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Chapitre 1
Importance de l'examen clinique

C. Lamirel

Points importants
  • L'examen clinique est la base du raisonnement en neuro-ophtalmologie :
    • il comprend de nombreuses étapes qui doivent être effectuées dans un ordre précis ;
    • il inclut le champ visuel, l'imagerie de la rétine et le bilan orthoptique.
  • Plus le cas est complexe et difficile, plus il faut rester simple et réaliser l'examen clinique de manière systématique, étape par étape.
  • La synthèse de toutes les informations recueillies doit permettre de localiser la ou les lésions responsables et d'évoquer un ou des mécanismes responsables.
  • Le bilan paraclinique permet de confirmer ou d'infirmer les hypothèses diagnostiques à la lumière de la clinique et d'établir le diagnostic étiologique.
Quoi de neuf ?
À l'ère de l'IRM 3T, du PET scan, de l'OCT spectral-domain et de l'imagerie rétinienne grand champ, l'examen clinique reste toujours et encore l'étape primordiale du raisonnement en neuro-ophtalmologie.
Introduction : une méthode
La neuro-ophtalmologie représente un défi pour l'ophtalmologiste. Si elle reste peu fréquente au sein d'une consultation générale d'ophtalmologie, elle est à l'origine de situations cliniques complexes et difficiles, avec des enjeux importants sur la vision des patients, leur qualité de vie et elle engage parfois le pronostic vital ; ce sont ces cas assez rares qu'il faut savoir détecter et prendre en charge.
L'objet de ce chapitre est de proposer une méthode, celle d'une consultation spécialisée de neuro-ophtalmologie avec ses nombreuses étapes. Bien sûr cette méthode est à adapter au cas par cas ; en fonction de l'expertise du clinicien et de la situation, certaines étapes peuvent être écourtées. Pourtant, plus le cas est difficile et complexe, plus il faut rester simple et revenir à la base de la médecine : l'examen clinique systématique, étape par étape, chacune pouvant révéler un élément qui va permettre de localiser la lésion et/ou d'orienter le diagnostic étiologique. Ici, l'examen clinique est pris au sens large, car il inclut le champ visuel (CV), la tomographie en cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) et le bilan orthoptique qui ne sont que le prolongement du doigt et de l'œil du clinicien et font partie intégrante du bilan neuro-ophtalmologique.
Demande de consultation et documents
Demande de consultation
Cette demande permet d'apprécier le degré d'urgence compte tenu des délais de consultation parfois longs. Il faut identifier le correspondant éventuel, qui peut être un autre ophtalmologiste lorsqu'il s'agit d'une demande d'avis spécialisé ou d'un second avis. Le plus souvent, la demande est faite par un autre médecin : généraliste, neurologue, neurochirurgien, neuroradiologue interventionnel, endocrinologue, médecin interniste, rhumatologue, médecin de médecine physique et de réadaptation, etc. Parfois, le patient est référé par un professionnel paramédical (orthoptiste, orthophoniste, neuropsychologue, etc.) ou consulte directement.
Dans le cas où le patient est référé, il est important de comprendre le motif de la demande du correspondant et la question à laquelle il faut répondre pour faciliter son travail. Cette question peut différer de la plainte principale du patient.
Documents
Il est utile de classer dans l'ordre chronologique tous les documents reçus du correspondant et/ou apportés par le patient pour faciliter le recueil de l'histoire de la maladie, puis de les parcourir si possible avant la consultation. Cela permettra également de se renseigner sur une pathologie non ophtalmologique voire non connue, et sur sa traduction ophtalmologique. Cela peut permettre de savoir quels examens paracliniques vont être indispensables et de les programmer si besoin en amont. Enfin une suspicion d'atteinte fonctionnelle permettra de réaliser les examens ophtalmologiques de manière adaptée afin de détecter les incohérences : par exemple, commencer la mesure de l'acuité visuelle par les optotypes les plus petits, réaliser un test binoculaire aux verres polarisés, faire rechercher une spirale par l'orthoptiste lors d'un champ visuel de Goldmann.
La qualité d'un avis spécialisé ou d'un second avis dépend des informations transmises. Un second avis ne doit pas être une deuxième fois un premier avis. Il est difficile d'avancer dans la prise en charge d'une pathologie qui dure depuis 10 ans avec seulement un motif de consultation et aucun des examens ophtalmologiques, neurologiques, biologiques et radiologiques réalisés depuis 10 ans. Obtenir tous ces éléments peut être difficile compte tenu des multiples intervenants.
Les comptes rendus sont importants, car ils résument l'essentiel de ce qui a été fait et la démarche diagnostique et thérapeutique. Toutefois, les originaux des examens biologiques, de l'imagerie oculaire et cérébrale doivent compléter les comptes rendus afin d'être relus lors de l'avis spécialisé. Un avis spécialisé ne revient pas à redire ce qui a pu être écrit dans le compte rendu initial, mais à confronter la démarche précédente avec tous les éléments recueillis (détail des examens ophtalmologiques, des résultats des examens biologiques, des imageries réalisées) et avec l'évolution de la situation.
Interrogatoire
C'est l'élément clé de l'examen neuro-ophtalmologique car il n'y aura que peu ou pas de symptômes et signes spécifiques pouvant faire évoquer une pathologie (voir fiche n° 1 ). Par exemple, sur la figure 1-1
Fig. 1-1
a, b. Importance de l'interrogatoire: le fond d'œil de ce patient montre un œdème papillaire droit et une pâleur papillaire gauche.
, le fond d'œil du patient montre un œdème papillaire droit et une pâleur papillaire gauche. Devant un tel tableau, deux diagnostics différents avec des prises en charge différentes sont possibles et ne vont dépendre que de l'interrogatoire. Si la baisse visuelle est lentement progressive à gauche avec des céphalées, des nausées, des vomissements et une diplopie binoculaire horizontale, il s'agit d'un syndrome de Foster-Kennedy en rapport avec une compression du nerf optique gauche par une tumeur intracrânienne qui entraîne une hypertension intracrânienne (HIC) et un œdème papillaire à droite. Si la baisse visuelle est aiguë et non douloureuse à droite avec un antécédent de baisse visuelle à gauche, il s'agit de la bilatéralisation d'une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë non artéritique réalisant un pseudo-syndrome de Foster-Kennedy.
Plainte du patient
La plainte du patient peut différer de la question posée par le correspondant et il convient de la faire préciser par le patient avec ses propres mots, sans répéter les dires des médecins qu'il a pu déjà consulter. Par exemple, un neurologue adresse un patient jeune pour un bilan d'accident vasculaire cérébral (AVC) et pour savoir s'il y a au fond d'œil des éléments qui pourraient lui permettre d'en connaître l'étiologie, alors que la demande du patient est relative à son aptitude à la conduite. Un autre exemple est celui d'un patient adressé pour le bilan d'une pâleur papillaire, alors qu'il ne se plaint pas de sa vision, et auquel il faudra expliquer l'importance de la démarche diagnostique.
Idéalement, cette première étape doit commencer par des questions ouvertes : «Pourquoi venez-vous consulter ? Qu'est-ce qui vous amène ? Quel est votre problème ? » Elle est l'occasion de cerner la personnalité du patient: volubile, qui va nous perdre avec les moindres détails ou, au contraire, sur la réserve et à qui il va falloir poser beaucoup de questions ; son caractère très précis et méticuleux ou, au contraire, très vague voire parfois «à côté de la plaque ». C'est aussi dans cette partie que l'on peut appréhender les relations entre le patient et son entourage. Cette étape est importante pour adapter à la personnalité du patient et des accompagnants la suite de l'interrogatoire et la synthèse orale qui devra être faite à la fin de la consultation. Il faut résumer en quelques symptômes principaux cette première partie durant laquelle le patient formule librement ses doléances, avant de poursuivre l'interrogatoire de manière beaucoup plus dirigée, voire policière.
Terrain
Il faut confirmer l'âge du patient, se renseigner sur son lieu de naissance, les pays où il a pu habiter, ses voyages récents, ses études et/ou sa profession et la possible exposition professionnelle à des produits toxiques. Il est important de savoir si le patient conduit ou non et de connaître sa latéralisation. Il faut s'enquérir de son mode de vie, de ses loisirs qui pourraient retentir sur sa santé ou nécessitent certaines aptitudes visuelles, de son régime alimentaire, de la possible exposition à des toxiques (tabac, alcool, autres drogues, etc.).
Antécédents personnels
On commence par les antécédents ophtalmologiques en les classant chronologiquement. On recherche en particulier une amblyopie, un traitement d'amblyopie ou un strabisme dans l'enfance ; une mesure d'acuité visuelle lors d'une consultation de médecine scolaire ou professionnelle parfois inscrite sur un carnet de santé ; un bilan et/ou une rééducation orthoptique ; la date de la dernière consultation ophtalmologique et son résultat.
On poursuit par les antécédents généraux, médicaux et chirurgicaux toujours dans l'ordre chronologique. Un intérêt particulier est porté aux antécédents neurologiques, cardiovasculaires et tumoraux qu'il faut préciser : où et par qui le diagnostic a-t-il été posé ? Un courrier ou compte rendu est-il disponible ?
S'il s'agit d'un enfant, il faut préciser : le déroulement de la grossesse chez la mère, la voie d'accouchement, le score d'Apgar à 5 minutes, le développement psychomoteur de l'enfant, l'âge d'acquisition de la marche et du langage, le déroulement de sa scolarité.
Enfin, les allergies sont recherchées systématiquement. Les allergies médicamenteuses sont précisées et notées de façon à être visible à chaque consultation.
Antécédents familiaux
Il faut recueillir les antécédents familiaux ophtalmologiques et généraux, en particulier neurologiques, cardiovasculaires et cancéreux ; l'âge de survenue doit être noté. On précisera la présence de cas de malvoyances dans la famille, de neuropathies optiques glaucomateuses et non glaucomateuses, de rétinopathies. Il faut s'enquérir de possibles comptes rendus disponibles. En cas de suspicion de maladie génétique, l'arbre généalogique du patient doit être réalisé, au moins au premier degré.
Traitements
La liste des traitements ophtalmologiques et généraux doit être vérifiée si possible directement sur une ordonnance pour être exhaustif et connaître les dosages. Pour les traitements ophtalmologiques, il convient de noter le nombre et le côté des instillations, leur observance et leur tolérance. La vérification des traitements permet souvent de compléter la liste des antécédents qui peuvent être oubliés par le patient.
Histoire de la maladie
Son recueil doit être précis, fondé sur l'interrogatoire confronté aux comptes rendus et autres documents médicaux classés par ordre chronologique. Il faut demander au patient : l'ordre d'apparition des symptômes et leur mode d'évolution ; les signes d'accompagnements ; le ou les médecins qu'il a alors consultés. On vérifie sur les comptes rendus quels étaient les symptômes à ce moment-là, les signes cliniques retrouvés par le médecin, puis les explorations réalisées et leurs résultats en faisant confirmer par le patient. Ensuite, on vérifie la ou les hypothèses diagnostiques retenues, les traitements essayés et leurs effets, toujours selon le patient.
L'interrogatoire progresse ainsi pour reconstituer toute l'histoire clinique par des aller-retour entre les dires du patient et tous les documents reçus. Il se termine par l'évaluation actuelle des symptômes initiaux, l'apparition d'autres symptômes et l'état général du patient. Pendant toute cette étape, il faut mener l'interrogatoire de manière à préciser tout élément permettant soit de localiser la lésion, soit d'évoquer un mécanisme pathologique.
Examen clinique
Examen général
Au début de l'examen clinique, la taille et le poids du patient sont renseignés, puis sa tension artérielle est mesurée, le pouls est pris et sa régularité est vérifiée. Parfois, il faut mesurer la température corporelle (par exemple, en cas de céphalées inhabituelles). Ces données de l'examen sont rarement obtenues en consultation ophtalmologique, mais lors des consultations de neuro-ophtalmologie ou d'urgence, elles sont pertinentes voire parfois déterminantes.
Acuité visuelle
Si le patient possède déjà une correction optique, celle-ci est notée ainsi que son ancienneté et si elle lui convient ou non et pourquoi (voir fiche n° 2 ). La meilleure acuité visuelle corrigée est mesurée de loin et de près en monoculaire et en binoculaire. Elle commence par l'œil sain ou par l'œil le moins affecté.
De loin, il faut commencer par les optotypes les plus gros sauf si une cause non organique de baisse visuelle est suspectée. La mesure de l'acuité visuelle ne doit pas s'arrêter à 10/10, mais doit être poursuivie jusqu'à la meilleure acuité visuelle corrigée au risque de ne pas détecter une atteinte modérée chez un patient dont l'acuité visuelle « normale » est supérieure à 10/10. Une fois la meilleure acuité visuelle obtenue, il faut encore rechercher si elle est améliorable ou non avec un trou sténopéique (fig. 1-2
Fig. 1-2
Trou sténopéique.Il est disponible sur les réfracteurs automatiques(a) où il est unique et central: le patient doit souvent bouger la tête et les yeux pour le trouver. Lorsqu'on mesure l'acuité visuelle sans correction ou sur la correction optique du patient, le trou sténopéique à main(b) est très utile et facile à utiliser.
), ce qui permet de détecter facilement et à moindre coût de nombreuses causes optiques et de troubles des milieux optiques responsables d'une baisse visuelle. Une réfraction qui ne se termine pas par la mention «non améliorable au trou sténopéique » (NATS) est une réfraction qui n'a pas été menée jusqu'au bout, même si le trou sténopéique ne permet pas d'améliorer toutes les causes optiques de baisse visuelle.
Le comportement visuel du patient lors de la progression vers les optotypes les plus petits est très informatif en cas de baisse visuelle même si les réfracteurs automatiques masquent son visage. En neuro-ophtalmologie ou dans le cadre de l'urgence, il faut utiliser les lignes horizontales d'optotypes de même taille plutôt qu'une ligne verticale d'optotypes de taille décroissante (fig. 1-3
Fig. 1-3
Mesure de l'acuité visuelle de loin.En neuro-ophtalmologie, il est préférable d'utiliser une ligne horizontale(a) d'optotypes de même taille, plutôt qu'une ligne verticale d'optotypes de taille décroissante(b).
), compte tenu du respect du méridien vertical du CV dans les atteintes chiasmatiques et rétrochiasmatiques.
Ainsi, un patient avec un scotome central lit souvent les optotypes dans le désordre et il bouge les yeux et/ou la tête pour mieux voir les optotypes (fig. 1-4
Fig. 1-4
Troubles du champ visuel et acuité visuelle de loin.En cas de scotome central(a), le patient lit souvent les optotypes dans le désordre et il bouge les yeux et la tête pour mieux voir. En cas d'hémianopsie latérale homonyme (HLH) gauche(b), le patient ne voit pas les premiers optotypes de la ligne, tandis qu'avec une HLH droite(c), ce sont les derniers optotypes qu'il ne visualise pas.
). Une hémianopsie latérale homonyme (HLH) est suspectée chez un patient qui manque systématiquement la ou les premières ou dernières lettres sur les deux yeux et en vision binoculaire (fig. 1-4). Une atteinte bitemporale du CV peut provoquer un oubli du début de la ligne sur l'œil gauche et de la fin de la ligne sur l'œil droit, et qui disparaît en vision binoculaire. Ces difficultés ne seront pas détectées en utilisant une ligne verticale d'optotypes.
Lors du suivi des patients qui présentent des troubles du CV central ou paracentral, et chez les patients très âgés, l'acuité visuelle est mesurée plus basse si elle commence par les optotypes les plus petits au lieu des plus gros, et si la réfraction est faite trop vite pouvant faire croire à tort à une aggravation.
De près, l'existence d'un trouble du CV est souvent plus manifeste si on prend le temps de faire lire le patient sur plusieurs lignes d'un texte comme pour l'échelle de Parinaud. L'utilisation du support fixé au réfracteur automatique pour la lecture de près est particulièrement difficile chez un patient avec un trouble du CV ou oculomoteur. Il est plus facile de lui donner le texte à la main pour qu'il puisse aligner son œil, la correction optique et le texte à lire (fig. 1-5
Fig. 1-5
Mesure de l'acuité visuelle de près.La lecture de près avec le support fixé au réfracteur automatique(a) peut être plus difficile chez un patient avec un trouble du champ visuel. Il est alors plus facile de lui donner le texte dans la main(b).
). Il faudra néanmoins vérifier qu'il garde une distance normale pour la lecture de près ou noter la distance qui lui permet d'avoir la meilleure acuité visuelle de près. Si le patient a changé plusieurs fois de lunettes et reste gêné avec une correction adaptée, il faut suspecter un trouble du CV.
En vision du près, une atteinte du CV à gauche du point de fixation se manifeste par une difficulté du retour à la ligne et une atteinte du CV à droite du point de fixation se manifeste par une difficulté pour lire le mot suivant ou les mots les plus longs. Cela peut sembler futile, mais cette gêne à la lecture peut être le symptôme principal d'un patient avec un scotome hémianopique latéral homonyme sur un AVC et passera inaperçue si la réfraction est faite trop rapidement, mesurée à 10/10 de loin aux deux yeux et Parinaud 2 en ne faisant lire que les deux ou trois premiers mots du paragraphe.
S'il existe des céphalées chroniques, des troubles oculomoteurs non paralytiques, des symptômes d'asthénopie accommodative, il faut éliminer une hypermétropie latente chez un patient jeune et la réfraction sous cycloplégie est alors souvent utile voire indispensable. Des changements fréquents de la réfraction doivent faire suspecter, selon le contexte, une hypermétropie latente qui décompense, des spasmes accommodatifs, un kératocône évolutif, une cataracte nucléaire myopisante.
En cas de nystagmus congénital, l'acuité visuelle monoculaire sera meilleure si l'œil controlatéral n'est pas occlus mais brouillé. L'occlusion d'un œil augmente la vitesse et/ou la fréquence du nystagmus, ce qui fait diminuer l'acuité visuelle mesurée. S'il existe une position de blocage, il faut alors utiliser la correction du patient ou une monture d'essai pour qu'il puisse tourner la tête et amener son regard dans la position de blocage. En cas d'amblyopie fonctionnelle, l'acuité visuelle est souvent meilleure lorsqu'on présente les optotypes un à un plutôt qu'en présentant la ligne entière ( spatial crowding ).
En cas de suspicion d'atteinte anorganique, la mesure de l'acuité visuelle commence par l'œil affecté si la plainte est unilatérale ou par l'œil allégué comme le plus bas en cas d'atteinte bilatérale, et par les optotypes les plus petits 20/10e dans le but de mesurer une acuité visuelle normale ou meilleure que celle alléguée par le patient. D'autres moyens sont disponibles pour parvenir à démontrer l'atteinte fonctionnelle (voir Chapitre 24). Enfin, une atrophie corticale postérieure ou une atteinte des aires visuelles corticales pariéto-occipitales seront suspectées devant un patient qui déchiffre paradoxalement mieux les petits optotypes que les plus gros (équivalent d'une simultagnosie ; voir chapitre 10 et Fiche 27).
Vision des couleurs
La dyschromatopsie est un signe majeur des neuropathies optiques et l'étude de la vision colorée fait partie de l'examen clinique neuro-ophtalmologique. Les tests fins d'analyse de la vision colorée sont disponibles (15 Hue saturé, 15 Hue désaturé ; fig. 1-6
Fig. 1-6
Examen de la vision colorée à l'aide d'un éclairage calibré et de testsfins.Les pions du 15Hue désaturé sont en haut, ceux du 15Hue saturé sont en bas.
), mais nécessitent toutefois un matériel spécifique (pions colorés, système d'éclairage calibré). Ils sont longs à réaliser et souvent faits par les orthoptistes ; ils sont parfois difficiles à interpréter cliniquement, car ils sont très sensibles au détriment de la spécificité. S'ils sont utiles pour la recherche, ces tests sont peu pratiques à utiliser en clinique quotidienne aboutissant à ce que l'étude de la vision colorée ne soit plus réalisée. Les planches pseudo-isochromatiques d'Ishihara utilisées pour le dépistage des dyschromatopsies congénitales permettent de tester facilement, rapidement et utilement la vision colorée (fig. 1-7
Fig. 1-7
Examen clinique de la vision des couleurs par les planches d'Ishihara.Il se fait œil par œil, en ambiance lumineuse. Il faut commencer par la planche contrôle(a): si elle n'est pas lue, le test s'arrête là. En dehors d'une acuité visuelle très basse, cette planche peut n'être pas lue lors d'un équivalent de simultagnosie comme dans le cadre d'une atrophie corticale postérieure. Le patient à une bonne vision colorée et peut montrer les cercles oranges et les cercles bleus, mais il est incapable d'assembler tous les cercles oranges pour reconstituer la forme des deux chiffres. Si le patient lit la planche contrôle, on continue en lui présentant toutes les planches avec les chiffres. Certaines planches ne contiennent qu'un seul chiffre(b): si le patient le lit, on compte une planche lue. D'autres planches contiennent deux chiffres(c): si le patient lit les deux chiffres, il faut compter une planche lue, s'il n'en lit qu'un sur deux on compte une demi-planche lue. Le total s'exprime en nombre de planches lues sur le nombre de planches que contient la version utilisée du test: par exemple, 14planches lues/14 ou 3planches lues/14.
). Elles sont utilisées quotidiennement comme partie intégrante de l'examen clinique neuro-ophtalmologique dans de nombreux pays et suffisantes dans la très grande majorité des cas pour le diagnostic et le suivi du patient.
En pratique, la vision colorée se teste en monoculaire avec la correction de près et un éclairage standard de la pièce. On commence par tester la première planche, dite contrôle : si le patient ne la lit pas, le test s'arrête là. L'absence de vision de la planche contrôle se retrouve quand l'atteinte visuelle est sévère, en cas de simultagnosie dans le cadre d'un syndrome d'atrophie corticale (le patient voit bien les points et leurs couleurs, mais il ne peut percevoir la forme dessinée par les points dans leur ensemble), plus rarement en cas d'atteinte fonctionnelle. Puis les planches sont lues une à une et le nombre total de planches lues est rapporté au nombre de planches du test, variable selon les versions. Si une planche contient deux chiffres et que le patient n'en lit qu'un sur deux, un demi-point est compté. Il faut garder à l'esprit que les planches d'Ishihara ne testent pas l'axe bleu-jaune qui est celui le plus affecté dans le glaucome ou l'atrophie optique dominante par mutation du gène OPA1 . Pour les puristes, le test de Hardy-Rand-Rittler est fondé sur les mêmes principes et teste aussi l'axe bleu-jaune de la vision colorée.
Si le test d'Ishihara est normal, on peut rechercher une asymétrie de la saturation de la couleur d'un objet rouge (capuchon d'un stylo, bouchon d'un collyre, verre rouge, etc.) présenté alternativement à un œil puis l'autre (fig. 1-8
Fig. 1-8
a, b. Test de désaturation au rouge.Un objet rouge, ici la baguette de Maddox, est présenté alternativement à un œil puis l'autre en commençant par l'œil sain ou le moins affecté. On demande au patient s il voit la même quantité de rouge entre les deux yeux. Si ce n'est pas le cas, on lui demande de quantifier la différence entre les deux yeux en pourcentage. Par exemple, le patient décrit une baisse de 15% de rouge perçu par l'œil gauche par rapport à l'œil droit.
). Ce test est très utile lors de l'examen au lit du patient.
Champ visuel par confrontation et grille d'Amsler
Ces deux examens ne remplacent pas un CV de Goldmann ou automatisé mais sont très utiles dans le cadre de l'urgence ou lors de l'examen au lit du patient. Ils sont indispensables dans le bilan d'un trouble oculomoteur ou pupillaire isolé lorsqu'on ne demande pas d'examen périmétrique, mais inutiles en première intention, si le patient passe les examens périmétriques classiques.
L'examen par confrontation (fig. 1-9
Fig. 1-9
Examen du champ visuel central par confrontation.On demande au patient de cacher un œil, de regarder le nez de l'examinateur et de compter le nombre de doigts dépliés. Les mains sont présentées de chaque côté du méridien vertical, au-dessus ou en dessous du méridien horizontal pour tester un à un chaque quadrant (a, l'axe est ici décalé sur la gauche du patient pour les besoins de la photographie). Pour commencer, on présente de manière aléatoire un ou plusieurs doigts sur un seul quadrant à la fois(b) avant de replier rapidement le(s) doigt(s)(c) pour éviter que le patient ne fasse une saccade. Pour sensibiliser le test, on peut ensuite tester deux quadrants à la fois de part et d'autre du méridien vertical(d, e).
) permet de détecter des déficits étendus, profonds et systématisés du CV central autour du méridien vertical. On demande au sujet de cacher un œil avec sa main (sans appuyer sur le globe oculaire) et de regarder le nez de l'examinateur qui est placé en face de lui à 50cm environ. Il faut présenter des doigts dans les quadrants du champ visuel à l'intérieur des 30° d'excentricité (ils doivent être visibles par l'examinateur) et demander au patient de compter les doigts tout en surveillant sa fixation oculaire. Les deux mains sont placées dans deux quadrants différents de part et d'autre du méridien vertical et les doigts d'une seule main sont dépliés pendant 1 à 2 secondes pour faire compter le patient. On explore ainsi plusieurs fois les quatre quadrants et le patient doit pouvoir répondre aussi facilement dans chaque quadrant. Une difficulté ou des mouvements oculaires de refixation qui surviennent systématiquement dans l'exploration d'un quadrant et pas dans les autres sont très évocateurs d'un déficit. Si l'examen paraît normal, on poursuit le test en montrant des doigts dans plusieurs quadrants en même temps, ce qui peut révéler des déficits moins profonds du CV ou une négligence. Enfin, si l'on veut tester la partie la plus périphérique du CV, il faut le faire en agitant un doigt en mouvement centripète lent et demander au patient de signaler quand il voit le doigt apparaître (fig. 1-10
Fig. 1-10
a, b. Examen du champ visuel périphérique par confrontation.On demande au patient de cacher un œil, de regarder le nez de l'examinateur et de signaler quand il voit le doigt arriver dans la périphérie de sa vision. On agite un doigt qu'on amène lentement vers le centre de la vision selon différents méridiens tout en surveillant la fixation du patient.
).
La grille d'Amsler (fig. 1-11
Fig. 1-11
Grille d'Amsler pour tester le champ visuel central.Le champ visuel des 10° centraux montre une discrète hyposensibilité paracentrale en temporal du point de fixation(a) qui est mieux détaillée sur la grille d'Amsler(b).
) permet de dépister une atteinte plus proche du centre et plus petite ; elle peut aussi détecter une atteinte latérale homonyme. Elle recherche également des arguments en faveur d'un syndrome maculaire avec des métamorphopsies. Si le patient se plaint d'un scotome central ou paracentral, alors que les CV automatisés des 24–30° et 10–12° centraux sont normaux, elle permet souvent de préciser la forme, la taille et la localisation du scotome pour mieux guider la recherche d'une cause, souvent vitréenne ou rétinienne si elle est unilatérale.
Ces tests ne sont que des examens de dépistage et devront être complétés par une périmétrie formelle, adaptée à ce que l'on recherche, à la vision et à l'état du patient, en cas de baisse visuelle ou si une anomalie est détectée.
Examen de l'orbite
La découverte d'une anomalie orbitaire permet de localiser rapidement le processus pathologique à l'orbite et facilite le bilan étiologique (voir fiche n° 34 ). L'examen commence par une inspection à la recherche d'une déformation des orbites, isolée ou associée à une déformation de la face. On recherche ensuite une dystopie, une exophtalmie, une énophtalmie d'abord par une inspection de face, puis en regardant par le bas alors que le patient lève la tête, et en regardant par en dessus alors que le patient baisse la tête, enfin en regardant le patient de profil droit et de profil gauche (fig. 1-12
Fig. 1-12
Examen orbitaire.L'examen se fait d'abord de face, puis par le haut, le bas, et sur les côtés afin de détecter et examiner une exophtalmie
). On inspecte les tissus mous à la recherche d'une rougeur, d'un œdème, d'une masse, d'une cicatrice, etc. Si besoin, il faut palper le cadre orbitaire ou une masse pour apprécier sa texture, rechercher une pulsatilité, ausculter l'orbite à la recherche d'un souffle, apprécier le caractère réductible ou non d'une exophtalmie en demandant au patient de pencher la tête ou d'effectuer une manœuvre de Valsalva en se bouchant le nez. L'exophtalmie est mesurée à l'aide de l'exophtalmomètre de Hertel (fig. 1-13
Fig. 1-13
Utilisation de l'exophtalmomètre de Hertel.Les deux bords de l'exophtalmomètre sont placés sur le bord osseux des deux canthi externes (a ; ici, ils sont légèrement en dessous pour les besoins de la photographie). Il faut noter dans le dossier l'écartement utilisé (flèche bleu) qui devra toujours être identique pour le suivi du patient. Pour éviter une erreur de parallaxe(b) il faut d'abord se placer de manière à aligner le fin trait noir (flèche rouge inférieure) avec la marque située sur la graduation18 (flèche rouge supérieure). Une fois l'alignement obtenu(c), on peut mesurer l'exophtalmie.
) et il convient de noter en plus de la mesure de l'exophtalmie de l'œil droit et de l'œil gauche, la valeur de l'écartement du Hertel ; cette valeur d'écartement devra être utilisée pour le suivi de l'exophtalmie.
Paupières et orbiculaires
L'examen des paupières prolonge l'examen de l'orbite (voir fiche n°11 ). Il doit se faire alors que l'œil est en rectitude, pour ne pas méconnaître un faux ptosis en cas d'hypotropie oculaire. Il est d'abord statique puis dynamique (fig. 1-14
Fig. 1-14
Examen des paupières.L'examen est d'abord statique(a) à la recherche d'une asymétrie de la fente palpébrale, de la position des sourcils et d'une hyperaction du muscle frontal ; puis il mesure la fente palpébrale(b) au milieu de la pupille, ici 10mm. L'examen est dynamique et il faut veiller à bloquer l'action du muscle frontal (non figuré ici pour les besoins de la photographie). Dans le regard en bas(c), on mesure la position du pli palpébral supérieur par rapport au bord libre de la paupière supérieure, ici 5mm. Enfin, sans bouger la règle, on demande au patient de regarder vers le haut afin de mesurer la fonction du releveur de la paupière supérieure, ici 14mm.
).
Il commence par noter la position du sourcil : ascension compensatrice dans un ptosis ou basse dans le cas d'un blépharospasme (fig. 1-15
Fig. 1-15
Faux ptosis.Patient traité inefficacement pour myasthénie suspectée devant un ptosis à bascule. On remarque que le sourcil est plus bas du côté du ptosis, signe d'un blépharospasme. Il s'y associe une remontée de la commissure labiale et un pli nasogénien plus marqué par un hémispasme facial.
). Puis il faut inspecter la fente palpébrale et la position des paupières supérieure et inférieure par rapport au globe oculaire. Normalement, la paupière supérieure recouvre le limbe d'environ 2mm, la hauteur de la fente palpébrale est d'environ 9mm identique à droite et à gauche, la paupière inférieure est au limbe scléral inférieur. Il peut exister un ptosis ou une rétraction, uni- ou bilatérale, et parfois un ptosis d'un côté et une rétraction de l'autre. On inspecte ensuite la position des cils à la recherche d'un ectropion, d'un entropion, d'un trichiasis, puis l'aspect des paupières à la recherche d'une rougeur, d'un œdème, d'une cicatrice, d'un comblement du creux sus-palpébral ou son accentuation, d'un excès cutané (dermatochalasis). On mesure ensuite:
  • la fente palpébrale des deux côtés entre les deux bords palpébraux au niveau du milieu de la pupille en bloquant le muscle frontal au-dessus du sourcil ;
  • la hauteur du pli palpébral supérieur qui est normalement situé à 8 mm du bord libre. Il est ascensionné dans les ptosis aponévrotiques et effacé dans les myopathies. On notera que le ptosis du syndrome de Claude Bernard-Horner par atteinte du muscle de Muller est généralement modéré, mesuré à 2mm ou moins, il peut donc être difficile à détecter si on ne le cherche pas spécifiquement.
L'examen dynamique recherche une variabilité de la fente palpébrale lors de l'examen, lors des mouvements oculaires, lors du regard prolongé vers le haut, et dans les mouvements répétés et rapides haut/bas du regard. L'amplitude d'action du releveur de la paupière supérieure est mesurée par la différence de position du bord libre de la paupière supérieure entre le regard vers le bas et le regard vers le haut tout en bloquant l'action du muscle frontal. Elle est normalement supérieure à 12mm et sera conservée dans les ptosis aponévrotiques et les ptosis du syndrome de Claude Bernard-Horner. En cas de ptosis unilatéral (fig. 1-16
Fig. 1-16
Ptosis unilatéral gauche ?Chez ce patient, il n'est pas strictement unilatéral car il existe un ptosis du côté droit très discret qui pourrait passer inaperçu(a). En soulevant la paupière gauche jusqu'à sa position normale, on démasque un ptosis beaucoup plus important du côté droit(b).
), il faut soulever la paupière supérieure jusqu'à sa position normale et vérifier si un ptosis n'apparaît pas sur l'autre côté, révélant un ptosis bilatéral asymétrique masqué par l'hyperaction compensatrice du meilleur côté. En cas de rétraction unilatérale ou associée à un ptosis de l'autre côté (fig. 1-17
Fig. 1-17
Fausse rétraction palpébrale unilatérale gauche(a).En soulevant légèrement la paupière droite(b), la rétraction palpébrale disparaît, on démasque un ptosis discret dans le cadre d'une myasthénie.
), il faut soulever la paupière la plus basse jusqu'à sa position normale. Si la rétraction disparaît, la paupière pathologique est celle qui est la plus basse avec une fausse rétraction par compensation de l'autre côté. Si la rétraction persiste lors de cette manœuvre, elle est pathologique. On regardera ensuite la qualité de la fermeture palpébrale, du phénomène de Charles Bell, et la force des orbiculaires à la fermeture palpébrale contre résistance (fig. 1-18
Fig. 1-18
Test des orbiculaires et signe des cils de Souques.Lors d'une contraction forcée des orbiculaires(a), ceux-ci viennent masquer la ligne d'insertion des cils. Lors d'une myasthénie avec faiblesse des orbiculaires, la fermeture forcée laisse voir la ligne d'insertion des cils, c'est le signe des cils de Souques(b). Faiblesses des orbiculaires chez le même patient myasthénique lors de l'ouverture palpébrale contre résistance(c).
).
Oculomotricité
L'examen oculomoteur est indispensable, y compris lorsque la plainte porte uniquement sur l'acuité visuelle (voir fiche n°12 ). Une baisse visuelle unilatérale peut en effet supprimer une diplopie associée, et la parésie ne sera détectée que si l'oculomotricité est testée systématiquement. L'association d'un trouble visuel avec un trouble oculomoteur permet souvent de préciser la localisation d'une lésion voire le mécanisme. Par exemple, devant une baisse x visuelle rapide avec une suspicion de neuropathie optique, l'association d'une parésie oculomotrice fait suspecter soit une atteinte de l'apex orbitaire, qui est une urgence chez le patient diabétique ou immunodéprimé, soit une atteinte située juste en arrière du sinus caverneux comme une apoplexie hypophysaire. Un accident vasculaire cérébral (AVC) de la circulation cérébrale postérieure peut donner une HLH et un trouble oculomoteur d'origine centrale (supranucléaire, nucléaire, fasciculaire) qu'il sera important de détecter pour la rééducation/réadaptation du patient. Enfin, certains patients peuvent décrire comme un flou visuel, un décalage minime où les deux images ne sont pas complètement séparées. De même, une atteinte des systèmes de la fixation oculaire entraîne une baisse visuelle sans que le patient puisse verbaliser cette difficulté à la fixation et seul l'examen systématique de l'oculomotricité permettra de découvrir la présence d'un nystagmus ou d'un autre mouvement oculaire anormal.
L'examen oculomoteur commence par rechercher une attitude anormale de la tête (torticolis). En cas de paralysie oculomotrice, cette attitude de la tête permet de porter le regard du patient dans la position qui minimise ou annule la diplopie. En cas de limitation du droit latéral droit (fig. 1-19
Fig. 1-19
Attitude de tête tournée vers la droite chez un patient avec une parésie du muscle droit latéral droit.Cette attitude amène son œil droit en adduction où le muscle droit latéral droit n'est plus sollicité et diminue la diplopie.
), la tête sera tournée vers la droite pour amener l'œil droit dans la partie gauche de l'orbite où l'action du muscle droit latéral droit est minimale, diminuant ainsi la diplopie. Dans le cadre d'une paralysie d'un muscle oblique supérieur droit, la tête est tournée vers la gauche et vers le bas et elle est inclinée sur l'épaule gauche car c'est dans cette position que l'action du muscle oblique supérieur droit sera minimale.
Il faut ensuite examiner l'alignement des yeux à la recherche d'une déviation oculaire patente en position primaire. Elle est parfois évidente, mais en cas de doute il faut s'aider de la position des reflets cornéens. On recherchera une limitation de l'amplitude des mouvements oculaires lors du mouvement conjugué des deux yeux (versions,fig. 1-20
Fig. 1-20
Examen des versions dans les neuf positions du regard.
), puis du mouvement d'un seul œil (ductions, en masquant l'autre œil) dans les neuf positions du regard à chaque fois. Pour les quatre principales positions du regard, la limitation sera cotée approximativement : par exemple, œil bloqué dans une position, l'œil n'atteint pas le méridien (vertical ou horizontal) de x %, l'œil atteint le méridien, l'œil dépasse le méridien de x %, ou mouvement normal.
Il faut ensuite examiner quatre types de mouvements oculaires :
  • les saccades (fig. 1-21
    Fig. 1-21
    Examen des saccades oculaires vers la gauche du sujet.On demande au patient de fixer des yeux le doigt qui se lève. On présente d'abord un doigt droit devant(a), puis un doigt sur le côté gauche(b), tout en repliant le doigt droit devant. Le sujet réalise une saccade vers le doigt sur sa gauche(c), ce qui permet de tester sa latence, sa vitesse et sa précision. On teste de la même manière les saccades vers la droite, vers le haut et vers le bas.
    ) en demandant au patient de regarder une cible présentée dans les quatre positions principales. En dehors d'une limitation d'amplitude du mouvement souvent déjà vue à l'étape précédente, ce test permet de détecter une lenteur à initier la saccade, un ralentissement de sa vitesse d'exécution, ainsi qu'un manque de précision (hypo- ou hypermétrie) :
  • la poursuite oculaire par le suivi du doigt ou d'une cible en mouvement lent (fig. 1-22
    Fig. 1-22
    a–c. Examen de la poursuite oculaire vers la gauche.
    ) dans les quatre positions principales. On recherche essentiellement une préservation relative d'un mouvement de poursuite par rapport aux saccades qui oriente vers une atteinte supranucléaire. La poursuite oculaire peut être saccadique : le mouvement lent et régulier est remplacé par des saccades pour rattraper la cible, mais ce signe n'a pas de grande valeur sémiologique ;
  • les réflexes oculocéphaliques en demandant au patient de garder les yeux fixés sur son pouce présenté droit devant lui puis en tournant la tête à droite, à gauche, en haut et en bas (fig. 1-23
    Fig. 1-23
    Examen des réflexes oculocéphaliques.On demande au patient de garder les yeux fixes sur son pouce placé droit devant lui pendant qu'on déplace sa tête dans les quatre directions principales du regard.
    ) ;
  • les vergences qui sont testées sur une cible ou sur le doigt du patient qu'on déplace lentement dans le plan sagittal (fig. 1-24
    Fig. 1-24
    a–c. Examen des vergences.On demande au patient de regarder son pouce droit devant lui et on rapproche lentement le pouce dans le plan sagittal.
    ).
En cas d'atteinte infranucléaire ou nucléaire, tous les mouvements sont limités de la même manière, tandis qu'une préservation, au moins relative, de la poursuite et/ou des réflexes oculocéphaliques oriente vers une atteinte supranucléaire.
Si la limitation est fruste, l'examen oculomoteur sera sensibilisé par le test au verre rouge et/ou la baguette de Maddox et/ou le test sous écran (voir fiches n°14 et fiche n°15). La déviation oculaire est mesurée en position primaire et dans les positions d'intérêt soit pour localiser une parésie oculomotrice, soit pour retrouver une déviation non paralytique. Ces mesures sont également utiles pour le suivi d'un trouble oculomoteur. Enfin, le coordimètre (Lancaster ou Heiss-Weiss,fig. 1-25
Fig. 1-25
Examen coordimétrique de Hess-Weiss.Le patient porte une paire de lunettes duochrome avec le rouge sur l'œil droit: c'est l'œil droit qui est testé et qui ne voit que le faisceau laser pointé sur le chiffre3. L'œil gauche porte le verre vert et ne voit que le quadrillage et les chiffres sans voir le faisceau laser pointé sur le chiffre3. Pour tester ensuite l'œil gauche, il faut une paire avec le verre rouge sur la gauche.
) permet d'évaluer les déviations oculaires, les limitations et les hyperactions des muscles oculomoteurs (voir). Tous ces éléments peuvent être réalisés par un ophtalmologiste expérimenté, mais le plus souvent ils seront obtenus dans le cadre du bilan orthoptique.
Il faut ensuite examiner la stabilité oculaire à la recherche d'un nystagmus ou d'autres mouvements oculaires anormaux, d'abord en vision binoculaire, de loin et en position primaire. Dans un second temps, la stabilité oculaire est examinée à l'occlusion d'un œil puis de l'autre, puis dans les quatre positions principales du regard excentré et enfin en convergence.
L'étude du nystagmus optocinétique est peu utile lors d'une pathologie oculomotrice. Il se recherche à l'aide d'un tambour optocinétique (fig. 1-26
Fig. 1-26
a–c. Test du nystagmus optocinétique.Il est surtout utile lors d'une baisse visuelle profonde dont on suspecte une origine fonctionnelle: sa présence permet d'affirmer que la vision est au moins de0,05.
) en cas de baisse visuelle profonde dont on suspecte l'origine anorganique. Dans ce cas, il sera préservé car le patient qui perçoit ce mouvement ne peut pas l'inhiber sauf à induire un spasme en convergence facilement identifiable. La présence d'un nystagmus optocinétique permet alors d'affirmer que la vision est au moins de 0,05.
Pupilles
L'examen des pupilles est un moment clé de la consultation neuro-ophtalmologique. Il permet de rechercher une anisocorie, un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) ou, plus rarement, une atteinte bilatérale des pupilles. Ainsi, devant une baisse visuelle unilatérale à fond d'œil normal, la présence d'un DPAR signe le plus souvent l'atteinte du nerf optique homolatéral. La découverte d'un myosis réactif pathologique après un trouble visuel monoculaire transitoire évocateur d'un mécanisme vasculaire oriente vers une dissection carotidienne surtout s'il y a des douleurs. Devant une atteinte oculomotrice multiple et/ou complexe, l'atteinte pupillaire élimine la myasthénie et oriente vers les autres atteintes de la jonction neuromusculaire ou vers une polyneuropathie. L'examen des pupilles est donc systématique quel que soit le motif de la consultation neuro-ophtalmologique. Cet examen comprend cinq temps (voir fiche n°3 ).
L' examen statique se fait en ambiance lumineuse puis dans le noir en demandant au patient de regarder au loin pour éviter le myosis de convergence (fig. 1-27
Fig. 1-27
Examen des pupilles à la lumière(a) et à l'obscurité(b) à l'aide d'un éclairage placé sous le menton.
). Lors de l'examen dans le noir, il faut éclairer le patient par le bas, sous le menton, pour voir l'iris et la pupille sans que la lumière ne parvienne à la rétine du patient. Il faut examiner les deux pupilles simultanément en notant leur forme et leur taille. On peut mesurer le diamètre pupillaire à l'aide d'un gabarit plutôt qu'avec une règle, ce qui facilite la mesure et la rend plus fiable (fig. 1-28
Fig. 1-28
Mesure des pupilles avec un gabarit à la lumière(a, b) et à l'obscurité(c, d).Le gabarit permet de mesurer plus facilement le diamètre des pupilles qu'une règle. Il faut faire attention à ne pas changer l'éclairage entre la mesure de la pupille droite et celle de la gauche. En ambiance lumineuse, la lumière vient du plafonnier, il faut que la main passe par le bas. À l'obscurité, l'examinateur tient la lumière sous le menton. Il fait passer sa main par-dessus les yeux pour mesurer la pupille gauche(d) afin de ne pas masquer l'éclairage.
). Lors de cette mesure, surtout dans le noir, il faut prendre garde à ne pas faire varier l'éclairage quand on passe d'une pupille à l'autre. L'utilisation de la lumière verte de l'ophtalmoscope peut être également utile pour mieux discerner les pupilles sans entraîner de myosis. L'examen statique des pupilles sur des clichés est beaucoup plus facile mais cela nécessite un appareil photographique ou un caméscope avec une fonction infrarouge (fig. 1-29
Fig. 1-29
Examen des pupilles à l'aide d'un appareil photo avec lumière infrarouge en ambiance lumineuse(a) et en obscurité(b).
). Certaines machines OCT permettent maintenant d'obtenir des clichés infrarouges du visage du patient en le reculant de la mentonnière (fig. 1-30
Fig. 1-30
Examen des pupilles avec un OCT.La patiente se recule de la mentonnière pour avoir les deux yeux sur la même image tout en restant bien de face(a). Après mise au point et augmentation de l'intensité de la lumière infrarouge, on voit bien le diamètre des deux pupilles à la lumière(b) et en obscurité(c).
). Une différence de taille entre les deux pupilles définit une anisocorie et c'est la pupille qui varie le moins selon l'éclairage qui est pathologique (fig. 1-31
Fig. 1-31
Exemple d'anisocorie isolée.En lumière forte(a), la pupille gauche est plus large que la droite. Il n'y a pas de ptosis et l'oculomotricité est normale. En lumière intermédiaire(b), la différence se réduit. Dans l'obscurité(c), les deux pupilles sont de même taille. La pupille gauche est la moins variable et est donc pathologique. Elle se contracte et se dilate de manière lente et tonique en convergence (non présenté ici): il s'agit d'une pupille tonique d'Adie gauche.
Source: C.Vignal Clermont.
). Dit autrement, si l'anisocorie se majore en ambiance lumineuse, c'est la grande pupille, la mydriase, qui est pathologique ; si l'anisocorie se majore à l'obscurité, c'est la petite pupille, le myosis, qui est pathologique.
L' examen dynamique se fait dans une pièce sombre toujours en demandant au patient de regarder au loin. On éclaire alors directement une pupille et on évalue la qualité de sa contraction à la lumière (réflexe photomoteur [RPM] direct). Un RPM direct diminué ne permet pas de localiser l'atteinte à la voie afférente ou efférente. La présence d'une anisocorie augmentant à la lumière avec une grande pupille qui varie moins que la petite pupille permet de localiser l'atteinte à la partie efférente du RPM. À l'inverse, l'absence d'anisocorie et la présence d'un DPAR localisent à la partie afférente de l'arc réflexe. Après le RPM, on examine aussi la redilatation pupillaire à l'obscurité en ramenant la lumière sous le menton : une lenteur à la redilatation est un signe d'une atteinte de la voie sympathique, mais elle peut être difficile à mettre en évidence.
Un DPAR par le test de l'éclaire alterné (fig. 1-32
Fig. 1-32
Test de l'éclairage alterné à la recherche d'un DPAR.La pupille droite est éclairée pendant 3secondes, puis on passe rapidement sur la pupille gauche qu'on éclaire 3secondes avant de repasser rapidement sur la pupille droite pendant 3secondes et ainsi de suite.
et voir fiche n°4 ) est recherché. Toujours dans la pièce sombre et le regard du patient porté au loin, on éclaire alternativement un œil puis l'autre en gardant toujours la même durée d'éclairage sur chaque pupille (environ 3 secondes). Si les deux pupilles sont fonctionnelles, on ne regarde que la réaction de la pupille qui est éclairée. Le DPAR se manifeste, en fonction de son intensité croissante, par une moindre contraction, une absence de contraction, voire une dilatation quand la lumière arrive sur une pupille par rapport au moment où la même lumière arrive sur l'autre pupille (fig. 1-33
Fig. 1-33
Exemple de déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) droit.Il faut placer le patient dans l'obscurité pour le rechercher (ici, les photographies sont faites en ambiance mésopique pour les besoins d'illustration). Pendant tout l'examen, le patient regarde au loin. On remarque que pour la même quantité de lumière, le diamètre des deux pupilles est plus grand quand on éclaire l'œil droit(a) par rapport à l'œil gauche(b): c'est le signe d'un DPAR droit. Quel que soit l'œil éclairé, le diamètre pupillaire est identique entre la droite et la gauche: le patient est isocore.
). Si une pupille est pathologique, il faut regarder uniquement la pupille fonctionnelle tout en éclairant alternativement les deux pupilles. Si les deux pupilles sont non fonctionnelles, le DPAR ne peut pas être testé. Par définition, le DPAR ne peut pas être bilatéral.
En cas de baisse visuelle, le DPAR témoigne d'une atteinte unilatérale ou asymétrique de la voie visuelle antérieure homolatérale, le plus souvent une neuropathie optique si le fond d'œil et l'OCT rétinien sont normaux. Mais il s'observe également dans une atteinte rétinienne étendue unilatérale ou asymétrique : occlusion de l'artère centrale de la rétine reperfusée, occlusion de la veine centrale de la rétine étendue de forme ischémique, etc. Il peut se voir aussi dans une atteinte du tractus optique (ex-bandelette optique) controlatéral: il est alors discret et traduit l'asymétrie entre l'hémichamps visuels, temporal d'un œil et nasal de l'autre. Enfin, il peut se voir alors que la fonction visuelle est normale, ce qui localise à une atteinte du tectum mésencéphalique.
Examen de la contraction pupillaire lors de l'accommodation-convergence. Surtout utile si le RPM est diminué, cette étape recherche une dissociation entre la contraction à la lumière et celle à la convergence, ce qui permet d'orienter vers des étiologies particulières : pupille d'Adie, neurosyphilis, etc. Cela peut se faire en pleine lumière puisque le RPM est aboli ; on demande au patient un effort de fixation prolongé (plusieurs dizaines de secondes): il pourra ainsi placer son pouce au loin, le fixer, puis le rapprocher au fur et à mesure de lui (fig. 1-34
Fig. 1-34
Recherche d'un myosis à l'accommodation-convergence.Elle est effectuée en ambiance lumineuse ou intermédiaire, principalement en cas de mauvais réflexe photomoteur. On demande d'abord au patient de regarder son pouce placé au loin(a), puis de le regarder de manière prolongée, tout en le rapprochant au fur et à mesure de lui(b).
). La meilleure contraction à l'accommodation-convergence est une réponse tonique: la redilatation à l'arrêt de l'effort d'accommodation-converge sera également plus lente.
Enfin, l' iris sera examiné en lampe à fente en éclairage direct et en rétro-illumination à la recherche d'une cause mécanique de l'anomalie pupillaire (fig. 1-35
Fig. 1-35
L'examen de l'iris à la lampe à fente complète l'examen des pupilles.Il peut retrouver des anomalies congénitales de l'iris, comme ici une aniridie(a) et un colobome inférieur avec cataracte congénitale(b), ou des anomalies acquise, comme une atrophie irienne dans le cadre d'une dispersion pigmentaire(c) ou d'une uvéite de Fuchs(d).
).
En cas d'anisocorie, on peut évaluer son ancienneté par l'étude de photographies que le patient peut avoir sur lui : permis de conduire, carte d'identité, passeport, smartphone, etc. Les photographies papier peuvent être examinées en lampe a fente, en utilisant un verre d'essai de +30dp ou une grosse loupe pour mieux voir les pupilles (fig. 1-36
Fig. 1-36
Examen de photographies anciennes.Il s'effectue en lampe à fente pour une photographie papier(a) ou avec un fort grossissement pour une photographie électronique(b). Cette technique permet de dater l'ancienneté de l'anisocorie, en particulier en cas de suspicion d'anisocorie physiologique comme c'est le cas enb: la pupille gauche est plus petite que la droite.
). Enfin, des tests aux collyres pourront être nécessaires et sont détaillés dans la fiche n°31 et chapitre 22. Il faut alors que l'épithélium cornéen soit intact et ne pas toucher aux cornées sous peine de fausser les tests: pas de lentille de contact, pas de pression intraoculaire à l'aplanation, pas de verre contact pour l'examen du fond d'œil, pas de test de la sensibilité cornéenne, etc.
Examen neurologique et des autres paires crâniennes
Même s'il n'est pas neurologue, l'ophtalmologiste doit savoir faire un examen neurologique minimal et examiner les nerfs crâniens (NC) de manière rapide et au cabinet (voir fiche n°6 ). Le but est de localiser la lésion et de détecter une atteinte neurologique centrale ou périphérique.
Il doit être systématique et peut commencer par les paires crâniennes dans leur ordre de numérotation. Au cabinet, l'atteinte des NC I (nerfs olfactifs) est surtout dépistée par l'interrogatoire à la recherche d'un trouble de l'olfaction: perte de l'olfaction (anosmie) ou perception de mauvaises odeurs (cacosmie). Le NCII (nerf optique) est testé lors de la mesure de l'acuité visuelle, du champ visuel, la recherche d'un DPAR et l'examen de la papille au fond d'œil et en OCT. Les NCIII (nerf oculomoteur), IV (nerf trochléaire), VI (nerf abducens) sont testés lors de l'examen oculomoteur, des paupières et des pupilles. Le NCV (nerf trijumeau) se teste par l'étude de la sensibilité cutanée de la face en effleurant des deux côtés à la fois du bout du doigt ou avec un mouchoir, dans ses trois dermatomes: le front (V1 branche ophtalmique) ; la partie supérieure de la joue (V2 branche maxillaire) ; la mandibule (V3 branche mandibulaire). De plus, le V1 peut se tester à l'aide du réflexe cornéen. L'hypoesthésie cornéenne associée à un trouble oculomoteur homolatéral localise la lésion au sinus caverneux ou à la loge hypophysaire ; associée à un trouble visuel, l'anomalie se situe à l'apex orbitaire ou à la loge hypophysaire. Il faut rappeler que V2 n'est présent qu'à la partie postérieure du sinus caverneux et que la branche V3 n'y chemine pas, ce qui peut apporter des indices de localisation plus précis. Le NCVII (nerf facial) se teste en recherchant une malocclusion palpébrale et une asymétrie faciale, en particulier quand le patient gonfle les joues, sourit ou grimace. Il doit être exploré en cas de suspicion de paralysie du NCVI, car son association localise l'atteinte au tronc cérébral. En effet, le fascicule du NCVII contourne le noyau du NCVI et il s'agit alors d'une paralysie de la latéralité du regard par atteinte du noyau du NCVI. Les NCVIII se testent en frottant les doigts de façon à émettre un léger son devant chaque oreille. La fonction vestibulaire se teste par l'épreuve de Romberg: le patient doit tenir l'équilibre debout les pieds serrés, les index pointés devant lui, d'abord les yeux ouverts, puis les yeux fermés. Les NCIX etX se testent en faisant dire au patient « Aaaah… » bouche ouverte et en recherchant une contraction asymétrique du voile du palais. On peut également retrouver des contractions rythmiques du voile du palais lors du tremor oculopalatin. Le NCXI se teste en recherchant un déficit du muscle trapèze lorsque le patient hausse les épaules contre résistance. Enfin, l'atteinte du NCXII se manifeste par une déviation latérale de la langue tirée en avant.
La recherche d'un déficit neurologique central commence par la recherche d'une hémiparésie : au membre supérieur, par la manœuvre de Barré, le patient tend les bras à l'horizontale devant lui, poignet en extension, doigts écartés et les yeux fermés pendant 10 secondes ; aux membres inférieurs, le patient dans le fauteuil d'examen, on lui demande de relever les jambes, de fléchir et d'étendre les pieds contre résistance ; on peut aussi demander au patient de se mettre debout d'abord sur la pointe des pieds puis sur les talons. Au cabinet ophtalmologique, l'hémi-hypoesthésie se recherche à l'interrogatoire et en testant la sensibilité cutanée tactile (au doigt) ou épicritique (avec un mouchoir) sur les avant-bras et le bas de jambes qui peuvent être facilement découverts. L'examen des réflexes ostéotendineux nécessite dans l'idéal un marteau réflexe. On peut néanmoins les tester facilement avec les doigts, en particulier au niveau rotulien. Ils seront vifs dans les atteintes centrales, faibles ou abolis dans les atteintes périphériques et dans le syndrome d'Adie. Le réflexe cutanéoplantaire est plus rarement vérifié dans le cadre d'une consultation neuro-ophtalmologique. Il nécessite de mettre le patient pieds nus et de rechercher un réflexe en extension (signe de Babinski) dans le cadre d'une atteinte du faisceau pyramidal du système nerveux central.
Globalement, une atteinte neuro-ophtalmologique aiguë associée à une atteinte d'autres nerfs crâniens et/ou d'autres signes neurologiques nécessite une prise en charge urgente en milieu neurologique : AVC, syndrome méningé, myasthénie avec atteinte bulbaire ou généralisation, etc.
Examen du segment antérieur
Cet examen doit être complet et systématique : bord libre des paupières et marge ciliaire, conjonctive et film lacrymal, sclère et cornée ; chambre antérieure ; iris et pupille ; face antérieure du cristallin. L'examen du segment antérieur, particulièrement du film lacrymal et de l'épithélium cornéen, est important dans le bilan des troubles visuels transitoires et des douleurs oculaires.
La pression intraoculaire doit être mesurée à l'aplanation et interprétée en fonction de la pachymétrie cornéenne centrale en cas de neuropathie optique ; sinon une mesure à l'air peut être suffisante. La gonioscopie est réalisée en cas de trouble visuel transitoire surtout s'il y a des halos lumineux, en cas de douleurs oculaires épisodiques et en cas de neuropathie optique, surtout si elle est excavée, à la recherche d'un angle étroit.
Enfin, des atteintes oculaires de pathologies spécifiques (fig. 1-37
Fig. 1-37
Exemple d'anomalies du segment antérieur qui ont un intérêt en neuro-ophtalmologie: examen en lampe à fente.a.Dilatation et tortuosité en tire-bouchon des vaisseaux épiscléraux dans une fistule durale. b.Embryotoxon postérieur qui peut se voir dans les mutations du gène COL4A1 responsable d'angiopathie cérébrorétinienne. c.Cornée verticillée dans la maladie de Fabry. d.Cataracte postérieure polychrome en arbre de Noël dans la dystrophie myotonique de type1 (maladie de Steinert).
Source de la fig.c: S. Doan.
) peuvent être recherchées : dilatation en tête de méduse des vaisseaux épiscléraux dans une fistule durale, cornée verticillée dans la maladie de Fabry, embryotoxon postérieur des mutations du gène COL4A1 impliquées dans les maladies des petites artères cérébrales et rétiniennes, télangiectasies des vaisseaux conjonctivaux dans l'ataxie-télangiectasie, anneau de Kayser-Fleischer de la maladie de Wilson, dépôts cornéens et cristalliniens des maladies de surcharge, etc.
Examen du segment postérieur
L'examen du segment postérieur est réalisé de manière toujours bilatérale et après dilatation pupillaire sauf en cas de problème pupillaire nécessitant un test aux collyres. Dans le suivi d'un trouble oculomoteur et si le pôle postérieur et la moyenne périphérie rétinienne sont visibles, la dilatation n'est pas nécessaire. Si l'examen est fait au lit du patient ou si le patient ne peut être installé en lampe à fente, l'examen sera fait à l'ophtalmoscope binoculaire indirect de Schepens ou l'ophtalmoscope direct (fig. 1-38
Fig. 1-38
Examen du fond d'œil à l'ophtalmoscope.a.Ophtalmoscope binoculaire indirect de Schepens donnant un grand champ de vision stéréoscopique mais avec un faible grandissement. b.Ophtalmoscope direct donnant un grandissement important pour voir les détails mais avec un champ de vision étroit et sans vision du relief.
). Le premier donne un grand champ de vision, idéal pour voir facilement le pôle postérieur et la périphérie rétinienne en vision binoculaire. Le second permet un grandissement plus important pour examiner plus finement la papille et la macula, mais avec un champ de vision étroit et sans vision du relief.
En cas de baisse visuelle inexpliquée, il faut éliminer une cataracte sous-capsulaire non vue avant dilatation, une atteinte vitréorétinienne, maculaire ou plus périphérique de la rétine. Idéalement dans ce cas, le fond d'œil est réalisé après avoir obtenu le champ visuel recherchant une anomalie dans la zone de la rétine correspondant au déficit campimétrique.
L'examen en lampe à fente du relief de la papille est facilité par la dilatation pupillaire et l'utilisation d'une fente lumineuse étroite et oblique, en particulier pour évaluer la taille de la papille et celle de l'excavation (fig. 1-39
Fig. 1-39
Examen du relief de la papille.De face et en fente large sans dilatation, cette papille apparaît surtout pâle comme sur cette rétinophotographie(a), mais examinée avec une fente fine et oblique, une excavation en pente douce(ligne jaune: b) est alors visible prédominant en inférieur et avec un rapport cup/disc (C/D) évalué à0,7 dans le cadre d'un glaucome à pression normale.
). De face et en fente large, on évalue surtout la forme de la papille, la pâleur de l'anneau neurorétinien parfois confondue avec la blancheur de la lame criblée. On recherche une malformation (dysversion, colobome, morning glory syndrome ) et/ou des éléments anormaux (fibres à myéline, drusen papillaires, hémorragies du bord neurorétinien ou péripapillaire, atrophie péripapillaire, foyer infectieux, tumeur, etc. ; voir fiche n°5 ). En cas d'œdème papillaire, il faut évaluer son importance à l'aide de l'échelle de Frisen (voir Chapitre 5).
En cas d'AVC ou de trouble visuel transitoire, il faut particulièrement examiner les vaisseaux rétiniens : calibre, trajet, tortuosité anormale, reflet cuivré, rétrécissement localisé ou généralisé, signe du croisement artérioveineux, etc. Il faut aussi recherche des emboles, des nodules cotonneux, des zones d'ischémie rétinienne, des hémorragies rétiniennes et des signes d'inflammation (vascularites en particulier).
Examens paracliniques faisant partie du bilan neuro-ophtalmologique
Si ces examens ne sont pas cliniques à proprement parler, ils sont le prolongement du CV par confrontation, du fond d'œil et de l'examen oculomoteur. Ils font partie intégrante de la consultation neuro-ophtalmologique et doivent toujours être interprétés en fonction du contexte clinique.
Champ visuel
Un champ visuel automatisé (CVA) des 24 à 32° centraux est le standard : il permet de tester le fonctionnement de 70% des axones du nerf optique et 80% de la surface du cortex visuel. Il peut être complété par un CVA des 10–12° centraux et une grille d'Amsler si le déficit visuel est très central: les 10° centraux du CV testent 50 à 60% de la surface corticale de l'aire visuelle primaire. Le champ visuel de Goldmann (CVG) complétera le CVA 24–32° si le déficit visuel est localisé très en périphérie par le patient. Quelle que soit la technique, le CV peut se faire après dilatation pupillaire, il suffit de corriger la cycloplégie.
Le choix du type de périmétrie est à adapter au cas par cas et, en particulier, au patient. Chez un patient très âgé et/ou affaibli et/ou dégradé cognitivement, le CVG est préféré d'emblée et donnera probablement de meilleurs résultats. Chez l'enfant, le CVG est également préférable et de nouvelles techniques par attraction du regard sont aussi possibles chez le très jeune enfant. Enfin, le CVG binoculaire sera utilisé pour les problèmes d'aptitude à la conduite, les demandes d'aides sociales et les expertises.
Il faut se rappeler que le CV est un examen subjectif et qu'il est possible de simuler facilement (en CVG comme en CVA) des déficits altitudinaux, hémianopique ou quadranopique, et des déficits centraux avec de bons indices de fiabilité. En cas de suspicion de baisse visuelle fonctionnelle, le champ visuel de Goldmann sera préféré et l'orthoptiste qui le réalise doit être prévenu à l'avance pour essayer de mettre en évidence la non-organicité de l'atteinte.
Lors de la première consultation, l'interprétation du CV en neuro-ophtalmologie consiste essentiellement à localiser l'atteinte le long de la voie visuelle (voir chapitre 3 et fiche n°9) ou à confirmer sa normalité. Le CV sera aussi indispensable au suivi du patient et les CVA fournissent alors des données chiffrées plus faciles à comparer dans le temps. Toutefois, les fluctuations test-retest sont importantes même en périmétrie automatisée, et les CVA doivent toujours être interprétés en fonction du contexte et, si besoin, répétés. Les logiciels d'aide d'analyse de progression du CVA dans le glaucome peuvent être utilisés en neuro-ophtalmologie si l'on connaît bien leur fonctionnement et leurs limites. Par exemple, ils sont conçus pour détecter des aggravations progressives souvent linéaires, le cas habituel du glaucome, mais ils n'intègrent pas la possibilité qu'une neuropathie optique puisse récupérer comme la névrite optique ou puisse apparaître brutalement avant de se stabiliser. De plus, l'analyse en GPA ( glaucoma progression analysis ) des CVA Humphrey® (Zeiss) considère que le déficit diffus est lié à la cataracte plus qu'au glaucome et va le gommer dans le visual field index (VFI). Si le glaucome s'aggrave rarement sous la forme d'un déficit diffus, c'est parfois le cas dans les autres neuropathies optiques non glaucomateuses. Il faudra ainsi vérifier à la fois l'évolution dans le temps du VFI et de la MD ( mean deviation ), et toujours examiner le relevé individuel.
Imagerie rétinienne
Les rétinographies non mydriatiques (RNM) standard sont surtout utiles pour documenter l'aspect de la papille et du pôle postérieur de l'œil et faciliter le suivi. Toutefois, il est souvent plus aisé de déceler sur une RNM de fines anomalies, comme une hémorragie du bord neurorétinien, un rétrécissement artériel localisé ou un embole, surtout si le patient est peu coopérant.
D'une manière générale, les autres modalités d'imagerie de la rétine sont très utiles pour détecter une anomalie rétinienne non vue au fond d'œil et simulant une atteinte neuro-ophtalmologique. Ce sont les rétinophotographies grand champ, les clichés en infrarouge, les clichés en autofluorescence, l'OCT, l'OCT-angiographie et l'angiographie. Leur interprétation doit se faire après avoir obtenu le champ visuel : la localisation du déficit campimétrique doit guider la zone rétinienne à analyser (fig. 1-40
Fig. 1-40
Exemple de l'analyse de l'imagerie rétinienne guidée par le champ visuel.Patiente portant le diagnostic de névrite optique gauche devant une gêne visuelle douloureuse. L'IRM orbitaire et encéphalique est normale ainsi que le bilan biologique. Le champ visuel(a) montre un déficit inférieur très périphérique. Il guide l'interprétation de l'OCT maculaire(b): il faut vérifier la coupe verticale et dans sa partie supérieure vers les arcades vasculaires plutôt que la coupe horizontale qui ne passe pas par le déficit campimétrique. Cette coupe verticale retrouve bien une perte des lignes de la rétine externe (flèche rouge) dans la partie de la rétine qui correspond au déficit campimétrique. Le fond d'œil (c, imagerie rétinienne grand champ en fausses couleurs) ne montre pas de franche anomalie, mais le cliché en autofluorescence grand champ(d) confirme l'atteinte de la rétine externe le long de l'arcade temporale supérieure.
). Ainsi, l'impression papier d'une ou de quelques coupes d'OCT de la rétine peut passer à côté de l'atteinte rétinienne et faussement orienter vers une neuropathie optique. Il faut que le clinicien ait accès aux données brutes via un viewer pour parcourir les coupes OCT d'intérêt, vérifier la qualité de l'acquisition et de la segmentation des couches rétiniennes. Même avec une qualité optimale, des artefacts sont toujours possibles.
L'OCT complète l'évaluation de la papille au fond d'œil par l'analyse de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires ( peripapillary retinal nerve fiber layer [pRNFL]), l'analyse topographie de la papille (scan papillaire), l'analyse du complexe cellulaire ganglionnaire maculaire ( ganglion cell complex [GCC]) et de ses différentes couches (voir fiche n°10 ).
L'OCT permet de quantifier la perte axonale du nerf optique par un amincissement de la pRNFL. Il faut garder à l'esprit que dans une atteinte aiguë, cet amincissement apparaît de manière retardée, après 3 à 6 mois en général. Un OCT pRNFL normal à la phase aiguë d'une baisse visuelle n'élimine donc pas une neuropathie optique. En revanche, sa normalité 6 à 12 mois après la baisse visuelle importante est un argument contre une neuropathie optique, surtout si la pRNFL est symétrique par rapport à l'autre œil normal.
Les protocoles papillaires sont surtout utiles pour analyser la forme et la topographie de la papille : analyse automatisée de l'excavation papillaire et/ou de l'épaisseur du bord neurorétinien. Ils peuvent être acquis en mode EDI ( enhanced depth imaging ) pour détecter et suivre les drusen papillaires.
L'analyse du GCC maculaire permet d'étudier le soma des cellules ganglionnaires ( ganglion cell layer [GCL]), leurs réseaux dendritiques ( internal plexiform layer [IPL]) et le début de leurs axones (RNFL maculaire). Son amincissement après une neuropathie optique aiguë sera plus précoce que l'amincissement du pRNFL, entre 1 et 3 mois. Sa normalité 3 à 6 mois après une baisse visuelle importante est un argument contre une neuropathie optique. La systématisation de la voie visuelle est identifiable sur l'atteinte du GCC, alors qu'elle l'est plus difficilement sur le pRNFL. L'analyse du GCC n'est plus possible en cas de maculopathie et/ou de membrane épirétinienne.
En cas d'œdème papillaire (OP), l'analyse de la pNRFL est moins pertinente que celle du GCC et la segmentation de la pRNFL souvent faussée par l'œdème. De plus, l'OP masque la perte en fibres nerveuses rétiniennes et sera faussement rassurant, raison pour laquelle la surveillance d'un OP se fait surtout par l'analyse du CV et du GCC. Par ailleurs, la diminution de l'épaisseur de la pRNFL peut être en rapport avec :
  • une amélioration de l'OP, avec CV et GCC restant normaux ou stables ;
  • l'évolution vers une atrophie optique, où CV et GCC s'aggravent.
Un œdème rétinien ou une membrane épirétienne dans le cercle d'analyse de la pRNFL peuvent aussi masquer la perte en fibres nerveuses rétiniennes.
Bilan orthoptique
En cas de problème oculomoteur, le bilan orthoptique vient compléter l'examen fait par l'ophtalmologiste. Comme sensorialité et motricité sont liées, il comprend une mesure de l'acuité visuelle et la réfraction subjective en monoculaire et binoculaire, de loin et de près. Il étudie la correspondance rétinienne, anormale ou normale, et la vision stéréoscopique. Il évalue les différents types de mouvements oculaires, mesure les déviations oculaires et trace le schéma coordimétrique (voir fiche n°13 ). Il permet ainsi de localiser le ou les muscles extra-oculaires déficitaires quand la limitation n'est pas évidente. À l'inverse, il peut trouver des arguments pour une déviation oculaire non paralytique. Le bilan orthoptique permet de proposer des solutions optiques au traitement de la diplopie et facilite le suivi par la mesure des déviations oculaires. Ce suivi est souvent réalisé en binôme avec l'ophtalmologiste, permettant une prise en charge globale du patient.
En outre, dans le cadre de la coopération entre professionnels de santé, l'orthoptiste peut avoir un rôle plus large d'aide à la consultation neuro-ophtalmologique d'autant plus que c'est lui qui réalise aussi les examens complémentaires : CV, OCT, imagerie rétinienne, test de la vision colorée, etc.
Fin de la consultation
La neuro-ophtalmologie ne consiste pas à faire l'examen oculaire et à obtenir les examens complémentaires ophtalmologiques avant d'adresser le patient avec ses résultats au neurologue ou au neurochirurgien qui ne connaissent pas forcément les finesses de l'interprétation du champ visuel ou de l'OCT. C'est le rôle de l'ophtalmologiste de faire l'interprétation synthétique de tout le bilan neuro-ophtalmologiquede manière compréhensible pour le neurologue ou les autres médecins impliqués dans la prise en charge du patient. Cette synthèse clinique consiste à localiser la lésion et évoquer un ou plusieurs mécanismes possibles.
Synthèse clinique : localisation, mécanisme possible
La localisation de la lésionest d'autant plus facile et précise que des signes déficitaires ont été trouvés grâce à un examen neuro-ophtalmologique complet ; elle nécessite également de connaître l'anatomie des voies visuelles, oculomotrices et pupillaires. Ainsi en cas de baisse visuelle, le bilan (en particulier le champ visuel) permet de détecter une atteinte chiasmatique ou rétrochiasmatique. Si l'atteinte est située en avant du chiasma, l'examen oculaire élimine une cause optique ou rétinienne et localise au nerf optique. En cas de diplopie, le bilan neuro-opthalmologique permet de connaître le ou les groupes musculaires déficitaires. Par exemple, un déficit isolé de l'abduction de l'œil droit n'est pas très localisateur : muscle droit latéral droit, jonction neuromusculaire, NCVI droit, fascicule du VI droit. En revanche, son association à un syndrome de Claude Bernard-Horner homolatéral localise au sinus caverneux droit ou à une atteinte du fascicule dans le tronc cérébral. L'atteinte de l'abduction de l'œil droit associée à une parésie de l'adduction de l'œil gauche et à une parésie de l'hémiface droite localise d'emblée au noyau du NCVI droit dans le pont du tronc cérébral. En cas d'anisocorie, le bilan neuro-ophtalmologique permet de connaître la pupille pathologique et s'il s'agit d'une atteinte de la voie parasympathique ou sympathique. La description sémiologique fine d'un mouvement oculaire anormal permet d'évoquer une localisation périphérique ou plutôt centrale.
Une fois la lésion localisée au mieux, on peut évoquer un ou plusieurs mécanismes en fonction du mode évolutif, des antécédents et des signes associés. Reprenons l'exemple d'un déficit du muscle droit latéral droit responsable d'une diplopie brutale. Chez une femme jeune sans antécédents, on évoquera par ordre de fréquence une atteinte inflammatoire du fascicule du VI droit. S'il s'agit d'un patient diabétique et hypertendu de 50 ans, il s'agira plutôt d'une atteinte ischémique microvasculaire du NCVI. S'il présente un antécédent de néoplasie, un mécanisme compressif devra être éliminé d'emblée par une imagerie adaptée. Comme pour la localisation de la lésion, la suspicion d'un ou de plusieurs mécanismes pathologiques est facilitée par l'examen neuro-ophtalmologique complet qui aura détaillé le terrain, les antécédents du patient et le mode évolutif. Ainsi, une baisse visuelle à fond d'œil normal a de très nombreuses causes qui vont d'un trouble des milieux jusqu'à un AVC. Mais une neuropathie optique gauche, lentement progressive sur plusieurs mois, avec aggravation récente chez une femme enceinte fait évoquer et doit faire éliminer un seul mécanisme: la compression du nerf optique gauche par un méningiome ou un adénome hypophysaire.
Examens complémentaires permettant le diagnostic étiologique
Les examens complémentaires permettent de confirmer la localisation de la lésion et surtout de rechercher et de déterminer son étiologie en fonction des mécanismes évoqués. L'objectif de ce bilan consiste tout autant à retrouver des éléments en faveur d'une étiologie qu'à en éliminer d'autres.
Il faut commencer par confronter les hypothèses aux examens déjà réalisés par le patient s'il y en a, en particulier l'imagerie. Idéalement, l'ophtalmologiste devrait être capable de relire une imagerie par résonance magnétique (IRM) orbitaire et encéphalique pour vérifier son hypothèse (voir chapitre 2 ). A minima, il doit pouvoir vérifier que la qualité de cet examen permet de confirmer ou d'infirmer son ou ses hypothèses : le motif de la demande d'imagerie était-il le bon ? La ou les régions anatomiques d'intérêts sont-elles imagées, et avec les bonnes séquences ? Le compte rendu décrit-il spécifiquement la ou les structures anatomiques d'intérêts ? En cas de doute et si cela est possible, il peut revoir l'IRM avec un collègue neuroradiologue: ces rencontres sont enrichissantes pour le clinicien comme pour le radiologue et elles doivent être privilégiées dans les cas douteux et/ou difficiles.
Si une imagerie doit être demandée ou refaite, la demande doit préciser la localisation et si possible le ou les mécanismes pour permettre au radiologue d'adapter les protocoles et les séquences d'imagerie : plus la demande est précise, plus la réponse le sera également. C'est aussi la force de la confrontation radio-clinique: c'est parce que le résultat d'une imagerie se fonde sur une hypothèse clinique forte qu'il sera accepté comme lésion causale et non comme un «incidentalome ». Si, lors du bilan d'une baisse d'acuité visuelle à fond d'œil normal, l'imagerie découvre un méningiome en regard de l'aire visuelle primaire, il est impossible de dire si ce méningiome est la lésion responsable ou s'il agit d'un incidentalome. Si, en revanche, le bilan neuro-ophtalmologique découvre une HLH droite incomplète et parfaitement congruente qui localise au cortex visuel primaire gauche et que l'imagerie découvre un méningiome en regard du cortex visuel primaire gauche, alors cette lésion est la lésion responsable.
Enfin, si le mécanisme suspecté nécessite une imagerie en urgence, le patient doit être référé dans la structure la plus à même de le prendre en charge. Ainsi, devant une suspicion de compression du nerf oculomoteur (III) d'origine anévrismale ou d'un trouble visuel transitoire évoquant un accident ischémique transitoire (AIT) rétinien, l'urgence n'est pas de confirmer la suspicion clinique forte par une imagerie chez un collègue radiologue libéral ou d'essayer d'avoir un avis spécialisé neuro-ophtalmologique rapide, mais d'adresser le patient dans une structure adaptée à la prise en charge de l'anévrisme ou de la pathologie carotidienne emboligène ; c'est souvent une unité neurovasculaire avec accès à un plateau de neuroradiologie interventionnelle pour toutes les pathologies vasculaires, ou un service d'urgence avec accès à l'imagerie, à la neurologie et à la neurochirurgie pour les neuropathies optiques et les œdèmes papillaires bilatéraux. Idéalement, l'ophtalmologiste s'est déjà renseigné sur ces structures, leurs modes d'accès et le numéro de contact téléphonique direct avant d'être confronté à une telle situation. À chaque fois, il faut informer la structure par téléphone de l'arrivée d'un patient, de la raison d'un adressage en urgence afin de faciliter et optimiser le parcours du patient. Il faut également joindre un compte rendu rapide mais reprenant l'essentiel de l'examen neuro-ophtalmologique.
Réponse orale au patient
La réponse orale au patient est indispensable même si la pathologie n'est pas ophtalmologique. Il faut aborder avec le patient les deux aspects de tout problème médical : celui du diagnostic ; celui du traitement et de l'évolution. Dans le cadre de la neuro-ophtalmologie, la coordination des discours des uns et des autres est difficile et nécessite que les acteurs échangent en amont et se répartissent les rôles en évitant les contradictions qui seront sources de stress et d'angoisse chez les patients. Schématiquement, deux grandes situations sont possibles.
Dans le cas d'une pathologie non ophtalmologique, le diagnostic n'est en général ni fait ni annoncé par l'ophtalmologiste qui doit rester prudent dans son dialogue avec le patient et expliquer son rôle parmi l'ensemble des acteurs. Il faut souvent expliquer au patient que l'examen neuro-ophtalmologique permet essentiellement de localiser l'atteinte, mais que la cause sera confirmée par les examens complémentaires. Il faut décrire au patient ce qui a été retrouvé à l'examen, l'état de sa vision et de ses yeux. Comme le traitement et le pronostic dépendent de l'étiologie, il faudra rester prudent sur ces aspects en rassurant le patient sur le fait que sa vision et ses yeux seront également surveillés selon les besoins.
À l'inverse, en cas de pathologie ophtalmologique ou à expression essentiellement ophtalmologique, c'est souvent l'ophtalmologiste qui joue le rôle de chef d'orchestre, portant et annonçant le diagnostic à l'issue du bilan, et proposant une conduite thérapeutique et un suivi. Quand il a besoin de l'intervention d'un confrère d'une autre spécialité, il faut alors expliquer au patient pourquoi et ce qu'il recherche ; il est toujours rassurant pour le malade de savoir qu'il sera revu par l'ophtalmologiste à l'issue ou en parallèle de cette prise en charge.
Compte rendu
Le compte rendu doit mentionner tous les éléments de l'examen neuro-ophtalmologique, étape par étape. Les logiciels de consultation en ophtalmologie permettent d'imprimer directement l'observation médicale faite dans un dossier patient électronique, afin de faire circuler très facilement l'information parmi les acteurs. En plus d'y noter les symptômes et/ou signes retrouvés, il est très utile pour les autres praticiens d'y indiquer également ce qui a été spécifiquement recherché mais non retrouvé à l'examen : par exemple, pas de DPAR, pas d'anisocorie, pas d'œdème papillaire. Enfin, il faut se méfier des abréviations qui n'ont pas les mêmes significations d'une spécialité à l'autre: BAV (baisse d'acuité visuelle pour l'ophtalmologiste, mais bloc auriculoventriculaire en médecine), HIV (hémorragie intravitréenne pour l'ophtalmologiste, mais ailleurs human immunodeficiency virus ), etc. Il faudra également fournir un double des examens ophtalmologiques, en particulier CV et OCT, aux autres acteurs.
Suivi
Lorsqu'un diagnostic précis a pu être posé, le suivi permet de s'assurer que l'évolution est conforme soit aux bénéfices attendus du traitement, soit à l'histoire naturelle de la maladie s'il n'y a pas de traitement. L'examen clinique peut alors se focaliser sur les étapes pertinentes en fonction de la pathologie. En revanche, si l'évolution est atypique et/ou s'il apparaît de nouveaux symptômes, il faut savoir revenir à l'examen systématique, étape par étape. Il n'est pas toujours facile de savoir prendre cette distance, car il est plus aisé de minimiser une évolution un peu différente de celle attendue ou un nouveau symptôme, que de remettre en cause ses « certitudes » diagnostiques et de faire face à une possible erreur.
S'il n'y a pas de diagnostic étiologique précis et si l'histoire est récente, il faut continuer à procéder à l'examen neuro-ophtalmologique clinique complet et systématique. Cet examen permet de vérifier la stabilisation de la pathologie et l'absence de nouveaux symptômes et/ou signes cliniques. Si ce n'est pas le cas, il faut savoir refaire le bilan même s'il était négatif initialement et chaque nouvel élément clinique est peut-être celui qui permettra d'aboutir à un diagnostic étiologique précis.