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Chapitre 25
Céphalées et algies faciales

J. Mawet

Points importants
  • Le bilan ophtalmologique s'avère d'une importance capitale dans la prise en charge d'une céphalée. Il doit confirmer l'absence de trouble de la réfraction (ne pas hésiter à faire une cycloplégie), la normalité de l'acuité visuelle, l'absence d'hypertonie, d'inflammation oculaire, de trouble pupillaire et/ou oculomoteur, d'anomalie papillaire (œdème ou atrophie) et, au moindre doute, la normalité du champ visuel et du bilan orthoptique (décompensation de phorie ou d'insuffisance de convergence).
  • La mise en évidence d'un œdème papillaire peut orienter le médecin vers une hypertension intracrânienne qui aurait pu ne pas être évoquée face à une imagerie normale (hypertension intracrânienne dite idiopathique) ; la découverte d'un angle iridocornéen étroit et/ou d'une hypertonie oculaire nécessite une prise en charge immédiate en ophtalmologie.
  • La normalité du bilan ophtalmologique est d'un grand intérêt pour le médecin amené à prendre en charge le patient par la suite.
  • Un premier épisode d'aura, même s'il paraît typique, doit faire évoquer une cause secondaire et justifie une imagerie cérébrale avec séquences vasculaires cérébrales et cervicales.
Contexte clinique
L'ophtalmologue peut être amené à rencontrer un patient souffrant de douleurs orbitaires mais aussi faciales ou céphaliques non limitées à l'œil (céphalée) dans diverses circonstances, qui peuvent schématiquement être regroupées en deux catégories : les douleurs associées à des symptômes ou signes ophtalmologiques et les douleurs sans élément d'orientation. Dans ce dernier cas, les patients consultent parce que la douleur prédomine autour d'un œil ou des deux yeux, ou ils ont l'impression que les symptômes sont favorisés par la fixation oculaire, ou de vieilles croyances leur font attribuer leur douleur à une cause ophtalmologique (la fameuse «migraine ophtalmique »), ou ils souhaitent explorer la piste visuelle pour expliquer leurs céphalées qu'ils jugent incomprises.
Les causes de céphalées sont extrêmement variées, avec plus de 200 répertoriées [1], allant de la simple douleur oculaire bilatérale liée à une sécheresse oculaire à l'hémorragie méningée par rupture d'anévrisme. Elles sont classées en deux grandes catégories: les céphalées primaires et secondaires (encadré 25-1
Encadré 25-1
Étiologies des céphalées (et fréquence des causes principales en population générale adulte)
  • Céphalées primaires :
    • migraine (12 % de la population)
    • céphalée dite de tension (épisodique 80 % de la population, chronique 2% de la population)
    • algie vasculaire de la face (1/1 000)
  • Céphalées secondaires à :
    • un traumatisme crânien ou cervical
    • une affection vasculaire crânienne ou cervicale
    • une pathologie intracrânienne non vasculaire
    • la prise d'une substance ou à son arrêt (abus médicamenteux 3 %)
    • une infection (intracrânienne ou générale)
    • un trouble de l'homéostasie
    • une pathologie ophtalmologique, ORL, stomatologique, dentaire, cervicale
    • une affection psychiatrique
    • une lésion ou atteinte nerveuse (névralgies)
). Les céphalées primaires correspondent à une activation du système nociceptif en l'absence de lésion sous-jacente décelable. Elles sont caractérisées par leur récurrence (évolution en continu ou par crises répétées) et regroupent principalement la migraine, l'algie vasculaire de la face et les céphalées dites de tension. Les céphalées secondaires ont des causes variées, dont certaines engagent le pronostic vital ou fonctionnel, surtout si leur diagnostic est retardé.
Les rôles de l'ophtalmologiste face à une douleur uni- ou bi-oculaire ou céphalique sont multiples :
  • avant tout, il doit déterminer s'il existe une cause ophtalmologique et, le cas échéant, la prendre en charge (trouble de la réfraction, glaucome aigu, uvéite, etc.) ;
  • s'il exclut une cause ophtalmologique, il devra distinguer une céphalée primaire ou une céphalée secondaire bénigne (sinusite, par exemple) d'une céphalée secondaire à une affection grave nécessitant une prise en charge en urgence (hémorragie méningée, tumeur cérébrale, etc.), et s'il suspecte une céphalée secondaire, il lui appartient d'orienter le patient pour une prise en charge adaptée ;
  • il devra également évoquer le diagnostic et le traitement d'une céphalée primaire. Cela est primordial : les céphalées primaires peuvent avoir un impact majeur sur la qualité de vie, la détresse et la souffrance des patients atteints d'algie vasculaire de la face pouvant les mener au suicide et la migraine étant la deuxième cause de handicap, quand on tient compte du nombre de jours vécus avec l'affection[2].
Les douleurs/céphalées avec symptômes ou signes ophtalmologiques peuvent être en lien avec de très nombreuses affections ophtalmologiques qui ne sont pas développées en détail ici puisqu'elles sont abordées dans d'autres chapitres de ce livre. Ainsi, par exemple, la céphalée de l'hypertension intracrânienne idiopathique est développée dans le chapitre 5 , celle de la maladie de Horton dans le chapitre 4 et celle associée à une diplopie dans le chapitre 14.
Bilan clinique
La distinction entre une céphalée primaire et une céphalée secondaire repose avant tout sur l'interrogatoire et l'examen clinique. Les examens paracliniques n'auront d'intérêt que dans l'exploration de céphalées secondaires.
Interrogatoire
L'interrogatoire est le point clé dans le diagnostic : un interrogatoire trop rapide peut entraîner une erreur diagnostique qu'aucun examen complémentaire ne pourra rattraper.
Face à toute céphalée ou douleur, la première étape de l'interrogatoire détermine s'il s'agit d'une céphalée habituelle ou inhabituelle (nouvelle ou différente des précédentes) [3].
En cas de céphalée habituelle , la poursuite de l'interrogatoire fait préciser les caractéristiques des céphalées (durée des crises, localisation, signes associés, facteurs déclenchants, etc.) pour déterminer le type de céphalée dont souffre le patient (migraine, céphalée de tension ou, plus rarement, algie vasculaire de la face). Le médecin évalue si cette céphalée répond bien aux critères de céphalées primaires et doit garder à l'esprit que leur diagnostic repose sur le caractère récurrent et stéréotypé des épisodes. Ces diagnostics ne peuvent donc pas être retenus devant une céphalée aiguë nouvelle sans exploration préalable. De même, chez un patient céphalalgique connu, si le patient ne reconnaît pas sa céphalée comme étant « habituelle », la recherche d'une cause secondaire s'impose. S'il confirme qu'il s'agit d'une céphalée primaire habituelle, l'ophtalmologue pourra évoquer le diagnostic avec le patient, lui proposer un traitement et, si besoin, l'adresser à un confrère.
Si le patient décrit une céphalée inhabituelle , celle-ci devra être considérée comme secondaire jusqu'à preuve du contraire. La seconde étape face à une céphalée secondaire est de déterminer son mode d'installation : brutale «en coup de tonnerre » (intensité ≥7/10 en moins de 1minute), elle oriente vers une probable cause vasculaire justifiant une prise en charge urgente. Une installation plus progressive est moins fréquemment liée à une pathologie vasculaire même si elle ne l'exclut pour autant pas. L'interrogatoire est complété afin de préciser les caractéristiques de la douleur: intensité, type, siège et profil évolutif. Les circonstances d'apparition et les antécédents peuvent orienter le diagnostic et les explorations (survenue brutale à l'effort orientant vers une hémorragie méningée, thrombophilie devant faire évoquer un diagnostic de thrombose veineuse cérébrale, immunosuppression rendant plus probable une méningite, etc.). Des «drapeaux rouges » doivent alerter le clinicien sur la possibilité d'une affection grave, même si leur absence ne garantit pas une cause bénigne (voir fiche n°35).
Examen clinique
L'interrogatoire est suivi d'un examen clinique. Il doit être normal si le diagnostic de céphalée primaire est évoqué. Lorsqu'une céphalée secondaire est suspectée, l'examen permet d'orienter le bilan complémentaire selon les étiologies envisagées (encadré 25-2
Encadré 25-2
Symptômes et signes d'orientation devant une céphalée récente inhabituelle
  • Altération de l'état général avec ou sans claudication de la mâchoire : artérite à cellules géantes
  • Crise comitiale et/ou déficit neurologique focal : hémorragie méningée, AVC, thrombose veineuse cérébrale, PRES, SVCR, méningo-encéphalite, tumeur
  • Fièvre : causes infectieuses (méningite, infection générale ou ORL)
  • Purpura : méningite bactérienne
  • Éruption cutanée : virose
  • Perte de connaissance lors d'une céphalée brutale : hémorragie méningée (dans 30 à50 % des cas), kyste colloïde du troisième ventricule
  • Raideur méningée : hémorragie méningée, méningite
  • Syndrome de Claude Bernard-Horner et/ou acouphène pulsatile et/ou paralysie linguale (XII) : dissection de l'artère carotide interne homolatérale
  • Limitation oculomotrice dans le territoire du nerf oculomoteur avec ou sans mydriase homolatérale : anévrisme comprimant leIII
  • Hémianopsie bitemporale : apoplexie pituitaire
  • Cécité monoculaire transitoire : dissection carotidienne (sujet jeune), artérite gigantocellulaire (sujet âgé)
  • Œdème papillaire : hypertension intracrânienne
  • Céphalée positionnelle :
    • aggravée en position allongée : hémorragie méningée, hypertension intracrânienne, sinusite bloquée
    • aggravée en position debout : hypotension intracrânienne
  • Céphalée aggravée par les efforts à glotte fermée (manœuvre de Valsalva) : hypertension intracrânienne, hypotension intra-crânienne
  • Asymétrie tensionnelle aux membres supérieurs : dissection de l'aorte ascendante
  • Hypertension artérielle : hémorragie méningée, éclampsie, PRES, SVCR
  • Anomalies de l'électrocardiogramme : hémorragie méningée, ischémie myocardique et douleur projetée
AVC : accident vasculaire cérébral ; PRES: posterior reversible encephalopathy syndrome  ; SVCR: syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible.
).
L'étude des nerfs crâniens et l'examen neuro-ophtalmologique sont capitaux, avec la recherche d'une anomalie du champ visuel, d'une paralysie oculomotrice, d'une asymétrie pupillaire et/ou palpébrale et d'un œdème papillaire au fond d'œil. Ils sont à compléter par un examen général comportant au minimum la mesure de la pression artérielle aux deux membres supérieurs, la mesure de la température, l'examen de la nuque et l'examen cutané (purpura, zona). L'examen neurologique recherche un trouble de conscience, un syndrome méningé, un déficit neurologique focal. L'examen local comporte l'inspection et la palpation des artères temporales, des globes oculaires et des articulations temporomandibulaires.
Orientation diagnostique au terme de l'interrogatoire et de l'examen clinique
La céphalée est classée en :
  • céphalée « récente inhabituelle » qui évoque une céphalée secondairejusqu'à preuve du contraire et qui justifie le plus souvent la réalisation d'examens complémentaires. Le mode de début brutal ou progressif peut aider dans l'orientation, les céphalées de début brutal ayant le plus souvent une cause vasculaire, ce qui est plus rare pour les céphalées de début progressif. Le tableau 25-1
    Tableau 25-1
    Principales céphalées secondaires.
    CliniqueExamens permettant le diagnostic
    Causes vasculaires
    Hémorragie méningée
    Dissection carotidienne ou vertébrale
    • Céphalée brutale ou progressive
    • Cervicalgie plutôt unilatérale
    • Signes locaux si dissection carotidienne: syndrome de Claude Bernard-Horner, acouphènes, paralysie des derniers nerfs crâniens(XII)
    • Signes d'ischémie rétinienne ou cérébrale
    • Possiblement première aura symptomatique
    • Angioscanner des troncs supra-aortiques: sténose ou occlusion par dissection
    • IRM cérébrale et angio-IRM des troncs supra-aortiques: infarctus, sténose ou occlusion par dissection, retentissement circulatoire, flux lents, dissection intracrânienne
    • IRM cervicale avec saturation de graisse: hématome de paroi
    • PL si dissection intracrânienne: recherche d'hémorragie méningée associée
    Thrombose veineuse cérébrale
    • Céphalée progressive (plus souvent que brutale)
    • Hypertension intracrânienne (OP et/ou paralysie duVI)
    • Signes focaux
    • Crises comitiales
    • Scanner cérébral non injecté souvent normal, angioscanner veineux: obstruction veineuse
    • IRMcérébrale si disponible: visualisation du thrombus, en particulier en T2*
    • Angio-IRM veineuse: obstruction veineuse
    • PL normale ou pression élevée et/ou élévation leucocytes et/ou des globules rouges
    Infarctus ou hématome cérébral
    • Céphalée brutale ou progressive
    • Signes focaux discrets dans certaines localisations (cervelet ou frontal/temporal droit chez le droitier)
    • Scanner cérébral: hyperdensité d'un hématome, hypodensité d'un infarctus
    • IRM cérébrale plus sensible pour les infarctus dans les premières heures (diffusion, FLAIR)
    SVCR
    • Céphalées en coup de tonnerre le plus souvent répétées, spontanées ou lors d'efforts, de Valsalva ou orgasmiques
    • Possibles signes neurologiques focaux (AIT ou AVC) ou épilepsie
    • Scanner cérébral souvent normal
    • PL normale ou élévation des leucocytes (max. 30/mm) et/ou des globules rouges
    • IRM cérébrale: normale ou hémorragie méningée corticale ou AVC ou PRES
    • Angio-IRM, angioscanner, artériographie: vasoconstriction artérielle segmentaire, parfois évidence différée
    PRES (dont encéphalopathie hypertensive et éclampsie)Céphalées précédant les signes d'encéphalopathie (baisse visuelle, troubles de la conscience, déficits focaux, épilepsie)
    • IRM cérébrale: hypersignaux postérieurs symétriques
    • Pression artérielle élevée 240/120mmHg si étiologie hypertensive (moins élevée si éclampsie)
    Apoplexie pituitaire
    • Céphalée brutale ou progressive
    • Troubles visuels et/ou oculomoteurs
    IRM cérébrale: remaniements ischémiques ou hémorragiques d'un adénome hypophysaire 
    Artérite à cellules géantes
    • Céphalée progressive (rarement brutale)
    • Âge >50ans
    • Altération de l'état général
    • Trouble visuel ou diplopie transitoire, baisse visuelle brutale, diplopie
    • VS et CRP élevées
    • Hyperplaquettose
    • IRM de paroi: artérite temporale
    • Biopsie artère temporale
    Causes neurologiques non vasculaires
    • Méningite
    • Encéphalite
    • Céphalée progressive ou parfois brutale
    • Raideur de nuque inconstante
    • Majoration des céphalées aux mouvements de la tête
    • Fièvre inconstante
    • Signes focaux ou troubles de la vigilance si encéphalite
    • Possible atteinte des nerfs crâniens associée
    • Bilan biologique normal ou syndrome inflammatoire
    • PL
    • IRM cérébrale pour l'encéphalite: anomalies parenchymateuses
    Hypertension intracrânienne tumorale
    • Céphalées progressives ou brutales (lors des efforts, changements de position), majorée en position couchée
    • Signes focaux, crises comitiales
    • Nausées ±vomissements
    • Baisse visuelle-OP bilatéral
    • Diplopie par atteinte uni- ou bilatérale du VI
    Scanner et/ou IRM cérébrale
    Hypertension intracrânienne idiopathique
    • Céphalées progressives ou brutales (lors des efforts, changements de position), majorées en position couchée
    • Acouphènes pulsatiles
    • Nausées ±vomissements
    • Baisse visuelle-OP bilatéral
    • Diplopie par atteinte uni- ou bilatérale du VI
    • IRM cérébrale et angio-IRM veineuse: absence d'anomalie parenchymateuse ou de thrombose veineuse
    • Signes évocateurs: sténose des sinus latéraux, dilatation de la gaine des nerfs optiques, aspect de selle turcique vide, aplatissement des globes
    • PL: composition normale du LCS et pression d'ouverture >25cm d'eau chez l'adulte (>28cm d'eau chez l'enfant)
    Hypotension intracrânienne par brèche durale
    • Céphalée en position debout ou assise, disparaissant en position couchée
    • Début dans les 72 heures suivant une brèche durale (PL, péridurale)
    • Diplopie par atteinte uni- ou bilatérale du VI
    Aucun si tableau typique
    Hypotension intracrânienne spontanée
    • Même tableau que ci-dessus
    • Pas de brèche durale iatrogène
    • IRM cérébrale avec injection: prise de contraste méningée diffuse, déplacement craniocaudal du cerveau, sinus veineux globuleux, effacement de la citerne prépontique, parfois collections sous-durales
    • IRM médullaire avec séquence avec saturation de graisse: mise en évidence de brèche ou signes indirects (collection épidurale)
    Causes non neurologiques
    Glaucome aigu
    • Douleur centrée sur le globe oculaire
    • Baisse visuelle
    • Hyperhémie conjonctivale
    • Semi-mydriase si bloc pupillaire
    • Globe dur à la palpation
    Mesure de la pression intra-oculaire
    Sinusite aiguë
    • Céphalée majorée tête penchée en avant, hémicrânienne ou bilatérale
    • Écoulement nasal et fièvre inconstants
    Scanner des sinus
    Intoxication au monoxyde de carbone
    • Céphalées holocrâniennes
    • Nausées, sensations vertigineuses, voire troubles de la vigilance
    Dosage de la carboxyhémoglobine
    AIT: accident ischémique transitoire ; AVC: accident vasculaire cérébral ; CRP:  ; IRM: imagerie par résonance magnétique ; LCS: liquide cérébrospinal ; OP: œdème papillaire ; PL: ponction lombaire ; PRES:  ; SVCR: syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible ; VS: vitesse de sédimentation.
    présente les causes les plus fréquentes de céphalées secondaires ;
  • céphalée « habituelle » qui correspond généralement à une céphalée primaire ; celle-ci peut se manifester par des crises aiguës ou évoluer sur le mode chronique quotidien.
En cas de céphalée aiguë d'apparition brutale ou de céphalée récente d'apparition progressive, intense et non régressive, le patient doit être adressé au service d'urgence le plus proche pour y être exploré. Une version adaptée des recommandations de la Société française d'étude des migraines et céphalées pour la prise en charge des céphalées vues en urgence est présentée dans la fiche no  36 [4].
Examens complémentaires
Les examens complémentaires complètent l'interrogatoire et l'examen clinique pour l'exploration de céphalées suspectes d'être secondaires. Pris isolément, ils peuvent s'avérer faussement rassurants (maladie de Horton où l'imagerie cérébrale standard est normale) ou faussement inquiétants (mise en évidence fortuite d'un anévrisme non rompu ou d'une malformation artérioveineuse asymptomatique, d'hypersignaux aspécifiques de la substance blanche). L'encadré 25-3
Encadré 25-3
Faux drapeaux blancs
Signaux faussement rassurants pouvant entraîner un défaut de diagnostic d'une céphalée secondaire grave
  • Un bilan biologie normal n'exclut pas :
    • une méningite ;
    • une artérite à cellules géantes (possible absence de syndrome inflammatoire au début) ;
    • etc.
  • Un scanner cérébral normal n'exclut pas :
    • un infarctus cérébral ;
    • une hémorragie méningée ;
    • une thrombose veineuse cérébrale ;
    • une dissection des troncs supra-aortiques en l'absence de séquence angiographique des vaisseaux du cou ;
    • etc.
  • Une IRM cérébrale normale n'exclut pas :
    • une artérite à cellules géantes (maladie de Horton) ;
    • une méningite ;
    • une hypertension intracrânienne dite idiopathique ;
    • une hypotension spontanée du liquide cérébrospinal (surtout si pas d'injection de gadolinium) ;
    • une hémorragie méningée ;
    • une dissection des troncs supra-aortiques en l'absence de séquence spécifique ;
    • etc.
présente des « faux drapeaux blancs » rappelant que la normalité de certains examens complémentaires peut rassurer à tort le clinicien et soulignant l'importance d'un interrogatoire et d'un examen clinique détaillés.
Les deux examens cardinaux sont le scanner cérébral avec angio-scanner artériel et/ou veineux et la ponction lombaire (PL). Le scanner peut être remplacé par une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale avec angio-IRM artérielle et/ou veineuse si cet examen est réalisable dans le même délai. Les examens sanguins sont systématiques, à la recherche d'arguments pour une artérite à cellules géantes ou d'un problème infectieux. Si le scanner avec injection et la PL ne permettent pas de poser un diagnostic, ils sont complétés par une IRM cérébrale avec angio-IRM artérielle et/ou veineuse dont le délai et les conditions de réalisation (ambulatoire ou hospitalisation) sont discutés avec un neurologue. À noter que certaines équipes de neurologie préfèrent discuter la réalisation des explorations complémentaires en amont de toute décision d'exploration complémentaire.
Scanner cérébral et angioscanner
Le scanner sans injection de produit de contraste est le premier examen à effectuer, à la recherche d'une hyperdensité spontanée (présence de sang), d'une hydrocéphalie, d'un effet de masse ou un œdème localisé témoignant d'un processus expansif (tumeur/abcès). Des coupes sur les sinus permettent de rechercher une sinusite.
Les recommandations françaises suggèrent de réaliser d'emblée, en l'absence de contre-indication, en plus de l'acquisition sans produit de contraste, une acquisition après injection de produit iodé pour obtenir une imagerie vasculaire cérébrale et cervicale, artérielle et veineuse (qui permet notamment de mettre en évidence une dissection, un anévrisme, d'autres malformations vasculaires, une thrombose veineuse, etc.) [4]. L'injection peut être temporisée si l'interrogatoire et/ou l'examen clinique évoquent un diagnostic qui peut être prouvé sans celle-ci (sinusite, méningite, etc.)
Ponction lombaire
La ponction lombaire permet de mettre en évidence une méningite ou une hémorragie méningée non visible en imagerie (qu'il s'agisse du scanner ou de l'IRM) et permet également de mesurer la pression du liquide cérébrospinal (LCS). Elle peut être pratiquée en première intention devant une suspicion de méningite bactérienne en l'absence de troubles de la conscience et de signes neurologiques focaux. Elle doit être systématiquement discutée devant une céphalée récente, sans étiologie retrouvée à l'imagerie (scanner ou IRM).
Les contre-indications principales sont les troubles de l'hémostase sévères et l'hypertension intracrânienne (HIC) avec menace d'engagement par processus expansif hémisphérique ou cérébelleux avec effet de masse (d'où la nécessité d'une imagerie préalable lorsque la PL est réalisée pour les céphalées isolées).
Le recours à une aiguille atraumatique (type pointe crayon) et de préférence de petit calibre (25 G) doit être systématique puisqu'elle réduit le risque de céphalée par brèche durale, alors que l'alitement au décours du geste ne réduit pas ce risque. La mesure de la pression du LCS doit être réalisée en décubitus latéral, en branchant sur l'aiguille un manomètre ou une tubulure tenue verticalement, avant toute soustraction de LCS. Une pression >25cm d'eau en position allongée chez l'adulte (>28cm chez l'enfant) signe l'existence d'une HIC.
La centrifugation et la recherche de pigments biliaires doivent être systématiques pour l'exploration d'une céphalée brutale inhabituelle : ainsi, même si la ponction a été traumatique, leur présence affirmera l'existence d'une hémorragie méningée, pour autant que la céphalée date d'au moins 12 heures.
IRM et angio-IRM
L'IRM est l'outil diagnostique de choix des céphalées aiguës, notamment dues à une thrombose veineuse cérébrale ou une dissection artérielle cervicale. Malheureusement, elle n'est pas toujours accessible en urgence et sa réalisation nécessite de rester immobile, ce qui peut s'avérer difficile pour un patient hyperalgique et/ou nauséeux. Néanmoins, toute céphalée persistante et sans diagnostic après scanner cérébral avec angioscanner cervicocéphalique et PL doit faire discuter la réalisation d'une IRM cérébrale sans et avec gadolinium, voire de coupes cervicales en T1 avec saturation de la graisse (pour l'imagerie des vaisseaux du cou, en particulier la recherche de dissection artérielle), et d'une angio-IRM artérielle et/ou veineuse. La demande d'IRM doit être précise avec des suggestions diagnostiques pour orienter le radiologue dans le choix des séquences.
Principales céphalées primaires et névralgie du trijumeau
Migraine
La migraine est une affection chronique qui se manifeste par des crises récurrentes de céphalées sévères associées à des symptômes systémiques et neurologiques (nausées, vomissements, photophobie, phonophobie et/ou sensation vertigineuse) qui justifient fréquemment un alitement. Un tiers des patients peut également présenter des symptômes neurologiques prémonitoires transitoires, d'installation progressive, principalement visuels (aura migraineuse). Entre les crises, les patients ne présentent en général aucun symptôme [5]. La migraine est due à un désordre neurovasculaire dont les mécanismes restent mal connus mais qui intriquent composante génétique, hormonale et environnementale (hygiène de vie, alimentation, stress, anxiété, etc.)[ 5–7 ].
Le diagnostic de migraine repose sur l'interrogatoire et se fonde sur des critères précis de l' International Classification of Headache Disorders, 3   edition (ICHD-3)[1], rappelés dans l'encadré 25-4
Encadré 25-4
Critères diagnostiques de la migraine
  • Au moins cinq crises répondant aux critères B-D.
  • Crises de céphalée durant 4 à 72 heures (sans traitement ou avec un traitement inefficace).
  • Céphalée ayant au moins deux des quatre caractéristiques suivantes :
    • topographie unilatérale ;
    • type pulsatile ;
    • intensité douloureuse modérée ou sévère ;
    • aggravée par ou entraînant l'évitement de l'activité physique de routine (par exemple marche ou montée des escaliers).
  • Durant la céphalée, au moins l'un des symptômes suivants :
    • nausées et/ou vomissements ;
    • photophobie et phonophobie.
  • N'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de l'ICHD-3.
. Ces critères soulignent l'importance du caractère répété des crises, le diagnostic ne pouvant pas être posé après un premier épisode de céphalées. Si le patient répond aux critères et ne présente pas d'atypies, l'imagerie n'est pas nécessaire. En revanche, l'existence d'anomalie de l'examen neurologique ou l'apparition de crises après 50 ans justifient une imagerie [8].
Avec une prévalence annuelle de 12 %, la migraine représente la troisième affection la plus fréquente au monde. Bien que considérée comme bénigne puisqu'elle ne met pas en jeu le pronostic vital, la migraine peut être responsable d'une détérioration majeure de la qualité de vie: elle est ainsi reconnue comme étant la deuxième cause d'invalidité dans le monde lorsque l'on prend en compte le temps vécu avec la maladie [2], ce qui a des conséquences socio-économiques évidentes [9].
Les raisons qui amènent un patient migraineux à rencontrer un ophtalmologue sont variées : la présence d'une photophobie lors d'une crise ou la présence de douleurs centrées sur l'œil lui font évoquer une cause ophtalmologique, de même que la survenue d'auras visuelles.
La douleur, qui peut durer entre 4 et 72 heures, est de topographie variable, certains patients rapportant une hémicrânie tandis que d'autres décrivent une douleur bilatérale, parfois à prédominance périorbitaire. Cette topographie peut varier chez un même patient d'une crise à l'autre ou au cours d'une même crise. Le caractère strictement unilatéral sans bascule chez un même patient doit faire évoquer une cause secondaire et inviter à la réalisation d'une imagerie.
La douleur est fréquemment pulsatile et majorée par l'activité physique ou les mouvements de la tête. Des nausées voire des vomissements sont fréquents.
Une photophobie (littéralement, crainte de la lumière ; en pratique, extrême sensibilité à la lumière ou douleur induite ou exacerbée par la lumière) est rapportée par 80 à 90 % des patients durant leurs crises de migraine. En dehors des crises, de nombreux migraineux présentent également un plus grand inconfort lors d'une exposition à la lumière, ce qui entraîne des consultations fréquentes chez l'ophtalmologiste. La photophobie a de nombreuses autres causes que la migraine, rapportées dans l'encadré 25-5
Encadré 25-5
Étiologies de la photophobie
Causes oculaires
  • Segment antérieur :
    • sécheresse oculaire*
    • uvéite
    • kérato-conjonctivites
    • pathologie cornéenne (ulcère cornéen, en particulier traumatique, kératalgie récidivante, LASIK, kératopathie neurotrophique, kératite interstitielle, abcès de cornée)
    • aniridie, albinisme
    • cataracte et chirurgie de la cataracte
  • Segment postérieur :
    • hyalite (inflammation vitréenne)
    • achromatopsie
    • dystrophies rétiniennes (en particulier rod cone )
Causes neurologiques
  • Migraine*
  • Blépharospasme*
  • Traumatisme crânien*
  • Paralysie supranucléaire progressive
  • Méningite
  • Hémorragie méningée
  • Maladie démyélinisante.
  • Pathologie du chiasma :
    • apoplexie pituitaire
    • tumeur pituitaire
  • Lésion thalamique
  • Tumeur de la fosse psotérieure
  • Atteintes corticales postérieures
Causes médicamenteuses
  • Barbituriques
  • Benzodiazépines
  • Chloroquine
  • Halopéridol
  • Lithium
  • Méthylphénidate
  • Acide zolédronique
Divers
  • Rage
  • Maladies inflammatoires du tube digestif
  • Syndrome IFAP
  • Kératose palmoplantaire
  • Trisomie 18
  • Déficit en zinc
  • Progéria (syndrome de Hutchinson-Gilford)
  • Fibromyalgie
  • Syndrome de fatigue chronique
* Causes les plus fréquentes
IFAP : ichttyose folliculaire-alopécie-photophobie ; LASIK: laser in situ keratomileusis.
Adapté de Katz BJ, Digre KB. Diagnosis, pathophysiology, and treatment of photophobia. Survey Ophthalmol 2016;61 :466–71.
et qui doivent être évoquées puisqu'elles peuvent coexister. Le traitement de la photophobie repose évidemment sur celui de la cause. En cas de photophobie liée à la migraine, outre un potentiel effet du traitement prophylactique de la maladie, le traitement d'un éventuel syndrome sec associé ou la mise en place de verres teintés doivent être évoqués. En revanche, l'utilisation de verres solaires à l'intérieur devrait être déconseillée puisqu'ils risquent d'induire une adaptation rétinienne à l'obscurité qui finalement aggrave la photophobie [10].
Une auraest présente chez un tiers des patients. Elle précède habituellement la céphalée mais peut également se manifester durant celle-ci, voire survenir en l'absence de céphalée. Elle se caractérise par des troubles visuels et plus rarement par des troubles sensitifs ou phasiques transitoires d'installation progressive, chaque symptôme étant résolutif en maximum 60 minutes. Les troubles visuels sont extrêmement variables: les symptômes les plus fréquemment rapportés consistent en des flashs de lumière brillante, une vision brouillée/trouble, des zigzags, des scotomes, des petits points brillants (phosphènes) ou l'impression de voir à travers l'eau ou à travers des ondes de chaleur comme lorsqu'on regarde une route ensoleillée au loin. D'autres symptômes sont plus rarement rapportés (vision tubulaire, oscillopsies, macropsies, micropsies, formes géométriques, etc.)[11].
Le diagnostic de migraine avec aura repose sur des critères précis rapportés dans l'encadré 25-6
Encadré 25-6
Critères diagnostiques de la migraine avec aura
  • Au moins deux crises répondant aux critères B et C
  • Au moins un symptôme entièrement réversible d'aura :
    • visuel
    • sensitif
    • parole et/ou langage
    • moteur
    • tronc cérébral
    • rétinien
  • Au moins trois des six caractéristiques suivantes :
    • au moins un symptôme d'aura se développe progressivement sur ≥ 5 minutes
    • deux ou plusieurs symptômes d'aura surviennent successivement
    • chaque symptôme de l'aura dure de 5 à 60 minutes
    • au moins un symptôme d'aura est unilatéral
    • au moins un symptôme d'aura est positif
    • l'aura est accompagnée, ou suivie dans les 60 minutes, d'une céphalée
  • N'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de l'ICHD-3
 [1].
La survenue d'un trouble visuel transitoiredoit faire écarter le diagnostic d'accident ischémique transitoire ; le caractère répété et stéréotypé, l'atteinte bilatérale (par opposition à une atteinte monoculaire orientant vers une atteinte oculaire ou rétinienne), l'installation progressive des symptômes, la présence de signes « positifs » (brillant, lumineux) et «négatifs » (noir) sont des arguments en faveur d'une aura. À l'inverse de l'aura, un accident ischémique transitoire s'installe brutalement, présente un caractère «négatif » et donc déficitaire brutal: le patient décrit un voile noir brutal d'un hémichamp visuel (ou d'un œil en cas d'ischémie rétinienne). Toutefois, l'ischémie ou l'inflammation peuvent aussi induire une aura visuelle: ainsi, un premier épisode d'aura, même s'il paraît typique, doit faire évoquer une cause secondaire et justifie une imagerie cérébrale avec séquences vasculaires cérébrales et cervicales. De même, le diagnostic d'aura visuelle isolée (sans céphalées) justifie habituellement un bilan neuro-cardio-vasculaire lors du premier épisode, surtout si ces auras débutent à un âge avancé ou surviennent chez un patient présentant des facteurs de risque cardiovasculaires ou ne présentant pas de migraine avec aura préalable.
Enfin, le trouble visuel de l'aura doit être différencié de celui rencontré lors d'une crise comitiale focale : le caractère le plus discriminant est la durée, puisque contrairement à l'aura, la crise d'épilepsie focale ne dure que quelques secondes. De plus, dans l'épilepsie, les phénomènes visuels positifs ont une localisation centrale au sein du champ visuel, alors qu'elle est davantage périphérique dans l'aura migraineuse [12].
L'examen neurologique d'un migraineux est normal, de même que le bilan neuro-ophtalmologique s'il est réalisé. Un trouble phorique peut être retrouvé mais ne peut être incriminé dans la genèse de la migraine, dont l'évolution ne sera pas liée à une éventuelle prise en charge orthoptique.
La migraine reste une affection mal connue du public, rarement reconnue comme une « vraie maladie », en partie du fait de l'absence de biomarqueurs qui permettraient de mieux la reconnaître mais aussi du fait que le terme «migraine » est fréquemment utilisé à tort pour toute céphalée. Le rôle de tout médecin qui évoque le diagnostic de migraine chez un patient est aussi celui de lui expliquer que, bien qu'il n'ait pas d'anomalie biologique, ophtalmologique ou radiologique, il souffre bien d'une véritable affection, que celle-ci ne se voit pas aux examens complémentaires mais que cela n'enlève en rien la réalité de la douleur et des autres symptômes qu'il est amené à subir de manière répétée. Ces explications permettent souvent au patient de se focaliser sur une prise charge thérapeutique plutôt qu'une recherche prolongée d'une cause à cette affection. De même, informer une patiente qu'elle souffre de migraine avec aura est important puisque celle-ci constitue un facteur de risque cardiovasculaire qui contre-indique une contraception œstrogénique.
Une fois le diagnostic de migraine établi et les explications données, l'ophtalmologue peut proposer un traitement au patient et/ou l'orienter vers un neurologue si l'affection a un retentissement notable. Outre les conseils hygiéno-diététiques (régularité du sommeil et des repas, éviction des facteurs déclenchants, etc.), le traitement de la migraine repose sur un traitement de crise et, dans certains cas, sur un traitement de fond (prophylactique) dont le but est de réduire la fréquence, l'intensité et la durée des crises.
Les principaux traitements de crise sont les anti-inflammatoires non stéroïdiens (naproxène, ibuprofène, kétoprofène et diclofénac), l'aspirine et les triptans (almo-, élé-, frova-, nara-, riza-, suma- et zolmitriptan). Le patient doit être informé du fait que l'efficacité de tout traitement de crise est plus marquée en cas de prise précoce. Les triptans sont des traitements spécifiques de la migraine dont les contre-indications principales sont les antécédents cardiovasculaires et l'hypertension artérielle non contrôlée. Ils devraient être proposés à tout migraineux dont les crises ne sont pas contrôlées par les anti-inflammatoires ou l'aspirine. Le prescripteur doit garder à l'esprit que la réponse aux triptans est variable et que certains patients sont répondeurs à certains d'entre eux mais pas à d'autres. Il faut préciser au patient qu'il ne peut pas dépasser 2 prises de triptans/24heures. En cas de crise de migraine avec aura, on conseillera au patient, en l'absence de contre-indication, la prise d'aspirine ou d'anti-inflammatoire dès le début de l'aura et de recourir au triptan au moment où la céphalée apparaît. Le patient doit être informé du risque d'aggravation de la migraine en cas d'utilisation excessive d'antalgiques (>10 ou 15 jours de prise par mois selon les molécules).
Si le patient présente des crises fréquentes et/ou invalidantes et/ou répondant mal au traitement de crise, l'introduction d'un traitement de fond doit être discutée. La plupart de ces traitements sont des molécules développées dans d'autres indications (anti-épileptiques, bêta-bloquants, antidépresseurs, etc.) mais démontrées efficaces dans la migraine même si de nouvelles molécules spécifiquement développées pour la migraine, en particulier les anticorps anti-calcitonin gene-related peptide (anti-CGRP), seront bientôt disponibles [13]. Les recommandations actuelles suggèrent, en première intention et en l'absence de contre-indication, la prescription de propranolol ou métoprolol [8].
Algie vasculaire de la face
L'algie vasculaire de la face est une céphalée primaire appartenant à la catégorie des céphalées trigémino-autonomiques. Cette catégorie comporte également d'autres affections caractérisées par une céphalée unilatérale associée à des signes dysautonomiques homolatéraux : hemicrania continua ; hémicranie paroxystique ; SUNCT ( short-lasting unilateral neuralgiform headache attacks with conjunctival injection and tearing ), crises d'allure névralgique unilatérales de courtes durées, avec injection conjonctivale et larmoiement ; SUNA ( short-lasting unilateral neuralgiform headache attacks with cranial autonomic symptoms ), crises d'allure névralgique unilatérales, de courtes durées, avec signes autonomiques crâniens. Ces autres affections ne sont pas abordées en détail puisque plus rares, mais elles doivent être évoquées en présence de céphalées unilatérales récidivantes avec signes dysautonomiques de durée différente de celle de l'algie vasculaire de la face (tableau 25-2
Tableau 25-2
Céphalées trigémino-autonomiques.
Algie vasculaire de la faceHémicrânie paroxystiqueSUNCT/SUNAHemicrania continua
Durée15–180 minutes 2–30 minutes1–600 secondesContinue
Fréquence1 jour sur 2 à 8 crises/jour >5/jour, en moyenne 10/jour Min.1/jour, parfois jusqu'à 200/jour Continue
Agitation++±±
Réponse à l'indométhacine±TotaleNonTotale
PériodicitéOuiNonNonNon
SUNA:  ; SUNCT:
). Elles s'en différencient par une durée plus courte des crises, l'absence de périodicité circadienne et circannuelle et la réponse pour certaines d'entre elles à l'indométacine. L'algie vasculaire de la face est caractérisée par la survenue de crises de céphalées intenses, unilatérales, de courtes durées (<3 heures), répétées, accompagnées de signes autonomiques ipsilatéraux ou d'une agitation et survenant habituellement par période de crises.
Le diagnostic repose sur l'interrogatoire et les critères précis de l'ICHD-3 [1], rappelés dans l'encadré 25-7
Encadré 25-7
Critères diagnostiques de l'algie vasculaire de la face
  • Au moins cinq crises répondant aux critères B à D
  • Douleur sévère à très sévère, unilatérale, orbitaire, sus-orbitaire et/ou temporale durant 15 à 180 minutes (non traitée)
  • L'un des éléments suivants ou les deux :
    • au moins un des signes/symptômes suivants, du même côté que la douleur :
      • injection conjonctivale et/ou larmoiement
      • congestion nasale et/ou rhinorrhée
      • œdème palpébral
      • sudation du front et de la face
      • myosis et/ou ptosis
    • une sensation d'impatience ou une agitation motrice
  • Fréquence des crises, comprise entre une tous les deux jours et 8 par jour
  • N'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de l'ICHD-3 :
    • forme épisodique : au moins deux périodes actives de 7 jours à 1 an (en l'absence de traitement), séparées par des rémissions sans douleur de ≥3 mois
    • forme chronique : période douloureuse survenant sans rémission pendant au moins 1an ou avec des rémissions de moins de 3 mois
. Il convient de rechercher une période douloureuse antérieure pour retenir le diagnostic. En l'absence de période antérieure, une cause secondaire doit être exclue rapidement par une imagerie du parenchyme cérébral et des troncs supra-aortiques, les principales causes secondaires mimant une algie vasculaire de la face étant une sinusite, une dissection carotidienne ou encore une lésion hypothalamo-hypophysaire. En dehors de l'exploration d'une première période, une IRM non urgente est recommandée pour tout patient présentant une algie vasculaire de la face [14].
Avec une prévalence de 1/1 000, l'algie vasculaire est rare mais la sévérité des crises qui pousse parfois les patients au suicide justifie qu'elle soit connue et évoquée, ce d'autant que des traitements existent. Elle prédomine chez l'homme jeune et est fortement associée au tabagisme.
La douleur, extrêmement intense, est strictement unilatérale et typiquement centrée sur l'œil et la tempe, décrite par le patient comme un « pieu », un «marquage au fer rouge » ou encore l'impression qu'on lui «retourne l'œil dans le globe oculaire ». Cette douleur intense dure entre 15 et 180 minutes et s'associe à des signes dysautonomiques, traduisant une hyperactivité parasympathique (larmoiement, érythème conjonctival, rhinorrhée, obstruction nasale) et/ou une hypoactivité sympathique (myosis, ptosis), ou encore à une agitation motrice, à l'opposé de la migraine où les patients sont le plus souvent prostrés au lit. Elle est parfois associée à des symptômes migraineux (nausées, vomissements, photophobie, phonophobie, voire aura), ce qui rend le diagnostic parfois difficile. Les crises peuvent survenir jusqu'à huit fois par jour, notamment la nuit et fréquemment aux mêmes horaires. Elles viennent le plus souvent par période (forme épisodique avec périodes de douleurs de plusieurs jours/semaines/mois séparées de semaines/mois/années sans crise) ou de manière chronique (moins de 3 mois de répit sur 1 an). L'examen neurologique est normal en dehors des crises même si certains patients peuvent garder un syndrome de Claude Bernard-Horner intercritique (diagnostic d'élimination)[15].
Comme dans la migraine, le traitement repose sur un traitement de crise et parfois sur l'administration d'un traitement prophylactique. Les traitements des crises doivent avoir un mode d'administration permettant une assimilation rapide en raison de la brièveté de la crise : le sumatriptan en spray nasal 20mg (autorisation de mise sur le marché [AMM] pour la migraine) ou le sumatriptan sous-cutané 6 mg/0,5ml (AMM dans l'algie vasculaire de la face) sont efficaces, ce dernier ayant une plus grande rapidité d'action. La forme sous-cutanée doit être prescrite sur une ordonnance de médicament d'exception et peut l'être par tout médecin, notamment l'ophtalmologue qui pose le diagnostic d'algie vasculaire de la face, dans l'attente du rendez-vous avec un neurologue. Les contre-indications principales des triptans sont les antécédents cardiovasculaires et l'hypertension artérielle non contrôlée. L'oxygène avec un masque à haute concentration (12–15l/min pendant 15 à 20 minutes) est également démontré efficace pour le traitement de la crise. Sa prescription est limitée aux neurologues, ORL ou aux médecins spécialisés dans la douleur [14].
En cas de périodes d'une durée habituellement supérieure à 15 jours, un traitement de fond doit être instauré: le traitement de première intention repose sur le vérapamil (pas d'AMM dans l'algie vasculaire de la face mais recommandations temporaires d'utilisation), sous le couvert d'un électrocardiogramme (ECG) confirmant l'absence d'allongement du QT, avant et sous traitement. Une corticothérapie est parfois nécessaire et devrait privilégier l'injection de l'émergence du nerf grand occipital d'Arnold à une administration systémique qui est grevée de plus d'effets secondaires. Le lithium est parfois proposé, principalement dans les formes chroniques[14,16].
Céphalée de tension
La céphalée de tension est une autre affection primaire qui reste mal connue, bien qu'elle soit la forme la plus fréquente des céphalées. Elle se caractérise par une céphalée bilatérale dans 90 % des cas (le caractère unilatéral doit faire douter du diagnostic et faire envisager une imagerie), d'intensité légère à modérée, décrite comme une pression, un poids, un étau, un casque ou encore un bandeau. Il n'y a pas de nausée ou vomissement, mais il existe parfois une photophobie ou une phonophobie, jamais associées. En revanche, l'osmophobie (gène aux odeurs) fréquemment retrouvée dans la migraine est inhabituelle dans la céphalée de tension [17]. Il s'agit d'une céphalée que nous connaissons occasionnellement presque tous (touchant 80 % de la population) mais qui devient invalidante et justifie une consultation et une prise en charge quand elle devient fréquente (≥12jours/an) voire chronique (≥ 180 jours/an).
Les critères diagnostiques de l'ICHD-3 des céphalées de tension fréquentes sont présentés dans l'encadré 25-8
Encadré 25-8
Critères diagnostiques de la céphalée de tension épisodique fréquente
  • Au moins 10 épisodes de céphalée survenant 1 à 14 jours/mois en moyenne pendant >3 mois (entre ≥12 et <180 jours/an) et répondant aux critères B à D
  • Durée de 30 minutes à 7 jours
  • Au moins deux des quatre caractéristiques suivantes :
    • localisation bilatérale
    • à type de pression ou de serrement (non pulsatile)
    • intensité légère ou modérée
    • absence d'aggravation par les activités physiques de routine comme marcher ou monter des escaliers
  • Présence des deux caractéristiques suivantes :
    • ni nausée, ni vomissement
    • pas plus d'un de ces deux signes associés : photophobie ou phonophobie
  • N'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de l'ICHD-3
[1]. Ces critères manquent de spécificité et une grande prudence est nécessaire avant de retenir ce diagnostic qui est souvent posé par exclusion après une imagerie.
Le traitement repose sur une prise en charge non pharmacologique (kinésithérapie, relaxation, biofeedback, gestion du stress ou thérapies cognitivocomportementales) parfois associée à des traitements médicamenteux, principalement les tricycliques. Le traitement de crise fait appel, en cas de céphalée notable, au paracétamol ou aux anti-inflammatoires dont le patient ne doit pas abuser, certains épisodes cédant spontanément alors que la prise répétée d'antalgiques peut entraîner une chronicisation du trouble [18]. L'ophtalmologiste peut avoir un rôle en vérifiant l'absence d'anomalie réfractive (réfraction sous cycloplégie) et de trouble oculomoteur latent (phorie et/ou insuffisance de convergence mises en évidence par un bilan orthoptique).
Névralgie du trijumeau
La névralgie du trijumeau se caractérise par une douleur très intense mais brève, strictement unilatérale au niveau de la face, dans le territoire du nerf trijumeau. L'encadré 25-9
Encadré 25-9
Critères diagnostiques de la névralgie du trijumeau
  • Paroxysmes récurrents de douleur faciale unilatérale dans le territoire d'une ou de plusieurs branches du nerf trijumeau, sans irradiation au-delà et répondant aux critères B et C
  • La douleur a toutes les caractéristiques suivantes :
    • dure entre une fraction de seconde et 2 minutes
    • intensité sévère
    • à type de choc électrique, d'élancement, de coup de poignard ou de piqûre
  • Provoquée par des stimuli normalement indolores dans le territoire du trijumeau affecté
  • N'est pas mieux expliquée par un autre diagnostic de l'ICHD-3
précise les critères diagnostiques de l'ICHD-3 [1].
La douleur dure d'une fraction de seconde à 2 minutes et est décrite le plus souvent comme une décharge électrique. Les crises sont fréquemment déclenchées par la stimulation de points précis appelés «zone gâchette » et dans des circonstances comme manger, boire, parler, se raser ou se brosser les dents.
Dans sa forme la plus fréquente, qui touche les sujets de plus de 60 ans (forme dite classique, associée à un conflit vasculonerveux sur le trajet du trijumeau visible en IRM), elle touche le plus souvent les territoires V2 et V3.
Si le territoire V1 (branche ophtalmique) est atteint (ce qui entraîne la visite chez l'ophtalmologue), il s'agit le plus souvent d'une névralgie du trijumeau secondaire à l'atteinte du nerf ou de son noyau au sein du tronc cérébral ; l'existence d'un trouble sensitif en dehors des accès douloureux est d'ailleurs un autre argument en faveur d'une cause lésionnelle. Dans ces cas, la démarche diagnostique repose sur une IRM cérébrale avec coupes fines de la fosse postérieure et séquences artérielles, parfois complétée par une PL, les causes les plus fréquentes étant inflammatoires (notamment la sclérose en plaques), infectieuses (dont le zona), tumorales, compressives ou vasculaires. La carbamazépine et d'autres antiépileptiques s'avèrent efficaces et doivent être associés, dans les causes secondaires, au traitement de la cause [19].
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