Revue de la presse de septembre 2024
Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle
Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.
Les implants trabéculaires à base d’analogue des prostaglandines sont-ils sûrs et efficaces ?
La réduction de la pression intraoculaire (PIO) demeure actuellement le seul traitement efficace pour prévenir la progression du glaucome. Le traitement de première intention repose sur les hypotonisants topiques, mais l'observance des patients n’est pas toujours au rendez-vous... Pour pallier ce problème, des implants intraoculaires à libération prolongée ont été développés. Ces derniers s’injectent au bloc opératoire par voie ab interno au niveau du trabéculum sous contrôle gonioscopique. Ils offrent une alternative prometteuse, en délivrant le médicament directement dans l'œil, éliminant ainsi les problématiques liées à l'observance. À cet effet, des implants intraoculaires à base de travoprost sont en cours d’évaluation sous deux formes, à libération rapide (LR) ou prolongée (LP). Nous rapportons ici les résultats d’une étude clinique de phase 3 ayant évalué l'efficacité pressionnelle et la sécurité à 3 mois de l’implantation de ces dispositifs en comparaison au timolol.
Cette étude multicentrique randomisée de non-infériorité a porté sur 590 patients adultes atteints de glaucome à angle ouvert ou d'hypertension oculaire, répartis entre les trois groupes de traitements (LP, LR et timolol en collyre). Les participants devaient présenter une PIO diurne non traitée entre 21 et 36 mmHg, et moins de trois classes de médicaments hypotonisants au moment de l'inclusion. Les implants intraoculaires de travoprost, qu'il s'agisse du modèle LR ou LP, ont tous deux permis une réduction significative de la PIO. Le changement moyen de la PIO par rapport à la valeur de référence oscillait entre 6,6 et 8,4 mmHg pour le modèle LR, et entre 6,6 et 8,5 mmHg pour le modèle LP, tandis que le groupe de patients sous timolol montrait une réduction allant de 6,5 à 7,7 mmHg. Ces résultats ont rempli les critères de non-infériorité définis, puisque la différence moyenne maximale de réduction de PIO entre les groupes implant et timolol ne dépassait pas 1 mmHg, avec une limite supérieure de l'intervalle de confiance à 95 % bien inférieure à 1,5 mmHg. Toutefois, les implants étaient associés à un taux plus élevé d'effets indésirables (21,5 % pour l'implant LR, 27,2 % pour l'implant LL) par rapport au groupe timolol (10,8 %). La plupart de ces effets indésirables étaient d'intensité légère à modérée, notamment des cas d’inflammation de chambre antérieure et d'hyperémie conjonctivale. Un cas d'endophtalmie sévère a été rapporté dans le groupe LL.
Les implants de travoprost offrent donc une alternative prometteuse aux traitements traditionnels pour abaisser la PIO, notamment pour les patients peu observants. Ils permettent une réduction significative de la PIO sur trois mois, avec cependant, un profil de sécurité moins bon que celui observé avec le collyre de timolol. Le choix du timolol comme comparateur peut d’ailleurs être critiqué : même s'il s'agit d'un standard historique pour les essais sur la PIO, les analogues de prostaglandines, comme le travoprost topique, sont aujourd'hui plus largement prescrits. Un groupe de patient recevant un collyre de travoprost aurait permis une comparaison optimale entre les modes de délivrance. Par ailleurs, la survenue d’une endophtalmie dans cette étude pose un réel problème de rapport bénéfice/risque d’un tel acte thérapeutique. Des travaux sur le plus long terme, incluant des comparaisons avec des prostaglandines topiques et de plus larges données de sécurité, seraient nécessaires pour compléter ces premiers résultats.
Steven R. Sarkisian, Robert E. Ang, Andy M. Lee, et al. Travoprost Intraocular Implant Investigators*Phase 3 Randomized Clinical Trial of the Safety and Efficacy of Travoprost Intraocular Implant in Patients with Open-Angle Glaucoma or Ocular Hypertension. Ophthalmol. Sept;2024;131:1021-1032
Reviewer : Paul Bastelica, thématiques : hypertonie oculaire, glaucome.
Des bouchons canaliculaires libérant de la dexaméthasone pour le traitement de la sécheresse oculaire ?
L’inflammation est une composante clé de la sécheresse oculaire. Divers traitements anti-inflammatoires, tels que les corticostéroïdes, sont actuellement utilisés et validés pour le traitement topique de la sécheresse oculaire, en complément des substituts lacrymaux. Bien que souvent efficaces, l’utilisation de ces collyres nécessitent une bonne observance thérapeutique et sont malheureusement responsables d’hypertonie oculaire et de glaucome cortisonique, dont la survenue est plus ou moins fréquente selon les formes galéniques et les principes actifs. Afin de pallier aux risques d’inobservance, et de combiner les effets des bouchons canaliculaires aux effets anti-inflammatoires des corticoïdes, des inserts intracanaliculaires de dexaméthasone ont été développés. Il s'agit d'inserts résorbables, qui délivrent de la dexaméthasone de façon continue pendant 30 jours.
L’article de Michael X. Lin et al. publié dans Ophthalmology relate les résultats d’une étude comparant l’efficacité des bouchons lacrymaux classiques (groupe contrôle) à celle d’inserts canaliculaires de dexaméthasone (DXM) pour le traitement de la sécheresse oculaire par insuffisance lacrymale. Cet essai clinique, randomisé contrôlé en double aveugle, a porté sur 75 patients atteints de sécheresse oculaire par insuffisance lacrymale symptomatique (score de coloration cornéenne à la fluorescéine supérieur à 1 (échelle de 0 à 6) + test de Schirmer inférieur à 10 mm + score de sécheresse/inconfort/fatigue visuelle supérieur ou égal à 30 sur une échelle visuelle analogique visuelle de 0 à 100). Les patients ont été équitablement randomisés dans les deux groupes (contrôle versus DXM). Les yeux traités avec l'insert de dexaméthasone ont montré une réduction significative de la coloration cornéenne par rapport au contrôle à 4 semaines de la mise en place des inserts (-0,55 ; intervalle de confiance [IC] à 95 %, -0,91 à -0,19). En revanche, le Schirmer était comparable entre les deux groupes de traitements. De plus, aucune différence statistiquement significative n'a été constatée en termes de symptômes signalés par les patients. Plus embêtant, les yeux traités à la dexaméthasone étaient plus susceptibles de présenter une augmentation de la PIO à la 4ème semaine (de 5 à 10 mmHg ; 9 cas dans le groupe DXM versus dans un cas dans le groupe placebo ; risque relatif, 9,00 ; IC à 95 %, 1,14 à 71,0). Tous les cas d'augmentation de la PIO ont été traités par béta bloquants topiques avec une bonne efficacité.
Les résultats de cette étude montrent que les implants canaliculaires de DXM présentent une efficacité modérée sur les troubles de la surface oculaire chez les patients souffrant d'insuffisance lacrymale, par rapport aux bouchons lacrymaux simples. Il est cependant important de souligner qu'il existe de rares cas où les symptômes de sécheresse oculaire sont exacerbés par les bouchons méatiques, en raison de l'accumulation de larmes inflammatoires et toxiques sur la surface oculaire. Bien que ces réactions puissent être prévenues et traitées par des anti-inflammatoires topiques, cette nouvelle approche thérapeutique pourrait être pertinente dans certains cas. Néanmoins, l'apparition d'hypertonies oculaires d'origine cortisonique soulève un réel problème concernant le rapport bénéfice/risque, comme c'est déjà le cas avec les traitements cortisoniques topiques. Cela conduit pour le moment à privilégier les immunosuppresseurs tel que la ciclosporine pour le traitement anti-inflammatoire prolongé des pathologies sévères / cortico-dépendantes de la surface oculaire.
Michael X. Lin, Lee Guo, Ian J. Saldanha, et al. Dexamethasone Intracanalicular Insert
for Clinically Significant Aqueous-Deficient Dry Eye. A Randomized Controlled Trial. Ophthalmol. Sept;2024;131:1033-1044.
Reviewer: Paul Bastelica, thématique : surface oculaire.
Le délai entre diagnostic et traitement du mélanome uvéal influence-t-il la mortalité par métastases ?
Dans une étude parue ce mois dans Ophthalmology, Gustav Stålhammar, ophtalmologiste et pathologiste à l’Hôpital ophtalmologique St Eriks de Stockholm (centre de référence national en Suède pour les tumeurs oculaires) s’est intéressé au délai entre le diagnostic et le traitement d’un mélanome uvéal, et son influence éventuelle sur le risque pour le patient de développer des métastases et d’en décéder. Il part du constat, malheureusement fréquent en oncologie oculaire, d’un risque métastatique plus élevé pour les tumeurs de grande taille au diagnostic. Il peut aussi arriver qu’un patient refuse le traitement initialement proposé pour des raisons psychologiques, socio-culturelles ou économiques, et qu’il se représente quelques mois plus tard avec une tumeur oculaire ayant franchement augmenté en dimensions, et souvent en progression métastatique. A l’heure actuelle, rappelons que malgré une première immunothérapie rallongeant la survie de quelques mois,1 il n’existe aucun traitement curatif pour le mélanome uvéal métastatique. Pour des raisons organisationnelles, une fois le diagnostic posé, le traitement est généralement décalé de quelques semaines (idéalement 2-3 maximum), que ce soit pour une énucléation, le temps de réaliser le bilan préopératoire et de trouver un créneau opératoire disponible ; pour une irradiation, en raison du double délai pour fixer la pose de clips, puis de prévoir la protonthérapie ; ou enfin pour une curiethérapie, afin de réaliser la dosimétrie puis organiser la pose et dépose du disque radioactif.
Bien qu’il ne fasse aucun doute que de longs délais d’un an ou plus augmentent probablement le risque de décès métastatique, de courts intervalles de quelques semaines n’étaient pas considérés jusqu’ici comme affectant de manière significative le pronostic, car on estime que la plupart des micro-métastases sont présentes depuis des mois voire des années avant le diagnostic.2
L’auteur a exploré le retentissement de ces délais incompressibles sur le pronostic métastatique et vital des patients. Dans une analyse rétrospective de 1145 patients atteints de mélanome uvéal diagnostiqués entre 2012 et 2022 à Stockholm, il a comparé la mortalité spécifique au mélanome chez les patients ayant reçu un traitement « rapide » (< 1 mois après le diagnostic, n=713 cas) par rapport à un traitement « différé » (> 1 mois, n=432 cas).
Les intervalles de traitement étaient proches de 1 mois, avec un intervalle moyen entre diagnostic et traitement de 34 ± 56 jours, mais la distribution était totalement déséquilibrée en raison de quelques valeurs extrêmes, avec des durées allant de 0 à 932 jours, dont 17 cas dont le délai excédait 100 jours, après refus initial de traitement. De plus, les groupes étaient statistiquement différents, avec des mélanomes plus épais, et plus larges, à des stades plus avancés, et donc logiquement une proportion plus importante d’énucléation, dans le groupe traitement « rapide ».
En utilisant une analyse multivariée particulière basée sur l’analyse « des risques concurrents », l’auteur a observé que le risque de mortalité spécifique augmentait de 1 % pour chaque retard supplémentaire de 10 jours avant le traitement. L'augmentation du délai diagnostic-traitement était associée à un risque accru de décès de cause métastatique. Cette association restait cohérente dans des analyses de sous-groupes, pour les patients traités par curiethérapie, ajustée en fonction des dimensions de la tumeur ; pour ceux traités par énucléation, ajustée en fonction du stade, de la cytomorphologie épithélioïde ou fusiforme, et de l'expression de BAP-1 (protéine dont la perte d’expression, liée à une délétion du chromosome 3, est de mauvais pronostic); et pour tous les patients combinés, ajustés en fonction des dimensions, de l’atteinte du corps ciliaire, d’une extériorisation de la tumeur.
Ces résultats sont éclairants et invitent l’ensemble de la communauté ophtalmologique à détecter le plus précocement possible le mélanome uvéal par la réalisation d’un fond d’œil dilaté devant tout symptôme évocateur (baisse visuelle, phosphènes, myodésopsies, amputation du champ visuel, etc), et les centres d’oncologie oculaire à optimiser les délais de prise en charge. Il est surtout important d’emporter l’adhésion des patients et d’éviter tout refus de traitement.
Néanmoins, ces conclusions doivent être lues avec prudence à la lumière des nombreux biais qui limitent leur portée, parmi lesquels le plus flagrant est l’absence de prise en compte des altérations génomiques tumorales, qui peuvent faire basculer le risque métastatique de 20% (bas risque) à 80% (haut risque).3 L’auteur a probablement surinterprétés ses résultats, lorsqu’il remet en cause dans la Discussion la théorie généralement admise de l'ensemencement micro-métastatique précoce par les cellules tumorales, car il manque de données biologiques expérimentales ou translationnelles pour faire cette hypothèse. Cette audace lui a d’ailleurs valu dans le même numéro d’Ophthalmology un Commentaire par une équipe américaine4 et une Lettre à l’éditeur d’une équipe anglaise,5 toutes deux critiquant ces nombreuses failles méthodologiques. Enfin, on peut s’interroger sur la production par un unique auteur d’un tel travail portant sur un millier de patients, comportant un énorme travail de recueil et vérification des données, certainement facilité par les bases de données médicales scandinaves, mais aussi des analyses statistiques complexes.
1. Hassel J, Piperno-Neumann S et al. Three-Year Overall Survival with Tebentafusp in Metastatic Uveal Melanoma, New England Journal of Medicine, 2023
2. Eskelin S, Pyrhonen S, Summanen P, et al. Tumor doubling times in metastatic malignant melanoma of the uvea: tumor progression before and after treatment. Ophthalmology. 2000
3. Cassoux N, Rodrigues M, Plancher C. Genome-wide profiling is a clinically relevant and affordable prognostic test in posterior uveal melanoma., British Journal of Ophthalmology 2014.
4. Harbour JW, ZM Correa ZM, AW Stacey AW. Do Short Delays in Treatment Affect Uveal Melanoma Prognosis? Ophthalmology. Sep 2024
5. Hussain R, Coupland S, Heimann S, Commentary - Re: Stålhammar G: Delays between uveal melanoma diagnosis and treatment increase the risk of metastatic death. Ophthalmology. Sep 2024
G Stålhammar. Delays between Uveal Melanoma Diagnosis and Treatment Increase the Risk of Metastatic Death. Ophthalmology. Sep 2024
Reviewer : Alexandre Matet, thématique : oncologie oculaire
Contrôle de la progression myopique chez l’enfant après 2 ans sous atropine : continuer ou retraiter si besoin ? Résultats à 5 ans de l’étude LAMP.
La myopie est devenue un sujet majeur de santé public, particulièrement en Asie où elle touche près de 4 adolescents sur 5, mais aussi dans toutes les régions du monde où les enfants sont majoritairement surexposés aux écrans et aux lumières artificielles.1
Les résultats à 5 ans de l’étude LAMP2 ont été rapportés par une équipe d’ophtalmo-pédiatres de Hong-Kong. Cette étude a pour but d’évaluer des dosages d’atropine alternatifs par rapport à ceux décrits dans l’étude majeure ATOM 2, qui a prouvé le grand intérêt de l’atropine collyre faible dose en continu (à 0,01%, 0,1%, et 0,5%) dans le contrôle de la progression myopique, mais avec des reprogressions à l’arrêt, nécessitant un re-traitement.3
La phase initiale de l’étude LAMP, qui avait duré 2 ans, et où 438 enfants âgés de 4 à 12 ans avaient été randomisés entre des dosages à 0.05%, 0.025%, and 0.01%, avait conclu à une supériorité franche du groupe 0,05%, qui avait obligé les auteurs à passer tous les enfants poursuivant le traitement à ce dosage.2 Après 2 ans sous traitement, ils ont été à nouveau randomisés entre poursuite du traitement pendant la 3ème année puis passage à 0,05% pendant la 4ème et 5ème année (127 enfants), ou cessation du traitement pendant la 3ème année, puis retraitement pro re nata (PRN) en cas de progression myopique supérieure à 0,5 D par an (127 enfants). Ce schéma complexe témoigne de la subtilité des protocoles cliniques appliqués, cherchant un équilibre entre efficacité et désescalade thérapeutique, tout en limitant le risque d’effet rebond à l’arrêt du traitement, les effets à long terme de l’instillation d’atropine dans la population pédiatrique étant encore mal connus.4
Dans le groupe traitement continu, la progression moyenne de la myopie sur 5 ans était de -1,34 D, -1.97 D, -2,34 D pour les dosages respectifs à 0.05%, 0.025%, et 0.01% (P=0,02). Ces résultats étaient confirmés par des tendances similaires d’augmentation de la longueur axiale (P=0.01). Dans le groupe PRN, 87% des enfants ont nécessité un retraitement, en proportion égale dans chaque groupe ayant reçu des doses d’atropine différente. Il n’y avait pas de différence significative dans le taux de progression myopique en équivalent sphérique entre la 3ème et la 5ème année, entre le groupe traitement continu (-0,97 D) et le groupe PRN (-1,0 D) (P=0,55). Ce résultat restait valable pour l’augmentation de la longueur axiale (P=0,84).
L'administration continue d'atropine à 0,05 % a donc confirmé son efficacité dans le contrôle de la myopie, avec une bonne tolérance sur 5 ans. La majorité des enfants ont dû reprendre le traitement après l'arrêt la 3ème année. Plus l’enfant était jeune, plus le risque de retraitement était élevé. La reprise du traitement à 0,05 % a entraîné un contrôle de la progression myopique similaire au traitement continu. Par conséquent, les auteurs recommandent un traitement initial de 2 ans, puis une période de « wash out » sans traitement, suivi d’une reprise du traitement entre 3 et 5 ans, si une progression est observée après les 2 premières années de traitement. Néanmoins, ils préconisent aussi de ne pas interrompre le traitement chez les enfants à « fort risque de progression myopique » sans préciser exactement sur quels critères on peut les identifier.
Bien que prospective, randomisée et globalement bien conçue, avec des effectifs assez importants pour atteindre les seuils statistiques visés, et des groupes comparables sur leurs caractéristiques malgré une petite proportion de perdus de vue, cette étude présente plusieurs limitations. En premier lieu, son design est particulier avec un switch au dosage de 0,05% après 2 ans pour tous les groupes, dû à des considérations éthiques, devant l’efficacité bien supérieure de ce dosage en analyse intermédiaire lors de la première phase de l’étude LAMP.2 On ne peut donc pas en tirer de conclusion sur l’intérêt à 5 ans des dosages les plus faibles. Il existe également un biais populationnel, la totalité des patients inclus étant asiatiques, l’extrapolation des conclusions à d’autres groupes de population n’est pas certaine.
Les auteurs indiquent avoir entrepris une étude de phase 5 pour étudier différentes stratégies d’arrêt du traitement après 5 à 7 ans, et encouragent également les mesures synergiques avec d’autres stratégies freinatrices, parmi lesquelles on peut évoquer notamment les verres défocalisants.
1. Morgan IG, Ohno-Matsui K, Saw SM. Myopia. Lancet. 2012
2. Yam JC, Li FF, Zhang X, et al. Two-year clinical trial of the Low-Concentration Atropine for Myopia Progression (LAMP) study: phase 2 report. Ophthalmology. 2020
3. Chia A, Chua WH, Cheung YB, et al. Atropine for the treatment of childhood myopia: safety and efficacy of 0.5%, 0.1%, and 0.01% doses (Atropine for the Treatment of Myopia 2). Ophthalmology. 2012
4. Tong L, Huang XL, Koh AL, et al. Atropine for the treatment of childhood myopia: effect on myopia progression after cessation of atropine. Ophthalmology. 2009
XJ Zhang, Y Zhang, BHK Yip, et al. Five-Year Clinical Trial of the Low-Concentration Atropine for Myopia Progression (LAMP) Study. Phase 4 Report. Ophthalmology. Sep 2024
Reviewer : Alexandre Matet, thématique : ophtalmo-pédiatrie
Première transplantation oculo-faciale : une prouesse médico-chirurgicale qui ouvre des perspectives
Nos lecteurs ont peut-être déjà eu connaissance de cette information par d’autres média qui en ont largement fait l’écho : les résultats à 1 an de la première transplantation oculo-faciale viennent d’être publiés. L’article richement illustré du numéro de septembre du journal de l’Association Américaine de Médecine (JAMA) révèle toute la complexité de la procédure, l’ingéniosité des réponses mises en œuvre pour mener à bien l’opération, et donne de nombreux détails sur la physiologie de l’œil greffé. En effet, si l’allotransplantation faciale est devenue au cours des dernières années - dans quelques centres hyperspécialisés - une procédure standard pour les traumatismes faciaux catastrophiques, celle-ci n’avait jusqu’ici jamais comporté de greffe du globe oculaire. Toute la difficulté repose sur la préservation de l’intégrité des tissus oculaires le temps de la procédure, ainsi que la technicité des nombreuses anastomoses vasculaires et nerveuses.
Le cas est celui d’un patient âgé de 46 ans, en bonne santé par ailleurs, défiguré par un traumatisme avec une ligne électrique à haut voltage, avec amputation du nez, des lèvres, d’une majeure partie des muscles de la mimique, des paupières et du globe oculaire gauche. En revanche, les structures osseuses étaient globalement conservées. La prise en charge initiale a consisté à fermer les plaies et reconstruire son visage de façon conventionnelle, par autogreffes cutanées. Malgré les efforts des plasticiens, le délabrement et les conséquences des rétractions secondaires ont été la source d’une détérioration de la qualité de vie du patient difficilement tolérable. Le patient s’est tourné vers l’équipe de chirurgie plastique de l’Hôpital universitaire Langone Health de New-York, spécialisée en greffe de visage, qui a relevé ce défi. La première phase était consacrée en parallèle :
- aux explications et au recueil des consentements du patients (en particulier prise de risque vital liée aux immunosuppresseurs à vie pour une greffe non vitale, quasi-certitude de l’absence de récupération visuelle avec risque de complications sévères sur l’œil greffé, et sur l’œil sain en cas d’ophtalmie sympathique)
- à la mise au point définitive de la technique et des instruments chirurgicaux, qui avait déjà fait l’objet de nombreuses études expérimentales, assortie de multiples sessions d’entrainements sur des cadavres1.
Puis venait la délicate recherche d’un donneur : en état de mort cérébrale de cause non cardiaque (pour éviter le risque de dommages ischémiques des organes) et non traumatique, compatible en termes de couleur des téguments, de morphologie faciale avec le receveur, sans signe de pathologie de l’œil gauche, et avec une compatibilité immunologiques acceptables.
Pour améliorer les chances de préserver les tissus oculaires, il s’agissait de greffer l’œil avec une grande partie des tissus mous et osseux de l’orbite, et pour se faire de disposer d’outils customisés pour optimiser la cohérence entre le donneur et le receveur (illustrations dans l’article). Une évaluation peropératoire complète de la vascularisation faciale et orbitaire était réalisée afin de préparer le plan chirurgical des anastomoses, en particulier des branches de la carotide externe et de la jugulaire du receveur avec l’artère et la veine ophtalmique du donneur.
L’intervention a duré en tout 21 heures, mobilisant 2 équipes coordonnées suivant un plan millimétré. La suture du nerf optique était réalisée par des points séparés de nylon 8/0 sur les gaines du nerf, sans possibilité d’alignement des faisceaux de fibres, avec injection peropératoire en amont et en aval des sutures de cellules souches (CD34+) du donneur afin d’en améliorer la trophicité et de réduire la réaction inflammatoire. Le temps d’ischémie froide du greffon facial et du globe était de 2h59 minutes. A noter que le temps de « survie » de la fonctionnalité des cellules ganglionnaires sur un œil non perfusé a été estimé expérimentalement à 105 minutes en conditions physiologiques, mais peut atteindre 340 minutes (près de 6 heures) en ischémie froide (21°C).
Un an après l’opération, l’ensemble du greffon est viable et aligné. En revanche, le patient n’a récupéré ni perception lumineuse, ni sensibilité cornéenne, ni oculomotricité. L’examen du segment antérieur est resté sensiblement normal avec une cornée claire et une chambre antérieure calme. Le réflexe photomoteur, présent au cours du premier mois, a progressivement disparu, tandis que le tonus oculaire s’est maintenu à un niveau normal, témoins du bon fonctionnement des corps ciliaires. L’angiographie à la fluorescéine a retrouvé une bonne perfusion rétinienne, l’OCT une atrophie marquée des couches internes de la rétine et une atténuation de la ligne ellipsoïde. Les explorations électrophysiologiques, répétées régulièrement, ont en revanche retrouvé des réponses rétiniennes très atténuées mais présentes. Idem pour les potentiels évoqués visuels qui ont retrouvé progressivement une morphologie sensiblement normale. Les IRM avec tractographie des voies optiques, répétées régulièrement au cours du suivi, ont montré une diminution progressive altérations liées aux phénomènes inflammatoires.
Les scores de qualité de vie et d’estime de soi du patient ont été significativement amélioré par la procédure.
La lecture de ce récit médical et des résultats de cette prouesse force l’admiration, et permet également de comprendre la multiplicité des compétences qui doivent être réunies pour un tel exploit : chirurgiens plasticiens bien sûr, mais également ophtalmologistes, biologistes, immunologistes, biologistes, psychiatre / psychologue et rééducateurs. Les auteurs suggèrent en conclusion que la réussite de cette première ouvre des perspectives vers des transplantations de globe moins invasive, sans transplantation orbitaire, et - on peut rêver – accompagnées de récupération fonctionnelle ?
1) Brydges HT, Onuh OC, Chaya BF, Tran DL, Cassidy MF, Dedania VS, Ceradini DJ, Rodriguez ED. Combined Face and Whole Eye Transplantation: Cadaveric Rehearsals and Feasibility Assessment. Plast Reconstr Surg Glob Open. 2023 Nov 16;11(11):e5409.
Ceradini DJ, Tran DL, Dedania VS, Gelb BE, Cohen OD, Flores RL, Levine JP, Saadeh PB, Staffenberg DA, Ben Youss Z, Filipiak P, Baete SH, Rodriguez ED. Combined Whole Eye and Face Transplant: Microsurgical Strategy and 1-Year Clinical Course. JAMA. 2024 Sep 9:e2412601.
Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : chirurgie orbito-palpébrale / reconstructrice.