Vaccin contre la COVID-19 : pourquoi a-t-on raison d’espérer ? Mais pourquoi aussi rester patient, sinon prudent ?

Covid - 19

À l’heure où le nombre de victimes décédées de la pandémie de COVID-19 atteint la barre des 400 000 à travers le monde, et à celle où, malgré plusieurs centaines d’essais de thérapeutiques à visées antivirales ou immuno-modulatrices, aucun n’a malheureusement encore permis d’observer une réduction importante de la morbidité, la question du développement d’un vaccin contre SARS-CoV-2 devient de plus en plus sensible. Il s’agit en effet de la seule piste désormais robuste pour espérer voir la maladie disparaitre à court terme, et avec elle toutes ces mesures de distanciations qui sont autant de freins à une vie normale.
On peut analyser la situation de façon très optimiste car, dans toute l’histoire des épidémies humaines, les moyens techniques et scientifiques n’ont, par définition, jamais été aussi modernes et donc prompts à développer un vaccin. En moins de 6 mois après le début de la pandémie et la découverte de l’agent pathogène, de très nombreux programmes de recherche de vaccin sont déjà lancés, en Asie, Europe et en Amérique. On pourrait donc raisonnablement espérer voir émerger rapidement (à l’horizon 2021 ?) un vaccin efficace et fiable, grâce à toute cette effervescence scientifique, renforcée par l’effort financier que les gouvernements du monde entier ont accepté de mettre dans la balance contre l’effondrement économique qu’entrainerait la persistance d’une pandémie non maitrisée.
Cependant, l’optimisme ne peut pas non plus être béat.
Car pour la mise au point d’un vaccin, l’unité de temps est habituellement plutôt de l’ordre d’une à deux décennies … .
La vaccinologie est une science encore récente, et le développement d’un vaccin ne suit pas encore des étapes aussi standardisées que pour des médicaments conventionnels.
Certes, les grands principes de la vaccination sont connus depuis longtemps. Dès le 16ème siècle, des auteurs chinois rapportaient que l’exposition a minima d’un sujet sain aux sécrétions cutanées d’un patient atteint de la variole permettait de réduire le risque de développer une variole complète plus tard. Mais cette technique rudimentaire, assimilable à la fameuse immunité de groupe, était déjà reconnue pour être dangereuse, car pas toujours maîtrisée. C’est à Jenner qu’est attribuée la première vaccination stricto sensu. En 1796, il rapportait que la variole (due à un virus humain) pouvait être prévenue par l’inoculation volontaire chez un sujet sain d’un virus animal, non pathogène pour l’homme mais suffisamment proche pour développer une protection croisée. Il s’agissait alors du virus responsable du cowpox. Sa manipulation, plus ou moins combinée à celle du horsepox, a généré la souche virale dénommée « vaccine », ce qui a donné son nom à cette méthode préventive.
Dans cette course à l’immunité acquise contre les infections, alors première cause de mortalité dans le monde, la France a évidemment joué un grand rôle avec Pasteur qui fut le premier à décrire le concept de virulence atténuée à des fins vaccinales, c’est-à-dire la sélection expérimentale, à dessein, d’une souche d’agent infectieux moins pathogène que celle responsable de la maladie à cibler, et dont l’inoculation permet justement de rendre le sujet résistant à la forme sévère de la maladie. Pasteur et son équipe ont d’abord apporté les preuves de concept à propos du choléra des poules (Pasteurella avicida) en 1880, puis de la maladie du charbon (Bacillus anthracis) en 1881, et du rouget des porcs (Erysipelothrix rhusiopathiae) en 1883.  Mais la plus populaire de ses inventions restera bien sûr la vaccination contre la rage, avec cette réussite, déjà fort médiatisée à l’époque, du traitement in extremis du jeune Joseph Meister, le 6 juillet 1885. La technique reposait alors sur l’injection de moelle de lapins infectés, et si elle fut efficace pour ce jeune alsacien, elle fut mortelle pour d’autres malades... C’est Fermi, en 1908, qui sécurisa la méthode en traitant le virus au phénol, donc en l’inactivant.
Depuis cette époque, nombre de vaccins ont été mis au point et les techniques se sont diversifiées et affinées en même temps. On distingue désormais deux grands types de vaccins.
Le premier correspond à tous ceux qui permettent de produire les protéines immunogènes par le sujet lui-même (donc dans leur contexte biologique le plus naturel, a priori le plus efficace). C‘est évidemment le cas des vaccins vivants atténués (comme pour la tuberculose, la grippe, la rougeole, la varicelle), c’est aussi le cas des vaccins recombinants (les gènes d’une ou plusieurs protéines immunogènes sont insérés dans le génome d’un autre virus, rendu non pathogène mais parfaitement maîtrisé pour une fabrication à l’échelle industrielle) ou encore dans les vaccins uniquement composés d’acides nucléiques (ADN ou ARN codant la ou les protéines d’intérêt). Ces derniers sont actuellement très prisés car potentiellement plus rapides à développer, mais une des difficultés est de les faire pénétrer efficacement dans les tissus pour que l’expression protéique soit finalement optimale.
Le second type de vaccins correspond à tous ceux qui apportent les protéines immunogènes déjà fabriquées. Il peut s’agir d’agents infectieux entiers mais rendus incapables de se répliquer (comme pour la rage ou l’hépatite A), ou de vaccins sous-unitaires, composés d’une ou plusieurs protéines immunogènes, soit seules, soit couplées à des adjuvants, voire même assemblées en pseudo-particules. C’est le cas notamment des vaccins contre l’hépatite B, les méningites, les papillomatoses génitales.
Au fur et à mesure que les connaissances sur l’immunité se sont améliorées, la vaccinologie est elle-même devenue de plus en plus rationnelle dans le développement de ses produits. Cependant, il persiste toujours des questions majeures, et mêmes essentielles, pour être capables, un jour, de mettre au point, ex nihilo, un vaccin contre un nouvel agent pathogène, et cela de façon à la fois rapide et sûre.
Parmi ces questions apparemment basiques, mais toujours irrésolues, on peut citer par exemple le choix de la meilleure façon de délivrer le vaccin : sous-cutané ou intramusculaire ? En une seule injection ou en plusieurs ? Et dans ce cas, à quel intervalle ? On peut aussi mentionner le choix dans la façon de présenter les protéines immunogènes, dont on sait qu’elle peut orienter la réaction immune dans le bons sens (protection) ou dans le mauvais (trop d’immunité, voir ci-dessous). Dans ce cadre, même des notions que l’on croyait évidentes sont remises en question par la pratique clinique. Pour preuve la compétition actuelle entre les deux vaccins contre le zona, où  la forme sous-unitaire (protéine virale inerte) est finalement plus efficace cliniquement que le vaccin vivant, contre toute prévision initiale.
    Les divers programmes de recherche actuels pour un vaccin contre le COVID-19 catalysent en une unité de temps phénoménale l’ensemble des écueils de la vaccinologie moderne, car il s’agit de mener de front les études pour mieux comprendre le fonctionnement de ce virus émergent, et pour le combattre, le tout sous une pression sociale sans précédent. On pourrait même parler d’obligation de résultat, si cette notion n’était pas, par essence, incompatible avec la recherche.
    Trois excellentes revues, signées par des vaccinologues parmi les plus prestigieux (Corey, Diamond et Graham), permettent de mieux comprendre tous les enjeux et les défis actuels.
  

Les chercheurs ont évidemment rapidement imaginé que les résultats déjà acquis pour des candidats vaccins contre les deux coronavirus responsables des épidémies de SRAS en 2003 et de MERS en 2012 (SARS-CoV-1 et MERS-CoV, respectivement) pourraient servir de base pour lutter contre SARS-CoV-2, responsable du COVID-19. L’astuce semblait d’autant plus évidente que SARS-CoV-1 et SARS-CoV-2 partagent le même récepteur principal à la surface des cellules (ACE2).

Mais à l’époque, ces programmes de recherche n’ont pas dépassé la phase 1 chez l’homme, car les épidémies de SRAS et MERS avaient finalement été maîtrisées entre temps. Les phases II (dose optimale) et III (efficacité, et tolérance globale) restent dont à faire, après adaptation au cas particulier du SARS-CoV-2. On note à ce propos que d’autres coronavirus humains, en réalité très fréquemment responsables d’une grande partie des rhumes classiques, pourraient finalement conférer aussi une immunité croisée contre COVID-19, ce qui ouvre là encore des perspectives.
    Les principales autres pistes vaccinales anti-COVID en cours de développement sont à l’image de la diversité des techniques potentielles : utilisation d’une plateforme vaccinale dérivée du virus de la rougeole ou d’un rétrovirus (deux candidats actuellement testés par l’institut Pasteur), RNA synthétique encapsulé dans des lipides (en cours de test au CEA de Fontenay-aux-Roses), ADN plasmidique, adénovirus humain ou de chimpanzé recombinant, protéine d’enveloppe purifiée, et même utilisation du bon vieux BCG (Bacille de Calmette et Guérin) pour optimiser l’immunité de façon non-spécifique et par ce biais, activer la réponse immunitaire anti-COVID. Cette dernière approche est d’ailleurs très étudiée pour conférer à la population générale une meilleure réponse aux infections virales en général, dont la grippe.

Mais on sait déjà que parmi tous ces candidats vaccins, peu arriveront au stade de l’utilisation à grande échelle.
La principale raison est le manque d’efficacité lors du passage en vie réelle. Pour limiter ce risque d’échec, un modèle animal robuste est indispensable. Dans ce domaine, la France tient sa place grâce à un modèle d’infection à SARS-CoV-2 chez le primate non-humain, qui a déjà permis, à titre d’exemple, de prédire des résultats thérapeutiques à propos de  l’hydroxychloroquine sur 27 animaux au total (Maisonnasse et al, doi 10.21203/rs.3.rs-27223/v1), alors qu’il a fallu une étude sur plus de 90 000 patients pour évoquer cette notion (Mehra et al, Lancet 2020). Pour les vaccins, l’étape d’après est l’étude chez l’homme, avec notamment ces phases III, qui seront, par essence, longues.
L’autre principale raison d’échec du développement d’un vaccin est la survenue d’effets indésirables. Nous ne pourrons pas reprendre ici le débat sur les adjuvants et la survenue suspectée de pathologies auto-immunes. Il existe d’autres types d’effets dysimmunitaires, dont la conséquence est de paradoxalement aggraver la maladie cible de la vaccination. L’un est dénommé « aggravation dépendante des anticorps » (ADA) et l’autre, pour des raisons historiques « maladie respiratoire aggravée par le vaccin » (MRAV).
L’ADA est dû à une réaction immune exacerbée par le fragment Fc des anticorps induits par la vaccination. Elle a été décrite dans le cadre d’une vaccination contre le virus de la péritonite infectieuse féline (FIPV), qui est justement un coronavirus qui infecte les macrophages et induit une vascularite systémique, et aussi dans le cadre d’essais in vitro sur Sars-Cov-1. Mais, d’après Graham, il n’existe pas d’argument pour penser que cet évènement délétère puisse survenir dans le cadre des pneumopathies liées à Sars-Cov-2.
Le MRAV avait été décrit dans les années 60, au cours d’un programme vaccinal utilisant des protéines du virus respiratoire syncitial (RSV) pour immuniser de jeunes enfants, mais ces protéines synthétiques étaient mal conformées, générant ainsi beaucoup d’anticorps capables de se lier au virus, mais sans le bloquer. Ces virus recouverts d’anticorps devenaient plus pathogènes que le virus seul, augmentant ainsi la pneumopathie. Une autre raison de survenue de MRAV est le déclenchement d’une réaction de type allergique, avec recrutement d’éosinophiles, dont la présence excessive dans le poumon aggrave aussi la pneumopathie.
Ces deux types d’effets délétères illustrent à nouveau toute l’importance de la recherche réalisée en amont des grands essais cliniques. Les marqueurs biologiques prémonitoires de telles complications peuvent tout d’abord être identifiés en chez l’animal, puis lors d’études préliminaires et à petite échelle chez l’homme en utilisant de petites doses de vaccin, potentiellement moins dangereuses, et en les combinant à des tests extensifs sur la nature de la réaction immunitaire induite (une réaction de type Th1 est de bon augure, mais pas de type Th2, par exemple).
Pour plus de sécurité au moment du passage chez l’homme, une standardisation du développement des vaccins serait donc plus que souhaitable, et dans sa revue, Corey suggère que les partenariats public-privé pourraient favoriser le développement de structures indépendantes, voire supra-étatiques, chargées de vérifier les données d’efficacité et de sécurité, selon des critères (biomarqueurs) pré-établis.  
D’ailleurs, les trois articles sélectionnés convergent  totalement à propos de l’évaluation des vaccins anti-COVID en cours de développement : chercher à gagner du temps en simplifiant les phases pré-cliniques et les études de tolérance, tout en entamant trop vite des études de phase 2-3, à grande échelle, pourrait être contre-productif. Non seulement par le risque qu’on ferait prendre aux sujets volontaires, mais surtout par le message négatif que cela engendrerait pour l’ensemble des programmes vaccinaux. Une étude française récemment parue dans Lancet suggère d’ailleurs que, même en présence d’un vaccin déjà disponible, 26% des sondés n’auraient pas envie de se faire vacciner, ce qui donne une idée impressionnante de la défiance du grand public (Coconel Group, The Lancet 2020).
 
Une fois de plus, le virus du COVID-19 pousse donc la communauté médicale dans ses retranchements méthodologiques, et la contraint à résister autant que possible à la pression médiatique, politique et tout simplement émotive.
On l’a déjà observé dans cette crise, à propos de certaines molécules portées aux nues puis finalement désavouées par des études scientifiques robustes, laissant alors planer un doute, dans une partie du grand public, sur le crédit à donner à la parole médicale. Il s’agirait donc, dans le cadre du vaccin contre le COVID-19, de laisser avancer la recherche à son rythme, sans brûler les étapes.  Dans ce cadre, la réalisation d’essais de grande ampleur en 2021 serait déjà d’une exceptionnelle rapidité.

 

 

Corey L, Mascola JR, Fauci AS, Collins FS: A strategic approach to COVID-19 vaccine R&D. Science 2020. DOI: 10.1126/science.abc5312 (2020)

Graham BS: Rapid COVID-19 vaccine development. Science 2020. DOI: 10.1126/science. abb8923 (2020)

Diamond MS, Pierson TC: The Challenges of Vaccine Development against a New Virus during a Pandemic. Cell Host & Microbes. DOI: 10.1016/j.chom.2020.04.021

Mehra MR, Desai SS, Ruschitzka F , Patel  AN: Hydroxychloroquine or Chloroquine With or Without a Macrolide for Treatment of COVID-19: A Multinational Registry Analysis. The Lancet 2020. Doi : 10.1016/S0140-6736(20)31180-6.

Maisonnasse P, Guedj J, Contreras V, et al: Hydroxychloroquine in the treatment and prophylaxis of SARS-CoV-2 infection in non-human primates. In Review-Nature Research. Doi 10.21203/rs.3.rs-27223/v1

The Coconel Group: A future vaccination campaign against COVID-19 at risk of vaccine hesitancy and politicization. The Lancet 2020. Doi: doi.org/10.1016/S1473-3099(20)30426-6

 

Reviewer : Marc Labetoulle