Revue de presse Novembre 2025

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :     
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.



Les implants toriques : la meilleure solution pour les astigmatismes de faible amplitude ?

Les effets négatifs de l’astigmatisme résiduel sur les performances visuelles et la satisfaction des patients après chirurgie de la cataracte sont bien établis. Un cylindre résiduel de 0,75 à 1,00 D multiplie par six le risque de ne pas atteindre une acuité postopératoire non corrigée de 10/10, tandis qu’un cylindre 1,25 à 1,50 D augmente ce risque d’un facteur 20 à 30. 
En dessous de 0,75 D d’astigmatisme cornéen préopératoire, aucune procédure supplémentaire n’est généralement proposée, hormis une incision placée sur le méridien le plus cambré (quand celle-ci est possible). A l’opposé, les implants toriques constituent l’option la plus efficace pour corriger les astigmatismes supérieurs à 1,50- 2,00 D.

Pour les patients présentant un astigmatisme intermédiaire - compris entre 0,75 et 1,50 D - les données de la littérature sont moins univoques. Le choix entre implant torique ou incision relaxante (arciformes placées à 3-4 mm du centre optique -AK- ou limbiques relaxantes -LRI), voire même le bien-fondé d’une mesure particulière sur cet astigmatisme, ne reposent sur aucune recommandation fondée sur des preuves solides. 
Les implants toriques préservent l’intégrité cornéenne mais sont limités par leur coût et les efforts accrus en termes de planification pré- et peropératoire. Les incisions relaxantes sur le méridien le plus cambré peuvent être réalisées au laser femtoseconde ou manuellement, cette dernière option n’ajoutant que des surcoûts modérés. Leurs principaux écueils sont leur manque de prédictibilité, les éventuelles aberrations d’ordre supérieur, altérations de la sensibilité cornéenne et autres retards de cicatrisation. 

C’est ce constat qui a motivé Julie et Steven Schallhorn, à mener une investigation d’ampleur sur le sujet. Cette étude rétrospective, portant sur 40 289 yeux opérés de cataracte ou de prelex, a comparé l’efficacité des différentes stratégies de correction de l’astigmatisme intermédiaire (entre 0,75 et 1,50 D) : implant torique, LRI ou AK, et absence de correction. Les yeux ont été stratifiés en trois niveaux de cylindre préopératoire (0,75–1,00 D, 1,00–1,25 D et 1,25–1,50 D). L’objectif principal était d’évaluer la proportion d’yeux ayant atteint un astigmatisme résiduel ≤ 0,50 D et de déterminer, par un modèle multivarié, les facteurs influençant la probabilité de ne pas atteindre ce critère.
Les résultats, évalués en moyenne 1,9 ± 1,5 mois après la chirurgie, ont montré une supériorité nette et constante des implants toriques, indépendamment du niveau d’astigmatisme initial. Plus de 77 % des yeux ayant reçu un implant torique présentent un astigmatisme résiduel ≤ 0,50 D, quel que soit le sous-groupe analysé. En comparaison, les incisions relaxantes avaient des performances intermédiaires (entre 52 et 65% selon les sous-groupes), tandis que l’absence de correction entraînait des résultats significativement inférieurs, avec des taux variant de 27,8% à 50,5 % selon les sous-groupes. L’analyse a également révélé que l’astigmatisme inverse à la règle constitue un facteur majeur d’échec, en particulier en l’absence de correction, en raison de l’effet cumulatif de l’astigmatisme postérieur (généralement orienté selon un axe inverse à la règle dans la population âgée). 
À l’inverse, les yeux avec un astigmatisme conforme à la règle et proche de 0,75 D semblent bénéficier d’un certain effet compensatoire du versant postérieur, expliquant les résultats relativement satisfaisants même sans correction.

Les résultats des implants toriques restent quant à eux homogènes quelle que soit l’orientation de l’astigmatisme, probablement grâce à l’intégration systématique de l’astigmatisme postérieur dans les calculateurs toriques modernes.
L’analyse par modèle de régression renforce les résultats : comparées aux implants toriques, les incisions relaxantes multiplient par 2,8 à 4,7 le risque d’échec tandis que l’absence de correction accroît ce risque d’un facteur de 5,7 à 10 selon les sous-groupes. 
La très nette préférence des chirurgiens pour des incisions temporales dans l’ensemble de la cohorte (87% des yeux inclus) ne modifie pas significativement les résultats, celles-ci étant globalement neutres sur le plan de l’astigmatisme. 
Les auteurs rappellent que l’astigmatisme résiduel peut avoir des conséquences visuelles ayant des répercussions sur la conduite, la perception des contrastes et le risque de chute, et que les coûts supplémentaires liés aux implants toriques peuvent être mis en balance avec le coût cumulé d’une correction optique prolongée.

Ces résultats sont bien entendus limités par la nature rétrospective de l’étude et la durée de suivi très limitée, qui ne permet pas de statuer sur la stabilité à long terme de la correction de ce type d’astigmatisme. Certains auteurs ont notamment montré que la correction des astigmatismes inverses à la règle avaient tendance à se détériorer au cours du suivi au long cours chez les patients corrigés par implants toriques.1 Il faut noter également le conflit d’intérêt majeur du premier auteur de l’étude, certes ophtalmologiste dans le service universitaire de San Francisco, mais également employé par une entreprise commercialisant des implants toriques. 

Malgré tout, cette étude fournit des arguments assez robustes en faveur des implants toriques pour corriger les astigmatismes intermédiaires. 

1) Hayashi K, Yoshida M, Hayashi S, Hirata A. Long-term changes in the refractive effect of a toric intraocular lens on astigmatism correction. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2022 Feb;260(2):509-519.

Schallhorn SC, Schallhorn JM. Comparison of surgical methods for the correction of low amounts of corneal astigmatism during cataract surgery. Ophthalmology. 2025 Nov;132(11):1202-1211. 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : cataracte, réfractive. 



L’omidenepag isopropyl : une alternative aux méfaits esthétiques des analogues des prostaglandines pour le traitement du glaucome ? 

    De nombreuses innovations ont émergé ces dernières années dans le domaine des traitements hypotonisants du glaucome, notamment avec l’arrivée récente des inhibiteurs de Rho-kinase. Parmi ces nouvelles options thérapeutiques, figure l’omidenepag isopropyl (OMDI), un principe actif commercialisé au Japon en 2018. Bien que son mécanisme se rapproche de celui des analogues classiques des prostaglandines (APG), l’OMDI agit sélectivement sur le récepteur aux prostanoïdes EP2. Il réduit la pression intraoculaire via l’augmentation de l’élimination de l’humeur aqueuse par voie uvéosclérale comme les APG, mais contrairement à eux, n’agit pas sur les follicules pileux et les adipocytes orbitaires. Ce nouveau traitement pourrait ainsi offrir l’avantage théorique de limiter l’hypertrichose et la fonte graisseuse péri-orbitaire observées avec les APG, réduisant ainsi les effets indésirables esthétiques rapportés avec les APG conventionnels. 

Afin de déterminer l’intérêt de ce nouveau médicament dans l’arsenal thérapeutique du glaucome, la méta-analyse de Sharma et al. publiée par l’American Journal of Ophthalmology a analysé l’ensemble des essais randomisés et des études de cohortes portant sur l’utilisation d’OMDI pour le traitement de l’hypertonie oculaire et du glaucome. Au total, 17 études (5 essais randomisés, 7 cohortes prospectives et 5 cohortes rétrospectives) analysant 3294 yeux de 2934 patients ont été incluses dans l’analyse. La durée du suivi sous traitement était en moyenne de 9,3 ± 8,7 mois. L’analyse de l’ensemble des effets indésirables rapportés dans 4 de ces études a révélé un risque relatif associé à l’instillation d’OMDI de 1,16 (Intervalle de confiance à 95% = 0,94–1,43 ; p = 0,170) par rapport à l’instillation d’APG, suggérant une incidence d’effets indésirables légèrement supérieure mais non statistiquement significative. Parmi les effets indésirables rapportés, l’hyperhémie conjonctivale (14 % vs 6,8 %) et les anomalies de la surface cornéenne (6,7 % vs 3,3 %) étaient significativement plus fréquentes dans le groupe OMDI (p < 0,05), alors que la pousse excessive des cils (0 % vs 3 %, p = 0,003) et les altérations palpébrales/orbitaires (0 % vs 2,8 %, p = 0,013) étaient davantage observées sous APG. En termes d’efficacité, l’analyse a montré une réduction significative de −3,78mmHg sous OMDI par rapport à la valeur initiale. Cette valeur était cependant très hétérogène selon les études, notamment en raison de l’effet de la PIO avant traitement (plus elle était élevée, plus la baisse de PIO était importante). L’analyse réalisée à partir des 4 essais randomisés comparatifs a montré que les APG entraînaient une réduction de PIO légèrement supérieure (0,28mmHg ; p = 0,144) mais non significative par rapport à celle obtenue avec l’OMDI. 

Bien que l’analyse rassemble des études au suivi relativement court, l’OMDI semble tenir ses promesses : les effets indésirables orbito-palpébraux sont moins fréquents qu’avec les APG. Mais à quel prix ? Cette étude soulève effectivement certaines tendances : l’OMDI semble être associé à une fréquence plus élevée de troubles de la surface oculaire (possiblement liée à la présence de chlorure de benzalkonium dans le collyre), ainsi qu’à une diminution plus modeste de la PIO, deux différences non significatives qui pourraient malgré tout influencer l’efficacité et l’observance thérapeutique à long terme. Cette méta-analyse reposant sur un nombre restreint d’études méthodologiquement robustes, des essais comparatifs de plus longue durée restent nécessaires pour préciser son réel bénéfice en matière d’effets indésirables.

Sharma S, Singh R, Balas M, Mathew DJ. Safety and Efficacy of Omidenepag Isopropyl for Elevated Intraocular Pressure: A Systematic Review and Meta-Analysis. Am J Ophthalmol. 2025 Nov;279:182-192.

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : glaucome. 



Implant intraoculaire ajustable par les UV : Comment ça marche? Est-ce vraiment efficace?  

Les implants intraoculaires (IOL) ajustables à la lumière (LAL) ont été commercialisés en 2019 aux États-Unis. Il s’agit d’IOL dont la puissance optique (et donc la réfraction postopératoire du patient) peut être modifiée de manière non invasive à distance de l’intervention. Comment cela fonctionne ? L’optique du LAL est composée d’une matrice polymère siliconée contenant des macromères polymérisables, d’agents photo-actifs sensibles à une longueur d’onde de 365 nm, et d’une face arrière couverte d’une barrière anti-UV.1 Lorsqu’ils sont irradiés par un faisceau de lumière UV d’une longueur d’onde donnée, les macromères libres polymérisent, créant une diminution de leur concentration localement. Les macromères libres non polymérisés migrent alors sur la zone irradiée, et induisent une modification de la forme de l’implant, et donc de la puissance optique de l’implant. Cet ajustement réfractif est réalisé en entrant la réfraction postopératoire du patient ainsi que la réfraction souhaitée dans un dispositif spécifique, qui délivre ensuite des UV de façon ciblée pour modifier la puissance sphérique et cylindrique de la LAL. Théoriquement, trois ajustements réfractifs postopératoires peuvent être réalisés, chaque ajustement offrant une plage de correction de −2 à +2 dioptries [D] en sphère, et de 2 D en cylindre.2 Cette approche séduisante permettrait d’optimiser finement les paramètres réfractifs en postopératoire de phacoémulsification. 

Dans une étude publiée par le Journal of Cataract and Refractive Surgery (JCRS), l’équipe de Doane et al. nous offre l’occasion de revenir sur l’efficacité de ces implants originaux, en comparant les performances cliniques de deux modèles de LAL : le LAL conventionnel et le LAL+, une version « monofocale plus » du LAL avec une profondeur de champ élargie. Il s’agit d’une étude prospective multicentrique comparative non randomisée comparant 50 patients ayant reçu un LAL bilatéral, avec 100 patients ayant reçu un LAL+. En termes de réfraction postopératoire finale (après ajustement, délai d’évaluation non indiqué), 91,1 % des yeux dans le groupe LAL présentaient un équivalent sphérique dans les ± 0,50 D de la cible, et 96,4 % étaient dans les ± 1,00 D de la cible, contre respectivement 93,5 % et 99,1 % dans le groupe LAL+. Parmi les 150 patients opérés, 55,3 % (83/150 ; 91 yeux) ont modifié leur cible réfractive au cours de la période d’ajustement. Parmi les 91 yeux ayant changé de cible réfractive, 74 (81,3 %) ont évolué vers plus de myopie, 10 (11 %) ont changé vers plus d’hypermétropie, et 7 (7,7 %) ont d’abord augmenté la myopie puis l’ont diminuée. En termes de résultats visuels sans correction, 92% (46/50) des patients implantés avec un LAL présentaient une acuité visuelle binoculaire de loin mesurée à 10/10 avant ajustement de la réfraction, et 100% après ajustement, contre respectivement 89% (89/100) et 99% (99/100) avec un LAL+. L’acuité visuelle en vision intermédiaire (mesurée à 66cm) était en moyenne de –0,032 logMAR pour le LAL et –0,046 logMAR pour le LAL+ (p>0,05) (soit plus de 10/10 en équivalent Monoyer dans les deux groupes), contre respectivement 0,140 logMAR et 0,069 logMAR en vision de près (p = 0,003), soit un équivalent Parinaud 5–6 dans le groupe LAL, et Parinaud 4 dans le groupe LAL+. 

Cette étude multicentrique met en lumière le potentiel indéniable des LAL, avec une excellente précision réfractive après ajustement. La possibilité de modifier la cible réfractive chez plus de la moitié des patients opérés illustre très bien le concept de réfraction « à la demande », particulièrement pertinent dans un contexte où les attentes visuelles sont de plus en plus importantes au regard des nombreuses innovations réalisées dans le domaine des IOL. Le LAL+ semble représenter une option supplémentaire, en présentant de meilleures performances en vision binoculaire de près. L’étude reste cependant centrée sur les performances visuelles et réfractives de ces IOL, et n’évalue pas certains enjeux clés, notamment la tolérance du protocole d’adaptation postopératoire, les contraintes logistiques et le coût, autant de freins potentiels à leur utilisation en Europe, et plus particulièrement en France, malgré l’obtention d’un marquage CE en 2010. 

1-    Schwartz DM. Light-adjustable lens. Trans Am Ophthalmol Soc, 2003;101:417-436
2-    Schwartz DM, SanDStedt ca, Chang SH et al. Light-adjustable lens: development of in vitro nomograms. Trans Am ­ Ophthalmol Soc, 2004;102:67-72; discussion 72-74

Doane J, Newsom TH, Slade S, Thompson V, Bruns N, Vukich J. Clinical data registry comparing outcomes of two light adjustable lenses. J Cataract Refract Surg. 2025 Nov 1;51(11):948-954.

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : cataracte, réfractive. 



Effets secondaires sur la surface oculaire des nouveaux médicaments anticancéreux de la classe ADC : un indice de l’efficacité du traitement ?

Dans cet article collaboratif, des auteurs de San Francisco, Philadelphie et Baltimore, ont évalué de façon rétrospective, sur un registre international, les complications oculaires des nouveaux anticancéreux de la classe ADC (antibody drug conjugates ou anticorps-drogues conjugués). Ils ont en particulier étudié leur lien avec la survie globale, chez des patients atteints de différents types de cancers hématologiques, mammaires et urinaires, pour lesquels ces traitements ont reçu les premières autorisations de mise sur le marché (AMM).
Les ADC sont une classe médicamenteuse oncologique innovante, constituée d’un anticorps monoclonal ciblant un récepteur membranaire exprimé à la surface des cellules cancéreuses, emportant une molécule cytotoxique (le « cargo »), le plus souvent un inhibiteur du microtubule ou de la réparation de l’ADN.1 Leur principe est d’améliorer le ciblage sur le tissu tumoral et ainsi réduire la toxicité extra-tumorale, par rapport aux chimiothérapies conventionnelles. Néanmoins les essais cliniques ont identifié une toxicité oculaire et tout particulièrement sur la surface oculaire. Le mirvetuximab soravtansine2 (indiqué dans le cancer ovarien), le belantamab mafodotin (pour les hémopathies) et le tisotumab vedotin (pour le cancer du col utérin) sont parmi les médicaments les plus pourvoyeurs de kératites, sécheresses, voire ulcères cornéens. Leur AMM recommande donc une surveillance ophtalmologique avant et pendant le traitement, et une désescalade de dose, une pause voire un arrêt du traitement en cas d’effet secondaire. 

Les auteurs ont extrait de la base internationale TriNetX les données de patients traités par un des douze ADC actuellement autorisés. Ils ont analysé l’occurrence de sécheresse, kératite, conjonctivite, uvéite et ulcère cornéen à 3 mois, 6 mois, 1 an, 3 ans et 5 ans après le début du traitement, ainsi que la survie globale. 14 138 patients ayant un suivi d’au moins un an ont été inclus. La majorité des patients étaient traités pour un lymphome (76%), puis pour un cancer mammaire (13%) ou urinaire (11%).

L’incidence cumulée des effets indésirables oculaires à 5 ans était : sécheresse (3,9%), kératite (3,2%), ulcère (0,15%) et uvéite (0,31%). Mais parmi les 3 molécules les plus à risque citées plus haut (mirvetuximab, belantamab et tisotumab), ces taux étaient de 19-24% pour la sécheresse et de 12-17% pour les kératites. Parmi 1154 patients traités par une de ces 3 molécules et ayant un suivi de 5 ans, ceux n’ayant pas présenté de toxicité sur la surface oculaire avaient un risque augmenté de décès à 5 ans par rapport à ceux avec toxicité (risque relatif=1.204, 95% CI=1.075–1.35, P=0.001). Dans une sous-analyse en fonction du type d’effet indésirable, la sécheresse n’était pas associée à une meilleure survie, mais la survenue d’une kératite était associée à une meilleure survie à 1, 3 et 5 ans (risque relatif à 5 ans=1.293, 95% CI=1.055–1.585, P=0.0128).

Cette étude, qui est la première à faire le lien entre effets indésirables oculaires et efficacité du traitement par ADC en vie réelle, suggère que contrairement aux recommandations de désescalade voire de pause thérapeutique, une toxicité sur la surface oculaire pourrait refléter l’efficacité biologique du traitement et donc inciter à le poursuivre. Des observations similaires ont été décrites avec d’autres classes d’anticancéreux, par exemple les immunothérapies, où l’on sait désormais que certains effets indésirables sont un marqueur prédictif d’efficacité.3 Plusieurs stratégies ont été mises en place pour atténuer ces effets indésirables, comme l’application de packs de glace, ou l’utilisation de collyres vasoconstricteurs pendant la perfusion, puis de collyres corticoïdes après le traitement. Ces recommandations expliquent d’ailleurs en partie le taux globalement moins élevé de complications sur la surface oculaire observés dans cette étude, par rapport aux essais cliniques. Cet effet pourrait néanmoins aussi résulter d’une sous-déclaration dans le registre, basé sur le codage de chaque complication. 
Le mécanisme de la toxicité oculaires des ADC reste encore mal compris. Il est probablement multifactoriel, car les antigènes ciblés par ces anticorps monoclonaux comme le belantamab ou le mirvetuximab ne sont pas exprimés à la surface des cellules cornéennes. Pour une même molécule cargo, la toxicité est variable en fonction de l’anticorps monoclonal, comme on l’observe par exemple avec les inhibiteurs des microtubules.

En conclusion, ces observations devraient aider les ophtalmologistes et oncologues à prendre les décisions les plus adaptées pour contrôler la toxicité tout en optimisant l’efficacité et de ces traitements très prometteurs.

1.    Dumontet C, Reichert JM, Senter PD, et al. Antibody–drug conjugates come of age in oncology. Nat Rev Drug Discov. 2023;22:641–661.
2.    Moore KN, Angelergues A, Konecny GE, et al. Mirvetuximab soravtansine in FRα-Positive, platinum-resistant ovarian cancer. N Engl J Med. 2023;389:2162–2174.
3.    Haratani K, Hayashi H, Chiba Y, et al. Association of immune-related adverse events with nivolumab efficacy in non-small-cell lung cancer. JAMA Oncol. 2018;4:374–378.


Kim SH, Marshall RF, Wai KM, Rahimy E, Vingopoulos F, Mishra K, Berkenstock M, Mruthyunjaya P. Ocular Adverse Events of Antibody Drug Conjugates and Association With Survival From a Real-World Database. Cornea. 2025 Sep

Reviewer : Alexandre Matet, thématique : oncologie, surface, pharmacologie



Histoire naturelle des ostéomes choroïdiens en imagerie multimodale

Ce travail, réalisé par un groupe de spécialistes indiens en oncologie oculaire à l’hôpital LV Prasad d’Hyderabad, présente la plus grande série d’ostéomes choroïdiens analysés de façon longitudinale. Cette pathologie bénigne rare touche préférentiellement les adultes jeunes. L’ostéome est constitué de matériel calcique localisé sous l’épithélium pigmentaire. Cette pathologie dont l’origine physiopathologique reste mystérieuse, est lentement progressive et peut entraîner des séquelles visuelles notamment en cas d’atrophie ou de néovascularisation. Plusieurs auteurs avaient auparavant décrit cette progression lente,1 mais aussi plus rarement une décroissance dans certains cas, qui peut s’associer à une décalcification partielle de la lésion.2 L’objectif de cette étude était de décrire les caractéristiques en imagerie multimodale des ostéomes choroïdien et leur évolution longitudinale ainsi que leur pronostic visuel, en utilisant rétinophotographie, angiographie fluorescéinique, autofluorescence, OCT et OCT angiographie.

Les auteurs ont inclus 92 yeux de 73 patients, d’âge moyen 32 ans, et comprenant 36 femmes et 37 hommes. Au diagnostic, 79% des lésions atteignaient la macula. Une atrophie choroïdienne décalcifiée en bordure de lésion était observée dans 39% des yeux, sous la forme d’une interruption de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR) en OCT, et une visualisation des vaisseaux choroïdiens en rétinophotographie. Il existait également des zones d’atrophie de l’EPR surplombant l’ostéome dans 36% des yeux. Une néovascularisation choroïdienne était présente dans 47% des yeux au diagnostic, et était corrélée à la présence d’atrophie de l’EPR (P=0.04) et à une atteinte de la macula par l’ostéome (P=0.001), ce qui est cohérent avec les observations cliniques d’une prédilection de la néovascularisation pour les zones atrophiques et pour la macula.
Dans un sous-groupe de 35 yeux pour lesquels un suivi longitudinal était disponible, une croissance moyenne de la lésion à un rythme de 0,2 surface papillaire par an, et une augmentation lente de la zone décalcifiée de 0,08 surface papillaire par an, étaient observées. En analyse multivariée, le seul facteur prédictif d’une décalcification était un plus grand diamètre de la lésion au moment du diagnostic (P=0.02). Aucun patient n’a développé de nouvelle néovascularisation choroïdienne au cours du suivi.
Concernant le pronostic visuel, une dégradation de la vision moyenne de ~5,1/10 à ~4,5/10 (Snellen) a été observée, malgré différentes stratégies de traitement utilisées en cas de néovascularisation (anti-VEGF intravitréens, thermothérapie transpupillaire, laser focal). Les facteurs prédictifs d’une moins bonne vision en fin de suivi étaient la présence d’une néovascularisation (P=0.03) et une plus grande surface de la lésion au diagnostic (P=0,02).

On peut citer parmi les limites de cette étude le fait que seulement 35 yeux sur 92 ont pu être suivis en longitudinal, ce qui reste néanmoins un effectif significatif pour cette pathologie rare, et qu’il est possible de rassembler uniquement dans des pays à forte densité de population comme l’Inde. Par ailleurs, les auteurs ne précisent pas leur définition de la néovascularisation, et notamment si elle était prouvée en angiographie ou uniquement diagnostiquée sur l’OCT ou l’OCT-A.

Cet article s’accompagne d’une iconographie très didactique, et contribue à mieux diagnostiquer les ostéomes choroïdiens et à mieux comprendre leur histoire naturelle.


1.    Aylward GW, Chang TS, Pautler SE, Gass JDM. A long-term follow-up of choroidal osteoma. Arch Ophthalmol. 1998
2.    Shields CL, Sun H, Demirci H, Shields JA. Factors predictive of tumor growth, tumor decalcification, choroidal neo- vascularization, and visual outcome in 74 eyes with choroidal osteoma. Arch Ophthalmol. 2005
3.    
Jacob N, Raval V, Kaliki S, Ketkar M, Kapoor AG, Sahoo NK. Predictive Factors and Tumor Dynamics in Choroidal Osteoma: A Multimodal Imaging-Based Longitudinal Analysis. Ophthalmol Retina. 2025 Nov

Reviewer : Alexandre Matet, thématique : oncologie, rétine