Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’histoire naturelle de la myopie…

Revue de la presse de juin 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’histoire naturelle de la myopie…

L’explosion de la prévalence de la myopie - et en parallèle de solutions efficaces et acceptables pour en freiner l’évolution - est l’un des phénomènes ophtalmologiques les plus marquants de ces dernières années. La mise au point de stratégies de santé publique efficaces pour combattre l’épidémie, et éviter au maximum l’évolution vers des myopies fortes, nécessite des connaissances approfondies de l’épidémiologie et de l’histoire naturelle de la maladie dans les populations européennes. Certains facteurs de risque, tels que les antécédents familiaux, le temps consacré aux activités en vision de près (écrans, lecture : facteur aggravant) ou à l’extérieur (facteur protecteur), sont désormais très bien caractérisés. On sait également d’expérience qu’un âge de début précoce expose à un risque accru d’évolution vers une myopie forte. Mais les études longitudinales sur de très longues périodes d’observation, permettant une vision dynamique et précise de l’histoire naturelle de la maladie, faisaient jusqu’à présent défaut.
C’est donc l’objectif de l’étude menée par Polling et al. aux Pays-Bas dans cette DREAM study (Drentse Refractive Error And Myopia). Pour cela, ils ont repris les données de prescription de corrections optiques sur une période de 30 ans (1985 à 2015) collectées auprès d’une chaine familiale de 14 magasins d’optique ayant informatisé son réseau dès 1985. Ces magasins sont répartis dans un bassin de population de 1,7 M d’habitants, considérée comme non-urbain (37% de la population résidant en ville), avec une population composée à 97% de sujets d’origine « caucasienne ». Les critères d’inclusion étaient l’existence d’au moins 2 prescriptions de correction myopique par dossier patient (lentilles ou lunettes) séparées d’un intervalle minimal d’un an, et un âge maximal à l’inclusion de 21 ans. La valeur de myopie finale était retenue pour les prescriptions effectuées entre 22 et 25 ans.
L’examen de réfraction était réalisé selon les recommandations nationales néerlandaises, à savoir réfraction sous cycloplégie par un ophtalmologiste ou un orthoptiste avant 12 ans, et réfraction simple par un opticien diplômé ensuite. La myopie était définie par un équivalent sphérique (ES) < -0,5D, la myopie forte par un ES < -6D. La progression de l‘ES avec le temps était analysée :
1) par groupes d’ES à la prescription initiale (de -1D à -2D à -6D à -7D par tranche d’1D), et
2) par groupes d’âge (< 10 ans, 10-12 ans, 13-15, 16-18, 19-21).
La progression de l’ES était estimée par le ratio entre la progression de la myopie et le délai entre les visites. Le risque cumulé d’incidence de myopie forte était estimé par une analyse de Kaplan-Meier stratifiée en fonction de l’âge à la première prescription et les catégories d’ES initial.
Au total, 2555 dossiers patients (57,3% de filles) ont été inclus. Les sujets étaient nés entre 1962 et 1997, le suivi moyen était de 5,8±4,1 années (1 à 22 ans). Les patients ayant eu une première prescription avant l’âge de 10 ans ont présenté la plus forte progression myopique (-0,5D/an), et un ES final significativement plus bas (-4,5D). Tous les enfants ayant un ES plus myope que -3 D à 10 ans avaient une myopie forte à l’âge adulte. Les enfants avec un ES entre -1,5 et -3 D à 10 ans avaient un risque de 46% de développer finalement une myopie forte, tandis que ce risque était de 32,6% si l’ES à l’âge de 10 ans était compris entre -0,5D et -1,5D. La progression myopique diminuait avec l’âge, avec une stabilisation réfractive à l’âge de 15 ans, excepté pour ceux dont l’ES était < -5D, qui continuaient de progresser au rythme de -0,25D par an jusqu’à l’âge de 21 ans.
Au total, plus la myopie est diagnostiquée précocement, et plus la valeur initiale d’ES est négative, plus grand est le risque d’évolution vers une myopie forte. Les résultats de la DREAM study sont par ailleurs conformes à ceux d’autres études menées sur des populations comparables, (mais sur de plus courte durée) d’observation et semblent donc assez généralisables aux populations européennes (dans la mesure où elles ne sont pas trop multi-ethniques). En revanche, il s’agit là de données rétrospectives, collectées sur une période (1985-2015) à laquelle l’exposition aux autres facteurs de risque (notamment les écrans) était sans doute différentes de ce qu’elle est aujourd’hui.
De manière pragmatique, on peut surtout retenir que cette étude confirme de façon robuste que toute myopie diagnostiquée précocement (en l’occurrence avant l’âge de 10 ans) doit faire l’objet de la plus grande attention.

 

Polling JR, Klaver C, Tideman JW. Myopia progression from wearingo first glasses to adult age: the DREAM Study. Br J Ophthalmol. 2022 Jun;106(6):820-824.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : réfraction