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Chapitre 9
Pathologie vasculaire

V. Biousse

  • Les accidents vasculaires cérébraux sont souvent associés à des signes neuro-ophtalmologiques.
  • Les occlusions de l'artère centrale de la rétine ou de ses branches sont des urgences qui doivent être évaluées immédiatement dans des unités neurovasculaires.
  • Un syndrome de Claude Bernard-Horner aigu douloureux suggère une dissection de l'artère carotide interne et doit être évalué en urgence.
  • Les anévrismes intracrâniens non rompus se présentent souvent par une neuropathie optique ou une diplopie. Le diagnostic et le traitement précoces permettent la prévention d'une hémorragie méningée.
  • Un œil rouge chronique peut être le premier signe de fistule carotidocaverneuse.
  • Les thromboses veineuses cérébrales s'accompagnent souvent d'un œdème papillaire secondaire à l'hypertension intracrânienne.
Les pathologies vasculaires cérébrales se présentent souvent associées à des troubles visuels. En effet, l'orbite et le cerveau partagent la même vascularisation cérébrale antérieure (artères carotides internes) et la circulation postérieure (artères vertébrales et tronc basilaire) prend en charge la fosse postérieure et les lobes occipitaux [ 1–3 ].
Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont le plus souvent artériels ischémiques et environ 20 % sont hémorragiques. Les causes d'accidents artériels ischémiques cérébraux (AIC) sont multiples, mais la maladie athéromateuse est de loin la plus fréquente. L'ischémie artérielle cérébrale est secondaire soit à une embolie (d'artère à artère ou d'origine cardiaque), soit à un mécanisme hémodynamique (hypoperfusion en aval d'une sténose ou occlusion artérielle), voire plus rarement à une thrombose artérielle. Environ 20 % des AIC sont d'origine cardiaque. Les maladies des petites artères (lacunes, vascularites, etc.) peuvent également entraîner des troubles visuels. Les AVC hémorragiques incluent les hémorragies intraparenchymateuses, fréquemment à l'origine de troubles du champ visuel, et les hémorragies méningées (HM) qui sont souvent associées à des signes neuro-ophtalmologiques.
Système carotidien et troubles visuels
La pathologie de l'artère carotide interne est fréquemment responsable de symptômes et signes oculaires. Ils sont toujours monoculaires, homolatéraux à la lésion carotidienne.
Emboles rétiniens asymptomatiques
Des emboles rétiniens asymptomatiques sont présents chez 1 à 2% des personnes de plus de 60 ans[4]. Ce sont le plus souvent des emboles de cholestérol (plaque de Hollenhorst) qui ne produisent pas d'ischémie rétinienne. Ces emboles sont associés à un risque d'AVC annuel 10 fois supérieur à celui de la population de même âge, ainsi qu'à un risque élevé de cardiopathie ischémique et de décès de cause vasculaire. La découverte d'un embole rétinien asymptomatique doit donc conduire à la réalisation non urgente d'un bilan vasculaire général, incluant la recherche et le traitement de facteurs de risque vasculaire, tels qu'hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie et tabagisme, ainsi que la recherche d'une sténose carotidienne et d'une cardiopathie emboligène.
Troubles visuels monoculaires transitoires
Les troubles visuels monoculaires transitoires (TVMT) secondaires à un défaut de perfusion brutal et temporaire du globe oculaire entraînent une baisse visuelle strictement monoculaire et transitoire (voir chapitre 8 ). Le plus souvent, il s'agit d'une ischémie rétinienne (artère centrale de la rétine) ; plus rarement, l'ischémie concerne la totalité du globe oculaire (artère ophtalmique). Dans plus de la moitié des cas, elle est secondaire à une sténose athéromateuse de l'artère carotide interne, mais elle peut être due à de nombreuses autres affections de la carotide (dissection), de l'arc aortique (athérome) ou à une cardiopathie ou à une arythmie. Les épisodes de TVMT sont soit isolés, soit s'accompagnent d'un AIC dans le territoire carotidien avec hémiplégie controlatérale et parfois aphasie. La présence de douleurs doit notamment faire évoquer le diagnostic de dissection de la carotide interne homolatérale, particulièrement s'il existe un signe de Claude Bernard-Horner du même côté. La maladie de Horton doit être évoquée chez les patients de plus de 50 ans. Dans tous les cas, un examen ophtalmologique doit éliminer la présence d'affections non vasculaires à l'origine de TVMT (voir)[2,3, 5–7 ].
Pronostic
Le risque de complications vasculaires chez les patients ayant eu un TVMT vasculaire est fonction de l'étiologie. L'un des risques majeurs est la survenue d'une baisse visuelle irréversible par occlusion de l'artère centrale de la rétine ou de ses branches. Les patients ayant une lésion carotidienne ou une cardiopathie emboligène ont en outre un risque élevé d'AIC et un taux de mortalité vasculaire également important. Ce risque est d'autant plus élevé qu'il existe un infarctus cérébral (souvent asymptomatique) sur l'imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale réalisée dans les jours suivant la baisse visuelle. Jusqu'à 18 % des patients ayant un AIT rétinien ont une IRM anormale. En raison du risque élevé de survenue d'un infarctus rétinien ou cérébral après un AIT rétinien, il est essentiel de prendre en charge ces patients comme le sont ceux qui présentent un AIT cérébral [5].
Traitement
Le traitement des TVMT vasculaires est fonction de leur mécanisme et de leur étiologie : un traitement associant un antiplaquettaire et une statine est systématique dans les AIT rétiniens. Une endartériectomie carotidienne est souvent justifiée si une sténose carotidienne de plus de 70 % est présente. Les TVMT secondaires à une dissection carotidienne nécessitent le plus souvent un traitement anticoagulant pendant plusieurs mois. Il en est de même pour les TVMT d'origine cardiaque, dont le traitement est avant tout celui de la cardiopathie sous-jacente. Les TVMT survenant chez un sujet jeune dont le bilan étiologique est négatif sont souvent traités par des agents antiplaquettaires. Les inhibiteurs calciques sont parfois efficaces lorsque le mécanisme présumé est un spasme artériel [8].
Rétinopathie de stase veineuse et syndrome d'ischémie oculaire
La rétinopathie de stase veineuse survient chez des patients ayant une sténose ou occlusion carotidiennes ainsi qu'une mauvaise circulation collatérale, produisant une ischémie chronique du globe oculaire. Elle associe une baisse d'acuité visuelle insidieuse à une dilatation des veines rétiniennes, des microanévrismes en moyenne périphérie et des hémorragies rétiniennes. Les patients ont souvent des TVMT hémodynamiques provoqués par les changements de position, les lumières vives, l'exercice ou les repas. En l'absence de revascularisation du globe oculaire, le syndrome d'ischémie oculaire apparaît progressivement avec un œdème cornéen, une rubéose irienne, une cataracte, une hypertonie (glaucome néovasculaire) ou une hypotonie (ischémie ciliaire), associés à la rétinopathie de stase veineuse. Le pronostic visuel est mauvais et les patients ont un risque élevé d'AVC, d'infarctus du myocarde et de décès de cause vasculaire. Le traitement est avant tout symptomatique et la panphotocoagulation rétinienne et/ou des injections intravitréennes d' anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF), comme cela est proposé dans la rétinopathie diabétique proliférative, sont souvent proposées pour prévenir le développement de néovaisseaux. Une revascularisation du globe oculaire est possible lorsque la carotide homolatérale n'est pas occluse. Néanmoins, il est rare que le pronostic visuel s'améliore à ce stade de complications [9].
Occlusion de l'artère centrale de la rétine
L'occlusion de l'artère centrale de la rétine (OACR) ou de branche de l'artère centrale de la rétine (OBACR) est une complication classique des sténoses et occlusions carotidiennes, quelle qu'en soit la cause (fig. 9-1
Fig. 9-1
Occlusion aiguë de l'artère centrale de la rétine de l'œil gauche avec épargne ciliorétinienne vue 13heures après la baisse visuelle.Le patient est immédiatement envoyé dans le service d'urgence avec unité neurovasculaire le plus proche. Durant l'évaluation, il présente une hémiplégie droite avec aphasie (15heures après la baisse visuelle). a. Rétinophotographie. b.L'IRM cérébrale réalisée immédiatement montre un infarctus cérébral homolatéral sylvien gauche. c.L'angio-IRM cérébrale met en évidence une occlusion de l'artère carotide interne gauche en rapport avec une dissection spontanée: artère carotide interne droite normale (flèche jaune) ; artère carotide interne gauche occluse (flèche rouge). Un traitement par fibrinolyse in situ est réalisé moins de 1heure après le déficit neurologique et le patient récupère totalement au plan neurologique. La baisse visuelle de l'œil gauche n'est pas améliorée (traitée 16heures après le début de la baisse visuelle).
). En dehors de rares causes oculaires et de la maladie de Horton qui est une cause classique d'OACR, l'évaluation et la prise en charge du patient sont identiques à celles d'un AIC de la circulation carotidienne (encadré 9-1
Encadré 9-1
Étiologies des occlusions de l'artère centrale de la rétine et de ses branches
  • Embolie dans l'artère centrale de la rétine ou ses branches :
    • sténose de l'artère carotide interne (athérome, dissection, etc.)
    • athérome de l'arc aortique
    • cardiopathie emboligène
    • injection de vasoconstricteur dans une branche de l'artère carotide externe (intervention dentaire ou maxillofaciale)
    • injection de produit utilisé à visée cosmétique dans une branche de l'artère carotide externe
  • Hypercoagulabilité sanguine (notamment syndrome des antiphospholipides)
  • Vascularite (notamment maladie de Horton)
  • Vasculopathie rétinienne (notamment syndrome de Susac)
  • Causes locales :
    • hypertonie oculaire sévère (chirurgie oculaire, injection intraoculaire, crise aiguë de glaucome par fermeture de l'angle)
    • compression oculaire prolongée (post-chirurgicale par exemple)
). Le fait de présenter une OACR augmente considérablement le risque de développer un AIC, notamment dans la première semaine suivant la baisse visuelle (voir fig. 9-1). Une prise en charge dans une unité neurovasculaire est nécessaire à la phase aiguë et plusieurs études ont souligné l'intérêt d'obtenir une IRM cérébrale avec séquences de diffusion même en l'absence de signes neurologiques. En effet, 75 % des patients avec une OACR aiguë et 30 % de ceux avec une OBACR aiguë ont au moins un infarctus cérébral aigu, souvent asymptomatique, sur l'IRM cérébrale réalisée dans les jours suivant la baisse visuelle. La présence d'ischémie cérébrale aiguë sur l'IRM chez un patient ayant une OACR aiguë augmente la probabilité de découvrir une source d'embolie majeure et justifie donc une évaluation urgente en milieu hospitalier afin de débuter un traitement adapté au bilan étiologique [5,10].
La baisse visuelle est le plus souvent sévère. Une amélioration spontanée survient chez environ 25 % des patients dans les jours suivant la baisse visuelle, mais moins de 10 % des patients récupèrent une fonction visuelle utile. Il n'y a pas de traitement réellement efficace dans les OACR ou OBACR bien que les fibrinolytiques intraveineux ou in situ dans l'artère ophtalmique soient parfois utilisés [10].
Neuropathie optique ischémique
Les neuropathies optiques ischémiques sont exceptionnellement la conséquence directe d'une sténose ou occlusion carotidienne. Ainsi, la réalisation systématique d'un échographie-Doppler carotidien au cours d'une neuropathie optique ischémique isolée n'est pas justifiée [11].
Syndrome de Claude Bernard-Horner
Un syndrome de Claude Bernard-Horner du troisième neurone (lésions des fibres sympathiques cervicales post-ganglionnaires) est un signe classique de lésion carotidienne. La présence de douleurs associées au syndrome de Claude Bernard-Horner est très évocatrice de dissection de l'artère carotide interne, elle doit être diagnostiquée et traitée en urgence afin de prévenir un AIC.
Douleurs oculaires
Des douleurs périoculaires (douleurs projetées dont l'origine est au niveau de la carotide interne via le système trigéminovasculaire) sont possibles au cours des occlusions athéromateuses de la carotide interne, mais sont surtout très évocatrices de dissection carotidienne. Une douleur oculaire peut également traduire un syndrome d'ischémie oculaire [9].
Système vertébrobasilaire
Les AVC du tronc cérébral et du cervelet affectent presque toujours les voies oculomotrices et vestibulaires et sont souvent associés à une diplopie et un nystagmus.
Les AIC dans le territoire vertébrobasilaire entraînent fréquemment des symptômes visuels secondaires à une atteinte des voies visuelles rétrochiasmatiques (fig. 9-2
Fig. 9-2
Hémianopsie latérale homonyme gauche(a) d'apparition brutale secondaire à un infarctus cérébral occipital droit diagnostiqué sur l'IRM cérébrale 6heures après le début des symptômes.L'infarctus apparaît en hypersignal sur l'image de diffusion (diffusion weighted images [DWI], b) et en hyposignal sur l'image coefficient apparent de diffusion (apparent diffusion coefficient [ADC], c) confirmant le caractère aigu de l'infarctus (flèches).
). Ils sont toujours binoculaires, affectant soit un hémichamp visuel lorsque la lésion est unilatérale, soit l'ensemble du champ visuel lorsque les deux lobes occipitaux sont atteints [3].
Malformations artérioveineuses
Les malformations artérioveineuses (MAV) sont des anomalies vasculaires congénitales avec une communication anormale entre les circulations artérielle et veineuse. Celle-ci se fait entre artères et veines de gros calibre et le débit sanguin est élevé. Environ 85 % des MAV sont situées dans les hémisphères cérébraux et la majorité sont superficielles. Moins de 10 % des MAV sont localisées dans la fosse postérieure [12].
Les MAV deviennent habituellement symptomatiques entre 20 et 30 ans. Des céphalées, un souffle crânien, des crises convulsives et des signes neurologiques focaux sont fréquents. La MAV peut comprimer le parenchyme cérébral, entraîner une ischémie cérébrale (phénomène de vol) ou saigner dans le parenchyme cérébral et les méninges. Les MAV occipitales entraînent fréquemment des troubles visuels transitoires associés à des céphalées mimant des migraines avec aura (fig. 9-3
Fig. 9-3
Syndrome de Terson secondaire au saignement d'une malformation artérioveineuse occipitale.Cette patiente présente des troubles visuels transitoires binoculaires dans l'hémichamp visuel droit associés à des céphalées initialement diagnostiquées comme migraine avec aura. a, b.Il existe une hémorragie intravitréenne dense dans l'œil droit bien vue lors de l'illumination des deux yeux avec l'ophtalmoscope montrant une asymétrie du réflexe rouge. c, d.Les hémorragies intravitréennes de l'œil droit(c) et intra- et prérétiniennes de l'œil gauche(d) sont en rapport avec un syndrome de Terson. e.L'angioscanner cérébral avec contraste montre une malformation artérioveineuse occipitale gauche avec saignement dans le parenchyme cérébral et hémorragie méningée.
). La courte durée des troubles visuels (quelques secondes) et la stéréotypie des symptômes visuels différencient ces crises d'épilepsie occipitale, ou de vol vasculaire, de la migraine avec aura visuelle.
Le risque d'hémorragie intracrânienne secondaire à une rupture de la MAV est environ 3 à 4% par an et le taux de mortalité est estimé entre 6 et 14%. Le pronostic de ces hémorragies dépend du siège de la MAV et de sa taille. Les troubles du champ visuel sont fréquents, secondaires à une lésion des voies visuelles rétrochiasmatiques ; il arrive qu'une MAV s'étende aux nerfs optiques intracrâniens ou au chiasma. Un syndrome de Terson peut survenir en cas d'augmentation brutale de la pression intracrânienne, notamment lors des HM (voir fig. 9-3)[13]. Le traitement dépend de la taille et du siège de la MAV ainsi que de l'existence de complications. Les traitements comprennent la chirurgie, les traitements endovasculaires (embolisation) et la radiothérapie [12].
Anévrismes intracrâniens
Les anévrismes intracrâniens sont des ectasies artérielles acquises, le plus souvent localisées au niveau des bifurcations des artères intracrâniennes à la base du crâne. La rupture d'un anévrisme intracrânien entraîne une HM dont les complications sont extrêmement graves. La plupart des anévrismes intracrâniens (90 %) restent asymptomatiques jusqu'à leur rupture, tandis que seulement 10 % produisent des symptômes en rapport avec une compression des structures adjacentes. Le symptôme le plus fréquent est la céphalée. Les autres symptômes dépendent du siège de l'anévrisme et sont souvent neuro-ophtalmologiques. Les anévrismes révélés par des signes neurologiques ont un risque de rupture plus élevé que les anévrismes asymptomatiques et doivent être traités en urgence [14].
Complications neuro-ophtalmologiques des anévrismes intracrâniens
Les anévrismes non rompus situés au niveau de la partie antérieure du cercle de Willis peuvent comprimer les voies visuelles antérieures et entraîner une baisse d'acuité visuelle par compression d'un nerf optique intracrânien ou des troubles du champ visuel tels qu'une hémianopsie bitemporale par compression du chiasma optique ou une hémianopsie latérale homonyme par compression du tractus optique.
Les anévrismes situés à la jonction de la carotide interne avec l'artère communicante postérieure compriment le troisième nerf crânien et produisent une paralysie oculomotrice avec atteinte pupillaire.
Les anévrismes du sinus caverneux sont à l'origine de paralysies multiples de nerfs oculomoteurs associées à des douleurs et parfois à un syndrome de Claude Bernard-Horner.
Le traitement des anévrismes symptomatiques est urgent. Il consiste à exclure l'anévrisme de la circulation intracrânienne par la chirurgie (pose d'un clip au niveau du collet de l'anévrisme) ou par un traitement endovasculaire (embolisation ou exclusion de l'anévrisme) [14]. Le traitement des anévrismes situés dans le sinus caverneux n'est pas urgent, car leur rupture produit une fistule carotidocaverneuse qui peut être traitée secondairement.
Complications neuro-ophtalmologiques des hémorragies méningées
Lorsque l'anévrisme se complique d'une HM, une baisse visuelle peut survenir secondaire à un œdème papillaire de stase (hypertension intracrânienne) ou au syndrome de Terson, défini par la survenue d'une hémorragie vitréenne et rétinienne, uni- ou bilatérale (voir fig. 9-3). Ces hémorragies sont le plus souvent spontanément régressives en quelques mois mais peuvent persister et se compliquer d'une membrane épirétinienne ou d'un décollement de rétine. Une vitrectomie est réalisée en cas de persistance de l'hémorragie ou lorsque les deux yeux sont atteints avec baisse visuelle bilatérale sévère [13].
Fistules carotidocaverneuses
Une fistule carotidocaverneuse (FCC) est une communication anormale entre l'artère carotide interne et le sinus caverneux (plexus veineux) [15]. La présentation clinique varie selon que la FCC est directe (type A) ou indirecte (type B, C, D).
Les FCC de type A sont des shunts directs entre l'artère carotide interne et le sinus caverneux, représentant environ 70 à 90 % des FCC. Elles ont un débit sanguin élevé et sont le plus souvent post-traumatiques. Elles résultent parfois de la rupture d'un anévrisme situé dans le sinus caverneux. En raison du haut débit sanguin, les FCC de type A ont une présentation clinique brutale et ne régressent pas spontanément.
Les FCC de type B, C et D sont des shunts indirects (ou duraux) qui sont probablement des communications artérioveineuses congénitales s'ouvrant spontanément, plus souvent chez les femmes âgées ou lors de la présence d'hypertension artérielle, de diabète, de maladie athéromateuse ou du collagène, ou pendant la grossesse (fig. 9-4
Fig. 9-4
Fistule carotidocaverneuse indirecte avec aspect de conjonctivite chronique bilatérale et diplopie.a.Paralysie bilatérale du nerf abducens avec ésotropie et dilatation des veines épisclérales mimant une conjonctivite chronique. b, c.L'IRM orbitaire montre une dilatation anormale des veines ophtalmiques supérieures (flèches) sur les coupes axiale(b) et coronale(c). d, e.L'angiographie cérébrale montre la fistule durale indirecte (vue de face, d ; vue latérale, e) se drainant dans le sinus veineux transverse (flèche rouge) avec dilatation de la veine ophtalmique supérieure (flèche jaune).
). Les fistules durales se présentent insidieusement, sont souvent non diagnostiquées initialement et régressent parfois spontanément. En raison de la communication entre artères et veines dans les FCC, le sang veineux devient «artérialisé », ce qui entraîne une élévation de la pression intraveineuse et une inversion du flux sanguin dans certaines veines se drainant normalement dans le sinus caverneux. Lorsque le flux sanguin quitte le sinus caverneux dans sa partie postérieure par les sinus pétreux, le patient n'a parfois aucun signe oculaire en dehors d'une diplopie (voir fig. 9-4). Lorsque le flux sanguin a un drainage antérieur par les veines ophtalmiques supérieure et inférieure, l'hyperpression veineuse oculaire et orbitaire entraîne des complications oculaires souvent dramatiques. Ces manifestations oculaires sont le plus souvent unilatérales, du côté de la FCC, mais elles peuvent également être bilatérales.
Complications neuro-ophtalmologiques des fistules carotidocaverneuses directes
Les FCC directes à flux élevé (type A) se présentent souvent de façon très aiguë plusieurs jours ou semaines après un traumatisme. Une exophtalmie pulsatile est classiquement associée à une hyperhémie conjonctivale (artérialisation des vaisseaux conjonctivaux) et à un souffle crânien. En l'absence de traitement, les patients ont une baisse d'acuité visuelle progressive, secondaire aux lésions cornéennes (exophtalmie), à l'hypertonie oculaire, à la rétinopathie de stase veineuse, à l'œdème papillaire, à une hémorragie vitréenne ou à un décollement choroïdien. Une diplopie, secondaire soit à une atteinte directe ischémique ou compressive des nerfs oculomoteurs dans le sinus caverneux, soit à une atteinte ischémique ou œdémateuse des muscles oculomoteurs dans l'orbite, est fréquente [15].
Complications neuro-ophtalmologiques des fistules carotidocaverneuses indirectes
Les FCC indirectes (type B, C, D) ont typiquement une présentation insidieuse. Elles ont un faible débit qui produit une dilatation modérée des vaisseaux conjonctivaux souvent confondue avec une conjonctivite chronique (voir fig. 9-4). L'exophtalmie est modérée ou absente et le fond d'œil est le plus souvent normal. Une baisse d'acuité visuelle ne survient que dans 20 à 30 % des cas. Une diplopie est également possible (le plus souvent secondaire à une paralysie du VI). Un souffle crânien est inconstant [15].
Diagnostic et traitement des fistules carotidocaverneuses
Le diagnostic de FCC est souvent suspecté lorsqu'il existe une dilatation de la veine ophtalmique supérieure sur le scanner orbitaire (voir fig. 9-4), associée à une augmentation du calibre des muscles oculomoteurs. Le Doppler orbitaire est parfois utile. Le diagnostic, suspecté sur l'angiographie par résonance magnétique (ARM), l'angioscanner et l'échographie-Doppler orbitaire, repose sur l'artériographie conventionnelle.
Le traitement des FCC est initialement symptomatique et vise à préserver la vision (prévention des lésions cornéennes, traitement de l'hypertonie oculaire). L'occlusion de la FCC peut être réalisée de multiples façons, idéalement en préservant la circulation carotidienne (embolisation sélective ou rarement occlusion chirurgicale) [15].
Angiomes caverneux
Les angiomes caverneux sont constitués d'espaces vasculaires remplis de sang dans lesquels le débit sanguin est faible. Dans la plupart des cas, ils sont sporadiques et surviennent isolément. Il existe des formes familiales (transmission autosomique dominante) dans lesquelles les angiomes sont multiples. La plupart des lésions deviennent symptomatiques après la trentaine. Bien que la majorité des angiomes caverneux soient localisés au niveau des hémisphères cérébraux (60 à 80 %), ce sont les cavernomes survenant au niveau de la fosse postérieure (tronc cérébral et cervelet) qui sont le plus souvent symptomatiques avec céphalées et troubles oculomoteurs. Les angiomes caverneux extraduraux sont exceptionnels et se développent à la base du crâne ou dans l'angle pontocérébelleux au niveau des nerfs crâniens. Le pronostic des cavernomes est meilleur que celui des MAV car le risque de saignement est relativement faible et le saignement d'un angiome caverneux est en général de petite taille et met rarement en jeu la vie du patient [16].
Le diagnostic d'angiome caverneux est confirmé par l'IRM cérébrale. Les angiomes caverneux ayant une circulation lente et étant souvent spontanément thrombosés, l'angiographie cérébrale est en général négative.
Le traitement des angiomes caverneux dépend essentiellement de leur localisation anatomique. Le risque de saignement étant faible, le traitement (chirurgical et/ou par radiothérapie) est souvent conservateur.
Thromboses veineuses cérébrales
L'occlusion des sinus veineux intracrâniens entraîne une hypertension veineuse à l'origine d'une diminution de la résorption du liquide cérébrospinal. L'hypertension intracrânienne (HIC) qui en résulte peut être isolée, mimant une HIC idiopathique (fig. 9-5
Fig. 9-5
Thrombose veineuse cérébrale aiguë.a. Œdème papillaire bilatéral de stase. b.Le scanner cérébral sans contraste montre une hyperdensité spontanée du sinus veineux longitudinal supérieur (flèche). c, d.L'IRM (séquence T1 sans contraste) montre l'occlusion du sinus longitudinal supérieur par un thrombus récent en isosignal (flèches jaunes) sur les coupes axiale(c) et sagittale(d). e, f.L'angio-IRM veineuse avec contraste (vue de face, e ; vue latérale, f) montre l'absence de flux dans le sinus longitudinal supérieur (flèches jaunes) et dans le sinus latéral droit (flèches rouges).
) ou peut s'accompagner de signes neurologiques et crises convulsives. La présentation clinique est très hétérogène, mais l'œdème papillaire est très fréquent et doit donc être recherché systématiquement [17,18].
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