La dissociation entre signes et symptômes est fréquente dans les sécheresses oculaires. Les symptômes douloureux survenant dans le cadre d’une sécheresse chronique ont été récemment caractérisés comme des douleurs neuropathiques.
L’objectif de notre étude est d’étudier les caractéristiques cliniques et d’évaluer le retentissements des douleurs oculaires neuropathiques grâce à des questionnaires validés.
Une cohorte de 15 patients, qui présentent une sécheresse oculaire sans kératite associée à des douleurs oculaires avec des caractéristiques faisant suspecter des douleurs oculaires neuropathiques sont inclus (douleurs spontanée, dysesthésies, hyperalgésie et allodynie). Pour chaque patient un examen ophtalmologique complet de la surface oculaire est réalisé (acuité visuelle, examen à la fluorescéine (score d’oxford pour grader la coloration cornéenne), break up time, test de Schirmer, recherche d’un dysfonctionnement meibomien, statique palpébrale) et des questionnaires sont remplis. Les questionnaires se divisent en 5 parties : le DEQ-5 (dry eye questionnaire 5) évalue l’importance de la sécheresse oculaire, l’OSDI (ocular surface disease index) évalue le retentissement visuel de la sécheresse, le BPI (brief pain inventory) évalue l’intensité de la douleur et le retentissement sur le plan général, HADS (hospital anxiety and depression scale) évalue le retentissement psychologique et le NOP évalue des caractéristiques des douleurs oculaires neuropathiques.
Dans cette étude 15 patients sont inclus, la moyenne d’âge est de 44 ans (de 24 à 76 ans), deux tiers sont des femmes et 22% des patients ont eu une chirurgie réfractive. L’examen clinique montre une médiane pour le score oxford à 0, le BUT est à 4 secondes, le test de Schirmer à 5 mm et une malocclusion palpébrale ou un clignement abortif sont retrouvés chez deux tiers des patients. Pour rendre les résultats comparables, nous présentons tous les scores ramenés à une échelle sur 100.
Pour les questionnaires spécifiques sécheresse oculaire, la médiane du DEQ-5 est à 68 (50 - 90), la médiane de l’OSDI est de 43,75 (25 – 83,33).L’évaluation des caractéristiques spécifiquement oculaires des douleurs neuropathiques par le NOP retrouve un score médian à 76 (47 – 85), avec une médiane élevée pour chacune des questionsDe même, dans le questionnaire BPI évaluant de façon non spécifique les douleurs, l’intensité des douleurs y est très élevée à 72 du score maximal (29-93), même si elle fluctue souvent dans le temps. Le retentissement sur l’activité générale, le sommeil, le travail, les relations avec autrui, l’humeur et le goût de vivre est important avec une médiane entre 80 et 90. Aucun domaine n’est épargné, en dehors de la capacité à marcher. Enfin, impact psychologique est également élevé puis le score HADS médian est de 62 (30 – 100).
Les douleurs neuropathiques dans la sécheresse oculaire représentent un défi thérapeutique nouvellement identifié. L’utilisation de questionnaires spécifiquement adaptés à la pathologie oculaire est une nécessité, mais reste encore peu développée (littérature, pratique clinique).
L’utilisation de questionnaires de qualité de vie spécifiques et validés permet d’objectiver l’importante discordance entre la forte intensité des symptômes, l’importance du retentissement général et psychologique et la pauvreté des signes cliniques. Cela explique l’inefficacité et le retard de la prise en charge de ces douleurs, et nécessite une prise en charge spécifique des symptômes douloureux, au mieux en collaboration avec dans un centre de traitement de la douleur.