Revue de presse Septembre 2025

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :     
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.



Prévention des récidives intraoculaires de zona ophtalmiques : les résultats mitigés de la ZEDS study : 

Commençons par quelques données épidémiologiques : 95% des sujets dans les pays occidentaux présentent une trace sérologique d’une infection par le virus de la varicelle et du zona (VZV) ; en l’absence de vaccination, 20 à 30% contracteront un zona, parmi lesquels 8% sont des zonas ophtalmiques (ZO). Autrement dit, et comme l’avait extrapolé Thomas Liesegang, le risque de développer un ZO au cours de la vie d’un homme est compris entre 1 et 2%.1,2 Le ZO pose deux types de problèmes : des atteintes oculaires, chez environ un quart des patients (kératites, uvéites, et plus rarement paralysie oculomotrice, voire exceptionnellement rétinite) qui deviennent chronique ou récidivante chez près du tiers des patients, et des douleurs neuropathiques (douleurs post zostériennes, ou DPZ) terribles, qui représentent une cause majeure de suicide chez les patients âgés souffrant de douleurs chronique. 

Alors me direz-vous, qu’attend-t-on pour vacciner ? la question est pertinente… ce d’autant plus que le vaccin sous-unitaire, très efficace et possible chez le sujet immunodéprimé, est désormais disponible et remboursé. Mais la couverture vaccinale contre le VZV reste très faible, en particulier outre-Atlantique…où cela n’est pas près de s’arranger. 
Il faut aussi prendre en compte un autre élément que nous évoquions dans ces colonnes : une fois que le zona ophtalmique a frappé, le rapport bénéfice/risque du vaccin en prévention secondaire s’effondre, en raison du risque de récidive inflammatoire intraoculaire causé par le boost immunitaire vaccinal.3   

Dans ce contexte, nous sommes tous confrontés à des cas de zona ophtalmique dont les atteintes oculaires récidivent ou se chronicisent, sans recommandation thérapeutique précise, contrairement aux récurrences oculaires d’HSV, dont la prévention est bien codifiée. C’est ce constat qui motivé Elisabeth Cohen à mettre en place la ZEDS ou Zoster Eye Disease Study : une étude prospective, randomisée, en double insu, multicentrique (85 centres aux USA, au Canada et en Nouvelle-Zélande) visant à évaluer l’efficacité du valaciclovir (à la dose de 500mg matin et soir) pour diminuer d’une part la fréquence des récidives oculaires après zona ophtalmique, et d’autre part la fréquence et l’intensité des DPZ. 
En partant du postulat que 30% des patients atteint de zona ophtalmique avec atteinte intraoculaire initiale présentera des récidives oculaires, et misant sur une réduction de 30% de l’incidence de ces dernières grâce au traitement antiviral prescrit pour une durée d’un an, l’équipe de recherche déterminait que pas moins de 788 patients (394 par groupe : placebo ou antiviral) étaient nécessaires pour prouver l’hypothèse avec une puissance de 80%. Il s’agissait de recruter des patients majeurs, immunocompétents, avec une fonction rénale sensiblement normale, et un antécédent d’éruption zostérienne dans le territoire du V1 avec une atteinte intraoculaire dans l’année précédant l’inclusion ; le tout entre 2017 et 2023.

C’était sans compter sur l’épidémie de COVID-19, qui a beaucoup impacté le recrutement, si bien que « seulement » 527 patients ont été inclus 266 dans le groupe VACV et 261 dans le groupe placebo. Sans surprise, près des trois quarts des patients avaient plus de 60 ans, plus de 80% des sujets n’étaient pas vaccinés et les atteintes oculaires les plus fréquentes étaient de loin les kératites stromales (42%). 

A un an, le critère de jugement principal n’était pas atteint : la proportion de patients ayant récidivé dans le groupe VACV était certes moindre que dans le groupe placebo, mais la différence n’était pas significative (28% vs 33%, p=0,09). La réduction, de l’ordre de 15%, était associé à un nombre de patients traités pour éviter une récidive oculaire compris entre 13 et 20… Des analyses en sous-groupes, théoriquement non valables étant donné la négativité du critère principal, retrouvaient une différence significative chez les patients âgés de moins de 60 ans et avec un zona datant de moins de 6 mois. 

Concernant les DPZ, elles se développèrent chez 39 patients du groupe placebo et 34 patients du groupe VACV, une différence non significative en termes de prévalence, mais pas non plus en termes de sévérité et de durée des épisodes douloureux. Un seul critère était statistiquement différent dans les 2 groupes, la dose quotidienne de médicaments anti-douleur consommée par les patients atteints de DPZ, plus faible dans le groupe VACV. 
Ces résultats décevants, qui ne confortent pas une pratique clinique très majoritaire, font évidemment l’objet d’une discussion, et même d’un commentaire de Douglas Jabs publié dans le même numéro de JAMA Ophthalmology. 

Il y a bien sûr un problème d’effectifs par groupe, largement inférieur au nombre de sujet nécessaires calculé a priori, et qui entraine une puissance a posteriori très défavorable de… 24% ! Soit 76% de probabilité de conclure à tort à une absence de différence entre les groupes !

Mais il y a aussi un problème conceptuel : les récidives oculaires de zona ont le plus souvent une physiopathologie mixte, où la réplication virale joue un rôle, mais dont l’essentiel est causé par une réaction immunitaire. Idem pour les DPZ, dont la physiopathologie ne repose pas uniquement sur la réplication virale. Si bien que le traitement antiviral préventif, bien qu’indiscutablement nécessaire pour prévenir les récidives oculaires, ne peut suffire sans être associé à un traitement par corticoïdes ou par immunosuppresseurs topiques. 

Par ailleurs, selon les critères de l’étude, le zona ophtalmique a potentiellement eu lieu un an avant l’inclusion. Par conséquent, certains patients ont pu souffrir de DPZ qui se sont estompées spontanément sur cette période (entre le zona et l’inclusion), et sur lesquelles l’effet du VACV aurait pu être bénéfique, mais n’a pas été évalué. 

Enfin, on peut se demander si la dose de VACV prescrite, certes 2 fois plus importante que celle recommandée pour HSV, était adaptée pour son cousin, connu pour être beaucoup plus agressif et/ou immunogène. 

Pour conclure, bien que négatifs, les résultats de la ZEDS ne changeront probablement pas nos pratiques en matière de prescription d’antiviraux car cette étude n’apporte pas les réponses espérées compte tenu de ses limites. Ils mettent par ailleurs en lumière la complexité de la conception et de la mise en œuvre des essais cliniques, et suggèrent la nécessité d’un traitement préventif combinant antiviraux et immunosuppresseurs topiques. 

1) Liesegang TJ. Herpes zoster ophthalmicus natural history, risk factors, clinical presentation, and morbidity. Ophthalmology. 2008 Feb;115(2 Suppl):S3-12.
2) Kong CL, Thompson RR, Porco TC, Kim E, Acharya NR. Incidence Rate of Herpes Zoster Ophthalmicus: A Retrospective Cohort Study from 1994 through 2018. Ophthalmology. 2020 Mar;127(3):324-330
3) Walia A, Sun Y, Acharya NR. Risk of Herpes Zoster Ophthalmicus Recurrence After Recombinant Zoster Vaccination. JAMA Ophthalmol. 2024 Mar 1;142(3):249-256.
4) Jabs DA. Zoster Eye Disease Study. JAMA Ophthalmol. 2025 Apr 1;143(4):285-286.

Cohen EJ, Troxel AB, Liu M et al. Low-dose valacyclovir in herpes zoster ophthalmicus: the zoster eye disease randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2025 Apr 1;143(4):269-276.
Warner DB, Jeng BH, Kim J, et al. Low-dose valacyclovir for postherpetic neuralgia in the zoster eye disease study: a randomized clinical trial. JAMA Ophthalmol. 2025 Apr 1;143(4):277-285

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : infection. 



Diagnostic de la myasthénie oculaire : les dosages lacrymaux supérieurs aux dosages sériques ? 

La myasthénie oculaire est la forme la plus fréquente de myasthénie. Dans cette forme clinique, les auto-anticorps spécifiques de la maladie (anticorps anti récepteurs de l’acétylcholine – AChR- ou anti MuSK) sont indétectables dans le sérum chez environ 50% des patients. Le diagnostic repose alors sur d’autres éléments tels que le test au glaçon, le test à la néostigmine (anticholinestérasique), l’EMG avec stimulation répétitive ou encore un traitement anticholinestérasique d’épreuve.1 Lu et al. proposent dans le numéro de septembre de l’American Journal of Ophthalmology une alternative innovante aux dosages sériques d’auto-anticorps en les associant à des dosages lacrymaux, qui selon les auteurs, représenteraient plus fidèlement les anomalies immunitaires d'origine neurologiques. 

L’objectif principal de l’étude prospective monocentrique de validité diagnostique était donc de comparer la performance du dosage des anticorps anti-AChR dans les larmes à celle du dosage sérique. Soixante-cinq participants, dont 52 suspects de myasthénie oculaire et 13 témoins ont été inclus entre août 2023 et juin 2024. Les prélèvements lacrymaux étaient réalisés le matin par bandelettes de Schirmer, parallèlement aux prélèvements sanguins, qui étaient analysés par lot. Les prélèvements effectués avant la mise en route du traitement. 

La recherche d’Anticorps (Ac) anti-AChR dans le sérum et les larmes était réalisée par 3 techniques différentes et complémentaires (une technique ELISA, une technique basée sur la révélation d’une fixation des Ac sur des cellules modifiées pour exprimer le récepteur à l’Acétylcholine, et enfin une technique par cytométrie en flux, faisant également intervenir des cellules exprimant AChR. La positivité d’une des techniques signait la présence des Ac.
Le diagnostic de certitude (gold standard) était la présence de signes cliniques associés à au moins l’un des 4 critères suivants : présence d’Ac anti-AChR sériques, test à la néostigmine positif, décrément caractéristique sur un EMG avec stimulation répétitive, ou réponse thérapeutique aux anticholinestérasiques. 
La performance diagnostique des Ac Anti-AChR lacrymaux était évaluée par l’aire sous la courbe (AUC) des courbes ROC. 
Les anticorps lacrymaux obtenaient une AUC de 0,926, nettement supérieur aux anticorps sériques qui présentaient une AUC de 0,656. Les sensibilités et spécificités étaient respectivement de 81% et 92% pour les Ac lacrymaux, et 42% et 92% pour Ac sériques. 
Chez les patients séronégatifs, les larmes étaient positives dans 83,3 % des cas. Elles ont été également retrouvées positives chez les 9 patients avec un test à la néostigmine négatif. En revanche, aucune corrélation robuste n’a été retrouvée entre le niveau des biomarqueurs lacrymaux et la sévérité clinique. 

La principale limite de l’étude est son caractère monocentrique. En outre, Il aurait été sans doute été pertinent d’inclure des témoins atteints de pathologie pouvant mimer une myasthénie oculaire. Ces résultats devront certes être répétés dans d’autres centres, mais la recherche d’anti-AChR apparaît comme un test non invasif performant, qui pourrait pallier le manque de sensibilité des examens sériques dans ce contexte.

1) Plan National de diagnostic et de soin Myasthénie auto-immune, 2015. https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2015-07/pnds_-_myasthenie_autoimmune.pdf
Lu C, Yang Y, Dong Y, Tang T, Chen J, Wang Y, Wu Z, Zhou Q. Anti-acetylcholine receptor antibodies in tear for the diagnosis of ocular myasthenia gravis. Am J Ophthalmol. 2025 Sep;277:139-147.

Reviewer : Antoine Rousseau, neuro-ophtalmologie.



Cataracte et diabète : faut-il encore craindre le déséquilibre glycémique avant d’opérer ?

La phacoémulsification (PKE) constitue l’acte chirurgical le plus fréquemment réalisé en France, avec plus d’un million d’interventions chaque année.¹ Dans le même temps, le diabète touche plus de 4,3 millions de personnes, soit 6,3 % de la population nationale en 2022.² La question de la chirurgie de la cataracte chez les patients diabétiques se pose donc inévitablement, d’autant que le diabète représente un facteur de risque majeur de cataracte. 

De plus, un déséquilibre glycémique marqué peut accroître le risque de complications post-opératoires, telles que l’endophtalmie ou l’aggravation d’une rétinopathie diabétique préexistante.3 Les recommandations actuelles demeurent imprécises quant au seuil glycémique critique, et l’attitude d’une majorité de chirurgiens reste donc de différer l’intervention en cas d’hémoglobine glyquée (HbA1c) élevée. 

L’étude de Hussain et al., publiée dans l’American Journal of Ophthalmology en septembre 2025, apporte des éléments nouveaux pour éclairer cette problématique. Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective multicentrique exploitant la base de données internationale TriNetX, qui regroupe des millions de dossiers médicaux anonymisés. Les patients de plus 18 ans atteints de diabète de type 1 ou 2 ayant été opérés de PKE étaient inclus dans l’analyse. Ces patients étaient ensuite catégorisés selon leur équilibre glycémique mesuré dans les 3 mois avant la PKE (exclus en absence d’HbA1c) : bon (HbA1c < 7%), modéré (7–8,4%), mauvais (8,5–11,3%), très mauvais (> 11,3%). L’analyse a porté sur la survenue de 2 types d’évènements à 30 jours de l’intervention :

-    Endophtalmies post-opératoires : le diagnostic d’endophtalmie était attesté par le codage CIM-10 de la maladie ; des patients non diabétiques opérés de PKE ont été inclus comme contrôles. 
-    Événements systémiques graves : la mortalité, les AVC/AIT et les événements cardiovasculaires majeurs étaient regroupés dans un même critère composite ; des patients diabétiques appariés sur l’équilibre glycémique mais non opérés de PKE ont été inclus comme contrôles.

Pour les deux analyses, les sujets étaient appariés (ratio 1 :1) sur un grand nombre de facteurs de confusion (âge, sexe, comorbidités cardio-vasculaires…).
Au total, 50 796 patients diabétiques et opérés de PKE ont été inclus dans la première analyse et ont été comparés au même nombre de patients non diabétiques opérés de PKE. Les taux d’endophtalmie à 30 jours de la PKE étaient de 0,07 % chez les diabétiques avec une HbA1c bien contrôlée, 0,07 % en cas de contrôle modéré, 0,10 % en cas de mauvais contrôle, et 0,58 % en cas de très mauvais contrôle. Malgré de fortes tendances, il n’a pas été observé de différence significative dans le taux d’endophtalmie post-opératoire à 30 jours chez les patients diabétiques selon les différents niveaux d’HbA1c, comparés à leurs groupes contrôles respectifs :  les hazard ratios (HR) à 30 jours étaient de 0,62 (intervalle de confiance (IC) 95 % : 0,30–1,27) pour un bon contrôle, 1,08 (IC95 % : 0,44–2,66) pour un contrôle modéré, 1,36 (IC95 % : 0,43–4,28) pour un mauvais contrôle, et 2,85 (IC95 % : 0,29–27,44) pour un très mauvais contrôle (pour rappel, l’HR étant un rapport, si l’intervalle de confiance du HR inclut 1, on ne peut pas conclure à l’existence d’un réel surrisque) . En ce qui concerne l’analyse des taux d’évènements systémiques graves, 14 138 patients opérés de PKE ont été comparés à autant de patients diabétiques non opérés. Le risque de survenue de l’événement composite était de 0,532 %, 0,701 % et 2,74 % chez les patients opérés avec respectivement un contrôle glycémique modéré, mauvais et très mauvais, mais là encore, le calcul des HR, qui prend en compte l’ensemble des facteurs de confusion,  ne montrait pas de différence significative avec le groupe contrôle. 

Compte-tenu de la très faible incidence des évènements indésirables analysés, l’effectif de cette étude a permis pour la première fois une analyse ciblée et robuste de l’impact du déséquilibre glycémique sur ces évènements. Selon les auteurs, cette étude suggère donc que l’HbA1c préopératoire ne constitue pas un facteur prédictif de surrisque infectieux ou systémique après chirurgie de la cataracte. En d’autres termes, différer systématiquement l’intervention au seul motif d’une valeur d’HbA1c « trop élevée » ne serait pas justifié. 

Cependant, une tendance semble se dégager : les taux d’endophtalmie, les hazard ratios et les intervalles de confiance tendent à croitre parallèlement au déséquilibre glycémique dans cette étude. Bien que la taille de l’échantillon étudié soit considérable, la rareté des événements observés pourrait masquer de véritables différences entre les différents groupes d’HbA1c. Il convient cependant de souligner une limite importante de cette étude : l’absence d’analyses des autres complications oculaires du diabète, comme la survenue d’un œdème maculaire post opératoire ou l’aggravation d’une rétinopathie diabétique préexistante. Ces résultats, bien que rassurants, incitent donc à rester prudent vis-à-vis du risque d’évènements postopératoires chez les patients ayant un diabète déséquilibré.

1-    Arrêté du 6 novembre 2023 relatif à l’expérimentation « Valorisation de la transparence et de la pertinence pour la chirurgie de la cataracte », Journal officiel de la République française, NOR SPRH2328415A. 
2-    Bourdillon F. Prévalence du diabète dans les DROM. BEH n° 20-21 du 14 novembre 2023. Site internet : Santé publique France. 2023.
3-    Miller KM, Oetting TA, Tweeten JP, et al. Cataract in the adult eye preferred practice pattern. Ophthalmology. 2022;129(1):P1–P126. doi:10.1016/j.ophtha.2021.10.006.

Hussain ZS, Shakarchi AF, Chauhan MZ, Jester DA, Soliman MK, Sallam AB. Is There a Safe Glycemic Threshold for Cataract Surgery? Am J Ophthalmol. 2025 Sep;277:17-25.

Reviewer : Paul Bastelica, thématique : cataracte.



Quand les oméga-3 s’invitent dans la prévention du glaucome. 

Le glaucome primitif à angle ouvert (GPAO) est une neuropathie optique chronique multifactorielle. La complexité des mécanismes impliqués (vasculaire, inflammatoire, métabolique, mécanique notamment) a jusqu’ici compliqué le développement de stratégies préventives et neuroprotectrices. Parmi les pistes explorées, les acides gras oméga-3 (Ω3) sont des acides gras polyinsaturés essentiels dont le rôle dans la modulation des processus inflammatoires et du stress oxydatif (phénomènes impliqués dans la pathogénèse du GPAO) est bien documenté.1 Pourtant, les études examinant le lien entre les Ω3 et le risque de GPAO rapportent des résultats contradictoires : certaines suggèrent un effet protecteur, d’autres ne trouvent aucune association. Ces divergences tiennent probablement aux différences de méthodologie, de taille d’échantillon, de population et de mesure de l’exposition aux Ω3, justifiant la nécessité de recherches complémentaires. 

L’étude de Kai et al., publiée dans Investigative Ophthalmology & Visual Science, s’appuie sur une très large cohorte prospective de patients afin d’explorer la relation entre les taux plasmatiques d’acides gras Ω3 et l’incidence du GPAO. Pour cela, les auteurs ont utilisé les données de la UK Biobank, une base de données biomédicale de grande envergure rassemblant des informations de santé sur plus d’un demi-million de participants britanniques, âgés de 37 à 73 ans. À partir de cette cohorte, les individus disposant de mesures plasmatiques valides d’acides gras et d’un score de risque polygénique pour le glaucome (PRS, combinant des données génétiques, le rapport cup/disc vertical, et la pression intraoculaire) n’étant pas atteints de glaucome ont été inclus dans l’étude. Les cas incidents de GPAO étaient identifiés au cours du suivi via le codage CIM-10 des registres hospitaliers. Au total, 254 157 participants ont été inclus. Au décours d’un suivi moyen de 13,8 ans, 1 166 participants (0,46 %) ont développé un GPAO. Par rapport aux sujets non GPAO, ces patients étaient significativement plus âgés et plus fréquemment de sexe masculin. Chaque augmentation d’une unité des taux plasmatiques d’Ω3, exprimée en mmol/L, était significativement associée à une réduction de 39 % du risque de développer un GPAO (Hazard ratio = 0,61 ; Intervalle de confiance 95 % : 0,43–0,88 ; p = 0,008) après ajustement sur l’âge, le sexe, le score PRS, et de nombreux autres facteurs de confusion (statut tabagique, indice de masse corporelle, consommation d’alcool, activité physique, comorbidités…). En revanche, aucune corrélation significative n’a été mise en évidence entre les taux plasmatiques d’Ω3 et le score génétique PRS du glaucome, ce qui indique que l’effet des Ω3 est indépendant de la prédisposition génétique au développement de cette maladie.

Avec son vaste échantillon et un suivi de plus de dix ans, cette étude suggère que la présence d’Ω3 dans le sang à un taux satisfaisant (dont le seuil à atteindre reste à définir) pourraient jouer un rôle protecteur contre le GPAO, et cela indépendamment du terrain génétique. Les auteurs avancent plusieurs pistes pour expliquer ce bénéfice : une meilleure perfusion de la tête du nerf optique et de la rétine, une facilitation de l’écoulement de l’humeur aqueuse, et surtout des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes contribuant à préserver les cellules ganglionnaires rétiniennes. Restent toutefois des limites importantes, comme l’inclusion exclusive de participants européens, et surtout le recours à des diagnostics issus de registres (biais de classement). En bref, des résultats prometteurs, mais qui devront être confirmés par des essais interventionnels avant d’envisager une réelle translation dans la pratique clinique.

1-    Calder PC. Omega-3 fatty acids and inflammatory processes. Nutrients. 2010;2(3):355–374.

Kai JY, Dong XX, Li DL, Hu DN, Lanca C, Grzybowski A, Ke C, Pan CW. Association of Plasma Omega-3 Fatty Acids With POAG. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2025 Sep 2;66(12):3.

Reviewer: Paul Bastelica, thématique : glaucome. 



Maladie orbitaire à IgG4, du diagnostic au pronostic : résultats d’une étude multicentrique nationale coréenne

Un consortium de 24 centres sud-coréens, spécialisés en chirurgie orbito-palpébrale, a réalisé une étude multicentrique rétrospective sur la maladie orbitaire à IgG4. Ayant collecté 155 cas présentant une maladie confirmée par les critères clinico-radiologiques, sérologiques et pathologiques mis à jour en 2020,1 les auteurs ont décrit leurs caractéristiques cliniques orbitaires mais aussi extra-orbitaires, et leur évolution en fonction de la prise en charge initiale, qui en plus d’une corticothérapie pouvait comporter une chirurgie de réduction de la masse orbitaire, et des immunosuppresseurs.

La maladie à IgG4, ou « immunoglobulines G4 » est une affection auto-immune chronique, qui se manifeste par des lésions fibro-inflammatoires multiples, souvent associée à une élévation du taux sérique d’IgG4. Histologiquement ces lésions comportent un infiltrat lymphoplasmocytaire riche en plasmocytes IgG4+, une fibrose et une vascularite veineuse oblitérante. L’orbitopathie liée aux IgG4 est une forme localisée, qui atteint les structures orbito-palpébrales et annexes de l’œil (glandes lacrymales, muscles oculomoteurs, graisse orbitaire, branches du nerf trijumeau). Le traitement par corticoïdes est généralement efficace, mais n’est pas codifié, et les récidives restent fréquentes, ce qui a incité les auteurs à réaliser cette étude à l’échelle nationale.

L’âge moyen des patients était de 54,8 ans, avec une légère prédominance masculine (55% d’hommes et 45% de femmes). Les symptômes au moment du diagnostic étaient par ordre de fréquence : œdème palpébral (79%), masse palpable (23%), et exophtalmie (16%). Les structures orbitaires les plus souvent atteintes en imagerie par scanner ou IRM étaient la glande lacrymale (79%), les muscles oculomoteurs (22%) et les tissus mous orbitaires (19%). Une atteinte orbitaire bilatérale était observée chez 66% des patients.

L’analyse de possibles corrélations clinico-biologiques a révélé que le taux sérique d’anticorps IgG4 était plus élevé en cas d’atteinte bilatérale (640 versus 263 mg/dl dans les formes unilatérales, P<0,001) et chez les hommes (442 versus 326 mg/dl chez les femmes, P=0,022).
Concernant l’atteinte extra-orbitaire, elle a été recherchée chez environ la moitié des 155 patients inclus, et retrouvée chez 67% d’entre eux, avec chez 45% des patients une atteinte au-delà de la sphère « tête et cou ». Les organes extra-orbitaires les plus fréquemment atteints étaient les poumons (27%), les glandes salivaires (20%) et les sinus paranasaux (18%).

Enfin, les auteurs ont analysé les facteurs influençant le pronostic, et ils ont retrouvé que 71% des patients traités atteignaient une rémission, et 38% ont pu arrêter la corticothérapie et rester en rémission. L’utilisation précoce d’immunosuppresseurs dans le premier mois n’était pas associée à un meilleur pronostic. Les patients présentant un taux élevé d’IgG4 (tiers supérieur) avaient une probabilité inférieure de parvenir à une rémission. Dans un sous-groupe de 83 patients ayant un suivi d’au moins 6 mois, une rechute s’est produite chez 29% des cas. Concernant les approches chirurgicales, les patients ayant été traités par réduction de la masse orbitaire présentaient un risque de rechute 6 fois moins élevé par rapport aux autres patients. Ces résultats étaient meilleurs que chez les patients ayant subi une simple biopsie chirurgicale.

Au total, cette étude a rassemblé une des plus grandes cohortes de maladie à IgG4. Parmi ses limites, on note l’absence de mineurs inclus en raison d’un refus du comité d’éthique, et un possible biais de recrutement, car les centres participants appartenaient tous à la Société coréenne de chirurgie oculoplastique et reconstructrice, expliquant potentiellement la place de la prise en charge chirurgicale. De plus, une étude de phase 3, multicentrique et randomisée, et parue dans le New England Journal of Medicine début 2025,2 a démontré très franchement l’efficacité de l’inebilizumab, un anticorps anti-CD19, dans la maladie à IgG4. Cette molécule pourrait devenir un futur traitement de référence. Néanmoins, compte tenu du caractère rétrospectif de l’étude, aucun cas inclus n’a bénéficié de ce traitement. Des études complémentaires permettront de préciser le rôle de ce traitement dans la maladie à IgG4, dont les présentations et la sévérité sont très variables.

1.    Umehara H, Okazaki K, Kawa S, Takahashi H, Goto H, Matsui S, Ishizaka N, Akamizu T, Sato Y, Kawano M; Research Program for Intractable Disease by the Ministry of Health, Labor and Welfare (MHLW) Japan. The 2020 revised comprehensive diagnostic (RCD) criteria for IgG4-RD. Mod Rheumatol. 2021 May
2.    Stone JH, Khosroshahi A, Zhang W, Della Torre E, Okazaki K, Tanaka Y, Löhr JM, Schleinitz N, Dong L, Umehara H, Lanzillotta M, Wallace ZS, Ebbo M, Webster GJ, Martinez Valle F, Nayar MK, Perugino CA, Rebours V, Dong X, Wu Y, Li Q, Rampal N, Cimbora D, Culver EL; MITIGATE Trial Investigators. Inebilizumab for Treatment of IgG4-Related Disease. N Engl J Med. 2025 Mar

Ko J, Lee MJ, Khwarg SI, Yoon JS, Yang SW, Son J, Kim N, Lew H; Multicenter Study Committee of the Korean Society of Ophthalmic Plastic and Reconstructive Surgery. Immunoglobulin G4-Related Ophthalmic Disease: A Nationwide Multicenter Study in Korea. Ophthalmology. 2025 Sep

Reviewer : Alexandre Matet, thématique : orbite, inflammation, tumeurs