Revue de la presse d’octobre 2023

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :     
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science

 


Axenfeld-Rieger : une pathologie à risque de décompensation endothéliale

 

L’anomalie d’Axenfeld-Rieger (AXRA) est une maladie dysgénésique du segment antérieur d’origine génétique (mutations des gènes PITX2 et FOXC1). Celle-ci peut combiner, à des degrés variables, des anomalies iriennes (anomalie de Rieger, RGA : atrophie du stroma et correctopie), un embryotoxon postérieur, et des goniosynéchies antérieures, étendues en regard de la ligne de Schwalbe (anomalie d’Axenfeld, AXA). L’AXRA, classiquement connue pour entraîner des complications secondaires comme une hypertonie oculaire ou un glaucome, est également responsable d’anomalies cornéennes. La kératopathie liée à l’AXRA, assez peu décrite, comporte principalement des opacités en regard des zones d’adhérence irido-cornéennes, très rarement invalidantes. Achanta et al. rapportent, dans une étude publiée dans l’édition d’octobre de Cornea, les résultats de l’exploration de l’endothélium cornéen par microscopie spéculaire (MS) chez 30 patients atteints d’AXA, de RGA et d’AXRA.

Les auteurs ont inclus rétrospectivement tous les patients atteints d’AXRA/AXA/RGA suivis au LV Prasad Eye Institute (Hyderabad, Inde) ayant bénéficié d’une MS de l’endothélium cornéen entre 2013 et 2023. Ils constituaient en outre, un groupe témoin de sujets sains, ayant bénéficié d’une MS sur la même période, et appariés pour l’âge et le sexe. Les patients ayant un antécédent de chirurgie intraoculaire étaient exclus. Une seule image de MS par patient était interprétée et incluse dans l’analyse (image de meilleure qualité, acquise au centre de la cornée). Les caractéristiques démographiques des deux groupes étaient comparables. La moyenne d’âge des patients et des contrôles était de l’ordre de 21 ans. La densité cellulaire endothéliale était significativement plus faible chez les patients atteints (2112 cellules/mm2) par rapport aux témoins (2904 cellules/mm2). Par ailleurs, les surfaces moyennes et maximales des cellules étaient significativement plus élevées chez les patients. Il n’y avait aucune différence significative pour ces paramètres entre les trois sous-groupes de patients (AXRA/AXA/RGA). 

Cette étude réalisée sur un échantillon de sujets jeunes atteints d’AXRA est riche en enseignements : elle démontre pour la première fois la présence d’une endothéliopathie cornéenne associée à ce syndrome. Ces conclusions incitent à prendre les précautions nécessaires pour préserver l’endothélium cornéen au cours de toute chirurgie intraoculaire chez ces patients, et ce, indépendamment de la sévérité du phénotype clinique. En effet, le risque endothélial en cas de chirurgie pourrait être équivalent chez un patient présentant une large atrophie de l’iris sans atteinte irienne périphérique, et chez un patient qui ne présenterait qu’un embryotoxon associé à la présence de synéchies antérieures périphériques. 

 

Achanta DSR, Chaurasia S, Mohamed A, Barur SR, Ramappa M, Edward DP. Characteristics of Corneal Endothelium in Axenfeld Rieger Spectrum. Cornea. 2023 Oct 1;42(10):1216-1220. 

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : cornée 
 


Facteurs de risque de membrane épirétinienne chez les patients glaucomateux 

L’association membrane épirétinienne (MER) - glaucome à angle ouvert n’est pas rare, ces deux pathologies (dans leurs formes primitives) étant en grande partie liées au vieillissement, et complique l’analyse des examens tomographiques et campimétriques nécessaires au diagnostic et au suivi du glaucome. Par ailleurs, la survenue d’une MER peut fortement impacter la fonction visuelle des patients atteints de formes avancées de glaucome, qui dépend beaucoup de leur vision maculaire. Afin de mieux comprendre cette association, l’édition d’octobre de l’American Journal of Ophthalmology rapporte une étude explorant les facteurs de risque de développement d’une MER chez les patients glaucomateux. 

Pour cela, Shin et al. se sont appuyés sur une cohorte prospective de patients glaucomateux suivis depuis 2009 dans le cadre de l’étude CMC-GPS (Catholic Medical Center Glaucoma Progression Study). Ils ont sélectionné les patients de cette cohorte ayant développé une MER et les ont comparés à un groupe contrôle de patients glaucomateux indemnes de MER, appariés pour l’âge ainsi que pour la déviation moyenne et l’index de fonction visuelle (MD et VFI) mesurées sur le champ visuel (CV) Humphrey. Un seul œil était inclus par patient. Les données socio-démographiques et cliniques des patients ont été recueillies rétrospectivement. Au total, 64 patients présentant une MER et 128 patients contrôles ont été inclus. Comparativement aux témoins glaucomateux indemnes de MER, les patients atteints de MER présentaient plus fréquemment une hypertension artérielle, de grandes fluctuations de la PIO (définies par un écart-type de la PIO moyenne supérieur à l'écart-type moyen des participants à l'étude), des hémorragies du disque optique, et une progression du CV central. Dans l’analyse multivariée réalisée sur la population glaucomateuse entière, la présence d’une MER était associée à ces mêmes facteurs, mais également à l’âge. 

Le développement des MER semblait donc être associé à l’âge, à la présence d’une hypertension artérielle, mais également à certains éléments témoignant de la progression de la maladie glaucomateuse comme les fluctuations pressionnelles, les hémorragies du disque optique, et la progression du CV central. Les auteurs ont émis l’hypothèse d’un développement de MER lié, dans ce contexte glaucomateux, au comblement par du tissu fibroglial des espaces laissés vides par la perte des axones des cellules ganglionnaires rétiniennes. 

Parallèlement, le développement d’une MER pourrait lui-même contribuer à la progression du CV central en altérant directement la sensibilité centrale, indépendamment de la progression de la neuropathie optique. Par ailleurs, l’association statistique du développement d’une MER avec les fluctuations pressionnelles posait en soi des questions très intéressantes sur le mécanisme sous-jacent, mais les auteurs ne précisaient pas la forme clinique des glaucomes et ne proposaient pas d’analyse particulière à ce propos. Or, le glaucome exfoliatif, responsable d’importantes fluctuations pressionnelles, est plus fréquemment associé aux MER que le glaucome primitif à angle ouvert 1, sans que la responsabilité des dépôts exfoliatifs dans la physiopathologie du développement de la MER ne puisse être écartée. 

Cette étude fournit donc des pistes très intéressantes, mais d’autres analyses semblent encore nécessaires pour éclaircir les interactions entre progression du glaucome et développement de MER : à suivre !
 

1) Lee, Jin Yeong MD; Sung, Kyung Rim MD, PhD; Kim, Yoon Jeon MD, PhD. Comparison of the Prevalence and Clinical Characteristics of Epiretinal Membrane in Pseudoexfoliation and Primary Open-angle Glaucoma. Journal of Glaucoma 30(9):p 859-865, September 2021

Shin DY, Park HL, Shin H, Oh SE, Kim SA, Jung Y, Lee MY, Park CK. Fluctuation of Intraocular Pressure and Vascular Factors Are Associated With the Development of Epiretinal Membrane in Glaucoma. Am J Ophthalmol. 2023 Oct;254:69-79.
 

Reviewer : Paul Bastelica , thématique : Rétine, glaucome
 


Le Retour du Demodex… 

 

Deux articles parus au mois d’octobre dans la presse ophtalmologique traitent du Demodex, cet ectoparasite des téguments, connu pour les fameux « manchons » (amas cylindriques de kératine, de débris de parasites et de meibum) qu’il provoque à la base des cils, ainsi que les blépharites antérieures et postérieures qui lui sont associés.  

L’étude publiée par Feldman et collègues dans le numéro d’octobre de l’American Journal of Ophthalmology du mois d’octobre1 est sous tendue par une question très pertinente : et si les symptômes d’inconfort dont se plaignent certains patients après chirurgie de cataracte - alors que tout s’est pourtant passé au mieux - étaient causés par les Demodex ? 
Pour tenter d’y répondre, les auteurs ont évalué la présence de Demodex avant et après chirurgie de cataracte simple, chez des patients initialement sans signe ni symptômes de blépharite. Au total, 62 patients opérés de cataracte, âgés en moyenne de 71 ans, ont été inclus, et ont reçu tous un traitement postopératoire par collyre antibio-corticoïde (combinaison de dexaméthasone néomycine et polymyxine, 4 fois par jour pendant 3 semaines). Avant la chirurgie, l’examen clinique était complété par une recherche de Demodex sur des cils épilés adressés en parasitologie, dont le résultat était seulement qualitatif : présence ou absence du parasite. Cette recherche était réalisée à nouveau 3 semaines après la chirurgie. Le nombre de patients colonisés par des Demodex passait de 14 (soit une prévalence de 22%) en préopératoire à 20 (soit 32%) lors de l’évaluation à 3 semaines, une différence statistiquement significative. Les auteurs formulaient l’hypothèse que le traitement postopératoire, et notamment les corticoïdes avaient pu contribuer à cette augmentation du nombre de patients « positifs », par analogie avec une étude ayant démontré que les patients souffrant de prurit du conduit auriculaire traités par corticoïdes topiques étaient plus souvent infestés par les Demodex.2 Par raisonnement transitif, ils en déduisaient que les Demodex pourraient contribuer à l’inconfort de certains patients après chirurgie de la cataracte. 

Bien que l’hypothèse soit plausible, et réponde à une vraie question clinique, l’étude dont nous rapportons ici les résultats souffre de gros biais méthodologiques qui en fragilisent les conclusions. D’une part, le nombre de cils épilés et les critères pour choisir ces derniers étaient laissés à la discrétion de l’évaluateur. Ensuite, l’absence de quantification des Demodex est frustrante : une augmentation du nombre de parasites chez les patients déjà infectés en préopératoire aurait été intéressante à explorer. Mais surtout, les symptômes d’inconfort oculaire n’ont pas été pas évalués, rendant la relation entre Demodex et symptômes totalement hypothétique. De même, bien que les méthodes évoquent une recherche des signes cliniques de blépharite à Demodex en postopératoire (manchons à la base des cils, inflammation du bord libre…), ces données ne sont pas présentées dans les résultats. Pour finir, le prélèvement postopératoire, réalisé juste à la fin du traitement antibio-corticoïde, ne permettait pas de statuer sur un éventuel « retour à la normal » à distance de celui-ci. Au total, cette étude, qui a le mérite de poser une bonne question, n’y répond malheureusement pas! En revanche, l’idée inspirera sans doute d’autres équipes…

Pour poursuivre dans la même thématique, plaçons-nous désormais dans la situation où les signes de blépharite à Demodex sont patents. Plusieurs options thérapeutiques existent : huile d’arbre à thé, ivermectine, pommade vitamine A, mais aucune n’a fait l’objet d’un essai clinique de haute robustesse méthodologique. Pour combler ce vide, Gaddie et al. ont publié dans le numéro d’Ophthalmology du mois dernier les résultats d’un essai clinique randomisé contrôlé évaluant l’efficacité d’un collyre au lotilaner.3 Cet agent antiparasitaire inhibe des canaux membranaires synaptiques spécifiques de certains parasites dont le Demodex entrainant leur paralysie et leur mort, et a récemment obtenu des résultats très prometteurs dans un essai de phase 2.4 A noter qu’il est très couramment employé en médecine vétérinaire sous la forme de comprimés pour le traitement des puces de nos animaux de compagnie préférés.
Les patients inclus dans cet essai multicentrique (21 centres aux USA) devaient avoir une blépharite à Demodex caractérisée par au moins 10 cils gainés de manchons par œil, un érythème du bord libre et une densité de Demodex > 1,5 parasites par cil. A contrario, un antécédent chirurgical ophtalmologique récent, l’utilisation de collyres aux prostaglandines (notamment à visée esthétique, pour faire pousser les cils comme c’est souvent le cas aux USA), étaient des critères de non-inclusion. 

Au total, 203 patients et 209 contrôles étaient inclus, pour recevoir 2 instillations par jour soit du collyre au lotilaner à 0,25% soit du collyre véhicule, dans un emballage impossible à distinguer de celui du médicament, pendant 6 semaines (une durée de traitement suffisante pour couvrir 2 cycles de vie du Demodex).  Les patients ne devaient faire aucune procédure adjuvante (notamment soins de paupière) et devaient remplir un relevé quotidien des instillations, permettant de définir une non-observance pour des prises inférieures à 80%, et à l’opposé, une utilisation excessive si les instillations dépassaient 125% du nombre prévu. Le comptage des Demodex était réalisé en parasitologie sur au moins 2 cils prélevés : au screening, à J15, J22 et J43, à l’occasion d’un examen clinique avec une cotation standardisée des manchons à la base des cils, et de l’érythème du bord libre. L’œil ou le nombre de parasite/cil à l’inclusion était le plus élevé, était retenu pour l’analyse.

Le critère de jugement principal était la proportion de patient débarrassé de manchons (<2 cils avec des manchons sur la paupière supérieure), sur l’œil analysé, à J43. Les critères secondaires étaient le pourcentage de patients chez qui 1) les Demodex avaient été éradiqués (0 parasite sur les cils de l’œil analysé) et 2) le score composite associant absence de manchon et d’érythème du bord libre était nul (= guérison composite). 
A J43, une proportion significativement plus importante de patients traités : 
- n’avaient plus de manchons (56% vs. 12%), 
- bénéficiaient d’une éradication des Demodex (52% vs. 15%), 
- présentaient une guérison de l’érythème (31% vs. 9%), et une guérison composite (19% vs. 4%). 

L’observance du traitement était excellente (98,7%) et plus de 90% des patients trouvaient le collyre neutre voire confortable. Aucun effet indésirable sérieux n’a été rapporté. 
Au total, cet essai clinique démontre une efficacité indéniable du collyre au lotilaner chez les patients atteints de blépharite à Demodex. On regrette là encore que les symptômes et l’effet du traitement sur ces derniers, n’aient pas été évalués. En outre, l’éradication des Demodex est toujours temporaire, et un suivi plus long aurait été nécessaire pour connaitre le délai avant récidive. Dans tous les cas, ces résultats devraient permettre à ce collyre d’être approuvé par la FDA, et qui sait, dans un second temps, d’être présenté à l’agence européenne du médicament.

 

1) Feldman I, Krausz J, Levinkron O, Gutovitz J, Edison N, Cohen E, Krauthammer M, Briscoe D. Is Demodex blepharitis connected with cataract surgery? Am J Ophthalmol. 2023 Oct;254:31-35.
2) Cevik C, Kaya OA, Akbay E, et al. Investigation of Demodex species frequency in patients with a persistent itchy ear canal treated with a local steroid. J Laryngol Otol. 2014;128(8):698–701. 
3) Gaddie IB, Donnenfeld ED, Karpecki P, Vollmer P, Berdy GJ, Peterson JD, Simmons B, Edell ARP, Whitson WE, Ciolino JB, Baba SN, Holdbrook M, Trevejo J, Meyer J, Yeu E; Saturn-2 Study Group. Lotilaner ophthalmic solution 0.25% for Demodex blepharitis: randomized, vehicle-controlled, multicenter, phase 3 trial (Saturn-2). ophthalmology. 2023 oct;130(10):1015-1023.
4) Yeu E, Wirta DL, Karpecki P, et al. Lotilaner ophthalmic so- lution, 0.25%, for the treatment of Demodex blepharitis: results of a prospective, randomized, vehicle-controlled, double- masked, pivotal trial (Saturn-1). Cornea. 2023;42(4):435e443. 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : surface oculaire, infectiologie.  
 


Avez-vous déjà entendu parler du virus Torque Teno ? 

 

Le virus Torque Teno (TTV) est un petit virus à ADN non enveloppé de la famille des Anelloviridae. Depuis sa découverte en 1997 chez un patient atteint d'hépatite idiopathique, de nombreuses études ont tenté sans succès de le lier à des manifestations cliniques ou à des maladies. Il semble que le TTV colonise différents compartiments biologiques dès les premiers jours de la vie, et soit responsable de réinfections continues qui contribuent à sa persistance dans l’organisme de ses hôtes. Le TTV a une prévalence élevée, tant chez les humains que dans diverses espèces animales. Il est aujourd'hui considéré comme un virus  faisant partie intégrante du microbiote viral (virome) humain et sa charge virale semble influencée par le système immunitaire de l'hôte.1 Le TTV a fait l’objet de recherches dans les fluides oculaires : il a été retrouvé dans l’humeur aqueuse (HA) de contrôles, mais aussi de patients atteints d’endophtalmie post-opératoire à culture (bactérienne) négative et positive, chez lesquels il a été associé à la nécessité d’interventions chirurgicales complémentaires.2,3 En outre, le TTV a été retrouvé dans l’HA d’enfants atteints de pan uvéites idiopathiques,4 mais aussi dans les larmes et sur les échantillons conjonctivaux de sujets bien portants.5,6 

Le rôle de ce virus en pathologie oculaire reste donc mystérieux, et la principale hypothèse est qu’il pourrait jouer le rôle de cofacteur aggravant dans la physiopathologie d’infections causées par d’autres pathogènes. Pour avancer sur ce terrain très peu exploré, Sajiki et al. ont recherché ce pathogène par PCR dans l’HA de patients suspects d’uvéite d’origine infectieuse. 
Au total, 58 patients étaient prélevés, de même que 24 contrôles (à l’occasion d’une chirurgie de cataracte ou d’une injection intravitréenne). Tous les échantillons d’HA étaient analysés à l’aide d’une PCR multiplex classique pour les principaux pathogènes responsables d’uvéites (HSV 1 et 2, VZV, CMV, EBV, HHV6, HTLV-1, Toxoplasma Gondii, Treponema Pallidum) et d’une PCR quantitative spécifique du TTV. Le lien entre le résultat du prélèvement oculaire au TTV et l’âge, le sexe, ainsi qu’une éventuelle immunodépression systémique, était étudié à l’aide d’une analyse logistique. Une PCR TTV était par ailleurs réalisée sur le sérum de certains patients et de certains contrôles.

Parmi les uvéites prélevées, la PCR était positive dans 31 cas et permettait de confirmer :  2 uvéites antérieures à HSV1, 2 rétinites à HSV2, 14 uvéites antérieures à VZV, 4 uvéites à EBV et 9 rétinites à CMV. Une cause d’immunodépression était retrouvée chez 15 patients. Une PCR positive pour le TTV était retrouvée chez 10 patients : 3 cas négatifs pour les autres PCR, 3 rétinites à CMV, 2 uvéites antérieures à EBV, une uvéite antérieure à VZV et une nécrose rétinienne causée par HSV2. Aucune PCR positive pour le TTV n’était retrouvée sur l’HA des contrôles. Une association significative était retrouvée entre la positivité de la PCR à TTV et la rétinite à CMV d’une part, et l’existence d’une immunodépression systémique d’autre part. 
Enfin, 9 des 10 sérums prélevés dans le cadre d’une uvéite était positifs pour la PCR à TTV, et 8 sur les 8 contrôles prélevés. 

Ces résultats intrigants suggèrent donc que le TTV pourrait jouer le rôle de co-facteur dans la physiopathologie de certaines uvéites virales, en particulier chez les patients immunodéprimés. Des charges virales de TTV plus élevées ont d’ailleurs été rapportées chez les patients atteints par le virus de l’immunodéficience humaine, et mal contrôlés par le traitement.7 Mais Il faut noter que 1) ce virus est totalement ubiquitaire, et était d’ailleurs retrouvé dans le sérum de tous les contrôles prélevés dans cette étude, et 2) les données de Sajiki et al. ne sont pas cohérentes avec une précédente étude qui avait mis en évidence le virus dans l’humeur aqueuse de patients indemnes d’inflammation intra-oculaire, et prélevés à l’occasion d’une chirurgie de cataracte…2  On ne peut exclure que la présence de ce virus chez les patients uvéitiques soit simplement facilitée par la rupture de la barrière hémato-rétinienne occasionnée par l’inflammation, sans qu’elle ne contribue à cette dernière de manière active… Le mystère reste donc presque entier, et il ne nous reste qu’à espérer que des études de plus grande ampleur permettront de mieux définir son éventuelle implication en pathologie.

 

1) Brassard J. Torque Teno Virus, Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Biologie Médicale. Nov 2021. [90-55-0185-B] - Doi : 10.1016/S2211-9698(21)41750-4. 
2) Naik P, Dave VP, Joseph J. Detection of Torque Teno Virus (TTV) and TTV-Like Minivirus in patients with presumed infectious endophthalmitis in India. PLoS One. 2020 Jan 7;15(1):e0227121. 
3) Lee CS, Hong B, Kasi SK, Aderman C, et al. Endophthalmitis Study Group. Prognostic Utility of Whole-Genome Sequencing and Polymerase Chain Reaction Tests of Ocular Fluids in Postprocedural Endophthalmitis. Am J Ophthalmol. 2020 Sep;217:325-334.
4) Smits SL, Manandhar A, Van Loenen FB, et al. High prevalence of anelloviruses in vitreous fluid of children with sea- sonal hyperacute panuveitis. J Infect Dis. 2012;205(12):1877– 1884.
5) Emre S, Otlu B, Cankaya C, Doganay S, Durmaz R. Transfusion-transmitted virus DNA in serum, tear and aqueous humour of patients undergoing cataract operation. Clin Exp Ophthalmol. 2007 Nov;35(8):759-62. 
6) Doan T, Akileswaran L, Andersen D, et al. Paucibacterial Microbiome and Resident DNA Virome of the Healthy Conjunctiva. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2016 Oct 1;57(13):5116-5126. 
7) Schmidt L, Jensen BO, Walker A, et al. . Torque Teno Virus plasma level as novel biomarker of retained immunocompetence in HIV-infected patients. Infection. 2021 Jun;49(3):501-509. 

Sajiki AF, Koyanagi Y, Ushida H, Kawano K, Fujita K, Okuda D, Kawabe M, Yamada K, Suzumura A, Kachi S, Kaneko H, Komatsu H, Usui Y, Goto H, Nishiguchi KM. Association between Torque Teno virus and systemic immunodeficiency in patients with uveitis with a suspected infectious etiology. Am J Ophthalmol. 2023 Oct;254:80-86.

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : infection, uvéite.  
 


 

Symptômes oculaires plus fréquents chez les utilisateurs de cigarette électronique et les fumeurs

 

Une équipe de l’Université Stanford (San Francisco) a étudié parmi une population d’adolescents et jeunes adultes les symptômes oculaires liés à l’usage de la cigarette et de la cigarette électronique, rapportés dans JAMA Ophthalmology.

Si les complications oculaires liées à l’usage du tabac conventionnel sont en grande partie connues (DMLA, cataracte, glaucome, orbitopathie dysthyroïdienne),1 celles de la cigarette électronique le sont moins. Or sur la dernière décennie, celle-ci est devenue le mode de tabagisme majoritaire parmi les sujets jeunes2. Équipés d’une batterie et délivrant les susbtances issus du tabac sous forme de vapeur, ces appareils ont été initialement conçus pour réduire la quantité de nicotine et la toxicité liée au tabagisme conventionnel. Certains effets biologiques ont déjà été décrits, comme l’HTA, la tachycardie, le bronchospasme et le relargage de cytokines immunomodulatrices.3

Les auteurs ont interrogé 4351 participants aux États-Unis via un questionnaire en ligne, diffusé sur les réseaux sociaux, les jeux en ligne ou par contact direct. Les informations recueillies étaient déclaratives. Une des informations les plus surprenantes est la prévalence extrêmement élevée du tabagisme sous toutes ses formes dans cette cohorte, touchant la moitié des répondants. Si 2168 participants n’avaient jamais utilisé de cigarette électronique, 1092 l’avaient utilisé dans le dernier mois, et 919 dans la dernière semaine. Parmi les usagers, environ 55% avaient fumé également des cigarettes conventionnelles (doubles usagers), et 70% d’autres formes de tabac ou assimilé (joints, cigares ou leurs variants).
L’âge moyen était de 19 ans, avec 63% de femmes parmi les répondants, et les groupes étaient équilibrés en termes de ratio homme/femme et d’ethnicité déclarée, deux facteurs liés à la consommation de tabac. Les analyses ont été effectuées après ajustement pour ces facteurs, ainsi que pour l’usage d’autres formes de tabac.

Les doubles usagers ayant consommé sur les 7 derniers jours présentaient significativement plus de symptômes d’irritation de surface oculaire (démangeaison, sécheresse, rougeur, brûlures, douleurs) mais aussi céphalées et symptômes visuels (éblouissement, vision floue) que tous les autres participants. Les usagers de cigarette électronique uniquement sur les 7 derniers jours présentaient moins de symptômes mais on retrouvait tout de même significativement plus de cas de douleur et vision floue que chez le reste des participants. Les résultats sur les usagers pendant les 30 derniers jours montraient des résultats similaires, avec des symptômes plus nombreux parmi les doubles usagers et les consommateurs de cigarettes électronique uniquement, par rapport au reste de la cohorte. La fréquence des symptômes était également plus importante parmi les consommateurs, comparés aux non-consommateurs, quel que soit le type d’usage (électronique seul, ou double). Les personnes ayant utilisé au moins une fois dans leur vie une cigarette électronique déclaraient plus de sécheresse et de brûlure, et ceux ayant au moins une fois consommé cigarette conventionnelle et électronique décrivaient plus de vision floue, et de douleur oculaire, que le reste de la population étudiée.

Comme souligné dans un commentaire publié avec l’article, cette étude a le grand mérite d’alerter sur les complications oculaires du tabagisme sous toutes ses formes, et en particulier la cigarette électronique, chez les adolescents et jeunes adultes. Malgré sa méthodologie statistique complexe, elle n’est pas exempte de biais de recrutement, et de biais de confusion liés au mode de vie, comme l’usage d’autres toxiques (caféine, alcool, temps passé sur écran), ce que reconnaissent les auteurs. Des études plus approfondies devront être menées pour évaluer l’effet dose éventuel de la cigarette électronique sur les symptômes oculaires, ainsi que ses complications à plus long terme.

 

1.  Asfar T et al. Smokingcauses blindness: time for eye care professionals to join the fight against tobacco. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2015;56(2):1120-1121.

2. Gentzke AS et al. Tobacco product use and associated factors among middle and high school students—national youth tobacco survey, United States, 2021. MMWR Surveill Summ. 2022;71(5):1-29

3. Keith R, Bhatnagar A. Cardiorespiratoryand immunologic effects of electronic cigarettes. Curr Addict Rep. 2021;8(2):336-346.

Nguyen et al. Ocular Symptoms in Adolescents and Young Adults With Electronic Cigarette, Cigarette, and Dual Use. JAMA Ophthalmol. 2023;141(10):937-945

Reviewer: Alexandre Matet, thématiques : surface oculaire, épidémiologie, addictologie
 


 

Inhibiteurs du complément en intravitréen : un espoir pour la DMLA atrophique ?

 

Trois études de Phase III publiées simultanément dans le Lancet ont évalué deux nouveaux inhibiteurs du complément administrés en IVT, avec pour objectif de freiner la progression de l’atrophie géographique dans la DMLA atrophique. L’arrivée de ces deux nouveaux produits, récemment autorisés par la Food and Drug Administration (FDA), suscite un grand espoir chez les patients atteints de cette forme de DMLA, actuellement incurable. 

La première étude, GATHER2, a évalué l’avacincaptad pegol 2 mg versus placebo, en IVT mensuelles pendant 12 mois, avec un suivi supplémentaire de 12 mois, chez 448 patients avec une atrophie extra-fovéale uniquement.1 L’étude a retrouvé un ralentissement significatif de 14% de la progression de l’atrophie en autofluorescence, correspondant à une différence de 0,5 mm/an (racine carrée de la surface). La proportion de perte visuelle d’au moins 15 lettres ETDRS à deux examens consécutifs était plus importante dans le groupe placebo (7,7%) que dans le groupe traité (3,1%) (p=0,042).

Les deux autres études, OAKS et DERBY, qui ont fait l’objet d’une publication groupée,2 rapportent les résultats du pegcetacoplan en IVT mensuelle ou tous les 2 mois, versus placebo en IVT mensuelle ou tous les 2 mois également, chez 1258 patients atteints d’atrophie géographique fovéolaire et extra-fovéolaire. Les résultats anatomiques sont comparables à ceux de l’étude GATHER2, avec un ralentissement de 16% pour le schéma mensuel et de 14% pour le schéma avec intervalles de 2 mois. S’il n’y avait pas de différence d’acuité visuelle finale entre les groupes, il existait en micropérimétrie dans le groupe traité une meilleure performance dans les 250 µm autour de la zone d’atrophie.

Des effets indésirables ont néanmoins été rapportés. L’effet probablement le plus préoccupant, observé dans les deux études, est un taux plus élevé de néovascularisation choroïdienne dans l’œil traité, par rapport au groupe placebo, et nécessitant la réalisation d’IVT d’anti-VEGF. Dans les études DERBY et OAKS, 9% des yeux traités ont développé une néovascularisation, contre 3% dans le groupe placebo. Dans l’étude GATHER2, le taux de néovascularisation était de 7% dans le groupe traité, contre 4% dans le groupe placebo.
Plusieurs autres effets indésirables sérieux ont été observés avec le pegcetacoplan (études OAKS and DERBY), notamment 4 endophtalmies infectieuses et 3 cas de neuropathie optique ischémique. Dans une population âgée, l’imputabilité de ces cas de neuropathie optique reste impossible à établir strictement, mais l’intérêt des études Phase III à grande échelle est qu’ils permettent d’observer des événements moins fréquents. 

Comme souligné par Emily Chew dans un commentaire associé à ces deux publications, le fabricant du pegcetacoplan a récemment diffusé une alerte sur plusieurs cas de vascularite rétinienne occlusive. L’auteur en appelle donc à la vigilance de la communauté des spécialistes en rétine médicale pour détecter et rapporter de tels effets indésirables, notamment à la phase précoce de commercialisation de ces nouvelles thérapies.

Le résultat d’études d’extension en cours sont attendues pour évaluer le bénéfice à long terme de ces traitements, et préciser la fréquence de ces potentiels effets secondaires rares.

 

1.    Khanani AM, Patel SS, Staurenghi G, et al. Efficacy and safety of avacincaptad pegol in patients with geographic atrophy (GATHER2): 12-month results from a randomised, double-masked, phase 3 trial. Lancet 2023; 402: 1449–58.

2.    Heier JS, Lad EM, Holz FG, et al. Pegcetacoplan for the treatment of geographic atrophy secondary to age-related macular degeneration (OAKS and DERBY): two multicentre, randomised, double-masked, sham-controlled, phase 3 trials. Lancet 2023; 402: 1434–48.

Chew E. Complement inhibitors for the treatment of geographic atrophy. Lancet 2023; 402:1396-97

Reviewer: Alexandre Matet, thématiques : rétine médicale, thérapeutique