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Chapitre 19
Conjonctivites bactériennes aiguës

C. Creuzot-Garcher

Introduction
Le terme « conjonctivite» signifie inflammation de la conjonctive sans atteinte cornéenne et ne présume pas de son origine infectieuse ou non. Une conjonctivite aiguë est une conjonctivite qui dure moins de 4 semaines. On distingue les conjonctivites « hyperaiguës» par leur degré de sévérité. L'œil rouge représente 1 % à 4 % des causes de recours aux consultations chez le médecin généraliste [1]. L'origine bactérienne n'est pas toujours aisément distinguée au sein des autres causes infectieuses ou parmi les autres étiologies bénignes d'œil rouge (allergie, œil sec, etc.). Les conjonctivites bactériennes représentent entre 50 % et 75 % des causes des conjonctivites du jeune enfant [2], le diagnostic de conjonctivite d'origine virale étant plus volontiers porté si celle-ci s'accompagne de signes associés (pharyngite, otite).
Épidémiologie
On estime qu'environ 1 % des patients consultent pour une conjonctivite, la prise en charge étant faite avant tout par le médecin généraliste. Une étude rapportait des durées d'absence de 1,9 jour chez plus de 50 % des enfants avec conjonctivites infectieuses, mais également de 1,5 jour chez 25 % de leurs parents [1]. L'incidence de la conjonctivite bactérienne a été estimée à 135 pour 10000 sujets, avec une incidence augmentée pendant le jeune âge. Globalement, les conjonctivites bactériennes représentent la deuxième cause des conjonctivites infectieuses après les virus, mais sont majoritaires chez l'enfant (50–70 %).
Microbiologie
Flore conjonctivale normale
La flore conjonctivale résulte de deux éléments :
  • la colonisation bactérienne, issue de la paupière marginale qui correspond à la présence stable de micro-organismes, en équilibre avec les défenses de l'organisme;
  • la contamination récurrente par des sources extérieures à la conjonctive.
Selon les circonstances, les germes sont uniquement pathogènes, pathogènes de façon opportuniste en cas d'immunodépression, ou seulement exceptionnellement en cas de lésions tissulaires associées. La présence d'un germe lors d'un prélèvement n'implique pas obligatoirement sa responsabilité lors d'une infection. Les germes retrouvés sur une conjonctive saine sont non pathogènes et empêcheraient la contamination de la conjonctive par d'autres germes pathogènes [3] (encadré 19-1
Encadré 19-1
Principaux germes retrouvés dans la flore conjonctivale
  • Sur conjonctive saine (présents dans les deux tiers des prélèvements)

    • Staphylococcus epidermidis et Corynebacterium species

    • Staphylococcus aureus

    • Propionibacterium acnes

    • Corynebacterium


  • Lors d'une conjonctivite bactérienne (chez l'enfant et l'adulte)

    • Haemophilus influenzae (45–60 % des cas)

    • Staphylococcus aureus (8–20 %)

    • Streptococcus pyogenes et pneumoniae (20–30 %)

    • Moraxella catarrhalis (5–10 %)


). On retiendra les grands principes : le port de lentilles de contact favorise l'apparition des bactéries à Gram négatif, alors que le diabète, la dermatite atopique, l'immunodépression ainsi que l'utilisation prolongée de corticoïdes augmentent la présence des germes de type staphylocoque à coagulase négative. Les patients âgés en institutions font fréquemment des conjonctivites à Streptococcus pyogenes et les patients en réanimation intubés et ventilés, des infections à Pseudomonas aeruginosa . La flore conjonctivale est influencée par l'âge (avec un ratio de Gram négatif qui augmente tout au long de la vie) et les saisons (les infections bactériennes surviennent plus volontiers en hiver et au printemps).
Flore conjonctivale dans une conjonctivite aiguë – mode de contamination
Les facteurs aboutissant à une conjonctivite résultent de la conjonction de plusieurs éléments : dépassement des défenses de l'hôte, effraction des barrières épithéliales, multiplication des germes et réponse inflammatoire de l'hôte. Le film lacrymal contient en effet de nombreuses substances antibactériennes (immunoglobulines, lysozyme, complément, enzymes), renforcées par le mucosa-associated lymphoid tissue (MALT) dont l'effet est potentialisé par le balayage de la surface cornéoconjonctivale par les paupières, limitant ainsi la multiplication des germes.
L'étiologie des conjonctivites bactériennes varie selon l'âge, avec prédominance de Chlamydia trachomatis et Neisseria gonorrhoeae durant la période néonatale, des entérocoques coliformes chez l'enfant de moins de 1 an, et des germes à Gram positif chez l'enfant et l'adulte. Les germes d'origine ORL et respiratoire tels que Streptococcus pneumoniae et Haemophilus influenzae (souvent associé à une otite) sont majoritaires chez les enfants. Les germes du groupe staphylocoques sont majoritaires chez l'adulte, suivis de Streptococcus pneumoniae et Haemophilus influenzae .
La contamination se fait essentiellement par la voie « main-œil», notamment dans les garderies ou les crèches. Toutefois, la contamination d'origine nasopharyngée n'est pas à négliger pour Haemophilus et Staphylococcus aureus . La contamination oculogénitale est liée soit au passage dans la filière génitale chez le nourrisson, soit au contact direct par les doigts. D'autres modes de contamination sont moins fréquents : par l'extrémité des flacons de collyres, par les lentilles de contact, par la projection de sang. La période d'incubation et de transmission est estimée entre 1 et 7 jours et 2 et 7 jours respectivement (soit un délai plus court que l'adénovirus) [4].
Clinique
La conjonctivite bactérienne commence typiquement de façon unilatérale avant de se bilatéraliser au bout de 1 à 2 jours (souvent secondairement à une contamination directe manuportée).
Signes fonctionnels
Le plus souvent d'apparition brutale, les conjonctivites bactériennes se caractérisent par des sécrétions épaisses et purulentes, permanentes au cours de la journée. Une photophobie modérée avec larmoiement réactionnel peut être présente, mais est plutôt rare. On a l'habitude, au sein des conjonctivites aiguës, de distinguer les formes hyperaiguës, qui rassemblent certains germes et s'accompagnent de signes cliniques plus sévères (pseudomembranes, chémosis) avec risque de complications, notamment cornéennes. Il est possible de considérer que la conjonction des trois signes suivants : atteinte bilatérale, absence de démangeaison ou de notion d'antécédents de conjonctivite est fortement évocatrice d'une cause bactérienne. Il n'y a toutefois pas de signe pathognomonique des conjonctivites pourtant bactériologiquement prouvées : 58 % présentent des démangeaisons, 65 % des brûlures et 35 % ont des sécrétions propres ou aucune sécrétion. On ne retrouve classiquement pas de baisse d'acuité visuelle. Certaines irritations peuvent néanmoins pousser les patients à se frotter les yeux, entraînant ainsi des lésions cornéennes superficielles, avec sensation de corps étranger superficiel; un certain flou visuel peut également être lié aux sécrétions épaisses. Ainsi, il faut retenir que l'adage « un œil rouge avec une baisse d'acuité visuelle n'est pas une conjonctivite jusqu'à preuve du contraire» doit rester la règle.
Signes d'examens
L'hyperhémie conjonctivale avec une dilation des vaisseaux et un œdème conjonctival et/ou palpébral sont des facteurs évoquant une conjonctivite (fig. 19-1
Fig. 19-1
Conjonctivite bactérienne aiguë.
Symptômes de conjonctivite et paupières collées au réveil.
). On distingue les sécrétions de la conjonctivite aiguë des sécrétions présentes dans les pathologies meibomiennes chroniques, plutôt matinales, de l'angle interne de la fente palpébrale. L'hypersécrétion sale de couleur jaune prend parfois un aspect de fausses membranes. Il est possible de retrouver à la fois des papilles et des follicules conjonctivaux (fig. 19-2
Fig. 19-2
Conjonctivite bactérienne aiguë.
Papilles et follicules au niveau de la conjonctive palpébrale supérieure.
). Des signes associés seront systématiquement recherchés. Une adénopathie prétragienne est rarement présente, évoquant plutôt une étiologie virale. On notera les signes d'atteinte de l'état général à type de fièvre, de pharyngite, de malaise généralisé ou de maux de tête. Une otite est assez souvent associée aux conjonctivites à Haemophilus influenzae . Enfin, les signes faisant évoquer une forme compliquée doivent être recherchés (atteinte cornéenne particulièrement dans les conjonctivites hyperaiguës, faisant craindre une conjonctivite à Neisseria gonorrhoae , ou les hémorragies sous-conjonctivales liées à certains entérocoques). Les exotoxines produites par les staphylocoques peuvent entraîner une kératite superficielle ou une kératite marginale.
Les signes de gravité à prendre en compte devant une conjonctivite sont résumés dans l' encadré 19-2
Encadré 19-2
Signes de gravité devant un tableau de conjonctivite chez l'adulte pouvant justifier un examen bactériologique et/ou un avis ophtalmologique
  • Selon le terrain

    • Conjonctivite purulente chez l'immunodéprimé

    • Porteurs de lentilles ou de prothèse oculaire

    • Conjonctivite purulente chez un patient ayant été opéré de glaucome ou de cataracte

    • Patient traité de façon chronique par corticoïdes locaux

    • Notion d'infection à Neisseiria gonorrhoae, meningitidis ou à Haemophilus influenzae


  • Selon la présentation clinique

    • Conjonctivite aiguë avec membranes ou pseudomembranes

    • Conjonctivite associée à une atteinte cornéenne ou à un abcès cornéen

    • Conjonctivite chronique résistante au traitement afin de rechercher d'éventuels Chlamydiae

    • Conjonctivite aiguë récurrente ou résistante à un traitement empirique de 8 jours


.
Étiologies
Les conjonctivites bactériennes ne sont pas les causes les plus fréquentes des conjonctivites, mais justifient dans certains cas un traitement urgent. Certaines particularités cliniques orienteront plus volontiers vers une étiologie particulière [ 5 , 6].
Conjonctivites bactériennes du nouveau-né et de l'enfant
Voir chapitre 28 .
Conjonctivites de l'adulte
Les germes en causes dans les conjonctivites bactériennes de l'adulte sont nombreux. En dehors des conjonctivites à Chlamydiae qui seront abordées dans le chapitre 20 , les principaux germes responsables sont mentionnés dans l' encadré 19-1
Encadré 19-1
Principaux germes retrouvés dans la flore conjonctivale
  • Sur conjonctive saine (présents dans les deux tiers des prélèvements)

    • Staphylococcus epidermidis et Corynebacterium species

    • Staphylococcus aureus

    • Propionibacterium acnes

    • Corynebacterium


  • Lors d'une conjonctivite bactérienne (chez l'enfant et l'adulte)

    • Haemophilus influenzae (45–60 % des cas)

    • Staphylococcus aureus (8–20 %)

    • Streptococcus pyogenes et pneumoniae (20–30 %)

    • Moraxella catarrhalis (5–10 %)


. Les conjonctivites hyperaiguës peuvent survenir chez l'adulte et font suspecter une infection à Neisseria gonorrhoae qui est souvent associée à une infection génitale qui n'est pas toujours symptomatique. Les staphylocoques sont une cause particulière de conjonctivite aiguë à répétition associée à une blépharoconjonctivite.
L'association avec une autre localisation orientera enfin le diagnostic étiologique : une atteinte des voies lacrymales ou des paupières (chalazion), des ulcères catarrhaux, une kératite ponctuée superficielle évoqueront avant tout la responsabilité du staphylocoque et de la réaction contre son exotoxine. En cas de blépharite angulaire et donc d'atteinte cutanée du canthus externe, Moraxella sera évoqué. L'existence d'une urétrite ou d'arthralgies évoquera une origine gonococcique ou chlamydienne. La présence d'une conjonctivite folliculaire associée à une adénopathie prétragienne voire à une adénomégalie dans un contexte infectieux fera évoquer le classique syndrome oculoglandulaire de Parinaud (voir chapitre 30 ). Celui-ci peut toutefois se rencontrer dans d'autres étiologies que l'infection à Bartonella hensalae , notamment dans la tularémie, les chlamydioses, la maladie de Nicolas Favre, la tuberculose, la syphilis, etc.
Rares sont les arguments permettant de distinguer, devant une conjonctivite aiguë, et ce de façon formelle, une atteinte bactérienne d'une atteinte virale. Toutefois, certains éléments d'orientation peuvent être soulignés afin d'orienter le diagnostic (tableau 19-1
Tableau 19-1
Éléments d'orientation pouvant permettre de différencier atteinte virale et bactérienne .
Conjonctivite bactérienneConjonctivite virale
Sensation de corps étrangerRareFréquente
Symptômes générauxAbsents (sauf syndrome oculoglandulaire)Possibles (respiratoire, malaise général)
Démangeaisons+++
SécrétionsMucopurulentes permanentes ++Aqueuses
Réaction conjonctivalePapilles ++
Follicules +
Follicules +++
Papilles +
Atteintes cornéennesRares, sauf gonocoqueFréquentes pour l'adénovirus
Adénopathie prétragienneRare (sauf pour syndrome oculoglandulaire)Fréquente
).
Bilans et examens complémentaires
Quand demander un examen bactériologique?
Le plus souvent, le diagnostic de la conjonctivite reste clinique et les examens complémentaires sont inutiles. L'identification d'un germe demande en moyenne 48 à 72 heures en dehors des rares cas où celui-ci est identifié à l'examen direct. Actuellement, entre 85 % et 95 % des conjonctivites répondent favorablement en 5 jours à un traitement antibiotique empirique à large spectre. Il ne paraît donc pas raisonnable d'effectuer une telle recherche de façon systématique. Ces prélèvements peuvent s'avérer précieux dans certains cas (terrain, facteurs de risque, facteurs de gravité) résumés dans l' encadré 19-2
Encadré 19-2
Signes de gravité devant un tableau de conjonctivite chez l'adulte pouvant justifier un examen bactériologique et/ou un avis ophtalmologique
  • Selon le terrain

    • Conjonctivite purulente chez l'immunodéprimé

    • Porteurs de lentilles ou de prothèse oculaire

    • Conjonctivite purulente chez un patient ayant été opéré de glaucome ou de cataracte

    • Patient traité de façon chronique par corticoïdes locaux

    • Notion d'infection à Neisseiria gonorrhoae, meningitidis ou à Haemophilus influenzae


  • Selon la présentation clinique

    • Conjonctivite aiguë avec membranes ou pseudomembranes

    • Conjonctivite associée à une atteinte cornéenne ou à un abcès cornéen

    • Conjonctivite chronique résistante au traitement afin de rechercher d'éventuels Chlamydiae

    • Conjonctivite aiguë récurrente ou résistante à un traitement empirique de 8 jours


.
Certains points doivent être soulignés :
  • chez les porteurs de lentilles qui font une conjonctivite, ne pas jeter lentilles et étuis en cas de surinfection : l'analyse bactériologique peut être précieuse pour la mise en évidence de germes ou d'amibes;
  • avoir présent à l'esprit que la flore conjonctivale varie d'un moment à l'autre et que la présence d'un germe au temps « t» ne suppose pas nécessairement sa responsabilité dans une infection;
  • une conjonctivite banalisée chez un patient glaucomateux avec une conjonctive atrophique en regard d'une zone de filtration peut se compliquer d'une blébite aux conséquences dramatiques.
Examen cytologique et bactériologique conjonctival
Cet examen se fait à l'aide d'un écouvillon stérile, appliqué dans le cul-de-sac inférieur de dehors en dedans. Il ramasse bien sûr avant tout la flore conjonctivale saprophyte, mais également des germes caractérisés par un examen direct, puis mis en culture, puis éventuellement la réalisation d'un antibiogramme. À noter que les techniques de biologie moléculaire sont rarement réalisées en cas de conjonctivite bactérienne. Il paraît raisonnable de réserver le prélèvement soit aux formes hyperaiguës (ou parfois une coloration de Gram est intéressante), soit aux cas d'échec d'un traitement par antibiothérapie probabiliste.
Diagnostics différentiels
On estime que 50 % seulement des conjonctivites aiguës mucopurulentes sont d'origine bactérienne.
Parmi les quelques particularités qui peuvent orienter le diagnostic, on citera :
  • une conjonctivite avec démangeaison, surtout si elle est récidivante, n'est pas évocatrice de conjonctivite bactérienne. L'existence d'un ganglion prétragien est plutôt évocatrice d'une infection virale, l'association avec une rhinite évoquant volontiers une cause allergique;
  • les faux larmoiements : liés à une obstruction des voies lacrymales;
  • les faux yeux rouges : de nombreuses hypermétropies chez l'enfant se traduisent par un œil discrètement rouge avec parfois un discret larmoiement;
  • les rougeurs oculaires graves : toute baisse d'acuité visuelle fera éliminer le diagnostic de conjonctivite simple. Une complication cornéenne (kératite) sera toujours possible avec majoration de la photophobie et de la douleur. Un corps étranger est toujours suspecté, surtout dans les métiers à risque ou chez l'enfant. De même, toute baisse de vision avec œil rouge douloureux doit faire évoquer les diagnostics d'uvéite ou de crise aiguë de fermeture de l'angle.
Traitement
Règles générales
Le traitement repose sur les recommandations éditées par l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) en 2004 [ 7]. Des pathogènes bactériens sont isolés dans seulement 50 % des cas de conjonctivite, et au moins 60 % des cas de conjonctivites bactériennes se résolvent sans aucun traitement. Toutefois, l'antibiothérapie permettrait globalement de diminuer la durée des symptômes et le risque de contamination permettant la réintégration du patient dans son monde professionnel ou scolaire.
Il paraît raisonnable de ne pas traiter une conjonctivite bactérienne non compliquée et de se contenter d'une simple instillation de sérum physiologique visant à laver les sécrétions bactériennes associé ou non à un collyre antiseptique. Une antibiothérapie locale peut être envisagée dans les cas de conjonctivite purulente ou mucopurulente, pour les patients présentant une gêne importante, les patients porteurs de lentilles de contact, immunodéprimés ou suspects de conjonctivite à gonocoque.
On soulignera la primauté de l'examen clinique : un résultat bactériologique discordant ne doit pas faire modifier une thérapeutique objectivement efficace. Quand l'antibiothérapie est jugée nécessaire, il faut sûrement préférer une mono-antibiothérapie, mais il peut être licite d'instaurer une bithérapie pour élargir le spectre et augmenter l'activité du traitement dans certains cas spécifiques. Les conjonctivites justifient le plus souvent une simple bactériostasie (inhibition de la croissance des germes) sans bactéricidie (destruction des bactéries). La durée du traitement local est de 8 jours, en dépit de l'amélioration clinique souvent précessive.
La persistance d'une symptomatologie inflammatoire conjonctivale, outre la non-observance thérapeutique ou l'inefficacité du traitement, doit faire suspecter la présence d'un corps étranger cornéen, une obstruction des voies lacrymales ou une affection locorégionale. Les porteurs de lentilles de contact doivent être avertis de suspendre le port des lentilles des deux yeux en cas de conjonctivite. Une conjonctivite aiguë qui ne répond pas en 48 heures à un traitement probabiliste justifie d'un nouveau contrôle. Ces recommandations sont parfois contredites par les exigences des collectivités (qui demandent la preuve d'une antibiothérapie avant le retour en collectivités).
Quel traitement?
Les conjonctivites purulentes guérissent le plus souvent spontanément sans traitement antibiotique, avec un simple traitement par lavage, avec une rémission clinique en 5 jours dans 60 % des cas, mais un traitement antibiotique réduit significativement la durée des symptômes [8 , 9]. L'AFSSAPS recommande donc de ne pas traiter systématiquement, mais seulement en fonction du terrain (immunodépression, diabète, antécédents de chirurgie de glaucome, etc.). En l'absence de critère de gravité ou de facteur de risque, le recours à un antibiotique ne doit pas être systématique. L'effet bénéfique relatif doit être mis en balance avec le risque de sélectionner des souches résistantes à certains antibiotiques si ceux-ci sont utilisés à grande échelle. L'utilisation abusive d'antibiotiques s'est en effet accompagnée de l'émergence d'un grand nombre de résistances, particulièrement aux quinolones. Il paraît également raisonnable de réserver leur utilisation aux cas dans lesquels une atteinte de la cornée est suspectée. Il est rappelé que le chloramphénicol ne doit pas être utilisé en raison des effets secondaires généraux et qu'il faut limiter les quinolones aux seules infections sévères. Pendant la grossesse, le mieux est d'utiliser l'azithromycine ou la rifamycine. Les collyres en suspension (comme l'acide fusidique) ou ceux qui peuvent être instillés seulement deux fois par jour (comme l'azithromycine) sont intéressants, notamment chez l'enfant [ 10].
Le spectre des antibiotiques est rappelé dans le tableau 19-2
Tableau 19-2
Spectre d'activité des antibiotiques topiques (adapté de [11]).
Gram positifGram négatif
Staphylocoque
Méti-S
Staphylocoque
Méti-R
StreptocoquesHaemophilus influenzaePseudomonas aeruginosaEntérobactéries du groupe 3 Chlamydiae
Fluoroquinolones+RR++++
Aminosides++R+++R
Rifamycine++++RR+
Bacitracine+++RRRR
Chloramphénicol+R++RR+
Tétracyclines++++RR+
Acide fusidique+++RRRR
Azithromycine+ * + * + * +RR+
*Inconstamment sensible.

R : résistance bactérienne.


.
On rappellera aux patients glaucomateux qu'ils doivent poursuivre leur traitement, mais changer leurs flacons s'ils n'utilisent pas de collyre en unidose.
Certains auteurs recommandent le traitement systémique des conjonctivites à Haemophilus influenzae si elles sont associées à une otite chez l'enfant.
Prévention
La prévention de l'épidémie conjonctivale consiste avant tout à rompre la chaîne de contamination main-œil. Celle-ci concerne avant tout le personnel soignant, les encadrants dans les crèches ou garderies et l'entourage du patient atteint de conjonctivite. Ces règles concernent des mesures simples comme le lavage des mains, l'utilisation de linge de toilette personnel, mais également une désinfection soigneuse de l'ensemble de l'appareillage (en évitant l'emploi des tonomètres de contact, notamment chez l'ophtalmologiste). La prévention des conjonctivites passe aussi par le traitement des facteurs favorisants que sont l'œil sec sévère et la lagophtalmie.
Conclusion
Les conjonctivites bactériennes sont moins fréquentes que les conjonctivites virales. Les recommandations de l'AFSSAPS ont clairement redéfini la place des antibiotiques qui reste limitée aux formes sévères. Les conjonctivites répondent généralement bien au traitement local. Le traitement des conjonctivites bactériennes repose sur un lavage oculaire au sérum physiologique, associé ou non à un antiseptique, le traitement antibiotique étant réservé aux formes graves. La corticothérapie locale n'a pas sa place dans les conjonctivites infectieuses. La banalité de cette affection doit surtout rendre le praticien méfiant afin de ne pas méconnaître une autre cause ou une complication. Une baisse d'acuité visuelle fait toujours remettre en cause le diagnostic de conjonctivite.
Bibliographie
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