Revue de presse Mai 2025

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :     
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Ophthalmology Retina, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.



Quelle formule de calcul d’implant pour quel patient ?

Le nombre de formules pour le calcul des implants cristalliniens s’est beaucoup accru ces dernières années, avec des méthodes plus performantes sur un large éventail d’yeux. La difficulté persiste pour le choix des formules les plus adaptées aux yeux qui sortent des normes. Ma et al. présentent dans le dernier numéro de l’American Journal of Ophthalmology les résultats d’une étude prospective ayant comparé les résultats réfractifs de 18 formules sur un panel assez large de longueurs axiales, kératométries et profondeur de chambre antérieure. 

Les patients inclus devaient avoir plus de 18 ans et un astigmatisme cornéen inférieur à 3 dioptries. La biométrie préopératoire était faite avec le IOLMaster700 (Zeiss). La chirurgie de cataracte était quant à elle réalisée de façon très standard avec le Centurion (Alcon), une incision de 2,2mm et l’implantation d’un implant Alcon SN60. L’évaluation des performances des formules était effectuée sur les résultats de la réfraction subjective à 1 mois. La précision de prédiction a été évaluée entre autres à l’aide de l’indice de performance de la formule (IPF), désormais recommandé pour ce type d’études1, prenant en compte 3 paramètres : l’écart type de l’erreur de prédiction réfractive postopératoire (ETPR), la médiane de l’erreur réfractive postopératoire absolue, le biais lié à la longueur axiale. Cet indice est d’autant meilleur que sa valeur est élevée. Les performances des formules étaient analysées dans des sous-groupes biométriques, constitués en fonction de la longueur axiale (<22 mm, 22-24,5mm ; 24,5-26mm et ≥26 mm), de la profondeur de chambre antérieure (<3mm, 3-3,5mm, > 3,5mm). Les calculs, effectués sur des plateformes en ligne, comprenaient  les formules traditionnelles les plus usitées (SRKT, Haigis, Hoffer Q, Holladay 1 et 2), les formules de Barrett (universelle 2 et sa version « TK »), mais également des formules plus récentes comme la PEARL-DGS, la Cooke K6, l’EVO 2.0. Un total de 213 yeux de 213 patients était inclus. 

La formule Cooke K6 a obtenu l’IPF le plus élevé (0,724) et l’ETPR le plus faible (0,394), suivie par PEARL-DGS (IPF = 0,714, ETPR = 0,399) et la Barrett TK (IPF = 0,710, ETPR = 0,411). La Barrett TK présentait le pourcentage le plus élevé d’yeux dans l’intervalle de ±0,25 D par rapport à la cible (54,5 %). L’analyse par sous-groupes a révélé que PEARL-DGS affichait la meilleure précision pour les yeux courts (longueur axiale ≤ 22 mm, N=13, IPF = 0,838), tandis que la formule de Haigis offrait les meilleures performances pour les yeux avec une longueur axiale ≥ 26 mm, (N= 12, IPF = 0,826, RMSE = 0,336) et les cornées cambrées (K > 46 D, N= 34, IPF = 0,765). La Barrett TK se classait au premier rang pour les yeux de longueur moyenne à longue (24,5–26 mm, N= 33, IPF = 0,700) et les cornées plates (K < 42 D, N= 6, IPF = 0,639). La formule Cooke K6 était la plus précise pour les chambres antérieures peu profondes (profondeur ≤ 3,0 mm, N=79, IPF = 0,737). Les formules traditionnelles, telles que Hoffer Q, Holladay 1 et SRK/T, ont montré une précision inférieure et une variabilité plus élevée. 
Cette publication très riche en termes de volume de données, confirme l’intérêt des formules récentes et identifie leurs avantages spécifiques selon les caractéristiques biométriques. Les résultats sont malheureusement fragilisés par taille limitée des effectifs de certains sous-groupes, et l’absence de comparaison statistique entre les IPF des formules. Une confirmation par des études dédiées aux sous-groupes, et éventuellement plus ciblée quant aux formules comparées, reste nécessaire.

1) Hoffer KJ, Savini G. Update on Intraocular Lens Power Calculation Study Protocols: The Better Way to Design and Report Clinical Trials. Ophthalmology. 2021 Nov;128(11):e115-e120.

Ma S, Li C, Sun J, Yang J, Wen K, Chen X, Zhao F, Sun X, Tian F. Comparative Analysis of Eighteen IOL Power Calculation Formulas Using a Modified Formula Performance Index Across Diverse Biometric Parameters. Am J Ophthalmol. 2025 May;273:221-230.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématiques : cataracte  



Kérato-uvéite herpétique après IVT de faricimab

Comme évoqué précédemment dans ces colonnes (revue de presse de novembre 2024), le faricimab peut être associé à des réactions inflammatoires endoculaires parfois sévères. La fréquence de ces dernières varie, selon les études entre 1 et 2% par patient traité (entre 0,2 et 0,6% par IVT). En particulier, les cas de vascularite rétinienne sont plus fréquents après IVT de faricimab (0,17 pour 10 000 IVT) qu’après IVT d’anti-VEGF conventionnel (2 pour 10 millions d’IVT avec l’aflibercept, par exemple). Plusieurs publications ont déjà rapporté des séries de cas de patients, et mis en lumière l’hétérogénéité et la sévérité potentielle des manifestations inflammatoires post-IVT de faricimab. La particularité des 5 cas rapportés par Janmohamed et al. ce mois-ci tient dans le fait qu’ils présentaient tous des tableaux cliniques très évocateurs de réactivation virale (herpétique ou zostérienne).  

Quatre patients étaient atteints de DMLA néovasculaire et un patient d’œdème maculaire diabétique. Ils avaient reçu au préalable en moyenne 17,75 ± 9,18 injections intravitréennes d’anti-VEGF antérieures (entre 6 et 26 injections). Le patient atteint d’OMD avait auparavant reçu 7 injections d’aflibercept et 2 implants de dexaméthasone. Avant l’introduction du faricimab, 3 patients étaient traités par aflibercept et 2 par un biosimilaire du ranibizumab. 
Le nombre médian d'injections de faricimab avant l’apparition de l’inflammation était de 5 (intervalle : 3 à 13). L’intervalle moyen entre l’injection et l’apparition des symptômes était de 16,8 jours (1 à 35 jours). Tous les patients présentaient une inflammation unilatérale de chambre antérieure accompagnée d’une élévation de la pression intraoculaire (32,8 ± 4,15 mmHg ; 28 à 38 mmHg). L’ensemble des patients présentaient des signes compatibles avec une kératouvéite herpétique (HSV) ou zostérienne (VZV), avec des ulcères dendritiques associés à une hypoesthésie cornéenne dans 2 cas, un œdème avec plis descemétiques et PRD sous-jacents dans 2 cas, et des PRD granulomateux dans tous les cas. Un patient a même présenté des lésions rétiniennes évocatrices de nécrose rétinienne aiguë. Le traitement a comporté des antiviraux dans 4 cas (aciclovir par voie orale dans tous ces cas et IVT de foscavir dans un cas). Les corticoïdes topiques ou systémiques ont été employés dans tous les cas (après guérison des ulcères épithéliaux lorsqu’il y en avait). Le délai médian de résolution de l’inflammation était de 15,5 jours. Quatre patients n'ont pas retrouvé leur acuité visuelle de base. Seul le cas associé à des lésions de rétinite a fait l’objet d’une ponction de chambre antérieure avec PCR HSV / VZV, mais elle n’a pas été contributive. Les 2 kératites épithéliales n’ont malheureusement pas été prélevées. 

Il n’est pas très surprenant qu’un médicament ayant le potentiel de provoquer des réactions inflammatoires soit susceptible de déclencher des réactivations herpétiques, ces dernières étant justement favorisées par l’inflammation. On aurait bien évidemment préféré que les tableaux, tous très évocateurs, soient confortés par des preuves microbiologiques. En outre, le cas ayant évolué favorablement sous corticoïdes sans traitement antiviral concomitant pose franchement la question du diagnostic…Dans tous les cas, les prescripteurs doivent garder en tête cette éventualité certes rare mais qui nécessite une prise en charge spécifique et rapide. 
Janmohamed IK, Salam MAU, Jamall O, Elgharably M, Ghoz N, Amarnath A, Theodoraki K, Almeida G. Faricimab-Associated Intraocular Inflammation With Features of Herpes Simplex Virus. Am J Ophthalmol. 2025 May;273:212-220. 
Reviewer : Antoine Rousseau, thématiques : inflammation, infection 


Imagerie vasculaire rétinienne et papillaire : l’union fait la force ! 

De nombreuses pathologies oculaires sont liées à des altérations de la perfusion vasculaire rétinienne et/ou papillaire (rétinopathie diabétique, occlusions vasculaires rétiniennes, neuropathie ischémique antérieure, ou encore glaucome…). Historiquement, ces anomalies étaient évaluées par angiographie conventionnelle, mais, bien qu’efficace, cette méthode ne permet pas de visualiser l’architecture fine des réseaux capillaires rétiniens et papillaires, limitant ainsi la détection de potentielles anomalies microvasculaires susceptibles de jouer un rôle dans des maladies oculaires dont la pathogénèse reste encore imparfaitement élucidée. Pour surmonter cette limite, l’OCT angiographie (OCT-A) a permis de faire de grands progrès en fournissant, de façon reproductible et non invasive, une cartographie vasculaire complète des différentes couches rétiniennes et de la papille optique. Cependant, l’OCT-A reste une technique d’imagerie statique : elle ne permet ni l’évaluation du flux sanguin réel, ni la mesure de la demande métabolique en oxygène des tissus rétiniens. Dans une étude publiée dans Acta Ophthalmologica, Abu El-Asar et al. se sont penchés sur les modifications vasculaires et hémodynamiques de la rétine et de la papille après photocoagulation panrétinienne (PPR) dans la rétinopathie diabétique, à l’aide de deux techniques d’imagerie qui pourraient pallier aux limites des procédés utilisés en routine clinique. Nous vous proposons ici d’explorer ces deux approches en détail.

La première de ces technologies est l’oxymétrie rétinienne. Il s’agit d’une nouvelle technique d’imagerie non invasive qui permet de mesurer la saturation en oxygène de l’hémoglobine dans les vaisseaux rétiniens. Elle repose sur l’analyse de la lumière réfléchie par la rétine à différentes longueurs d’onde : l’hémoglobine oxygénée et désoxygénée absorbent différemment la lumière, ce qui permet d’estimer le taux d’oxygène transporté dans le sang rétinien. Cette méthode offre des informations précieuses sur l’état métabolique de la rétine, mais n’est cependant pas parfaite, puisqu’elle est limitée par sa faible résolution spatiale et n’est pas encore standardisée pour un usage clinique courant. Afin de mesurer le flux sanguin rétinien et papillaire, Abu El-Asar et al. ont utilisé une deuxième technique, plus ancienne : le laser speckle flowgraphy. Cette technique permet d’estimer le flux sanguin de la rétine, de la choroïde et de la tête du nerf optique, en analysant les variations locales d’une image tachetée de référence générée par un faisceau laser. Le flou causé par le mouvement des globules rouges permet de calculer le mean blur rate (MBR), indicateur relatif de la vitesse du flux sanguin (mais pas du débit vasculaire réel). 

Dans l’étude de Abu El-Asar et al., ces deux techniques combinées ont permis de mettre en évidence un certain nombre d’anomalies sur 37 patients ayant bénéficié de ces deux techniques avant et après PPR : la saturation en oxygène des artérioles rétiniennes a significativement augmenté (p=0,003), suggérant une amélioration de l’oxygénation tissulaire, et parallèlement, le calibre des artérioles a diminué de manière significative (p=0,016). Au niveau de la tête du nerf optique, le MBR des vaisseaux (p=0,002), du tissu papillaire (p=0,002) et de la choroïde (p=0,012) a diminué, indiquant une baisse de la vitesse du flux sanguin dans ces structures. Ces résultats suggèrent que la PPR, en plus de ces effets anti-angiogéniques, s’accompagne de phénomènes de régulation hémodynamiques secondaires, qui n’altèrent pas la distribution de l’oxygène au niveau rétinien. 

Au-delà des résultats présentés, cette étude souligne l’intérêt de combiner différentes techniques d’imagerie vasculaire, dont la complémentarité pourrait offrir une compréhension plus fine des mécanismes vasculaires impliqués dans de nombreuses pathologies oculaires. Toutefois, l’un des biais majeurs non pris en compte ici reste l’influence des facteurs systémiques sur la vascularisation oculaire. Il reste donc essentiel de poursuivre ces recherches afin de mieux caractériser l’apport réel de ces outils d’imagerie, en intégrant des paramètres systémiques tels que la pression artérielle pour affiner et standardiser les interprétations.

Abu El-Asrar AM, Alsarhani WK, AlBloushi AF, Alzubaidi A, Gikandi P, Stefánsson E. Effect of panretinal photocoagulation on retinal oxygen metabolism and ocular blood flow in diabetic retinopathy. Acta Ophthalmol. 2025 Jun;103(4):380-387.  

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : imagerie.


 Astigmatisme post-COVID : un impact cornéen passé sous les radars ?

La pandémie de COVID-19 a marqué une rupture majeure dans les modes de vie des enfants : confinement, école à distance, explosion du temps passé sur les écrans... Alors que l’augmentation post-COVID de la prévalence de la myopie a suscité une attention considérable,1 les répercussions de la pandémie sur d’autres erreurs réfractives, comme l’astigmatisme, demeuraient peu explorées. 

La vaste étude de Kam et al., publiée par Jama Ophthalmology, visait à analyser l’évolution de la prévalence et de la sévérité de l’astigmatisme réfractif (AR) et cornéen (AC) chez les enfants de 6 à 8 ans entre 2015 et 2023, couvrant les périodes pré-pandémique, pandémique, et post-pandémique. Les enfants ont été recrutés dans les écoles primaires de Hong Kong, et ont bénéficié d’un examen ophtalmologique complet (dont réfraction objective sous cycloplégie et kératométrie), et des questionnaires standardisés portant sur les habitudes de vie et les facteurs de risque environnementaux ont été remplis par les parents. Au total, les données de 21 655 enfants ont été analysées. En 2015, la prévalence de l’AR d’au moins 1 dioptrie était de 21,4 %, et celle de l’AC d’au moins 1 dioptrie atteignait 59,8 %. En 2022–2023, ces taux sont passés respectivement à 34,7 % (+13,3 %; Intervalle de confiance (IC) 95 % : 9,3–17,3 %) et 64,7 % (+4,9 %; IC 95 % : 0,5–9,2 %). La pandémie de COVID-19 a été associée à une augmentation du risque d’AR de 20 % (Odds ratio (OR) = 1,20 ; IC 95 % : 1,09–1,33 ; p<0,001) et à une augmentation de 26 % du risque d’AC (OR = 1,26 ; IC 95 % : 1,15–1,38 ; p<0,001). En analyse multivariée, la période a également été associée à une élévation de 0,04 D de la puissance cylindrique réfractive (IC 95 % : 0,02–0,07 ; p<0,001) et de 0,05 D de l’AC (IC 95 % : 0,02–0,08 ; p<0,001), après ajustement pour les facteurs sociodémographiques, l’astigmatisme parental et la myopie chez l’enfant.

Cette étude met en lumière une augmentation de l’astigmatisme chez l’enfant après la pandémie de COVID-19, indépendamment de la myopie. Les auteurs avancent une hypothèse originale : la position de la paupière supérieure lors de l’utilisation prolongée d’écrans ou de la lecture pourraient avec le temps, induire des modifications stables de la courbure cornéenne (un phénomène jusque-là considéré comme transitoire).2 Bien que l’étude s’appuie sur une cohorte homogène d’enfants de Hong Kong qui limite l’extrapolation de ses résultats à d’autres contextes ethniques ou géographiques, elle conforte l’hypothèse de l’impact fort des facteurs environnementaux et comportementaux sur le développement de l’astigmatisme. 

1-    Zhang XJ, Zhang Y, Kam KW, et al. Prevalence of myopia in children before, during, and after COVID-19 restrictions in Hong Kong. JAMA Netw Open. 2023;6(3):e234080.
2-    Buehren T, Collins MJ, Carney L. Corneal aberrations and reading. Optom Vis Sci. 2003; 80(2):159-166.

Kam KW, Shing E, Zhang Y, Zhang XJ, Chee ASH, Ng MPH, Ip P, Zhang W, Young AL, French A, Morgan I, Rose K, Tham CC, Pang CP, Chen LJ, Yam JC. Prevalence and Severity of Astigmatism in Children After COVID-19. JAMA Ophthalmol. 2025 May 1;143(5):383-391.

Reviewer : Paul Bastelica, thématiques : infectiologie, réfraction. 



Microbiome et œil : une révolution pour la compréhension et le traitement des maladies oculaires ?

Dans un article paru dans Eye, un groupe d’auteurs anglais et américains propose une mise à jour sur l’intérêt grandissant du microbiome pour l’ophtalmologie. Le microbiome est défini comme l’ensemble des microorganismes vivant dans un environnement spécifique. Les deux microbiomes qui influencent les maladies oculaires sont le microbiome intestinal, qui abrite plus de 10.000 milliards de bactéries, appartenant principalement aux classes des Firmicutes et Bacteroidetes, et le microbiote oculaire. Les techniques de séquençage appliquées à la microbiologie ont révélé la présence stable et organisée de microorganismes sur la conjonctive, les paupières, les cils, les bords palpébraux et le film lacrymal, mais aussi de façon inattendue en faible quantité dans l’humeur aqueuse.1 Il est composé d’une grande variété de bactéries, notamment Staphylococcus epidermidis, Corynebacterium spp., Propionibacterium spp.

Ces micro-organismes remplissent des fonctions essentielles pour l’homéostasie oculaire, notamment en participant à l’immunité locale, en prévenant la colonisation par des pathogènes et en stabilisant le micro-environnement. Ils interagissent activement avec les cellules immunitaires de la surface oculaire et participent à la régulation des réponses inflammatoires. Ils contribuent également à maintenir la barrière épithéliale et à produire des substances antimicrobiennes naturelles.

Toutefois, lorsque cet équilibre est perturbé, certaines espèces deviennent dominantes ou disparaissent, entraînant une cascade de réactions potentiellement pathogènes. Ce déséquilibre a été associé à plusieurs maladies de la surface oculaire, dont le syndrome de l’œil sec, la conjonctivite chronique, les kératites, etc. Dans la blépharite, par exemple, une prolifération excessive de certaines bactéries au niveau du mébum favorise l’émergence du Demodex, acarien bien connu des ophtalmologistes, qui provoque une inflammation des glandes de Meibomius, et qui à son tour perturbe la composition lipidique des larmes, aggravant la sécheresse oculaire.

La sécheresse oculaire a également été corrélée à une réduction de la diversité microbienne à la surface de l’œil, ce qui fragilise les défenses naturelles contre l’inflammation.2 Les kératites, notamment infectieuses, peuvent être favorisées par une altération du microbiome protecteur, qui laisse émerger des agents pathogènes comme Pseudomonas aeruginosa.
Mais le rôle du microbiome n’est pas uniquement local. Des altérations du microbiome intestinal peuvent moduler le système immunitaire de manière à influencer l’inflammation oculaire. Le concept émergent d’axe intestin-œil a même été proposé. Dans la sécheresse3 et dans certaines uvéites,4 des anomalies du microbiote intestinal ont été observées, probablement en lien avec l’origine auto-immune de ces maladies. Des expériences sur des modèles animaux ont montré qu’une transplantation de microbiote pouvait atténuer ou aggraver les symptômes d’inflammation oculaire selon le profil bactérien transféré. Ces données suggèrent que des médiateurs circulants dérivés du microbiote, comme les acides gras à chaîne courte ou les lipopolysaccharides, modulent la perméabilité vasculaire, ainsi que l’activité des lymphocytes T, régulateurs essentiels dans la survenue des uvéites.

Dans un modèle animal de glaucome chronique à angle ouvert, certains profils de microbiote intestinal sont liés à une augmentation du stress oxydatif, via notamment une concentration plasmatique supérieure en glutathion.5 Cela rejoint une controverse ancienne sur le lien possible entre glaucome chronique et Helicobacter pylori, lui-même favorisé par un déséquilibre microbiotique intestinal.6

Enfin, dans un modèle de DMLA, un profil de microbiote similaire à celui d’un régime riche en graisses ou en glucose a été retrouvé chez les souris déficientes en facteur C3 du complément, un médiateur majeur de la maladie. Chez les patients atteints de DMLA, une classe bactérienne du groupe Firmicutes était sur-représentée et corrélée aux concentrations de facteur H3 du complément.7 Les études AREDS et AREDS2 ont d’ailleurs montré qu’une supplémentation orale en vitamines C et E, cuivre, zinc, lutéine et zéaxanthine peut ralentir la progression de la maladie, mais leur absorption et biodisponibilité dépend fortement de la composition du microbiome intestinal.

Sur le plan thérapeutique, plusieurs pistes innovantes sont évoquées. La consommation d’aliments probiotiques ou prébiotiques permettrait de rééquilibrer la flore intestinale, voire oculaire, avec selon plusieurs études des effets favorables dans l’inflammation oculaire chronique ou l’œil sec. Les probiotiques contiennent des levures ou bactéries comme Lactobacillus et Bifidobacterium, qui sécrètent des acides régulant les populations de bactéries Gram-négatives qui, via la sécrétion d’endotoxines, perturbent les barrières épithéliales. Les prébiotiques sont des glucides non digestibles utilisés par le microbiote intestinal, dont la fermentation produit des acides gras à chaîne courte bénéfiques pour de nombreuses fonctions biologiques. Une autre piste est celle de la transplantation de microbiote fécal, déjà utilisée avec succès en gastroentérologie pour traiter les infections réfractaires à Clostridium difficile après antibiothérapie prolongée. Son application à des pathologies auto-immunes oculaires est encore expérimentale, mais les premiers résultats sont encourageants.

Grâce la compréhension du microbiome oculaire et digestif, l’ophtalmologie entre dans une nouvelle ère, dans laquelle une collaboration entre ophtalmologistes, microbiologistes et immunologistes sera cruciale.

1.    Deng Y, Ge X, Li Y, Zou B, Wen X, Chen W, et al. Identification of an intraocular microbiota. Cel Discov. 2021;7:13.
2.    Kim YC, Ham B, Kang KD, Yun JM, Kwon MJ, Kim HS, et al. Bacterial distribution on the ocular surface of patients with primary Sjögren's syndrome. Scientific Reports. 2022; 12:1715.
3.    Labetoulle M, Baudouin C, Benitez Del Castillo JM, Rolando M, Rescigno M, Messmer EM, Aragona P. How gut microbiota may impact ocular surface homeostasis and related disorders. Prog Retin Eye Res. 2024
4.    Nakamura YK, Metea C. Karstens L. Asquith M. Gruner H. Moscibrocki C, et al. Gut microbial alterations associated with protection from autoimmune uveitis. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2016:57:3747-58.
5.    Chen H, Cho KS, Vu THK, Shen CH, Kaur M, ChenG ,e tal. Commensal microflora- induced T cell responses mediate progressive neurodegeneration in glaucoma. Nat Commun. 2018-9:3209
6.    Zeng ,J Liu H, Liuz X, Ding C. The relationship between Helicobacter pylori infection and open-angle glaucoma: ameta-analysis. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2015:56:5238-45.
7.    Zinkernagel MS, Zysset-Burri DC, Keller I, Berger LE, Leichtle AB, Largiader CR, et al. Association of the intestinal microbiome with the development of neovascular age-related macular degeneration. Scientific Reports. 2017; 7:40826.

Kaur S, Patel BCK, Collen A, Malhotra R. The microbiome and the eye: a new era in ophthalmology. Eye. 2025 Feb;39(3):436-448. 

Reviewer : Alexandre Matet, thématique : microbiologie, surface, uvéite, glaucome, rétine.