ICPFB) et les autres (ICP non-FB). Les auteurs évaluaient le risque global de développer une atrophie maculaire et l’effet du type d’implant sur la progression de la maladie. 

Un total de 373 yeux de 373 patients a été inclus (âge moyen au moment de la chirurgie : 78,6 ± 6,7 ans), comportant 206 yeux implantés avec des ICPFB, et 167 yeux implantés avec des ICP non-FB. Les paramètres des 2 groupes étaient comparables (durées de suivi, âge, sexe, acuité visuelle corrigée, épaisseur maculaire, nombre cumulé d’injections anti-VEGF). Une atrophie maculaire était présente à l’inclusion sur 9 yeux tandis que 77 nouveaux cas étaient diagnostiqués pendant le suivi, avec une distribution similaire entre les deux groupes. Les analyses univariée de Kaplan-Meier (P = 0,366) et multivariée par régression de Cox, ajustées pour l’âge et le sexe, n’ont pas mis en évidence de différence entre les groupes concernant le risque de développement d’une nouvelle atrophie maculaire (hazard ratio [HR], 1,236 ; IC95 % [0,784 ; 1,949] ; P = 0,363). En revanche, la surface d’atrophie maculaire lors de la dernière visite était plus limitée dans le groupe ICPFB (5,1 ± 4,7 mm² vs 8,56 ± 9,17 mm², p = 0,028), avec progression moindre de la surface d’atrophie (0,78 ± 0,84 mm² vs 1,26 ± 1,32 mm², respectivement, p = 0,042).
En résumé, chez des patients traités par anti-VEGF pour DMLAN, les ICPFB ne diminuaient ni l’incidence, ni le délai avant survenue de l’atrophie maculaire mais en diminuait le taux de progression. Certains aspects de cette étude sont cependant discutables : 
- cohorte rétrospective avec allocation de l’implant choisie par le chirurgien (et donc potentiellement influencé par le tableau clinique), 
- analyse de l’atrophie par OCT (moins sensible que la mesure sur clichés en autofluorescence), - potentiels biais environnementaux (génétique, consommation de toxiques), et étude réalisée en Finlande, ou l’exposition au soleil n’est pas représentative de celle rencontrée sous d’autres latitudes.

Par conséquent, ces résultats qui vont dans le sens d’une utilité des ICPBF dans ces situations devront être confirmés par d’autres études.

1) Achiron A, Elbaz U, Hecht I, Spierer O, Einan-Lifshitz A, Karesvuo P, Laine I, Tuuminen R. The Effect of Blue-Light Filtering Intraocular Lenses on the Development and Progression of Neovascular Age-Related Macular Degeneration. Ophthalmology. 2021 Mar;128(3):410-416.

2) Vagge A, Ferro Desideri L, Del Noce C, Di Mola I, Sindaco D, Traverso CE. Blue light filtering ophthalmic lenses: A systematic review. Semin Ophthalmol. 2021 Oct 3;36(7):541-548. 

3) Ayaki M, Negishi K, Suzukamo Y, Tsubota K. Color of in- tra-ocular lens and cataract type are prognostic determinants of health indices after visual and photoreceptive restoration by surgery. Rejuvenation Res. 2015;18:145–152. 

Achiron A, Trivizki O, Knyazer B, Elbaz U, Hecht I, Jeon S, Kanclerz P, Tuuminen R. The effect of blue-light filtering intraocular lenses on the development and progression of macular atrophy in eyes with neovascular age-related macular degeneration. Am J Ophthalmol. 2024 Oct;266:135-143. 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : rétine médicale.


La technique de Deshmukh : une nouvelle solution pour décompresser les cataractes blanches intumescentes

Les cataractes blanches peuvent constituer un réel défi pour le chirurgien de la cataracte en raison du risque plus élevé de complications peropératoires. Parmi les complications particulièrement redoutées, le risque de déchirure capsulaire est important (signe du drapeau argentin) notamment lorsque le cristallin est intumescent (1). Cette éventualité est liée à un gradient de pression trop élevé entre le sac capsulaire et la chambre antérieure : l’augmentation du volume cristallinien mène inexorablement à une augmentation importante de la pression intracapsulaire. Ce phénomène peut conduire à des capsulorhexis qui « filent » de façon instantanée. Ces déchirures peuvent fortement compliquer la chirurgie, en particulier en cas d’extension à la capsule postérieure. 

Différentes techniques ont été développées pour diminuer l’amplitude du gradient de pression trans-capsulaire en peropératoire : ponction/aspiration à l’aiguille 25 Gauges, capsulorhexis sous infusion de chambre antérieure, ou encore ponction/aspiration directe au phacoémulsificateur (ou phaco-capsulotomie). Ces techniques sont plus ou moins efficaces selon les cataractes et l’expérience du chirurgien (2-4). Dans un article publié par l’American Journal of Ophthalmology, Deshmukh et al. proposent une technique originale pour diminuer l’incidence des déchirures capsulaires antérieures en cas de cataracte blanche et intumescente. 

La technique repose sur l’utilisation d’une pièce à main bimanuelle d’irrigation aspiration (I/A) :
-    l’irrigation est placée en chambre antérieure et permet, grâce à une hauteur de bouteille élevée, de diminuer fortement le gradient de pression trans-capsulaire ;
-    la sonde d’aspiration est branchée à une aiguille 25 Gauges qui permet de réaliser une microponction de la capsule antérieure et une aspiration progressive et contrôlée de la matière corticale antérieure liquéfiée.

La technique de Deshmukh aurait l’avantage, par rapport aux techniques décrites auparavant, d’agir sur les 2 composants du gradient trans-capsulaire, et ainsi, de diminuer le risque d’extension de l’ouverture capsulaire. Ensuite, le capsulorhexis peut théoriquement être réalisé de façon conventionnelle après injection d’un produit viscoélastique. Dans leur publication, les auteurs spécifient que cette méthode a été réalisée sur 75 cas consécutifs sans complication majeure. Une telle technique semble donc une option ingénieuse pour la prévention des complications des chirurgies des cataractes blanches. 

1-    Gimbel HV, Willerscheidt AB. What to do with limited view: the intumescent cataract. J Cataract Refract Surg. 1993 Sep;19(5):657-61.
2-    Kodavoor SK, Deb B, Ramamurthy D. Cannula-vacuum continuous curvilinear capsulorhexis: Inexpensive technique for intumescent total cataract. J Cataract Refract Surg. 2019 Jul;45(7):899-902.
3-    Genç S, Güler E, Çakır H, Özertürk Y. Intraoperative complications in intumescent cataract surgery using a phaco capsulotomy technique. J Cataract Refract Surg. 2016 Aug;42(8):1141-5.
4-    Ucar F. Spiral capsulorhexis technique with anterior chamber maintainer under continuous fluid pressure in intumescent cataracts and its clinical outcomes. J Fr Ophtalmol. 2022 Nov;45(9):1024-1030.

Deshmukh R, Myers S. Automated Bimanual Decompression of Intumescent Cataract: Alternate Solution for Challenging Cases. Am J Ophthalmol. 2024 Oct;266:e1-e2.

Reviewer: Paul Bastelica, thématique : cataracte. 



L’OCT ROTA : Qu’est-ce que c’est ? Quel intérêt ?  

L’OCT ROTA (RNFL optical texture analysis) a été développé par l’équipe de Christopher Leung (LKS Faculty of Medicine, Hong Kong) il y a seulement quelques années, afin de détecter les pertes en faisceaux de fibres axonales sur de larges zones rétiniennes. Il utilise un algorithme intégrant les mesures de l'épaisseur du RNFL et de la réflectance, acquises par OCT à large champ, pour définir la trajectoire et la texture optique des faisceaux de fibres axonales dans la rétine. Les images obtenues sont à la fois plus informatives que de simples rétinophotographies pour la visualisation des faisceaux de fibres axonales, et donnent également des informations complémentaires sur les faisceaux d’axones situés à distance de la macula et de la papille par rapport aux mesures tomographiques d’épaisseurs que sont le RNFL et le GCC. Dans un travail préliminaire, il a été montré que l'analyse de l’OCT ROTA était très sensible et spécifique pour la détection des neuropathies optiques (1). Bien que cette technologie soit encore nouvelle, elle pourrait intégrer l’arsenal diagnostique de nombreuses neuropathies optiques. Plus spécifiquement, sa place reste à définir dans la prise en charge du glaucome. 

Afin de préciser les implications cliniques du ROTA, l’équipe de C. Leung a réalisé une étude visant à déterminer l’association entre les déficits des faisceaux papillomaculaire (FPM) et papillofovéal (FPF) détectés par ROTA, et les anomalies du champ visuel (CV) central (10 degrés centraux). Les participants ont réalisé des CV Humphrey 24-2 et 10-2 ainsi qu’une OCT RNFL et GCC grand champ destinée à l’analyse ROTA. Les investigateurs ont ensuite tracé manuellement les déficits en faisceaux de fibres axonales. Au total, 841 yeux de 442 participants ont été inclus : 144 sains, 317 glaucomateux pré-périmétriques (GPP), c’est à dire sans atteinte sur le CV 24-2, et enfin 380 glaucomateux avec atteinte du CV 24-2. Sur les 380 yeux glaucomateux, 371 (97,6 %) présentaient des déficits maculaires ROTA. Il existait une très forte concordance topographique entre les déficits fasciculaires RNFL identifiés par ROTA et les déficits campimétriques sur les CV 10-2. Par ailleurs, dans le groupe GPP, 60 yeux (18,9 %) présentaient des déficits du CV 10-2 (malgré un CV 24-2 strictement normal). De manière très intéressante, 34 des 39 (87,2 %) yeux qui présentaient des anomalies ROTA des FPF et FPM présentaient également des atteintes du CV 10-2, toutes cohérentes sur le plan topographique. Dans la population entière, le risque de présenter un déficit du CV 10-2 en présence d’un déficit ROTA des FPM/FPF était très important (Odds ratio = 18,61 ; Intervalle de confiance à 95% : 17,72 ; 19,55 ; p < 0,001). 

L’atteinte de l’OCT ROTA semble donc être associée et concordante avec les anomalies du CV 10 2. La détection de ces déficits campimétriques est cruciale dans le glaucome, puisqu’ils peuvent impacter la qualité visuelle des patients atteints. Les résultats de cette étude suggèrent que l’OCT ROTA pourrait permettre de dépister ces déficits en OCT chez les patients glaucomateux, notamment chez les sujets atteints de formes précoces chez qui les atteintes centrales du CV pourraient être plus fréquentes qu’on ne le pense. D’autres études permettront sans doute de clarifier les multiples rôles que pourraient jouer l’OCT ROTA dans notre pratique. 

1-    Leung CKS, Lam AKN, Weinreb RN, Garway-Heath DF, Yu M, Guo PY, Chiu VSM, Wan KHN, Wong M, Wu KZ, Cheung CYL, Lin C, Chan CKM, Chan NCY, Kam KW, Lai GWK. Diagnostic assessment of glaucoma and non-glaucomatous optic neuropathies via optical texture analysis of the retinal nerve fibre layer. Nat Biomed Eng. 2022 May;6(5):593-604.


Kamalipour A, Moghimi S, Khosravi P, Tansuebchueasai N, Vasile C, Adelpour M, Gunasegaran G, Nishida T, Zangwill LM, Lam AKN, Leung CKS, Weinreb RN. Retinal Nerve Fiber Layer Optical Texture Analysis and 10-2 Visual Field Assessment in Glaucoma. Am J Ophthalmol. 2024 Oct;266:118-134.

Reviewer: Paul Bastelica , thématiques : imagerie, glaucome.