Revue de la presse de septembre 2023

Revue de la presse de septembre 2023

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


 

Essai MERIT dans l’œdème maculaire post uvéite non-infectieuse : l’implant de dexaméthasone fait mieux que le méthotrexate ou ranibizumab

L’œdème maculaire est une des causes principales de baisse visuelle après une uvéite, il résulte d’une rupture prolongée des barrières hémato rétiniennes, et peut persister ou rechuter même une fois l’épisode uvéitique résolu. Le traitement classique repose sur la corticothérapie, topique, orale ou intravitréenne. Depuis des décennies, les corticostéroïdes sont en effet la pierre angulaire du traitement des inflammations intraoculaires, en particulier des uvéites non-infectieuses. Néanmoins, ils entrainent de nombreuses complications bien connues, systémiques (rétention hydrosodée, diabète, ostéoporose…) ou oculaires (cataracte, hypertonie…). La recherche de stratégies thérapeutiques innovantes, avec les mêmes effets anti-inflammatoires mais sans ces effets indésirables, est donc toujours d’actualité. Les auteurs de cette étude ont souhaité étudier deux alternatives intravitréennes comparées à l’implant de dexaméthasone, traitement standard actuel, dans l’œdème maculaire récurrent ou persistent post uvéite non-infectieuse.

Dans cet essai multicentrique à trois bras, des patients atteints d’œdème maculaire à la suite d’une uvéite non-infectieuse, inactive ou faiblement active, ont été randomisés 1:1:1 pour recevoir en intravitréen un implant de dexaméthasone (DEX), des injections de méthotrexate (MTX) ou de ranibizumab (RZB). L’uvéite pouvait être antérieure, intermédiaire ou postérieure. Les patients participants et les praticiens n’étaient pas masqués, mais les personnes mesurant l’acuité visuelle et celles chargées de l’analyse des images au sein d‘un centre de lecture l’étaient. Pour être inclus, les patients devaient avoir reçu précédemment une injection intravitréenne de corticoïdes (triamcinolone ou dexaméthasone) suivie d’une rechute ou d’une persistance de l’œdème maculaire.
Les schémas de traitement consistaient en une injection initiale, suivie de possibles retraitements, en cas de logettes cystoïde centrales ou d’épaisseur maculaire centrale supérieure de 10% à la moyenne + 2 déviations standard des 2 machines OCT utilisées (fixée à 300 µm pour l’OCT Cirrus et 320 µm pour l’OCT Spectralis).
Pour l’implant de dexaméthasone, le retraitement pouvait être administré à 8 semaines. Ce délai a été établi sur la base de l’étude POINT,1 qui avait montré la supériorité de l’implant de dexaméthasone sur la triamcinolone intravitréenne ou péri-oculaire, avec un effet maximal à 8 semaines). Pour le méthotrexate, un retraitement était autorisé à 4 et 8 semaines si nécessaire. Pour le ranibizumab, le schéma consistait en 3 injections fixes à 0, 4 et 8 semaines. Le critère de jugement principal était le changement d’épaisseur maculaire centrale à 12 semaines. 
L’analyse finale a portée sur 65, 65 et 64 yeux inclus dans chaque groupe (DEX, MTX et RZB) sur 33 centres aux États-Unis, Canada, Inde, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande. Sur l’ensemble de la cohorte, la durée moyenne de l’uvéite était de 4,3 ans à l’inclusion (avec cependant une grande variabilité, de 0 à 37 ans).
A 12 semaines, les 3 groupes présentaient une diminution significative de l’épaisseur maculaire centrale par rapport à l’état initial, de -35% (DEX), -11% (MTX) et -22% (RZB) (différence intergroupe significative en faveur du groupe DEX). Parmi les critères secondaires, l’acuité visuelle était significativement améliorée à 4, 8 et 12 semaines uniquement dans le groupe DEX. Le taux d’hypertonies modérées (> 24 mmHg) ou sévères (> 30 mmHg) était supérieur dans le groupe DEX (différence statistiquement significative uniquement pour les hypertonies modérées). 
Si cette étude conclut indiscutablement à une efficacité supérieure à court terme de l’implant de dexaméthasone, on regrette que le suivi ait été limité à 12 semaines, d’autant que les corticoïdes ont des effets anti-inflammatoires et de stabilisation des barrières hémato-rétiniennes rapides et puissants mais de durée limitée, et qu’on attend précisément d’un traitement anti-inflammatoire non stéroïdien qu’il prolonge cet effet initial sur le moyen et long terme. 
Ce suivi court limite la portée clinique des conclusions pratiques à tirer pour cette indication particulière, par définition chronique et elle ne permet pas non plus d’évaluer le risque de complications semi-tardives, comme la cataracte et le glaucome. Il est probable que cette première publication soit suivie d’autres avec un plus long suivi.
Par ailleurs, les patients avaient reçu précédemment une ou plusieurs injections intravitréennes de corticoïdes (DEX ou triamcinolone), et selon des schémas variables. Un schéma d’injection initiale de dexaméthasone avec relais par anti-VEGF ou méthotrexate aurait pu apporter plus d’enseignements applicables en « vie réelle ». On peut également souligner la diversité des étiologies des uvéites regroupées dans l’étude. Enfin, outre les traitements intravitréens de l’étude, les patients pouvaient recevoir de façon simultanée une corticothérapie orale ou un traitement immunosuppresseur, induisant un potentiel biais de co-traitement. Mais ce biais était limité par la faible dose de corticothérapie autorisée (<10 mg/jour) et le fait que la dose d’immunosuppresseur devait être stabilisée depuis 4 semaines.

 

1. Thorne JE, Sugar EA, Holbrook JT, et al. Periocular triamcinolone vs. intravitreal triamcinolone vs. intravitreal dexamethasone implant for the treatment of uveitic macular edema: the PeriOcular vs. INTravitreal corticosteroids for uveitic macular edema (POINT) Trial. Ophthalmology. 2019;126(2):283e295.

Multicenter Uveitis Steroid Treatment Trial (MUST) Research Group, Acharya NR, Vitale AT, Sugar EA, Holbrook JT, Burke AE, Thorne JE, Altaweel MM, Kempen JH, Jabs DA. Intravitreal therapy for uveitic macular edema-ranibizumab versus methotrexate versus the dexamethasone implant: The MERIT trial results. Ophthalmology. 2023 Sep;130(9):914-923.

 

Reviewer: Alexandre Matet, thématique : rétine, inflammation

 


 

Répartition par genre dans les sous-spécialités ophtalmologiques aux USA

Il n’est pas étonnant que ce soit aux États-Unis, pays pionnier des « gender studies », champ de recherche sur les liens sociaux entre les genres, que des auteurs se soient penchés sur la démographie hommes/femmes en ophtalmologie. Des travaux toujours plus nombreux interrogent sur l’influence du genre, du point de vue historique, démographique, social, managérial, dans les systèmes de santé, avec en toile de fond la problématique de la liberté de spécialisation et de l’accès historiquement restreint des femmes aux postes hiérarchiques, des disparités de revenus, et des solutions pour atteindre une parité sur ces critères, et de nombreux autres.1
Cette étude descriptive est basée sur le registre national de certification des ophtalmologistes aux États-Unis (American Board of Ophthalmology), dont les données de 1992 à 2020 ont été analysées. Actuellement, sur 12844 ophtalmologistes en exercice, 37% sont des femmes. Parmi les internes en formation, la proportion de femmes monte à 41%, suggérant une légère progression, encore insuffisante pour parvenir à la parité dans la spécialité. Par comparaison, d’autres spécialités sont beaucoup moins paritaires, avec aux deux extrêmes la gynécologie-obstétrique (86% de femmes) et l’orthopédie (16% de femmes). 
Parmi ces 12844 ophtalmologistes, 47% ont déclaré exercer une activité principale dans une sous-spécialité de la discipline, autre que « cataracte » ou « ophtalmologie générale ». Parmi ces ophtalmologistes spécialisés, 65% sont des hommes. Si dans les années 1990, moins d’un tiers des ophtalmologistes diplômés déclarant une sous-spécialisés étaient des femmes, elles étaient la moitié en 2020, montrant une tendance à l’équilibre.
Concernant les sous-spécialités déclarées, on observe un relatif équilibre homme/femme dans la plupart des domaines, sauf dans quelques domaines déséquilibrés, comme la chirurgie vitréorétinienne (20% de femmes), la chirurgie réfractive (14% de femmes), l’ophtalmo-pédiatrie/strabisme (58% femmes), ou l’anatomopathologie oculaire (71% femmes).
Parmi les raisons multifactorielles dans le choix d’une sous-spécialité, les auteurs évoquent l’accès à une spécialisation via le système très cadré du fellowship (post-internat équivalent à l’assistanat français), qui pourrait expliquer partiellement ces différences. Mais les auteurs ont utilisé un registre anonymisé et n’avaient pas de données sur la formation de chaque médecin. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que les femmes restent minoritaires parmi les auteurs de publications, les membres de comités éditoriaux,2 les orateurs en congrès,3 et les positions managériales dans la discipline,4 ce qui peut limiter l’inspiration insufflées aux jeunes consœurs par les mentors et figures modèles. De même il a été observé sur des enquêtes que les femmes bénéficient de moins d’opportunités de formation chirurgicale et d’autonomisation lors de leur formation.5 

L’équilibre femmes/hommes a donc progressé dans de nombreuses sous-spécialités ophtalmologiques sur les trois dernières décennies aux USA, mais pas de façon uniforme. Une étude semblable mériterait d’être menée en Europe. Des progrès non seulement quantitatifs mais aussi qualitatifs restent à accomplir, notamment en termes d’opportunités de formation, de positions hiérarchiques, ou de revenus. 

1. Theobald S, Morgan R, Hawkins K, Ssali S, George A, Molyneux S. The importance of gender analysis in research for health systems strengthening. Health Policy Plan. 2017 Dec 1;32(suppl_5):v1-v3
2. Kalavar M, Watane A, Balaji N, et al. Authorship gender composition in the ophthalmology literature from 2015 to 2019. Ophthalmology. 2021;128(4):617–619
3. Patel SH, Truong T, Tsui I, Moon JY, Rosenberg JB. Gender of presenters at ophthalmology conferences between 2015 and 2017. Am J Ophthalmol. 2020;213:120–124
4. Shah DN, Volpe NJ, Abbuhl SB, Pietrobon R, Shah A. Gender characteristics among academic ophthalmology leadership, faculty, and residents: results from a cross-sectional survey. Ophthalmic Epidemiol. 2010;17(1):1-6 
5. Gong D, Winn BJ, Beal CJ, et al. Gender differences in case volume among ophthalmology residents. JAMA Ophthalmol. 2019;137(9):1015–1020

 

Benjamin J. Steren, Philina Yee, Paola A. Rivera, Shu Feng, Kathryn Pepple, And Ninani Kombo. Gender distribution and trends of ophthalmology subspecialties, 1992-2020. Am J Ophthalmol 2023;253: 22–28.

 

Reviewer: Alexandre Matet, thématique : épidémiologie, sociologie

 


 

Chirurgie de la cataracte : l’IA pour prédire le risque de rupture capsulaire ? 

L’avènement de la phacoémulsification extra-capsulaire a révolutionné la prise en charge chirurgicale de la cataracte, en augmentant le potentiel de récupération visuelle et en diminuant le taux de complications per et post opératoires. Aujourd’hui, le pronostic visuel des patients opérés de la cataracte peut être grevé, entre autres, par la survenue d’une rupture capsulaire postérieure (RCP), complication rare potentiellement responsable de complications secondaires invalidantes comme l’œdème maculaire d’Irvin Gass ou le décollement de rétine. Depuis quelques années, des scores de risque de RCP ont été développés afin d’alerter le chirurgien, d’adapter les techniques opératoires et d’améliorer la communication des risques aux patients (1). L’article de Ron J. M. A. Triepels et al. publié dans la revue Acta Ophthalmologica nous présente les résultats d’une étude diagnostique évaluant les performances de trois classificateurs de risque développés par apprentissage automatique (ou deep learning). 

Trois algorithmes intelligents, utilisant trois approches mathématiques différentes (réseau bayésien, modèle de régression logistique, et perceptron multicouches) ont été éduqués et entrainés à partir de la base EUREQUO (European Registry of Quality Outcomes for Cataract and Refractive Surgery), répertoriant les données issues des opérations de la cataracte réalisées dans des centres hospitaliers de toute l’Europe entre 2008 et 2018 (démographiques, cliniques, type et caractéristiques des opérations, complications, notamment survenue d’une rupture capsulaire, et comorbidités oculaires). Chacune de ces approches permettaient de prédire la présence ou non d’une RCP lorsque celles-ci étaient mises en aveugle du statut « rupture capsulaire ». Les performances diagnostiques de ces prédictions étaient analysées par l’estimation de l’aire sous la courbe de précision-rappel (AUPRC pour area under the precision-recall curve), une méthode proche de la courbe ROC, qui permet d’évaluer les performances d’un outil diagnostique lorsque l’incidence de l’évènement d’intérêt est très basse. Plus sa valeur est proche de 1, plus l’outil est performant.

Au total, les données de 2 853 376 chirurgies de la cataracte ont ainsi été utilisées par les logiciels. Au sein de cette cohorte, l’incidence de la rupture capsulaire était de 1.1% (n = 31 749). Le perceptron multicouche est l’algorithme qui a le mieux prédit le risque de rupture capsulaire dans l'ensemble (AUPRC 13,1% ±0,41, suivi par le réseau bayésien (AUPRC 8,05% ± 0,39) et le modèle de régression logistique (AUPRC 7,31% ± 0,15). Ces performances étaient relativement basses et peu comparables à celles des scores de risque existants, classant pour la plupart le risque de RCP en plus de 2 grades (contre faible et haut risque dans cette étude). 

Les conclusions pratiques de cette étude demeurent difficiles à établir, tant en raison de l’originalité du sujet que de la méthodologie utilisée. Ces efforts dans l’estimation des risques de la chirurgie tendent à une quantification précise et reproductible du rapport bénéfice/risque évoqué avec nos patients en consultation préopératoire. La survenue d’une RCP étant toutefois soumise au facteur « humain », par essence imprédictible, de nombreuses études sont encore nécessaires pour évaluer de façon plus précise les performances de ces nouvelles technologies, avant une utilisation en pratique clinique.

1) Han JV, Patel DV, Wallace HB, Kim BZ, Sherwin T, McGhee CNJ. Auckland Cataract Study III: Refining Preoperative Assessment With Cataract Risk Stratification to Reduce Intraoperative Complications. Am J Ophthalmol. 2019 Jan;197:114-120.

Triepels RJMA, Segers MHM, Rosen P, Nuijts RMMA, van den Biggelaar FJHM, Henry YP, Stenevi U, Tassignon MJ, Young D, Behndig A, Lundström M, Dickman MM. Development of machine learning models to predict posterior capsule rupture based on the EUREQUO registry. Acta Ophthalmol. 2023 Sep;101(6):644-650.

 

Reviewer: Paul Bastelica , thématique : cataracte

 


 

Épidémiologie des kératites de l’enfant : 

Laurel B Tanke et al. proposent dans une étude publiée dans l’édition de septembre du British Journal of Ophthalmology, de préciser les caractéristiques cliniques et épidémiologiques des kératites infectieuses et inflammatoires de l’enfant et du jeune adulte, à partir d’une cohorte rétrospective monocentrique composée de l’ensemble des patients mineurs (< 19 ans) examinés entre 2000 et 2009 dans un hôpital du Minnesota (USA). La principale originalité de ce travail était d’intégrer et d’analyser les causes non infectieuses de kératites dont les caractéristiques épidémiologiques demeurent encore relativement peu connues en dehors des atteintes cornéennes d’origine immuno-allergique.

Le recueil de données a été réalisé rétrospectivement à partir d’une base de données locale. Les patients identifiés présentaient tous une atteinte cornéenne classée en : kératite infectieuse, kératite associée aux lentilles de contact (toute kératite survenant chez un patient porteur de lentille), kératite non spécifiée, ou kératite sèche. Au total, 285 cas de kératites pédiatriques ont été prise en charge dans ce centre entre 2000 et 2009, soit une incidence de 1/1292 patients. La kératite associée aux lentilles de contact était la cause la plus fréquente (45%), suivie des kératites infectieuses (24%). L’âge moyen des patients atteints était de 15,3 ans. Le sexe ratio était équilibré pour les kératites infectieuses, alors que les kératites liées au port de lentilles de contact (p=0,002), les kératites non spécifiées (p=0,04) et les kératites sèches (p=0,02) étaient significativement plus fréquentes chez les filles. Les kératites d’origine infectieuse étaient dans plus de 90% des cas unilatérales. 

Ce travail présente de nombreuses limites. En plus de son caractère monocentrique et rétrospectif, cette étude réalisée sur de faibles effectifs présente un fort biais de classement : en effet, l’incidence des kératites infectieuses a probablement été sous-estimée du fait de la probable inclusion de kératites d’origine infectieuse dans le groupe des porteurs de lentille. Par ailleurs, les kératites d’origine immuno-allergique, fréquentes en pédiatrie, n’ont pas été évaluées spécifiquement.

Dans tous les cas, ces résultats ont le mérite d’être originaux puisqu’aucune étude n’avait jusqu’ici présenté les données épidémiologiques des atteintes cornéennes de l’enfant, probablement du fait de la faible incidence de ces atteintes. 

Tanke LB, Kim EJ, Butterfield SD, Ashby GB, Bothun ED, Hodge DO, Mohney BG. Incidence and clinical characteristics of paediatric keratitis. Br J Ophthalmol. 2023 Sep;107(9):1253-1257.
 

Reviewer: Paul Bastelica, thématique : cornée, pédiatrie


 

Entrainement par simulation à la chirurgie de la cataracte : vive le système D !

La simulation chirurgicale s’impose peu à peu comme le nouveau standard pour initier et compléter la formation des internes en ophtalmologie. En effet, elle répond à la nécessité de concilier la formation des internes avec les exigences de résultats, de confort et de sécurité, bien légitimes de la part des patients, en particulier pour la chirurgie de cataracte. Dans certains pays, elle devient un préalable obligatoire avant la mise en situation des internes au bloc opératoire. En ophtalmologie, nous disposons de nombreux outils de simulation, des plus simples, comme les yeux d’animaux ou les yeux synthétiques, aux plus sophistiqués, comme les simulateurs chirurgicaux en réalité virtuelle. Des programmes de formation comportant des évaluations standardisées des étudiants sont mis au point dans de nombreux CHU du monde entier, et ont prouvé leur efficacité pour former les internes et améliorer la sécurité des patients au bloc opératoire. 

Pour la chirurgie de la cataracte, les simulateurs en réalité virtuelle permettent l’entrainement à la navigation intracamérulaire, à la manipulation des micro-instruments, au capsulorhexis, à la phako-émulsification et à la gestion de certaines complications. Toutefois, ils ne permettent pas l’apprentissage des incisions et des sutures, qui peuvent a contrario être simulées sur des yeux porcins ou des yeux artificiels. 

Un des grands défis de l’apprentissage de la chirurgie par simulation est l’accès aux simulateurs, principalement limité par le coût des machines. Dans un pays comme la Chine, où 418 structures accueillent des internes en ophtalmologie en formation, seules 12 centres (2,9%) sont équipés de simulateurs. 

Cette réalité a contraint nos collègues chinois à développer des solutions à la fois moins coûteuses, et permettant un accès au plus grand nombre d’internes, tout en satisfaisant aux exigences pédagogiques. C’est l’objet de la publication de Zhang et al. dans le numéro de septembre du British Journal of Ophthalmology qui a comparé la performance de sessions d’entrainement à la chirurgie de la cataracte (d’une durée de quatre heures) soit sur des grains de raisin sous microscope opératoire (groupe A, composé de 42 étudiants), soit sur une combinaison simulateur en réalité virtuelle (eyesi VR) + plaque de silicone pour les sutures (groupe B, composé de 41 étudiants)

La session d’entrainement avait comme objectif l’amélioration de la réalisation de 3 tâches : 
1) coordination œil-main, avec pour le groupe A, la reproduction d’un schéma très précis sur la peau du raisin à l’aide d’un feutre dermographique, suivi de l’insertion perpendiculaire d’aiguilles à certains points du schéma et pour le groupe B un exercice de navigation dans la chambre antérieure sans toucher les structures oculaires.
2) sutures : qui consistait sur le groupe A à suturer par 3 points de nylon 10/0, 2 demi-raisins de couleurs différentes, et pour le groupe B à réaliser 3 points de 10/0 sur une plaque de silicone. 
3) capsulorhexis circulaire : qui dans le groupe A était réalisé sur la peau du raisin, où le marquage d’un diamètre de 6mm était préalablement effectué, et dans le groupe B à l’aide du simulateur. 
Cette formation était suivie d’une évaluation sur des yeux porcins, comportant une épreuve de suture cornéenne et une épreuve de capsulorhexis, dont la réalisation était évaluée par un enseignant selon une grille très précise. Par ailleurs, les étudiants devaient remplir un questionnaire sur leur sentiment de confiance en eux après la formation. Enfin, l’étude comportait un volet économique comparant le coût globaux des 2 modalités d’entrainement.
Les résultats de l’évaluation étaient globalement similaires entre les groupes sur les épreuves de suture et de rhexis. De même, il n’y avait pas de différence significative entre les 2 groupes en matière de confiance en soi pour pratiquer la chirurgie après la formation. Toutefois, l’analyse des questionnaires révélait que les étudiants du groupe A étaient significativement plus enclins à renouveler les séances d’entrainement ou à passer plus de temps en formation que ceux du groupe B. 

Quant au coût des deux formations, ils étaient sans surprise : l’achat des raisins pour l’ensemble des formations revenait à 56 €, alors que le prix du simulateur est d’environ 100 000 €. Si on prend en compte que la machine n’est pas à usage unique, contrairement aux raisins, on peut aussi calculer qu’une machine devient « rentable » dans ce contexte à partir de sa 1786ème séance …Le coût du fonctionnement du wetlab était calculé en fonction du nombre d’heures d’entrainement nécessaires à la formation des internes. Le wetlab étant équipé de 8 stations chirurgicales (avec microscope opératoire), l’entrainement de l’ensemble des étudiants du groupe A requérait 24 heures de wetlab, évaluées à 270 €, alors que l’entrainement du groupe B, sur le seul simulateur disponible, nécessitait 164 heures de wetlab, évaluées à 1840 €. 

Au total, cette étude démontre qu’un programme de simulation de la chirurgie de la cataracte à bas coût, basé sur l’utilisation de raisins, peut donner des résultats comparables à celui effectué sur un simulateur en réalité virtuelle, en termes de formation des internes à la chirurgie de la cataracte. Même si tous les aspects de la simulation n’ont pas été testés (le fait de travailler en bimanuelle dans un espace fermé, l’apprentissage du niveau d’appui sur la pédale pour régler l’aspiration et les ultrasons, etc..), cette innovation constitue une très belle perspective pour les très nombreux pays qui ne peuvent pas garantir l’accès aux techniques de simulation les plus coûteuses à tous leurs internes.

Zhang Z, Li S, Sun L, Yan W, Huang L, Lu J, Wang Q, Li M, Zheng D, Liu Y, Ding X. Skills assessment after a grape-based microsurgical course for ophthalmology residents: randomised controlled trial. Br J Ophthalmol. 2023 Sep;107(9):1395-1402. 
 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : cataracte, pédagogie