Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle
Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.
L’échographie UBM pour optimiser la position des trocarts de vitrectomie chez le myope fort
La vitrectomie par la pars plana représente actuellement la voie d’abord chirurgicale de référence pour le traitement des membranes épirétiniennes et des trous maculaires. Chez les patients myopes forts, l’accès à la surface maculaire peut être compliqué, notamment lorsque la longueur axiale est très importante ou lorsqu’un staphylome myopique s’associe au tableau clinique. Un des points déterminants pour faciliter l’accès chirurgical au pôle postérieur des patients myopes forts est de placer le trocart en position relativement postérieure, de sorte à raccourcir la distance qui le sépare de la surface maculaire.
Savastano et al. proposent dans leur article publié dans Retina, de comparer les mesures échographiques de la pars plana des patients myopes forts à celles de sujets emmétropes, afin de définir la distance limbe/trocart qui permette de faciliter au mieux les manœuvres chirurgicales nécessaires au traitement des atteintes maculaires de la myopie forte. Les 30 patients inclus étaient âgés de 55 à 70 ans, dont 15 étaient emmétropes (longueur axiale de 23 à 24mm) et 15 autres étaient myopes forts (longueur axiale >30mm). L’indication chirurgicale de vitrectomie relevait du traitement d’une membrane épirétinienne ou d’un trou maculaire, avec un seul œil inclus par patient. Une échographie UBM permettait de mesurer la longueur de la pars plana (définie par la distance limbe scléro-cornéen/ora serrata) dans le quadrant supéro-nasal des yeux droits et supéro-temporal des yeux gauches (quadrants d’implantation du trocart de la main dominante pour les droitiers). La longueur moyenne de la pars plana était mesurée en moyenne à 4,960.30mm chez les patients contrôles, et à 6,650,36mm chez les sujets myopes (p<0,001). Un contrôle per-opératoire de la longueur de la pars plana (repérage de l’ora serrata par indentation sclérale et marquage conjonctival en regard) a été réalisé chez les sujets myopes forts opérés par vitrectomie 3 voies. Cette mesure n’était pas significativement différente de la mesure échographique (6,66 mm 0,34 ; p=0,950).
Cette étude confirme donc que la longueur de la pars plana est plus importante dans les yeux avec une longueur axiale >30mm, et ainsi, soutient l’idée d’une insertion des trocarts de vitrectomie de façon plus postérieure que pour les yeux emmétropes. Par ailleurs, ce paramètre est calculé de manière fiable par échographie UBM, dont la réalisation en préopératoire pourrait guider l’insertion optimale des trocarts de vitrectomie, et ainsi, faciliter l’abord chirurgical de la macula chez le myope fort. Cependant, il convient de souligner que les conclusions de cette étude ne s’appliquent qu’aux yeux avec une longueur axiale de plus de 30mm.
Reference article: Savastano A, Bernardinelli P, De Vico U, Amorelli GM, Niutta M, Rizzo S. Guided Trocar Insertion in Highly Myopic Eyes. Retina. 2024 May 1;44(5):923-927.
Reviewer : Paul Bastelica , thématique : rétine chirurgicale.
Le microbiote intestinal : facteur de risque de myopie ?
Le microbiote intestinal est constitué d’une multitude de micro-organismes qui jouent un rôle primordial dans le fonctionnement physiologique du tube digestif. De nombreux travaux ont montré que des altérations du microbiote intestinal étaient impliquées dans la physiopathologie de multiples maladies systémiques, notamment inflammatoires, immunitaires et certains cancers.1,2 Par ailleurs, les preuves récentes d’un lien fort entre la constitution du microbiote intestinal et la santé oculaire ont fait naitre le concept d’ « axe intestin-œil ».3 Celui-ci jouerait un rôle dans la genèse de nombreuses pathologies oculaires, notamment le glaucome, la DMLA et les troubles de la surface oculaire.4 Dans ce contexte, le journal Investigative Ophthalmology and Visual Science a publié un article relatant les résultats d’une étude dont l’objectif était d’identifier les micro-organismes présents dans les matières fécales d'individus myopes et emmétropes, et ainsi, de déterminer le rôle potentiel du microbiote intestinal dans le développement de la myopie.
Afin de limiter au maximum les facteurs confondants, les critères d’inclusion dans cette étude étaient extrêmement restrictifs : patients âgés de 18 à 45 ans, sans antécédent chirurgical ou comorbidité systémique, sans prise médicamenteuse dans les 8 semaines précédant l’inclusion, avec un examen ophtalmologique normal aux deux yeux (acuité visuelle mesurée à 10/10, anisométropie <1D, astigmatisme <1D, hypermétropie <0.5D), sans antécédent oculaire (dont port de lentilles de contact) en dehors de la présence d’une myopie bilatérale, définie par un équivalent sphérique objectif <-0,50D. À la suite d’une consultation ophtalmologique complète, trois groupes de patients ont été constitués : 23 sujets emmétropes (équivalent sphérique compris entre -0,5 et +0,5D) ; 8 patients atteints de myopie évolutive (progression >0,25 D au cours de l'année précédente) ; et 21 myopes stables. Les caractéristiques socio-démographiques et cliniques des trois groupes de patients n’étaient pas significativement différentes. En particulier, les myopes stables et évolutifs avaient un équivalent sphérique (respectivement -3,1 et -4,2 dioptries) et une longueur axiale (respectivement 25.5 et 25.1 mm) comparables statistiquement. Des échantillons fécaux ont été recueillis chez tous les patients, puis analysés (extraction et séquençage de l’ARN 16S ribosomal) afin de caractériser le microbiote intestinal des patients inclus. Il n’existait pas de différence entre les trois groupes de patients en termes de diversité des espèces bactériennes (intra et inter-échantillons). Les myopes présentaient en revanche une abondance significativement plus importante d’espèces liées à la synthèse de dopamine (produite en grande partie dans l’intestin) telles que Clostridium, Ruminococccus, Bifidobacterium et Bacteroides. Par ailleurs, B. uniformis et B. fragilis, deux Bacteroides produisant du GABA (gamma-aminobutyric acid), étaient présents en abondance significativement plus élevée chez les myopes. Enfin, Bifidobacterium adolescentis, une bactérie produisant également du GABA, était significativement plus abondante chez les sujets myopes stables par rapport aux sujets atteints de myopie évolutive.
À la lumière de ces résultats, il semblerait donc que l’abondance de certaines bactéries impliquées dans le métabolisme de la dopamine et du GABA dans le microbiote intestinal soit associée au développement et la progression de la myopie. Ce résultat est cohérent avec les résultats d’études réalisées par le passé ayant suggéré le rôle des métabolismes gabaergiques et dopaminergiques dans l’allongement du globe oculaire et la myopie.5 Cette découverte laisse entrevoir de nouvelles perspectives dans la compréhension du rôle des bactéries intestinales et dans le potentiel développement de thérapies innovantes ciblant le microbiote intestinal pour le contrôle de la myopie.
Références :
1- Levy M, Kolodziejczyk AA, Thaiss CA, Elinav E. Dysbiosis and the immune system. Nat Rev Immunol. 2017;17(4):219– 232.
2- Sedzikowska A, Szablewski L. Human gut microbiota in health and selected cancers. Intl J Mol Sci. 2021;22(24):13440.
3- Floyd JL, Grant MB. The gut-eye axis: lessons learned from murine models. Ophthalmol Ther. 2020;9(3):499–513.
4- Labetoulle M, Baudouin C, Benitez Del Castillo JM, Rolando M, Rescigno M, Messmer EM, Aragona P. How gut microbiota may impact ocular surface homeostasis and related disorders. Prog Retin Eye Res. 2024 May;100:101250.
5- Schmid KL, Strasberg G, Rayner CL, Hartfield PJ. The effects and interactions of GABAergic and dopaminergic agents in the prevention of form deprivation myopia by brief periods of normal vision. Exp Eye Res. 2013;110:88–95.
Reference article: Omar WEW, Singh G, McBain AJ, Cruickshank F, Radhakrishnan H. Gut microbiota profiles in myopes and nonmyopes. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2024;65(5):2.
Reviewer : Paul Bastelica , thématique : microbiologie.
L’occlusion reste le traitement de référence pour l’amblyopie
Malgré les progrès réalisés grâce au dépistage,1 l'amblyopie reste une cause majeure de trouble visuel fréquent chez l'enfant, et constitue toujours un problème de santé publique. Concernant la prise en charge, les recommandations ne sont pas uniformes : plusieurs pays recommandent une période prolongée de correction optique préalable à la mise en place de l’occlusion, tandis dans d’autres pays, comme en France, l’occlusion est démarrée précocement (et même immédiatement en cas d’amblyopie profonde), en association avec la correction optique totale.
L’étude EuPatch, dont les résultats sont publiés dans le Lancet ce mois-ci, était un essai contrôlé randomisé mené dans 30 hôpitaux au Royaume-Uni, en Grèce, en Autriche, en Allemagne et en Suisse dont l'objectif était de comparer un régime intensif d'occlusion, avec ou sans correction optique prolongée préalable (COPP).
Les enfants, âgés de 3 à 8 ans, et présentant une amblyopie récemment diagnostiquée et non traitée (définie comme une différence interoculaire d’acuité visuelle corrigée ≥0,30 logMAR), secondaire à une anisométropie, un strabisme, ou les deux, étaient éligibles. Ils ont été répartis de façon randomisée soit dans le groupe COPP (18 semaines de port de lunettes avant l'occlusion) soit dans le groupe occlusion précoce (3 semaines de port de lunettes avant l'occlusion). Les deux groupes de l’étude étaient stratifiés selon le type et la sévérité de l'amblyopie. Concernant l’occlusion, tous les patients recevaient un régime intensif (10 h/jour, 6 jours par semaine), qui pouvait durer jusqu'à 24 semaines, en fonction des résultats. Les participants, les parents ou tuteurs, les évaluateurs et le statisticien de l'essai n'étaient pas masqués quant à l'attribution du traitement. Le critère de jugement principal était le succès du traitement (c'est-à-dire une différence interoculaire de ≤0,20 logMAR) après 12 semaines d'occlusion. L’analyse incluait tous les participants, y compris ceux ayant quitté l’étude avant sa fin, mais excluait ceux pour lesquels les résultats à S12 n’étaient pas disponibles.
Au total, 334 participants ont été inclus : 170 dans le groupe COPP et 164 dans le groupe d'occlusion précoce), avec 56% de garçons et 44% de filles. L’analyse du critère principal était réalisée sur 317 participants (158 dans le groupe COPP et 159 dans le groupe d'occlusion précoce), avec un temps médian de suivi de 42 semaines dans le groupe COPP contre 27 semaines dans le groupe d'occlusion précoce.
Pour résumer, le taux de succès à 12 semaines était plus élevé dans le groupe d'occlusion précoce (67 %) que dans le groupe COPP (54 %, p=0,019).
Ces résultats robustes permettront d’homogénéiser les pratiques de prise en charge de l’amblyopie, et confortent au passage le bien-fondé de l’attitude la plus communément admise en France.
1) Speeg-Schatz C, Bui-Quoc E, Audren F. Recommandations de dépistage des troubles visuels chez l’enfant, Société Française d’Ophtalmologie, 2020 (disponible en ligne).
Proudlock FA, Hisaund M, Maconachie G, Papageorgiou E, Manouchehrinia A, Dahlmann-Noor A, Khandelwal P, Self J, Beisse C, Gottlob I; EUPatch study group. Extended optical treatment versus early patching with an intensive patching regimen in children with amblyopia in Europe (EuPatch): a multicentre, randomised controlled trial. Lancet. 2024 May 4;403(10438):1766-1778
Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : pédiatrie
Premiers résultats d’un nouveau dispositif portable d’aide visuelle pour les cécités cornéennes
C’est le sujet d’un article paru dans le numéro de mai d’Ophthalmology. Une équipe de chercheurs et d’ophtalmologistes de l’Université de Duisbourg (Allemagne) rapportent en effet les premiers résultats d’un dispositif d’aide visuelle ingénieux, constitué :
1) d’une paire de lunettes avec sur la face avant, une caméra miniaturisée, et sur la face postérieure un système de projection laser à 3 couleurs dont les longueurs d’onde sont capables de traverser les opacités cornéennes, et qui balaient une aire pupillaire pour atteindre la macula (l’innocuité des énergies et longueurs d’onde utilisées a été bien sûr contrôlée en amont),
2) d’un boîter de traitement de l’image connecté aux lunettes qui convertit le signal acquis par la caméra pour qu’il puisse être généré par le laser,
3) d’une batterie donnant au système une autonomie d’environ 1h30.
Le dispositif (lunettes avec micro-projecteur laser – LML) avait déjà fait ses preuves chez des contrôles normaux ne souffrant d’aucune pathologie ophtalmologique.
Dans cette étude pilote, 21 patients âgés de 25 à 69 ans, avec une meilleure acuité visuelle corrigée < 2/10 sur le meilleur œil, causée par une pathologie cornéenne bilatérale, et sans autre comorbidité oculaire pouvant limiter la vision (pathologies rétiniennes ou du nerf optiques) ont été inclus. Les diagnostics comprenaient des opacités cornéennes d’étiologie indéterminée (N=8), des brulures thermiques ou chimiques (N=5), des dystrophies cornéennes (N=5), (des complications de maladies du greffon contre l’hôte (N= 3). Le meilleur œil était retenu pour l’étude.
L’étude visait à évaluer ce dispositif d’aide visuelle en monoculaire après une période d’adaptation au domicile de 6 semaines. Les patients avaient reçu des instructions très précises pour porter les LML de 2 à 8 heures par jour (ce qui nécessitait donc potentiellement des séances de recharge pendant la journée) , en évitant toutes les activités potentiellement dangereuses (utiliser un vélo ou traverser la route, non accompagné par exemple). Les évaluations (initiale, sans le dispositif, puis avec, en fin de période d’adaptation) comprenaient des mesures de l'acuité visuelle de loin et de près (échelle ETDRS), de la vitesse de lecture, de la qualité de vie liée à la vision et de la capacité à accomplir les tâches quotidiennes. La sécurité était évaluée par un OCT et un électrorétinogramme (pour les patients dont les opacités cornéennes ne permettaient pas l’acquisition d’images OCT).
L’acuité visuelle passait en moyenne de 0,8/10 avec à la meilleure correction optique à 2,3/10 avec les (p < 0,0001). Avec le mode de grossissement X2, l’acuité atteignait 4/10 (P < 0,0001). En vision de près, le dispositif permettait également une amélioration très significative (de 0,47 logMAR, p< 0,0001). Alors que 4 des 21 participants étaient capables de lire avec seulement une correction optique standard, 17 des 21 participants y parvenaient avec les LML. Aucune altération pathologique n’était constatée chez les participants. La qualité de vie était significativement améliorée chez les 17 participants qui ont complété l’étude. A noter que 5 patients se sont plaints d’être plus gênés par les corps flottants lors du port du dispositif. Enfin, seulement 39% des participants ont exprimé le souhait d’acquérir le dispositif en fin d’étude. Ce chiffre, assez paradoxal au vu de l’amélioration des performances visuelles, s’explique selon les auteurs, en partie par l’autonomie limitée de la batterie, et le poids (près de 500g) / encombrement du boitier de traitement des images. En revanche, contrairement à d’autres dispositifs de réalité augmentée pour les déficients visuels (comme les lunettes e-sight©1), les LML n’étaient pas responsables de vertiges ou de céphalées.
Au total, bien que certains éléments du dispositif soient certainement améliorables et qu’une évaluation binoculaire reste à effectuer, cette nouvelle technologie de prise en charge de la déficience visuelle semble très prometteuse, et viendra sans doute compléter l’arsenal des aides pour les déficiences visuelles non accessibles à un traitement médico-chirurgical.
1) https://www.esighteyewear.com/
2) Crossland MD, Starke SD, Imielski P, et al. Benefit of an electronic head-mounted low vision aid. Ophthalmic Physiol Opt. 2019;39(6):422e431.
Stöhr M, Dekowski D, Bechrakis N, Oeverhaus M, Eckstein A. Evaluation of a Retinal Projection Laser Eyeware in Patients with Visual Impairment Caused by Corneal Diseases in a Randomized Trial. Ophthalmology. 2024 May;131(5):545-556.
Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : cornée / réhabilitation visuelle
Future thérapie génique sous-rétinienne pour la DMLA exsudative : étude de phase 1/2
Les avancées des deux dernières décennies, notamment depuis l’arrivée des anti-VEGF par voie intravitréenne, ont révolutionné le pronostic visuel des patients atteints de DMLA exsudative.1 Un effort énorme a également été entrepris pour adapter les structures de soins ophtalmologiques et créer des circuits optimisés associant examen clinique, imagerie rétinienne, et salles d’injections intravitréennes (IVT). Néanmoins, les IVT représentent une contrainte lourde pour les patients, en raison de leur coût élevé en cas de non prise en charge par le système de santé, de l’organisation requise pour ces actes fréquents, en particulier chez des patients à l’autonomie diminuée, et des complications possibles comme la douleur, l'endophtalmie infectieuse et le glaucome en raison des pics tensionnels itératifs.
Pour atténuer ces contraintes, plusieurs stratégies ont été développées afin de réduire la fréquence des IVT, comme de nouveaux médicaments anti-angiogéniques (par exemple le faricimab2), des dosages plus concentrés des molécules existantes (par exemple, l’aflibercept 8 mg abordé dans cette revue de presse le mois dernier3), ou la pose d’un réservoir intraoculaire rechargeable. Enfin, les approches probablement les plus innovantes reposent sur l’administration sous-rétinienne chirurgicale d’une thérapie génique reposant sur un vecteur viral adéno-associé recombinant (virus rAAV), permettant de faire sécréter par l’épithélium pigmentaire rétinien une molécule anti-angiogénique (ranibizumab, aflibercept ou un dérivé), en une seule injection. Cette injection transforme l’œil en « bio-usine » sécrétant lui-même le médicament.
Plusieurs études sur des vecteurs candidats ont atteint le stade clinique, et ont montré leur capacité à maintenir l'expression des transgènes dans l'espace rétinien pendant de longues périodes. Ces études utilisent comme transgène le ranibizumab (ABBV-RGX-314) ou l’aflibercept (Ixo-vec et 4D150) et reposent toutes sur un vecteur rAAV. Ce vecteur est connu pour sa bonne tolérance dans la thérapie génique oculaire, grâce à l’expérience acquise dans la thérapie génique des rétinopathies héréditaires, en particulier l’amaurose congénitale de Leber due au gène RPE65, première indication reconnue par la FDA et l’EMA d’une thérapie génique oculaire (le voretigene neparvovec, Luxturna®).4,5
Un groupe d’investigateurs vient de publier dans le Lancet une étude de phase 1/2a sur le RGX-314, vecteur rAAV8 exprimant un fragment anti-VEGF-A (correspondant au ranibizumab). L'étude porte sur 42 participants, âgés en moyenne de 80 ans, et ayant reçu en moyenne 33 injections d’anti-VEGF depuis une durée moyenne de 4,7 ans avant l'essai. L'objectif principal était d'établir la sécurité du RGX-314 par injection sous-rétinienne jusqu'à 6 mois. Les résultats secondaires incluaient les changements de l'acuité visuelle, de l'épaisseur rétinienne centrale et le nombre d'injections supplémentaires d’anti-VEGF jusqu'à 2 ans. L’étude comportait 5 groupes en escalade de dose. Tous les patients inclus devaient être pseudophaques afin d’éviter la baisse visuelle liée à la cataracte induite par la vitrectomie.
L’étude comportait des dosages de l’anti-VEGF secrété dans l’humeur aqueuse, et a conclu que la dose efficace du RGX-314 en termes de production intraoculaire d’anti-VEGF se situe entre 6×10¹⁰ et 1,6×10¹¹ copies génomiques par œil.
Les patients recevant 6×10¹⁰ ou 1,6×10¹¹ copies génomiques par œil ont montré un contrôle de l'exsudation et une amélioration de l'acuité visuelle dans 50% et 17% des cas respectivement, avec une réduction des injections annuelles de 62% et 59% sur 2 ans. Des études complémentaires seront donc nécessaires pour affiner la dose idéale optimisant efficacité et toxicité.
À une dose de 2,5×10¹¹ copies génomiques, un participant a développé des altérations pigmentaires maculaires associés à un amincissement rétinien et une diminution de l'acuité visuelle. Aux doses supérieures ou égales à 6×10¹⁰ copies génomiques, il était fréquemment observé des modifications pigmentaires périphériques, souvent inférieures, sans retentissement sur l’acuité visuelle. Il n’a pas été observé d’inflammation plus importante que celle attendue après une vitrectomie.
Le développement de thérapies prolongées par vecteur viral et voie sous-rétinienne est prometteur pour la DMLA néovasculaire. Mais si cette étude montre la faisabilité d’une sécrétion prolongée d’anti-VEGF, elle n’a permis au mieux qu’une diminution de moitié de la fréquence des IVT sur 2 ans. Ce bénéfice modeste est donc à mettre en balance avec le caractère plus invasif et les risques inhérents d’une chirurgie vitréo-rétinienne comportant une injection sous-maculaire. De plus, l’article passe sous silence la plupart des aspects du protocole chirurgical, succinctement décrits dans l’annexe supplémentaire, mais néanmoins déterminants pour le succès de cette injection. L’injection était réalisée au niveau de l’arcade vasculaire temporale supérieure, et un échange fluide-air était systématiquement réalisé en fin de procédure. L’article n’aborde pas cet aspect, mais les chirurgiens vitréo-rétiniens pratiquant ces injections de vecteur viral décrivent la faible prévisibilité d’un décollement maculaire éventuel, qui peut influencer positivement ou négativement le pronostic visuel.
Étant donné l'augmentation prévisible de l’incidence de la DMLA néovasculaire avec le vieillissement de la population, il est crucial de développer des stratégies de traitements prolongés. Ces premiers résultats ouvrent un nouveau chapitre dans l’arsenal thérapeutique de la DMLA exsudative. D’autres voies d’administration du même vecteur, comme la voie suprachoroïdienne, pourraient être également étudiées.
1 Fleckenstein M, et al. Age-Related Macular Degeneration: A Review. JAMA. 2024
2Heier JS, et al. Efficacy, durability, and safety of intravitreal faricimab up to every 16 weeks for neovascular age-related macular degeneration (TENAYA and LUCERNE): two randomised, double-masked, phase 3, non-inferiority trials. Lancet. 2022
3 Lanzetta P et al. Intravitreal aflibercept 8 mg in neovascular age-related macular degeneration (PULSAR): 48-week results from a randomised, double-masked, non-inferiority, phase 3 trial. The Lancet. 2024
4 Russell S, et al. Efficacy and safety of voretigene neparvovec (AAV2-hRPE65v2) in patients with RPE65-mediated inherited retinal dystrophy: a randomised, controlled, open-label, phase 3 trial. Lancet. 2017
5 Maguire AM, et al. Durability of Voretigene Neparvovec for Biallelic RPE65-Mediated Inherited Retinal Disease: Phase 3 Results at 3 and 4 Years. Ophthalmology. 2021
PA Campochiaro et al. Gene therapy for neovascular age-related macular degeneration by subretinal delivery of RGX-314: a phase 1/2a dose-escalation study. Lancet. Mars 2024
Reviewer: Alexandre Matet, thématique : rétine médicale, thérapeutique
Rétinoblastome : les enfants grandissant dans des zones socio-économiques défavorisées ont une atteinte plus sévère au diagnostic
Dans un article paru dans l’American Journal of Ophthalmology, des chercheurs de l’Université de Boston ont étudié le lien entre Child Opportunity Index (COI), un indice de développement humain reflétant les opportunités de développement pour les enfants résidant dans une zone géographique donnée, et la gravité du rétinoblastome au moment de la présentation, traduite par son stade, en distinguant formes peu sévères (groupes A, B, C) et formes sévères (groupes D, E).
Plusieurs études antérieures ont suggéré que les facteurs sociaux ou économiques nationaux sont associés au risque de rétinoblastome avancé.1 De même, il a été montré que l’éloignement et une longue durée de trajet jusqu’à un centre ophtalmologique tertiaire est un facteur péjoratif.2 Cependant, le rôle des facteurs socio-économiques au niveau de l’environnement géographique immédiat (quartier d’une ville grande ou moyenne, village) n’a pas été exploré.
Le Child Opportunity Index est un nouvel indice synthétisant 29 paramètres, qui contribuent à la santé et au bien-être des jeunes enfants, et qui sont liés aux quartiers d’habitation. Des études antérieures ont analysé les associations du Child Opportunity Index avec le recours aux urgences, l'asthme, la condition physique des jeunes enfants, et en ophtalmologie avec l'amblyopie ou le glaucome. Chez les adultes, il a été démontré que ceux vivant dans des zones à faibles ressources — avec des taux de chômage élevés, de faibles revenus et de faibles niveaux d'éducation — ont des taux plus élevés de plusieurs cancers (col de l'utérus, colorectal, poumon, prostate ou sein).
Après exclusion des patients dont l’adresse exacte n’était pas connue, ceux vivants à l’étranger, et ceux présentant un antécédent familial de rétinoblastome (suggérant une prédisposition génétique héréditaire par mutation constitutionnelle du gène RB1), cette étude a inclus 125 enfants, d’âge médian 13 mois. La cohorte était composée de 45% d’enfants Caucasiens, 10% d’Africains-Américains, et 21% d’Hispaniques, pour ceux dont l’ethnicité était déclarée. Concernant la couverture sociale, 35% avaient une assurance publique et 59 % une assurance privée. Le motif de présentation était une leucocorie chez 75% des patients, un strabisme chez 20% des patients, une injection oculaire/chémosis chez 3% des patients (3,2 %) et une découverte fortuite chez 1,6% des patients. 87% des enfants présentaient une forme sévère au diagnostic (Groupe D ou E), et 26% résidaient dans des quartiers à faible Child Opportunity Index.
Ces enfants résidant dans des zones à faibles ou très faibles ressources étaient significativement plus à risque de présenter un rétinoblastome sévère, que ce soit en analysant le Child Opportunity Index global (P=0,044) ou uniquement les paramètres reflétant le niveau d’éducation (P=0,013). Concernant les paramètres spécifiques santé-environnement et socio-économiques, il existait une corrélation mais non significative (P=0,21 et P=0,07), ce qui est probablement dû à la taille limitée de la population étudiée pour cette maladie très rare.
En conclusion cet article démontre que les conditions de l’environnement social local exercent une influence sur la détection précoce ou tardive du rétinoblastome. Les auteurs soulignent être parvenus à ces résultats bien que l’étude ait été menée dans le Massachusetts, un État plutôt favorisé, ce que reflète la proportion de seulement un quart d’enfants originaires de quartiers moins favorisés dans la population étudiée. Étant donné que les signes de présentation du rétinoblastome sont généralement remarqués par les parents et les prestataires de soins primaires (pédiatres, généralistes, ophtalmologistes, orthoptistes en ville), les auteurs soulignent qu’il est essentiel de surmonter les difficultés d’accès aux structures de santé visuelle et aux soins spécialisés rencontrées dans les zones à faibles ressources. Dans le cas du rétinoblastome, un retard de diagnostic peut compromettre la conservation oculaire, voire menacer la vie des enfants atteints.
Parmi les limitations de cette étude, on peut souligner la petite taille de la population, qui pourrait être améliorée par une étude au niveau national voire international, et le caractère forcément imparfait de l’indice utilisé, qui modélise mais ne représente pas toutes les disparités pouvant exister même au sein d’un même quartier, et relève nécessairement d’un découpage géographique arbitraire.
Le délai de découverte de la maladie influence le stade au diagnostic, qui est un facteur pronostic majeur. Le stade au diagnostic reflète donc les difficultés locales et multifactorielles d’accès aux soins. Néanmoins, c’est le résultat du traitement à long terme qui impactera réellement la vie des enfants atteints. On regrettera donc que les auteurs n’aient pas inclus les résultats finaux post traitement dans l’analyse, comme le contrôle tumoral, la nécessité d’une énucléation, la fonction visuelle finale et la survenue d’éventuelles métastases, bien que rares sur les formes diagnostiquées aux stades intraoculaires.
1 Global Retinoblastoma Study Group; Fabian ID, et al. Global Retinoblastoma Presentation and Analysis by National Income Level. JAMA Oncol. 2020 May
2 Fabian ID, et al. Travel burden and clinical presentation of retinoblastoma: analysis of 1024 patients from 43 African countries and 518 patients from 40 European countries. Br J Ophthalmol. 2021 Oct
Altamirano-Lamarque F et al. Association of Neighborhood Opportunity With Severity of Retinoblastoma at Presentation. American Journal of Ophthalmology. May 2024
Reviewer: Alexandre Matet, thématique : oncologie, ophtalmo-pédiatrie, épidémiologie