Un spray nasal pour la sècheresse oculaire

Revue de la presse de mai 2022

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Un spray nasal pour la sècheresse oculaire :

La stimulation de l’innervation parasympathique de l’unité fonctionnelle lacrymale active à la fois la sécrétion de mucines (cellules à mucus), de larmes (glandes lacrymales) et de meibum (glandes de Meibomius). Cette voie constitue donc une cible thérapeutique de choix pour traiter la sécheresse oculaire. A titre d’exemple, les agonistes muscariniques des récepteurs à l’acétylcholine (R-Ach) par voie orale (pilocarpine et céviméline) sont utilisés pour la xérostomie du syndrome de Sjögren et ont un effet sur la sécheresse oculaire (1). Toutefois, ces médicaments n’ont pas l’AMM dans cette dernière indication et leur passage systémique cause régulièrement des effets indésirables (hypersudation, nausées, flatulences, diarrhée, pollakiurie…) qui en limitent l’utilisation.

La varénicline est un agoniste nicotinique sélectif des R-Ach qui est déjà utilisée par voie orale dans les sevrages tabagiques réfractaires (Champix® 0,5 et 1mg). Ce médicament a fait dans ses premières années d’utilisation l’objet d’une surveillance étroite, et même d’un déremboursement temporaire en raison d’alertes sur la possible survenue d’effets indésirables cardiovasculaires et neuropsychiatriques sévères. Depuis, les données rassurantes de pharmacovigilance l’ont dédouané et il est à nouveau pris en charge depuis 2015, même si la survenue de nausées reste un souci pour certains patients.

Un spray intra-nasal de varénicline (nommé OC-01) a récemment été développé afin de stimuler les R-Ach des voies trigéminées de la cavité nasale antérieure, et par conséquent de stimuler les sécrétions de l’ensemble de l’unité fonctionnelle lacrymale.

Les résultats de l’étude de phase 3 « ONSET-2 » - un essai randomisé contrôlé ayant comparé 2 dosages de varénicline (0,03 et 0,06mg) dans un spray de 50µL, répété 2 fois par jour, au véhicule (spray sans substance active) – viennent de paraitre dans Ophthalmology. Les patients inclus étaient des adultes de plus de 22 ans, avec un diagnostic de sècheresse oculaire et utilisant régulièrement des substituts lacrymaux, un score OSDI > 22 (définissant des symptômes significatifs mais non-sévères de sécheresse oculaire), un test de Schirmer I (sans anesthésie) ≤ 10mm à 5 minutes (hyposécrétion lacrymale modérée), et une capacité importante à pleurer lors d’une stimulation intranasale avec un écouvillon (augmentation d’au moins 7 mm du test de Schirmer après stimulation)

Le critère de jugement principal était le pourcentage de patients présentant une augmentation de plus de 10mm du Schirmer I après 4 semaines de traitement. Les critères de jugement secondaires étaient la valeur de l’augmentation du test de Schirmer I (mesuré 5 minutes après l’instillation du traitement), et l’amélioration d’un score de symptômes (Eye Dryness Score, qui correspond en fait à une simple échelle visuelle analogique des symptômes de sécheresse oculaire de à 100mm) à 4 semaines, à la fois en conditions normales, mais également dans une chambre à environnement contrôlé (une pièce permettant d’exposer les patients, en l’occurrence pendant 2 heures, à des conditions défavorables de vent, de température et d’hygrométrie, qu’un patient peut rencontrer dans la vie réelle, par exemple, lors d’un voyage en avion ou dans un grand magasin). Bien qu’il ne faisait pas partie des critères de jugement, le marquage cornéen à la fluorescéine, évaluée à l’aide du score National Eye Institute / Industry Workshop Scale (score sur 5 zones de la cornée, chacune cotée de 0 à 3), était également mesurée à l’inclusion et à 4 semaines.
Cette étude d’envergure incluait 758 patients répartis équitablement dans les 3 bras de l’étude (véhicule, OC-01 dosé à 0,03mg et OC-01 dosé à 0,06mg). Les analyses étaient réalisées en intention de traiter, avec environ 10% d’atrésie de l’effectif de chaque groupe au cours du suivi (sans différence significative entre les groupes).

Les patients des 3 bras avaient des caractéristiques cliniques similaires, avec, contrairement à ce qu’on pouvait attendre, des sécheresses oculaires plutôt sévères : 1 Schirmer moyen autour de 5mm, un score OSDI autour de 50 (les symptômes sont considérés comme sévères au-delà de 33), et un marquage cornéen autour de 6/15.

Le critère de jugement principal était atteint dans les 2 groupes de traitements dont les proportions de patients ayant une augmentation de plus de 10mm du Schirmer était significativement plus importante que dans le groupe contrôle (OC-01 0,03 mg, 47,3% ; OC-01 0,06 mg, 49,2% ; véhicule, 27,8%). De même, l’augmentation du Schirmer était plus importante dans les groupes traités (contrôle = +6,3mm, OC-01 dosé à 0,03mg = +11,3mm, OC-01 dosé à 0,06mg = 11,5mm). Les symptômes étaient significativement améliorés dans les groupes traités à 4 semaines en conditions normales (avec un petit avantage du groupe 0,06mg sur le groupe 0,03mg), mais la différence n’était pas significative lors du test dans la chambre à environnement contrôlé. Enfin, le score de marquage cornéen n’était pas significativement amélioré par le traitement.
Une grande majorité des sujets inclus ont rapporté un effet indésirable lié au traitement (86,5%), avec une proportion plus importante dans les groupes ayant reçu le médicament (OC-01 0,03 mg = 97.3% ; OC-01 0.06 mg = 99.2% ; véhicule = 57%). Ces effets indésirables étaient le plus souvent modérés et causés par le mode d’administration du traitement et/ou son action loco-régionale (éternuements, toux, irritation du nez et de la gorge). Aucun effet indésirable systémique sévère n’était rapporté.

L’idée de stimuler la sécrétion lacrymale est évidemment séduisante, mais plusieurs points dans cette étude ont du mal à convaincre. Pour commencer, le délai entre l’instillation nasale et la mesure du Schirmer (5 minutes) est très courte : quid de la durabilité de l’effet du traitement, et donc de la fréquence nécessaire des sprays en vraie vie ? Ensuite, l’évaluation des symptômes avec une simple EVA simple, plutôt qu’une évaluation multidimensionnelle semble fragile. Par ailleurs, on peut questionner l’acceptabilité des effets indésirables locaux d’un spray nasal sur de longues durées (la sècheresse oculaire est une maladie chronique…). On note enfin que le critère d’inclusion basé sur la capacité des patients à larmoyer après une stimulation mécanique intranasale a, par définition, sélectionné des patients potentiellement très répondeurs à cette nouvelle approche thérapeutique, c’est-à-dire ceux dont la glande lacrymale principale n’est pas encore atrophique par les années d’inflammation chronique. On pourrait même se demander si une autre indication de cette approche ne serait pas justement de ralentir cette atrophie en stimulant régulièrement les terminaisons parasympathiques intra-glandulaires.

Cependant, en l’état actuel des informations disponibles dans cet article, l’absence d’amélioration significative du score de marquage cornéen, et donc de la kératite sèche, ne sera pas forcément rédhibitoire pour la FDA, mais pourrait constituer un obstacle à un avis favorable par les autorités sanitaires européennes.
 

1) Brito-Zerón P, Retamozo S, Kostov B, Baldini C, Bootsma H, De Vita S, et al. Efficacy and safety of topical and systemic medications: a systematic literature review informing the EULAR recommendations for the management of Sjögren's syndrome. RMD Open. 2019;5:e001064.

Wirta D, Vollmer P, Paauw J, Chiu KH, Henry E, Striffler K, Nau J; ONSET-2 Study Group. Efficacy and safety of OC-01 (varenicline solution) nasal spray on signs and symptoms of dry eye disease: the onset-2 phase 3 randomized trial. Ophthalmology. 2022 Apr;129(4):379-387.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : surface oculaire