Un ras de marée de bio-similaires pour les DMLA exsudatives ?

Revue de la presse de février 2022

Auteurs : Antoine Rousseau, Jean-Rémi Fénolland
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Un ras de marée de bio-similaires pour les DMLA exsudatives ?

   Nous avions déjà évoqué les bio-similaires du ranibizumab dans ces colonnes en novembre 2020, à propos d’un essai de phase III sur le SB11, un candidat Sud-coréen qui avait d’ailleurs prouvé sa bio-équivalence. De nouveaux challengers semblent être arrivés dans l’arène…l’occasion de revenir sur cette catégorie de médicaments qui devrait bientôt rebattre les cartes des traitements en rétine médicale.

   Revenons d’abord sur les concepts de traitement biologique (ou plus simplement biologique) et de bio-similaire, ainsi que sur les bio-similaires en ophtalmologie, grâce à l’excellente revue de Scharma et al.1

   Les biologiques englobent une grande variété de traitements tels que les vaccins, les produits dérivés du sang, les thérapies géniques et cellulaires et tissulaires, ainsi que des protéines thérapeutiques recombinantes. Ils sont par définition produits à partir de sources vivantes : humaines, animales, ou biotechnologies sophistiquées.3

   Contrairement aux drogues obtenues par synthèse chimique dont la composition est parfaitement connue, les traitements biologiques sont des assemblages complexes à définir et caractériser. La plupart des biologiques, notamment ceux synthétisées par biotechnologies, sont sensibles à la chaleur et aux contaminations microbiennes. Pour cette raison (et à la différence des médicaments conventionnels), leur manufacture requiert un respect strict des principes d’asepsie, entres autres conditions à respecter pour standardiser les propriétés biologiques.2 Ces traitements de pointe, qui offrent souvent des solutions thérapeutiques là où il n’y en avait pas, ont un coût majeur pour l’industrie (le développement d’une molécule prend 10 à 15 ans, avec un coût moyen de 1,2 à 2,5 milliards de dollars US), et par conséquent…pour les systèmes de santé.

   C’est là que les bio-similaires entrent en scène. En guise de synthèse des définitions de la Food & Drug Administration américaine (FDA) et de l’Agence Européenne du Médicament (EMA) : il s’agit de médicaments très semblables à des biologiques princeps approuvés, malgré des différences mineures relatives à des composés cliniquement inactifs, et devant prouver, à l’aide d’études, le même niveau d’efficacité, de sécurité et de pureté.
Comme les médicaments génériques (dont la structure est plutôt facilement reproductible par un procédé chimique), quand un biologique tombe dans le domaine public (après 10 ans de commercialisation), sa structure moléculaire devient accessible, mais pas tous les processus industriels sophistiqués nécessaires à sa synthèse. Au final, le procédé de synthèse d’un bio-similaire diffère donc forcément de celui du biologique princeps, d’où les exigences beaucoup plus drastiques en matière d’études que celles requises pour un générique.

   Si vous commencez à vous inquiéter pour le budget développement des bio-similaires et à vous demander s’il reste un intérêt économique malgré tout, soyez rassurés : leur coût de développement correspond en moyenne au dixième de celui du princeps, et la durée de développement est diminuée d’un quart à un tiers (8 à 10 ans tout de même). Le prix de revient final est donc considérablement diminué et permet une remise à niveau générale des tarifs. L’écueil potentiel est le même qu’avec les génériques, mais en pire : l’investissement, assez conséquent dans ce cas, n’est pas misé sur l’innovation mais sur la copie pour prendre des parts de marché à moindre risque.

   Rentrons désormais dans le vif du sujet en parcourant les résultats récents de 3 des 4 bio-similaires du ranibizumab actuellement en lice.
  
   Honneur au pionnier, le Razumab®, mis au point et approuvé en Inde depuis 2015 (Intas Pharmaceuticals, Inde). Le Razumab® n’en est pas à son coup d‘essai : c’est le seul bio-similaire du ranibizumab à avoir été étudié dans toutes les indications classiques du princeps. Etant donné sa relative ancienneté, la publication la plus récente (pas la meilleure) le concernant rentre dans la catégorie « vraie vie ». Sharma et al. y rapportent une comparaison rétrospective du Razumab® contre le princeps uniquement chez des patients atteints de DMLA néovasculaire avec un recul de 6 mois (43 yeux par groupe, nombre de patients non disponible).4 Il n’y a au final pas de différence en termes de nombre d’injection, de diminution de l’épaisseur maculaire en OCT ou encore de gain d’acuité visuelle, et surtout, pas de réaction immuno-allergique dans le groupe Razumab®. Sans rentrer dans les détails, la méthodologie de cet article est très largement critiquable, mais on ne pouvait pas aborder les biosimilaires du ranibizumab sans rendre hommage à celui qui en a ouvert la voie.

   Chronologiquement, vient ensuite le SB11 (Samsung Bioepis, Corée du Sud), qui a fait l’objet d’une vaste étude randomisée multicentrique contrôlée internationale ayant inclus 705 yeux d’autant de patients atteints de DMLA exsudative, et naïfs de traitements. Ils ont reçu des IVT mensuelles de ranibizumab ou du bio-similaire coréen pendant 1 an.5 Cette étude, que nous avions analysé en détail dans la revue de presse de novembre 2020, n’avait retrouvé aucune différence entre les deux groupes, y compris en termes de tolérance et d’immunogénicité, avec un taux d’anticorps contre le médicament détecté à 1 an de 3% dans les 2 groupes.

   Notre dernier challenger est allemand, et très attendu. Un article lui est consacré dans le numéro de janvier d’Ophthalmology.1  Il s’agit du FYB201 (Bioeq GmbH). A nouveau une grande étude multicentrique (COLOMBUS-AMD), randomisée, internationale, de non-infériorité, ayant inclus 477 patients (FYB201, N = 238, Ranibizumab N = 239). Les patients, inclus dans 12 pays, dont 6 en Europe, étaient traités toutes les 4 semaines pendant 48 semaines. Le design était bien sûr conçu pour satisfaire aussi bien aux exigences de l’EMA que de celles de la FDA. Le critère de jugement principal était l’acuité visuelle à S8, avant la 3ème injection d’induction, avec en outre une évaluation de l’efficacité morphologique et fonctionnelle à 24 et 48 semaines, de la tolérance, et de l’immunogénicité. Au total, l’amélioration du groupe princeps à S8 était de 5,6 lettres, tandis qu’elle était de 5,1 lettres dans le groupe FYB201 : une différence qui restait donc dans la marge de non-infériorité. Les acuités visuelles à 1 an étaient parfaitement identiques dans les 2 groupes, les épaisseurs maculaires étaient très similaires tout au long de l’étude, de même que la fréquence de survenue d’évènements indésirables. L’immunogénicité était également similaire avec un développement d’anticorps contre le médicament dans 6% des cas dans les 2 groupes, et l’apparition à 6 mois d’anticorps neutralisant le médicament chez un seul patient du groupe FYB201, qui persistaient jusqu’à 12 mois. Une uvéite survenait chez un patient par groupe mais chez 2 patients qui n’avaient pas développé d’anticorps.

   Une course effrénée est donc lancée sur le marché des bio-similaires du ranibizumab. Toute la complexité va désormais résider dans l’élection du champion, à moins que tous ne prétendent pas au marché européen. Il faudra ensuite convaincre les prescripteurs et les patients, souvent peu enclin à utiliser des formulations apparentées aux génériques. Vu l’enjeu financier, une incitation sera peut-être envisagée par les organismes payeurs… Espérons également que l’arrivée de ces biosimilaires ne découragera pas trop la recherche de nouveaux traitements, basés sur de réelles innovations.
 

1) Holz FG, Oleksy P, Ricci F, Kaiser PK, Kiefer J, Schmitz-Valckenberg S; COLUMBUS-AMD Study Group. Efficacy and Safety of Biosimilar FYB201 Compared with Ranibizumab in Neovascular Age-Related Macular Degeneration. Ophthalmology. 2022 Jan;129(1):54-63.

2) Sharma A, Kumar N, Kuppermann BD, Bandello F, Loewenstein A. Understanding biosimilars and its regulatory aspects across the globe: an ophthalmology perspective. Br J Ophthalmol. 2020 Jan;104(1):2-7.

3) https://www.fda.gov/about-fda/center-biologics-evaluation-and-research-cber/what-are-biologics-questions-and-answers

4) Sharma A, Kumar N, Parachuri N, Bandello F, Kuppermann BD, Loewenstein A. Ranibizumab Biosimilar (Razumab) vs Innovator Ranibizumab (Lucentis) in neovascular age-related macular degeneration (n-AMD)- efficacy and safety (BIRA study). Eye (Lond). 2021 Jun 22.

5) Woo SJ, Veith M, Hamouz J, Ernest J, Zalewski D, Studnicka J, Vajas A, Papp A, Gabor V, Luu J, Matuskova V, Yoon YH, Pregun T, Kim T, Shin D, Bressler NM. Efficacy and Safety of a Proposed Ranibizumab Biosimilar Product vs a Reference Ranibizumab Product for Patients With Neovascular Age-Related Macular Degeneration: A Randomized Clinical Trial. JAMA Ophthalmol. 2021 Jan 1;139(1):68-76

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : Rétine