Revue de presse Avril 2025

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :     
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Ophthalmology Retina, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Implant intracamérulaire de bimatoprost versus laser SLT : 

L’observance constitue l’un des grands challenges de la prise en charge médicale du glaucome chronique. Selon les études, jusqu’à 80% des patients ne suivent pas le traitement tel qu’il a été prescrit. Les raisons sont multiples : effets indésirables ou craintes de ces derniers, difficultés de manipulation, oublis et/ou troubles cognitifs, ou encore coût financier (dans certains pays). La chirurgie filtrante - qui malgré tous les progrès réalisés au cours des dernières années, reste relativement risquée et imprévisible - ne peut pas toujours être envisagée comme une alternative au traitement médical, surtout si le glaucome n’est pas très sévère ou si l’évolutivité de la maladie est incertaine. 
De nombreuses procédures, largement éprouvées ou bien en cours d’évaluation, se positionnent en substituts du traitement médical pour pallier les problèmes d’observance ou de tolérance des collyres anti-glaucomateux. 
L’étude de Kolko et al., publiée dans le dernier numéro de l’American Journal of Ophthalmology compare justement un dispositif d’implant intracamérulaire de bimatoprost à libération prolongée (Durysta, Abbvie, disposant d’une autorisation de la FDA depuis 2020) à la trabéculoplastie par laser sélectif (SLT) chez des patients atteints d’hypertonie oculaire (HTO) ou de glaucome à angle ouvert (GAO). Les principales conditions d’inclusion, déterminées par l’investigateur, étaient les suivantes : 

  • La PIO n’était pas suffisamment contrôlée par le traitement topique pour des raisons indépendantes de l'efficacité du médicament (en pratique, des problèmes d’observance)
  • Les données cliniques faisaient du patient un bon candidat pour un SLT (bon pronostic tensionnel et peu de facteur de risque de complications)
  • La PIO des deux yeux pouvait a priori être correctement maîtrisée par une monothérapie par SLT ; ou bien une monothérapie par prostaglandines/prostamides à condition d'une observance thérapeutique correcte.
  • La densité cellulaire endothéliale était supérieure à 1800 cellules/mm2

La randomisation, stratifiée en fonction du niveau de PIO et de la différence éventuelle de PIO entre les 2 yeux, sélectionnait pour chaque patient un œil à traiter par l’implant de bimatoprost, l’œil controlatéral servant alors de propre témoin avec le traitement par SLT. Par convention, ce dernier était réalisé en premier (100 impacts, 360°), suivi 4 jours plus tard de l’injection transcornéenne de l’implant sur l’œil controlatéral. Cette dernière, réalisée en conditions d’asepsie (non précisées dans l’article), reposait sur un injecteur préchargé, et était accompagnée d’une simulation d’injection sans perforation sur l’œil traité par SLT, dans un souci de masquage. Le schéma du traitement par implant a cependant changé au cours de l’étude : dans une première phase dite « d’administration fixe », une deuxième injection était systématiquement planifiée 16 semaines après la première et réalisée à condition que la densité endothéliale soit encore supérieure à 1800 cellules /mm2, que la perte endothéliale cornéenne (PEC) n’excède pas 15%, et que le résidu du premier implant ne gêne pas l’injection du second (voir plus bas « évolution intracamérulaire des implants »).  Dans une seconde phase, elle était de plus conditionnée à une PIO > 17mmHg, et avec un agenda « d’administration flexible », laissée au jugement de l’investigateur. L’introduction d’un traitement hypotonisant de « secours » était également laissée à l’appréciation de l’investigateur.  
Au total, 183 patients ont été inclus dans l’étude. La PIO initiale après washout était comparable entre les yeux traités par implant et ceux traités par SLT (environ 25±0,2 mmHg). La réduction moyenne de la PIO était de 6,9 ± 0,3 mmHg (implant) vs 6,5 ± 0,3 mmHg (SLT) à 6 mois. A un an, la probabilité de ne pas nécessiter de traitement de secours (hors protocole) était de 68 % pour les yeux traités par implants contre 69 % dans le groupe SLT. A 2 ans, ces probabilités étaient de 50% et 61%, respectivement (différence significative).
Dans le groupe « administration fixe », l'implant a dû être retiré (par lavage de la chambre antérieure) dans 2 yeux à 5 mois après la première injection et dans un œil 14,5 mois après la deuxième injection. Dans le groupe « flexible », un implant a été retiré après la deuxième administration. Des effets indésirables oculaires graves ont été rapportés chez 4 patients, tous traités par implant selon le schéma d'administration fixe : un cas de cataracte sous-capsulaire, un cas de perte de cellules endothéliales cornéennes, un cas d'épisclérite rebelle, et un cas d’insuffisance endothéliale. 
La perte endothéliale cornéenne moyenne à 24 mois était de -6,2 ± 1,1 % pour les yeux traités par implant (-7,9 ± 2,0 % avec schéma fixe ; -5,2 ± 1,3 % avec le schéma flexible), contre -3,1 ± 0,4 % pour les yeux traités SLT. Parmi les yeux traités par implant, une PEC ≥ 20% a été observée dans 9% des yeux traités selon le schéma fixe et 7,1% des yeux traités selon le schéma flexible. 
Enfin, concernant la dégradation intracamérulaire des implants, elle évoluait schématiquement en 2 phases :  stabilité ou léger gonflement de l’implant (75-125% de la taille initiale) jusqu’à 32 semaines, puis biodégradation plus ou moins rapide. A un an, environ 60% des implants n’étaient plus visibles, tandis que cette proportion atteignait 90% à 18 mois. 
Pour résumer : l’implant de bimatoprost a une efficacité pressionnelle à court terme non- inférieure à celle du SLT, au prix d’une moindre durabilité, et d’un profil de tolérance moins favorable, avec en particulier une perte endothéliale plus importante, et potentiellement sévère chez certains patients. En outre, il implique une procédure chirurgicale certes rapide, mais qui comporte un risque traumatique voire infectieux inhérent à toute injection intra-oculaire. Le concept est bien évidemment séduisant, et ce dispositif pourra sans doute être utile dans des cas bien sélectionnés en l’absence d’alternative efficace, mais ces résultats ne plaident pas en faveur d’une utilisation à grande échelle. En outre, le prix du dispositif, et la (les) procédure (s) d’injection associée(s) devront faire l’objet d’une étude médico-économique ad hoc, désormais indispensable dans l’évaluation de tout dispositif innovant. Enfin, la préférence des patients, qui devra faire l’objet d’études dédiées, constituera sans aucun doute un autre élément essentiel. 

Kolko M, Tatham AJ, Lim KS, Wells AP, Shiu M, Uy HS, Sarkisian SR Jr, Ho Q, Jiao J, Kim K, Goodkin ML, Bejanian M, Robinson MR, Paauw JD; ATHENA STUDY GROUP. Phase 3, Randomized, Comparison Study of Intracameral Bimatoprost Implant 10 µg and Selective Laser Trabeculoplasty. Am J Ophthalmol. 2025 Apr;272:19-37

Reviewer : Antoine Rousseau, thématiques : glaucome. 



Quels sont les facteurs de risque de PVR après décollement de rétine ? Une étude sur 57 000 patients.

Dans un article paru dans Retina, un groupe de rétinologues américains a exploré une base de données nationale regroupant 69 centres privés spécialisés dans la rétine, sur l’ensemble du territoire des États-Unis. Leur but était d’explorer les facteurs de risque spécifiques de développer une prolifération vitréo-rétinienne (PVR) après une chirurgie pour décollement de rétine (DR). L’étude a porté sur les données anonymisées de 57 264 yeux opérés de DR rhegmatogène, avec un suivi de 6 mois. Les cas de PVR étaient identifiés par la recherche sur le code spécifique à la PVR, couplé à la recherche du mot « PVR » ou « prolifération vitréo-rétinienne » en texte libre.
L’âge moyen était de 60,2 ans, avec 62% d’hommes et 38% de femmes. L’incidence globale de PVR dans les 6 premiers mois était de 11%, avec un diagnostic posé en moyenne 49 jours après la chirurgie initiale, ce qui est tout à fait concordant avec l’expérience clinique, et les données de la littérature,1 et plaide donc en faveur de la fiabilité de cette base de données. Par une analyse multivariée, les auteurs ont identifié plusieurs facteurs de risque indépendants. Ceux-ci étaient systémiques : âge jeune <19 ans (OR 1,47 ; P=0,002), tabagisme actif (OR 1,17 ; P<0,001) ou ancien (OR 1,11 ; P<0,001), sexe féminin (OR 1,08 ; P<0,001), HTA (OR 1,15 ; P<0,001); ou oculaires : œil pseudophaque (OR 1,17, P<0,001), acuité visuelle préopératoire basse < 1/10 (OR 2,82 ; P<0,001), antécédent d’hémorragie intravitréenne (OR 1,30 ; P<0,001), de traumatisme oculaire (OR 1,65 ; P<0,001), de décollement choroïdien (OR 2,49 ; P<0,001), de déchirure géante (OR 1,91 ; P<0,001), d’uvéite (OR 1,71 ; P<0,001), ou d’endophtalmie (OR 2,21 ; P<0,001). 
De façon surprenante, des facteurs que l’on pourrait supposer augmenter le risque de PVR n’ont pas été retrouvés dans cette analyse multivariée, comme diabète, dyslipidémie, ou anémie parmi les facteurs systémiques ; et parmi les facteurs oculaires : myopie, syndrome de Stickler ou de Wagner, ou antécédent familial de DR. 
Globalement, ces résultats confortent les données existantes dans la littérature1,2 et sont cohérentes avec les observations chez les patients opérés de DR en vie réelle. Notamment, le risque de PVR est plus élevé après chirurgie dans un contexte de traumatisme, de déchirure géante, d’uvéite ou d’endophtalmie, et ces patients doivent être surveillés à intervalles rapprochés pour détecter une PVR débutante et réintervenir dans des délais raisonnables. La PVR est également plus fréquente chez les pseudophaques, ce qui s’explique probablement par la rupture chronique de la barrière hémato-rétinienne, qui bien que minime, engendre un surrisque de prolifération épithéliale, qui cause la PVR.3 Un surrisque associé à un âge jeune (<19 ans) a été observé, malgré le faible nombre de patients pédiatriques dans l’étude (88 patients d’âge <9 ans et 596 patients d’âge 10-18 ans, sur 57 000). Les auteurs ont pris pour référence de comparaison la tranche 19-40 ans (incluant 3917 patients), mais ils ont constaté que le risque de PVR continue à diminuer progressivement après 40 ans. On peut donc en déduire que ce surrisque existe également pour les jeunes adultes (< 40 ans).
L’âge jeune peut également masquer un facteur de confusion, car de nombreux DR sur ce terrain sont syndromiques ou malformatifs, et très rarement rhegmatogènes. Les auteurs n’ont pu analyser que les syndromes de Stickler ou Wagner, qui n’étaient pas associés à un risque de PVR, mais à nouveau sur très peu de cas (respectivement 24 et 2 cas). Enfin, ce travail a porté sur un réseau de centres privés, ce qui est très louable, mais expose à un biais de sélection susceptible d’exclure des cas très complexes qui auraient été adressés en milieu hospitalier.
Enfin, les auteurs soulignent l’absence de données disponibles sur la consommation d’alcool ou d’autres substances, le niveau socio-économique, et le possible sous-enregistrement de données déclaratives comme le tabagisme. On regrettera surtout l’absence d’informations sur le type de chirurgie par vitrectomie ou cryo-indentation, et le tamponnement éventuellement utilisé. Ces données sont certainement des facteurs de confusion car liées au type de DR (traumatique, par déchirure géante, etc) mais seraient éclairantes pour mieux prévenir la PVR. 
1.    Pastor JC, de la Rúa ER, Martín F. Proliferative vitreoretinopathy: risk factors and pathobiology. Prog Retin Eye Res 2002
2.    Xu K, Chin EK, Bennett SR, et al. Predictive factors for proliferative vitreoretinopathy formation after uncomplicated primary retinal detachment repair. Retina 2019 
3.    Mudhar HS. A brief review of the histopathology of proliferative vitreoretinopathy (PVR). Eye 2020 
Oncel D, Minaker S, Shepherd E, et al. Risk factors for proliferative vitreoretinopathy in a large clinical database. Retina. 2025 May
Reviewer : Alexandre Matet, thématique : rétine chirurgicale



Naevus choroïdiens chez les enfants : faut-il s’en inquiéter ?

Les naevus choroïdiens ont été très largement étudiés dans la population adulte, notamment leur risque de transformation en mélanome (diamètre, épaisseur, hypoéchogénicité, pigment orange, décollement séreux). On suppose qu’ils sont plutôt rares chez les enfants. Gass a par exemple rapporté une prévalence de 0,4 % au cours de la première décennie de vie,1 En revanche, ils sont plus fréquents chez les adultes, avec une prévalence estimée à 6,5 % dans une population caucasienne.2 Néanmoins, doit-on s’inquiéter de trouver un naevus choroïdien chez un enfant ?
Pour répondre à cette question, l’équipe d’oncologie oculaire de la Cleveland Clinic (Ohio, Etats-Unis) a collecté de façon rétrospective tous les naevus diagnostiqués avant l’âge de 20 ans, sur une longue période allant de 2006 à 2022 (n=20). Ils ont complété cette cohorte avec une base de données populationnelle issue de l’étude australienne « Sydney Pediatric Eye Disease Study », où 48 naevus pédiatriques supplémentaires ont été détectés. Ces données ont été comparées avec un groupe contrôle d’adultes présentant des naevus choroïdiens, issus de la base de données de leur service. Les paramètres analysés étaient le diamètre, l’épaisseur, la localisation des naevus et leur éventuelle croissance.
Tous les naevus pédiatriques étaient asymptomatiques, et découverts de façon fortuite. L’âge médian des enfants était de 12,5 ans [1 à 19 ans] contre 64.5 ans [28 à 92 ans] chez les adultes. Chez les enfants, le plus grand diamètre basal médian était de 1,6 mm [0,4 à 4,2 mm], contre 4,8 mm [0,6 à 12,3 mm] chez les adultes (P<0.001). Tous les naevus pédiatriques étaient très peu épais (< 1mm), contre 1.2 mm de moyenne chez les adultes [0,5 à 3 mm]. Il pouvait néanmoins y avoir un biais de sélection, les naevus adultes dans un service d’oncologie oculaire tendant à être suspects et plutôt de grande taille. Parmi 45 naevus pédiatriques pour lesquels des données de suivi étaient disponibles, 75% sont restés stables, 9% sont apparus au cours du suivi (dans les études populationnelles) et 16% ont présenté une croissance. Parmi ces derniers, l’augmentation moyenne du diamètre était estimée à 0,12 mm/an. Aucune transformation maligne n'a été observée pendant l'enfance. Un seul patient a présenté à l’âge de 26 ans une transformation en mélanome, après un suivi de 14 ans. Toutes les anomalies fréquemment associées aux nævus choroïdiens (pigment orange, liquide sous-rétinien, drusen) étaient moins fréquentes chez les enfants que chez les adultes (p<0,05). Enfin, concernant leur distribution topographique, les nævus choroïdiens étaient plus proches du pôle postérieur chez les enfants que chez les adultes (P<0.001). La distance médiane à la fovéa était de 2,1 mm [0,5 à 8,5 mm] chez les enfants et de 5,1 mm [0,4 à 16 mm] chez les adultes (p < 0,0001).
Dans leur discussion, les auteurs reviennent sur la vitesse de croissance du diamètre, qui bien que modérée était le double de celle rapportée dans la plus grande étude disponible chez les adultes (0,06 mm/an en moyenne).3 Cela suggère donc que la genèse des naevus choroïdiens a lieu généralement dans l’enfance, comme c’est le cas pour les naevus cutanés, et que la découverte, et même une croissance limitée de ces naevus choroïdiens ne doivent pas nous inquiéter, ce que confirme l’absence de cas de progression vers un mélanome pendant l’enfance ou l’adolescence dans l’étude. De véritables mélanomes choroïdiens pédiatriques existent mais sont exceptionnels.4 Une étude longitudinale, qui permettrait d’affiner ces observations, est cependant non réalisable car nécessiterait un effectif gigantesque.
1.    Gass JD. Problems in the differential diagnosis of choroidal nevi and malignant melanoma. XXXIII Edward Jackson Memorial lecture. Trans Sect Ophthalmol Am Acad Ophthalmol Otolaryngol. 1977;83(1):19–48.
2.    Sumich P, Mitchell P, Wang JJ. Choroidal nevi in a white population: the Blue Mountains Eye Study. Arch Ophthalmol. 1998;116(5):645–650.
3.    Mashayekhi A, Siu S, Shields CL, Shields JA. Slow enlargement of choroidal nevi: a long-term follow-up study. Ophthalmology. 2011;118(2):382–388
4.    Van Popelen N, Cassoux N, Turunen JA, et al. The Pediatric and Young Adult Choroidal and Ciliary Body Melanoma Genetic Study, A Survey by the European Ophthalmic Oncology Group. IOVS. 2024 Apr
Yesiltas YS, Singh N, Oakey Z, Wrenn J, Singh AD. Choroidal Nevi in Children: Size, Growth, and Topographic Distribution. Am J Ophthalmol. 2024 Oct 
Reviewer : Alexandre Matet, thématique : oncologie, ophtalmo-pédiatrie, rétine



Freiner la myopie infantile : l'AAO confirme l’efficacité des lentilles de contact multifocales.

L’incidence de la myopie chez l’enfant ne fait qu’augmenter du fait de nos modes de vie, et selon certaines estimations, la myopie pourrait même toucher la moitié de la population d'ici 2050 (1). Les conséquences de la myopie sévère, notamment le décollement de rétine, le glaucome, ou la dégénérescence maculaire myopique, représentent un enjeu majeur de santé publique, tant en termes de morbidité que de coût socio-économique. Afin de limiter cet impact, plusieurs stratégies ont été développées et validées afin de ralentir la progression de la myopie chez l’enfant : atropine à faible dose, les verres de lunettes freinateurs, l'orthokératologie, et plus récemment, les lentilles de contact souples multifocales (LMF). Les LMF agiraient en réduisant le défocus hypermétropique périphérique (autrement dit, en créant une image légèrement en avant de la rétine périphérique), facteur supposé jouer un rôle clé dans l'allongement axial du globe oculaire des myopes forts (2). 
En s'appuyant sur une revue rigoureuse de la littérature, le travail réalisé par l'American Academy of Ophthalmology et publié dans le dernier numéro d’Ophthalmology répond à une question essentielle pour les cliniciens : peut-on recommander de manière fiable les LMF comme traitement préventif de la progression myopique chez l’enfant ? Au total, 12 études de haut niveau de preuve (11 études de niveau I et 1 étude de niveau II), réalisées chez des enfants ≤18 ans, avec suivi ≥1 an, comparant l’efficacité des LMF par rapport aux lunettes ou aux lentilles monofocales ont été inclus dans ce travail. Dans toutes les études examinées, la progression myopique et l'élongation axiale étaient moindres dans les groupes LMF par rapport aux groupes contrôles. Le changement d’équivalent sphérique variait de 0,22 à 0,81 dioptries (D) avec les LMF, contre 0,50 à 1,45 D dans les groupes contrôles (réduction modeste mais statistiquement significative dans 11 des 12 études). De même, l'allongement axial était significativement moindre avec les LMF ( 0,05 à 0,39 mm, contre 0,17 à 0,67 mm dans les groupes contrôles). Aucun effet indésirable grave n'a été rapporté dans les 12 études, notamment pas d’infection grave sous lentilles (probablement grâce aux informations reçues par les patients et à l’usage systématique de lentilles journalières). 
Une des limites de cette méta-analyse est l’hétérogénéité des pratiques dans les articles sélectionnés (différences dans les types de lentilles utilisées : bifocales, multifocales, progressives, puissances d’addition et durée du port). De plus, les facteurs démographiques et cliniques associés à l’efficacité des traitements freinateurs (l’âge d’initiation surtout), bien qu’ils soient actuellement relativement connus, n’ont pas été étudiés dans cet article (3). 

Les données de haut niveau de preuve présentées dans cette revue de la littérature   indiquent que les LMF permettent de ralentir la progression de la myopie et l’allongement du globe oculaire chez l’enfant par rapport aux corrections optiques conventionnelles. Toutefois, des interrogations demeurent sur la durée optimale du traitement et sur la gestion après arrêt du port de lentilles. Des études à plus long terme seront donc nécessaires pour évaluer la stabilité des effets après plusieurs années de port, et après son arrêt. Par ailleurs, au regard du prix des LMF, il sera intéressant de comparer le rapport coût/efficacité de ces lentilles avec les alternatives, moins couteuses et efficaces (comme les verres freinateurs ou l’atropine par exemple). 

1-    Holden BA, Fricke TR, Wilson DA, et al. Global prevalence of myopia and high myopia and temporal trends from 2000 through 2050. Ophthalmology. 2016;123:1036e1042. 
2-    Berntsen DA, Kramer CE. Peripheral defocus with spherical and multifocal soft contact lenses. Optom Vis Sci. 2013;90: 1215e1224. 
3-    Hyman L, Gwiazda J, Hussein M, Norton TT, Wang Y, Marsh-Tootle W, Everett D. Relationship of age, sex, and ethnicity with myopia progression and axial elongation in the correction of myopia evaluation trial. Arch Ophthalmol. 2005 Jul;123(7):977-87.

Cavuoto KM, Trivedi RH, Prakalapakorn SG, Oatts JT, Nallasamy S, Morrison DG, Pineles SL, Chang MY. Multifocal Soft Contact Lenses for the Treatment of Myopia Progression in Children: A Report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmology. 2025 Apr;132(4):495-503.

Reviewer : Paul Bastelica, thématiques : pédiatrie, réfraction.


 

Réparer des plaies du globe oculaire dans les 24 heures : est-ce toujours d’actualité ?

Les plaies ouvertes du globe oculaire constituent l’une des rares urgences chirurgicales ophtalmologiques à ne pas différer, notamment du fait du risque d’endophtalmie. Bien que le pronostic visuel de cette affection soit très péjoratif dans un très grand nombre de cas, l'approche thérapeutique standard repose sur un parage des plaies et si possible une réparation chirurgicale du globe en urgence. Toutefois, à l’échelle mondiale, il existe une grande variabilité dans les pratiques cliniques concernant le délai de prise en charge opératoire (1). Certains centres réalisent des réparations en urgence immédiate, tandis que d'autres différeraient la chirurgie de plusieurs heures, voire jusqu'à la disponibilité sur un bloc opératoire programmé. Cette hétérogénéité s’explique en partie par l'absence de consensus scientifique clair : alors que certaines études plaident pour une intervention dans les 12 à 24 heures suivant la blessure (2), d’autres travaux plus récents suggèrent que ce délai pourrait être prolongé sans impact significatif sur le pronostic visuel, sous couvert d’une antibioprophylaxie appropriée (3).

La méta-analyse publiée par Ophthalmology tente de répondre à cette problématique, en analysant l’ensemble des études évaluant l'impact du délai chirurgical sur le taux d'endophtalmie et le pronostic visuel. Les études comparatives, évaluant des patients ayant été opérés dans les 24 heures versus au-delà de 24 heures après le traumatisme, avec un suivi d’au moins 1 mois, ont été inclues. Au total, 8497 yeux extraits de 15 études rétrospectives comparatives ont été analysés. Les critères de jugement étudiés étaient l’acuité visuelle finale et la survenue d'endophtalmie. Une réparation dans les 24 heures réduisait significativement le risque d'endophtalmie (Odds Ratio (OR)= 0,39 ; Intervalle de confiance (IC) 95 % = 0,19–0,79 ; p = 0,01). Cependant, aucune différence significative n'a été retrouvée concernant l'acuité visuelle finale entre une réparation avant ou après 24 heures (OR = 0,89 ; IC 95 % = 0,61–1,29 ; p = 0,52). Les impacts de la gravité de l'atteinte initiale ou de la présence d’un corps étranger intraoculaire sur les résultats n’ont malheureusement pas été analysés, ils pourraient en effet générer un biais majeur dans les études rétrospectives.

Cette méta-analyse suggère donc une chirurgie rapide dans les 24 heures lorsque les conditions cliniques et organisationnelles le permettent, car celle-ci permet de réduire le risque d'endophtalmie par rapport à une réparation tardive, même si l'impact sur l'acuité visuelle finale reste à évaluer de façon plus robuste. Reposant uniquement sur des études rétrospectives, le niveau de preuve de cette méta-analyse reste relativement faible. Des études prospectives ou des analyses de cohortes bien structurées seraient donc nécessaires pour mieux isoler les facteurs influençant les résultats visuels et infectieux, en tenant compte du moment exact de la chirurgie.

1-    Miller SC, Fliotsos MJ, Justin GA, et al. Global current practice patterns for the management of open globe injuries. Am J Ophthalmol. 2022;234:259e273.
2-    Blanch RJ, Bishop J, Javidi H, Murray PI. Effect of time to primary repair on final visual outcome after open globe injury. Br J Ophthalmol. 2019;103(10):1491e1494.
3-    Henry RK, Bargoud A, Syal S, et al. The impact of primary repair timing on longitudinal visual outcomes after open globe injury. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2023;261(4): 1195e1203.


McMaster D, Bapty J, Bush L, Serra G, Kempapidis T, McClellan SF, Woreta FA, Justin GA, Agrawal R, Hoskin AK, Cavuoto K, Leong J, Ascarza AR, Cason J, Miller KE, Caldwell MC, Gensheimer WG, Williamson TH, Dhawahir-Scala F, Shah P, Coombes A, Sundar G, Mazzoli RA, Woodcock M, Watson SL, Kuhn F, Colyer M, Gomes RSM, Blanch RJ. Early versus Delayed Timing of Primary Repair after Open-Globe Injury: A Systematic Review and Meta-analysis. Ophthalmology. 2025 Apr;132(4):431-441.

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : traumatologie.