Sur le papier, la chirurgie de cataracte assistée par laser femtoseconde (ou FLACS pour femtoseccond laser assisted cataract surgery) a de sérieux arguments pour menacer la phako-émulsification (PKE) classique (parfois aussi appelée manuelle, de façon inappropriée): découpe standardisée des incisions qui laissent présager une diminution de l’astigmatisme induit, rhexis parfaitement circulaire et centré permettant un meilleur positionnement de l’implant, pré-découpe du noyau réduisant la quantité d’ultrasons nécessaire pour l’ablation du cristallin, et donc la toxicité sur l’endothélium... Pour autant, les tentatives de méta-analyse pour comparer les résultats des 2 procédures se sont heurtées au manque de robustesse méthodologique des études disponibles. En outre, aucune étude n’avait jusque-là évalué le surcoût potentiel lié à cette technique dans le système de soins français.
Etant donné l’importance de l’enjeu médico-économique (près de 900 000 chirurgies de cataracte chaque année en France, et près de 18 millions dans le monde, chiffres en croissance constante en raison du vieillissement), des données solides étaient nécessaires pour statuer sur la situation.
C’est chose faite avec FEMCAT, une étude très ambitieuse financée par le Ministère de la Santé et des Affaires Sociales coordonnée par le CHU de Bordeaux, avec la participation de plusieurs autres centres hospitalo-universitaires français (Tours, Paris-Cochin, Brest, Lyon) et publiée fin janvier dans le très prestigieux Lancet. FEMCAT avait pour objectifs de comparer PKE et FLACS en termes d‘efficacité réfractive (acuité, équivalent sphérique, astigmatisme induit), de sécurité et de coût.
Le critère de jugement principal était le taux de succès de la chirurgie, défini comme la combinaison à 3 mois d’une absence de complication grave, d’une acuité visuelle corrigée ≥ 10/10, d’un équivalent sphérique ≤ 0,75D, d’un astigmatisme induit ≤ 0,5D avec une déviation d’axe ≤20°. FEMCAT a été construite comme une étude de supériorité, avec comme hypothèse de départ un taux de succès de la FLACS supérieur à celui de la PKE (82% vs 75%). Bien évidemment, les patients inclus devaient être atteints d’une cataracte responsable d’une acuité visuelle < 5/10 ou bien causant une gêne visuelle significative, mais sans comorbidités grevant le pronostic visuel. Ils étaient randomisés pour être opérés par FLACS ou PKE, avec la même méthode de calcul et le même type d’implant dans les 2 groupes. Les PKE et les FLACS étaient réalisées avec les mêmes machines de phakoémulsification et les mêmes paramètres dans tous les centres. Afin que l’étude reste en double insu, les PKE étaient précédées d’une simulation de procédure laser (qui ne comportait toutefois pas l’étape de succion et d’amarrage à la surface oculaire) et l’ensemble des examens postopératoires étaient réalisés par des évaluateurs masqués.
Parmi les 907 patients inclus (1476 yeux, 704 dans le groupe FLACS et 685 dans le groupe PKE), 870 étaient analysés. Les 2 groupes étaient parfaitement comparables, tant en termes d’acuité visuelle préopératoire, de sévérité des cataractes, de densité endothéliale, de puissance moyenne des implants programmés et d’âge.
Les taux de succès des 2 groupes n’étaient pas significativement différents (41,1% dans le groupe FLACS contre 43,3% dans le groupe PKE, p=0,25) et l’analyse détaillée des différents critères définissant le succès ne retrouvait pas de différence d’astigmatisme induit ou de précision réfractive à la faveur d’une des 2 techniques. La densité endothéliale postopératoire et l’épaisseur cornéenne centrale à 3 mois était similaire dans les 2 groupes. Il n’y avait pas d’effet indésirable sévère lié à la procédure femtoseconde, et la plupart des complications du groupe FLACS sont survenues à la phase de phako-émulsification ou en postopératoire. En revanche, signalons dans le groupe FLACS près de 13% de perte de succion lors de la procédure laser, dont certaines à répétition, ayant motivé la conversion en PKE « standard » sur 9 yeux. Il y avait en outre 1% de capsulorhexis incomplet et 7% d‘incisions cornéennes incomplètes.
La grosse différence entre les groupes apparaissait lors de l’analyse médico-économique : le rapport coût / efficacité différentiel, défini par la différence de coût nécessaire entre 2 techniques pour obtenir un succès (tel que défini plus haut) mettait en évidence un surcoût de 10 703 euros pour la FLACS.
Les résultats de FEMCAT semblent sans appel. Avec une méthodologie quasi-irréprochable, ces résultats ne laissent pas beaucoup de chance à la FLACS dans sa version actuelle : la technique est beaucoup plus coûteuse, n’améliore ni les résultats réfractifs, ni la perte endothéliale (ce qui est d’ailleurs confirmé dans une autre étude publiée dans le British Journal of Ophthalmology du mois de février1), et un nombre non négligeable de procédures doivent être converties en PKE en raison de problèmes de succion. La FLACS finira peut-être par l’emporter, mais la PKE a encore de beaux jours devant elle.
1) Dzhaber D, Mustafa O, Alsaleh F, Mihailovic A, Daoud YJ. Comparison of changes in corneal endothelial cell density and central corneal thickness between conventional and femtosecond laser-assisted cataract surgery: a randomised, controlled clinical trial. Br J Ophthalmol. 2020 Feb;104(2):225-229.
Schweitzer C, Brezin A, Cochener B, Monnet D, Germain C, Roseng S, Sitta R,Maillard A, Hayes N, Denis P, Pisella PJ, Benard A; FEMCAT study group. Femtosecond laser-assisted versus phacoemulsification cataract surgery (FEMCAT): a multicentre participant-masked randomised superiority and cost-effectiveness trial. Lancet. 2020 Jan 18;395(10219):212-224.
Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : cataracte.