Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle
Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.
Impact de la chirurgie de la cataracte chez les patients atteints de troubles neurocognitifs.
Selon la définition du DSM 5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), le trouble neurocognitif léger (TNCL) correspond à « une réduction acquise, significative et évolutive des capacités dans un ou plusieurs domaines cognitifs, avec des capacités préservées permettant d’effectuer seul les activités de la vie quotidienne ». Lié à l’âge, ce trouble correspond à un état prédisposant à l’état de démence avérée. Actuellement, aucun traitement n'est réellement efficace pour ralentir l’évolution du TNCL. Des études ont toutefois montré que l’augmentation de l’acuité visuelle, notamment liée à la chirurgie de la cataracte, était associée à une amélioration des performations cognitives chez les sujets âgés non atteints de TNCL.1
Dans leur article publié par Acta Ophthalmologica, Yoshida et al. ont évalué l’évolution de la fonction cognitive après chirurgie de la cataracte dans le TNCL et la démence (DEM). Un MMSE (Mini-mental state examination) et un MMSE pour malvoyant (MMSE-blind, réalisé pour s’affranchir de l’effet de l’amélioration de la vision sur la capacité à réaliser le test) ont été réalisés en pré et post-opératoire (3 mois) de chirurgie de la cataracte chez des patients de plus de 75 ans. Les patients ayant un MMSE préopératoire < 28 (TNCL : 23-27 ; DEM : < 23) ont été inclus. Au total, 88 patients ont été analysés (TNCL : 49 ; DEM :39). En post-opératoire de la chirurgie de la cataracte, une amélioration significative du score MMSE (25,65 ± 1,03 en préopératoire vs. 27,08 ± 1,99 en postopératoire, p<0,001) et du score MMSE-blind (18,04 ± 1,14 vs. 19,41 ± 2,01, p<0,001) était retrouvée dans le groupe TNCL mais pas dans le groupe DEM, malgré des gains d’acuité visuelle comparables. Par conséquent, l'évolution du score MMSE n'était pas significativement corrélée au niveau de gain d'acuité visuelle dans l’ensemble de la population étudiée. Une limite de ce résultat est la présence d’un plus grand nombre de patients atteints de déficience auditive (qui pourrait au même titre que la vision, impacter la fonction cognitive) dans le groupe DEM par rapport au groupe TNCL (64,1% vs. 32,7% respectivement, p=0,003). En analyse multivariée (intégrant notamment la présence d’un déficit auditif), il existait toutefois une relation positive entre l'amélioration de la fonction cognitive liée à la chirurgie de la cataracte et la fonction cognitive préopératoire : plus le MMSE était bas en préopératoire, plus le gain cognitif était bas.
Les tests neurocognitifs ayant été réalisés précocement après la chirurgie de la cataracte, il reste difficile d’établir les conséquences cognitives du gain d’acuité visuelle au long cours. Cependant, au regard des résultats de cette étude, la chirurgie de la cataracte pourrait limiter le déclin cognitif des patients atteints de TNCL et ainsi diminuer le risque de conversion en démence avérée, stade auquel les troubles cognitifs semblent moins sensibles à l’amélioration de la fonction visuelle. Des études longitudinales seront nécessaires afin d’évaluer de façon plus précise l’impact de la chirurgie de la cataracte sur la progression du TNCL.
Reference : Ishii, K., Kabata, T. & Oshika, T. The impact of cataract surgery on cognitive impairment and depressive mental status in elderly patients. American Journal of Ophthalmology. 2008, 146(3), 404–409.
Reference article : Yoshida Y, Ono K, Sekimoto S, Umeya R, Hiratsuka Y. Impact of cataract surgery on cognitive impairment in older people. Acta Ophthalmol. 2024 Jun;102(4):e602-e611.
Reviewer : Paul Bastelica , thématiques : cataracte, neurologie.
Recrudescence de la kérato-conjonctivite gonococcique de l’adulte.
La gonorrhée est une infection sexuellement transmissible (IST) liée à Neisseria gonorrhoeae (gonocoque). Elle est classiquement responsable d’infections génitales purulentes : urétrite chez l’homme et cervicite chez la femme. Plus rarement, l’infection peut être systémique ou se localiser sur un certain nombre d’organes extra-génitaux (pharynx, rectum, conjonctive par exemple). Au regard du nombre croissant de cas rapportés en Europe et de l’émergence de résistances à la ceftriaxone (traitement empirique de référence), la gonorrhée pourrait devenir un réel problème de santé publique.1 Le gonocoque peut également être responsable d’atteintes oculaires chez l’adulte, après inoculation ou auto-inoculation à partir de fluides corporels infectés. Elle est classiquement décrite comme aigue et très purulente, et peut être responsable de tableaux extrêmement sévères (notamment kératites, perforations cornéennes, cellulites orbitaires), liés à la pénétration intracornéenne du gonocoque au travers de l’épithélium cornéen.2
Selon une série de cas réalisée par Milligan et al. et publiée par le British Journal of Ophthalmology, la kérato-conjonctivite gonococcique (KCG) de l’adulte, historiquement décrite comme rare, pourrait également voir son incidence augmenter. Dans cette étude, tous les patients majeurs atteints de KCG confirmées biologiquement dans deux hôpitaux européens (Moorfield Eye Hospital, Londres, Royaume-Unis ; Rotterdam Eye Hospital, Rotterdam, Pays-Bas) entre 2017 et 2023 ont été inclus. Au total, 21 cas ont été répertoriés. Une augmentation du nombre de cas a été enregistrée dans les deux centres en 2023 : l’incidence était de 11 cas confirmés au cours des 7 premiers mois de 2023, contre moins de 3 cas par an entre 2017 et 2022 (aucun cas en 2017 et 2018). Aucun des isolats n'était résistant à la ceftriaxone. La majorité des patients atteints étaient des hommes (16/21) et l’âge médian était de l’ordre de 23 ans (19 à 58 ans). Dans près de la moitié des cas (10/21), le diagnostic clinique n'a pas été posé lors de la première présentation. La grande majorité des patients (19 patients) ont reçu un traitement systémique par ceftriaxone plus ou moins associé à d’autres antibiotiques locaux et systémiques. Bien que le taux de complications était très élevé (11/21 : amincissements cornéens, cellulites pré et rétroseptales, en revanche pas de cas de perforation cornéenne), le pronostic visuel était relativement bon à distance de l’épisode, avec une acuité visuelle mesurée > 8/10 chez 60% des patients traités et non perdus de vue (9 patients sur 15).
Selon ce rapport, il semblerait que l’évolution de l’incidence de la KCG suive l’augmentation récente du nombre de cas de gonorrhées. En outre, en dépit de la présentation hyper-aigue de cette kérato-conjonctivite, le diagnostic en est régulièrement retardé. Les résultats de cette étude ne portant que sur deux centres ophtalmologiques tertiaires européens, d’autres études devront caractériser plus précisément le profil épidémiologique de la KCG. Il est assez probable que nous soyons également confrontés à cette augmentation en France…
References :
- World Health Organisation (WHO). Multi-drug resistant Gonorrhoea [Internet]. 2023. Available: https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/multi-drug-resistant- gonorrhoea
- Chasco CG, Carreras-Castañer X, Zboromyrska Y, et al. Adult Gonococcal Conjunctivitis: prevalence, clinical features and complications. J Med Microbiol 2021;70.
Reference article : Milligan AL, Randag AC, Lekkerkerk S, Fifer H. Increased incidence of adult gonococcal keratoconjunctivitis at two tertiary eye hospitals in Western Europe: clinical features, complications and antimicrobial susceptibility. Br J Ophthalmol. 2024 May 21;108(6):788-792.
Reviewer : Paul Bastelica , thématiques : infectiologie, surface oculaire.
Corrélations génotype phénotype dans l’atrophie optique autosomique dominante
L’atrophie optique autosomique dominante (AOAD) est la plus fréquente des neuropathies optiques héréditaires. Elle est généralement détectée au cours de la première décennie, lors des dépistages visuels scolaires, s’accompagne d’une déficience visuelle généralement modérée (1 à 3/10), avec des déficits campimétriques classiquement centrocæcaux, centraux ou paracentraux et des anomalies de la vision de l'axe bleu-jaune (tritanopie). La cécité légale est rare. Dans environ 20 % des cas, des signes extra-oculaires peuvent être associés, mais apparaissent généralement plus tard dans la vie (surdité, mouvements anormaux, troubles cognitifs, ptosis, ophtalmoplégie progressive…) On parle alors d’AOAD plus. L'examen du fond d'œil révèle généralement une pâleur temporale bilatérale et symétrique parfois associé à une excavation papillaire. L’OCT retrouve une réduction globale de l'épaisseur de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires (RNFL), prédominant dans le quadrant inféro-temporal. Une des caractéristiques frappantes de l’AOAD est sa variabilité phénotypique : la pénétrance n’est que d’environ 50%, et de nombreux patients ont des tableaux asymptomatiques, ne comportant que des anomalies structurelles du nerf optique. Ils peuvent ainsi être diagnostiqués et traités à tort comme des glaucomes pré-périmétriques. Les tests génétiques, qui ne comportaient initialement que la recherche de mutations du gène OPA1 (qui représentent 60% des cas), ont été largement enrichis par l’avènement du séquençage pangénomique, ayant permis de comprendre que l’AOAD pouvait être causée par des mutations sur de nombreux autres gènes, ayant en commun un retentissement sur le fonctionnement mitochondrial. Parmi ces dernières, les mutations des gènes AFG3L2 et ACO2 sont les plus fréquentes. Quelques précisions sur les rôles des protéines codées par ces différents gènes sont utiles pour mieux comprendre la suite…
- OPA1 code pour une protéine multifonction de la membrane mitochondriale interne (IMM) principalement responsable de formation de la morphologie des crêtes mitochondriales, de l'ajustement de l'efficacité de la phosphorylation oxydative (la dernière phase du métabolisme aérobie) et du métabolisme énergétique, le contrôle de l'apoptose, et le maintien du génome mitochondrial (ADNmt).
- AFG3L2 code pour une protéase mitochondriale qui se combine à d’autres protéines forme un complexe protéolytique situé dans l‘IMM responsable du contrôle de la qualité de plusieurs protéines mitochondriales, dont OPA1. Une mutation d’AFG3L2 peut donc avoir une conséquence directe sur la fonction d’OPA1.
- Enfin, les mutations d’ACO2 (codant pour une enzyme du cycle de Krebs), ont récemment été décrites comme une cause fréquente d'AOAD. Les données expérimentales montrent que les mutations mono-alléliques d’ACO2 augmentent la susceptibilité au stress oxydatif et à la mort cellulaire.
Une équipe de Bologne a entrepris d’investiguer de potentielles corrélations entre le génotype et le phénotype neuro-ophtalmologique de ces différentes formes d’AOAD : un travail préliminaire essentiel pour mieux définir les candidats potentiels à de futures thérapeutiques. Dans cette étude transversale monocentrique rétrospective, Les paramètres neuro-ophtalmologiques suivants ont été recueillis : acuité visuelle (AV), vision des couleurs, déviation moyenne et seuil fovéal aux champs visuels, épaisseur moyenne et sectorielle des RNFL et de la couche des cellules ganglionnaires (CCG) en OCT. Des patients ACO2 et AFG3L2 ont été comparés à un groupe de patients OPA1 appariés selon l'âge et le sexe avec un ratio de 1:2.
Au total, 44 yeux de 23 patients ACO2 et 26 yeux de 13 patients AFG3L2 ont été comparés à 143 yeux de 72 patients OPA1. L’âge des patients inclus était d’environ 35 ± 15 ans dans les 3 groupes. Tous les cas présentaient une atrophie optique bilatérale prédominante temporale avec divers degrés de déficience visuelle. La fréquence des patients asymptomatiques (26%, 15% et 13% dans les groupes ACO2 AFGL3 et OPA1, respectivement) ainsi que la proportion de patients symptomatiques ayant débuté leur maladie dans l’enfance ou l’adolescence l’enfance où l’adolescence dans 88%, 75 et 78% dans les groupes ACO2 AFGL3 et OPA1, respectivement) n’étaient pas significativement différente entre les groupes.
Sur tous les autres paramètres, la comparaison entre les patients AFG3L2 et OPA1 n'a révélé aucune différence significative. En revanche, la comparaison des patients ACO2 aux deux autres groupes, révélait des valeurs significativement plus élevées des RNFL nasales ainsi que de l'épaisseur moyenne de la CCG. Les fréquences des atteintes extra-oculaires semblait moindre dans le groupe ACO2 comparativement aux 2 autres groupes.
Bien sûr, cette étude souffre de son caractère transversal, et comme beaucoup d’études monocentriques sur les maladies rares, de la taille limitée des effectifs par groupe. Elle offre par contre une opportunité de sensibiliser les non-spécialistes sur les phénotypes des AOAD et l’existence de ces mutations moins connues.
On peut globalement en retenir que l'AOAD reste une entité relativement homogène malgré sa diversité génétique. ACO2 semble être associée à une meilleure préservation globale des cellules ganglionnaires rétiniennes, probablement en raison d'un mécanisme pathogénique différent. Les AOAD par mutation d’AFG3L2, semblent quant à elles très difficiles à distinguer de l'AOAD « classique » liée aux mutations d’OPA1.
1)https://www.orpha.net/en/disease/detail/98673#:~:text=The%20prevalence%20of%20Autosomal%20dominant,the%20UK%20and%20probably%20worldwide.&text=ADOA%20is%20usually%20detected%20during,but%20later%20onset%20is%20possible.
Amore G, Romagnoli M, Carbonelli M, et al. AFG3L2 and ACO2-Linked Dominant Optic Atrophy: Genotype-Phenotype Characterization Compared to OPA1 Patients. Am J Ophthalmol. 2024 Jun;262:114-124.
Reviewer : Antoine Rousseau , thématique : neuro-ophtalmologie
Le tamponnement par huile de silicone de haute densité améliore le pronostic de la chirurgie de première intention des décollements de rétine inférieurs complexes.
Le traitement chirurgical des décollements de rétine rhegmatogène (DRR) peut faire appel au tamponnement rétinien, le plus souvent effectué avec du gaz. Un tamponnement par huile de silicone peut toutefois être nécessaire en première intention dans certains cas complexes, notamment en présence de déchirures de grande taille ou multiples, ou bien de de prolifération vitréo-rétinienne (PVR) sévère. Deux types d’huile de silicone sont disponibles : les huiles légères, constituées de siloxane polymérisé (PDMS), ayant une gravité inférieure à celle de l’eau et qui sont peu efficaces pour tamponner la rétine inférieure, sauf à réaliser un positionnement strict ; et les huiles lourdes (HSL), dotée d’une gravité supérieure à celle de l’eau, conseillées pour le traitement des DRR inférieurs. Le Densiron© est une HSL disponible dans de nombreux pays européens constituée de 69,5% de PDMS et 30,5% de perfluorohexyloctane, ayant une gravité de 1,06g/cm3. Ce produit a suscité quelques inquiétudes au regard de sa tendance à s’émulsifier à sa surface, ce qui pourrait entrainer une réaction inflammatoire potentiellement responsable du développement de membrane épirétinienne, de PVR et d’hypertonie oculaire. L’absence d’étude d’envergure évaluant l’efficacité du Densiron© en première intention pour traiter les DRR causés par des déhiscences inférieures et compliqués de PVR a motivé des collègues anglais à réaliser une vaste étude de cohorte comparant ce tamponnement à celui par huile de silicone légère. Les auteurs utilisaient pour cela le registre des sociétés européennes et britanniques de chirurgie vitréo-rétinienne et comparaient les résultats de tous les yeux opérés de DRR primaire (pas les reprises) avec tamponnement par huile de silicone légère ou Densiron©.
Sans rentrer dans les détails de la méthodologie très sophistiquée de l’appariement, celle-ci visait à diminuer les facteurs confondants et rendre comparables les DRR inclus en termes de localisation des déhiscences et d’étendue/ sévérité de la PVR. Pour cela, les auteurs ont utilisé notamment les schémas standardisés intégrés à la base de données du registre. Le critère de jugement principal était la présence d’une ré-application complète de la rétine ainsi que l’acuité visuelle au moins 2 mois après retrait de l’huile de silicone.
L’analyse était réalisée en 2 phases en fonction des données disponibles : une première sur le résultat anatomique, qui comparait 284 yeux tamponnés avec de l’huile légère à 142 yeux tamponnés par Densiron©, et l’autre sur le résultat visuel (142 huile légère, 97 Densiron©).
Le succès anatomique primaire était plus fréquent dans le groupe Densiron© (80% vs 63%, avec un ratio d’incidence de 1,9 (IC 95% = 1,63-2,23, P < 0.001). Par ailleurs, après ajustement par l’acuité visuelle préopératoire, l’amélioration de l’acuité visuelle postopératoire était significativement meilleure dans le groupe Densiron© (de l’ordre de 1/10). Le bénéfice anatomique sur les DR tamponnés par Densiron© était plus prononcé dans les cas de grandes déhiscences inférieures, de décollements de grande taille, et de PVR de grade C (membrane focale, cordages sous-rétiniens).
Malgré une méthodologie très difficile à suivre en raison de sa complexité, cette étude rapporte des résultats clairs et sans appel, et confirment ceux de précédents travaux de moindre envergure : en cas de DR inférieur complexe, le tamponnement par HSL permet d’obtenir de meilleurs résultats anatomiques et visuels que le tamponnement par huile de silicone légère.
En revanche, le problème des complications – éventuellement tardives - associé à l’utilisation de ce type de tamponnement n’a pas été abordé dans cet article, ce qui pose un problème, d’ailleurs discuté par les auteurs et qui devra faire l’objet d’analyses supplémentaires.
Tzoumas N, Yorston D, Laidlaw DAH, Williamson TH, Steel DH; British and Eire Association of vitreoretinal surgeons and european society of retina specialists retinal detachment outcomes group. improved outcomes with heavy silicone oil in complex primary retinal detachment: a large multicenter matched cohort study. Ophthalmology. 2024 Jun;131(6):731-740.
Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : rétine chirurgicale
Accidents thrombo-emboliques artériels ou veineux après IVT: méta-analyse comparant les différentes molécules anti-VEGF
Les anti-VEGF injectés en intravitréens (IVT) ont révolutionné le pronostic visuel de la DMLA exsudative, de l’œdème maculaire diabétique (OMD) et des occlusions veineuses rétiniennes (OVR). Néanmoins, les études qui ont évalué leur efficacité et leur toxicité ont rapporté un risque non nul d’événements cardiovasculaires thromboemboliques, aussi bien artériels que veineux, chez les patients recevant ces traitements. Ce risque avait été constaté lors de l’arrivée du premier anti-VEGF en cancérologie, le bevacizumab intraveineux, qui en combinaison avec une chimiothérapie induisait un risque d’accidents artériels ou veineux avec un hazard ratio de 2.0 (P=0.031) par rapport à une chimiothérapie isolée. Toutefois, la dose injectée en IVT et sa diffusion systémique sont bien inférieures aux doses intraveineuses. Ce risque étant très faible, il est difficile de montrer une différence en nombre d’événements dans un seul essai clinique, même bien construit. De plus, le risque thromboembolique était variable selon les essais cliniques rapportés dans les maladies rétiniennes. Les auteurs de l’Université de Toronto ont donc réalisé cette méta-analyse, portant sur toutes les études randomisées contrôlées (versus placebo ou versus un autre anti-VEGF) identifiées dans la littérature, analysant une des cinq molécules d’anti-VEGF actuellement sur le marché : bevacizumab, ranibizumab, aflibercept, brolucizumab ou faricimab, aux doses standard (excluant les nouvelles formulations haute concentration). Celles comparant un anti-VEGF avec un traitement par laser ou PDT étaient exclues.
Au total, les auteurs ont identifié 20 études randomisées contrôlés entre 2005 et 2023, totalisant 12 833 yeux. Ils ont utilisé les outils méthodologiques de la base de données Cochrane pour grouper et analyser les données, et estimer les biais statistiques. Les études analysées portaient sur la DMLA (n=13), l’OMD (n=3) ou les OVR (n=4). Elles comportaient au moins un bras de traitement évaluant le bevacizumab (n=9), le ranibizumab (n=16), l’aflibercept (n=10), le brolucizumab (n=1) ou le faricimab (n=2).
Concernant le risque d’accidents thrombo-embolique, les auteurs ont dénombré 84 événements artériels ou veineux sur 2294 patients (3,4%) ayant reçu du bevacizumab, 154 sur 4178 patients (3,7%) traités par ranibizumab, 77 sur 3747 (2,1%) traités par aflibercept, 12 sur 730 (1,6%) traités par brolucizumab et 13 sur 1294 (1,0%) traités par faricimab.
Le risque de biais dans les études sélectionnées a été analysé sur 100 items (portant sur la randomisation, la déviation du protocole, les données manquantes, la sélection des données rapportées, etc). 58% des items relevés induisaient un risque faible de biais, 42% un risque modéré et 0% un risque sérieux.
Cette méta-analyse n’a pas identifié de différence significative entre le bevacizumab et le ranibizumab concernant le risque thrombo-embolique artériel ou veineux global (risque relatif (RR)=0,96 ; IC à 95%=0,52-1,75 ; P=0,89), ou en analysant séparément le risque artériel (RR=0,88 ; IC à 95%=0,60-1,30 ; P=0,53) et veineux (RR=1,99, IC à 95%=0,68-5,82 ; P=0,21).
La majorité des études ne rapportait que le risque d'événements thrombotiques artériels, qui était similaire entre l'aflibercept et le bevacizumab (RR=1,11 ; IC à 95%=0,60-2,07 ; P=0,74), entre l'aflibercept et le ranibizumab (RR=0,77 ; IC à 95 %=0,49-1,21 ; P=0,26), entre le brolucizumab et l'aflibercept (RR=0,67 ; IC à 95%=0,32-1,38 ; P=0,27), et entre l'aflibercept et le faricimab (RR=0,96 ; IC à 95%=0,43-2,17 ; P=0,93). Il n’y avait pas non plus d’augmentation du risque d’événements thrombotiques artériels entre le ranibizumab (0,5 mg ou 0,3 mg) et une injection fictive (P=0,21 et P=0,83). Ce dernier résultat est cohérent avec une étude cas-témoin à grande échelle portant sur 91 378 patients, qui a montré que le ranibizumab ne présentait pas de risque accru d’événements artériels ou veineux, par rapport aux témoins.2
Enfin, les auteurs ont observé un taux de thrombose artérielle similaire entre des cohortes de patients « jeunes » et « âgés ». On pourrait leur reprocher le manque de transparence de ce dernier résultat, qui semble comparer des sous-groupes en fonction de l’âge, mais dont la méthodologie et en particulier l’âge seuil ne sont pas explicités.
Parmi les autres limites de ce travail, on peut mentionner l’absence de distinction entre thromboses artérielles et veineuses dans la plupart des études analysées, bien que ce point soit mis en avant dans le titre de la méta-analyse, et l’absence d’argumentation de la part des auteurs sur la distinction de ces événements vasculaires aux physiopathologies très distinctes.
Comme les auteurs le mentionnent, le risque embolique réellement attribuable aux IVT d’anti-VEGF est difficile à établir car ces traitements sont administrés à des patients présentant souvent des facteurs de risque cardiovasculaire (âge, diabète, HTA, etc).
En résumé, cette étude est la première méta-analyse portant sur ces complications emboliques des IVT d’anti-VEGF, et estime entre 1% et 3,4% le taux global de thrombose artérielle ou veineuse, selon les agents. Elle montre que le bevacizumab et le ranibizumab entrainent un risque similaire d'événements artério-veineux systémiques combinés, que l'aflibercept présente un risque similaire d'événements artériels par rapport à tous les autres agents, et que le ranibizumab n'augmente pas le risque d'événements artériels par rapport à une injection fictive. Les taux de complications emboliques restent comparables avec les biosimilaires du ranibizumab3 et de l’aflibercept4, selon les études disponibles.
- Scappaticci FA, Skillings JR, Holden SN, et al. Arterial thromboembolic events in patients with metastatic carcinoma treated with chemotherapy and bevacizumab. J Natl Cancer Inst. 2007
- Campbell RJ, Gill SS, Bronskill SE, Paterson JM, White- head M, Bell CM. Adverse events with intravitreal injection of vascular endothelial growth factor inhibitors: nested case- control study. BMJ. 2012
- Chakraborty D, Stewart MW, Sheth JU, et al. Real- world safety outcomes of intravitreal ranibizumab biosimilar (Razumab) therapy for chorioretinal diseases. Ophthalmol Ther. 2021
- Woo SJ, Bradvica M, Vajas A, et al. Efficacy and safety of the Aflibercept Biosimilar SB15 in Neovascular Age-Related Macular Degeneration: a phase 3 randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2023
Jhaveri et al. Systemic arterial and venous thrombotic events associated with anti–vascular endothelial growth factor injections: a meta-analysis. American Journal of Ophthalmology 2024 (June)
Reviewer : Alexandre Matet, thématique : rétine médicale, pharmacologie