Une bonne idée qui n’aboutit pas ou simple incitation à la patience ?

Une bonne idée qui n’aboutit pas ou simple incitation à la patience ?

Nous avions présenté, dans la revue de presse de Janvier 2018, un article de Alio et collaborateurs (Alicante, Espagne) sur une technique particulièrement innovante visant à renforcer la cornée des kératocônes évolués, tout en évitant les techniques maintenant classiques comme la DALK (kératoplastie lamellaire antérieure profonde) dont on sait le risque de rejet immunitaire.

Pour rappel, le principe de cette innovation technologique était le suivant : i) utilisation de stroma cornéen de donneur pour incubation dans du dodécylsulfate de sodium afin d’en retirer toutes les cellules vivantes, puis ii) incubation de cette matrice stromale dans une suspension de cellules souches de kératocytes issus du futur receveur (en fait, ses propres adipocytes traités ex vivo pour être dé-différenciés puis redifférencies en kératocytes), puis enfin iii) greffe d’une lamelle de 120 microns de ce néostroma, personnalisé, dans une poche de 9,5 mm de diamètre, découpée à l’aide d’un laser femtoseconde, à mi-épaisseur de la cornée réceptrice.

En résumé, l’idée est donc d’introduire dans la cornée réceptrice une lamelle de stroma hétérologue devenu acellulaire puis colonisé pas des cellules autologues, donc en clair un stroma sain, sans cellules vivantes de donneur, donc peu enclin à déclencher un rejet.

Alio avait publié fin 2018, les résultats à 6 mois à propos de 9 kératocônes sévères (Kmax de 67 dioptries environ, pachymétrie entre 360 et 400 mm). Pour les besoins de l’étude, 5 patients avaient accepté de ne recevoir que la lamelle de collagène hétérologue sans cellules souches autologues et 4 autres patients avaient reçu le greffon complet, c’est-à-dire avec les cellules autologues (Alio et al., Corneal stroma enhancement with decellularized stromal laminas with or without stem cell recellularization for advanced keratoconus. Am J Ophthalmol 2018;186:47–58). En soi, la témérité du protocole méritait d’être soulignée mais surtout, l’idée était élégante, suffisamment d’ailleurs pour être sponsorisée par l’American Ophthalmological Society.

La même équipe a publié cet été les résultats à 1 an à propos de 14 patients suivis pendant 1 an (5 avec uniquement les cellules souches autologues dans la poche intracornéenne, 5 avec uniquement la matrice de stroma décellularisée, et 4 avaient été opérés avec la technique complète). Chez tous les patients opérés, la transparence complète de la cornée a été récupérée en 3 mois, et l’acuité visuelle s’est améliorée, en 1 an, de respectivement 0,231, 0,264 et 0,094 lignes de Snellen dans les 3 groupes (on note à cet égard que le mode de mesure de l’acuité visuelle n’est pas décrit dans l’article, ce qui limite la traduction clinique de ces résultats bruts). L’amélioration visuelle semblait donc, de façon un peu surprenante, meilleure avec l’injection seule des cellules. Cependant, les données kératométriques étaient bien plus significativement améliorées dans les deux groupes avec implantation de matrice stromale, notamment la sphère équivalente totale (réduction de 2,35 et 0,75 dioptries respectivement, la kératométrie (réduction de 2 dioptries), et les données aberrométriques. Très logiquement, l’épaisseur cornéenne centrale augmentait aussi significativement dans les deux groupes avec implant stromal (116 microns), même si une néoproduction de collagène a été retrouvée dans le groupe n’ayant reçu que des cellules souches (générant d’ailleurs une augmentation d’épaisseur cornéenne de 14 microns). 

Les conclusions des auteurs ne sont pas très enthousiastes, peut-être pour ne pas être suspectées de faire la promotion de leur technique, car selon eux, ces résultats à 1 an montrent une efficacité modérée. On peut légitimement mitiger cela en observant que l’absence de sujets contrôlés, atteints d’un kératocône équivalent mais sans intervention aucune aurait probablement conduit à une dégradation de la vue et de l’état cornée, même en 1 an. En outre, ce type de technologie requiert probablement un temps de recul bien plus long pour en mesurer tous les effets. En particulier, il est probable que la néoproduction de collagène induite par les cellules implantées va se poursuivre et stabiliser encore plus l’état cornéen, voire améliorer les données optiques. On peut l’espérer en tous les cas, car l’idée est jolie.

 

Alio JL, Del Barrio A, El Zarif M, Azaar A, Makdissy N, Khalil C, Harb W, El Achkar I, Jawad ZA, De Miguel MAP: Regenerative surgery of the corneal stroma for advanced keratoconus: 1-year outcomes. Am J Ophthalmol 2019;203:53–68

 

Reviewer : Marc Labetoulle, thématique : cornée