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Chapitre 12
Les pièges – la fausse neuro-ophtalmologie

F.-X. Borruat

Une altération de la fonction visuelle peut résulter d'une atteinte organique antéchiasmatique, chiasmatique ou rétrochiasmatique, ou d'un mécanisme non organique. Parfois, l'atteinte organique est subtile et peut échapper lors d'examens initiaux trop superficiels ou lorsque les investigations sont mal ciblées, le patient pouvant alors être faussement diagnostiqué comme non organique. La connaissance de l'anatomie et de la fonction des voies visuelles afférentes est un prérequis, ces éléments ne seront donc pas développés dans ce chapitre.
Altération de la fonction visuelle
L'examen du champ visuel, quelle que soit la technique, est primordial devant un patient qui présente une altération inexpliquée de la fonction visuelle, et complète les examens de la fonction visuelle centrale que sont la mesure de l'acuité visuelle et l'examen de la vision colorée. Il localise ainsi l'atteinte le long des voies visuelles.
Une atteinte rétrochiasmatique se manifeste presque toujours par un déficit du champ visuel homonyme, complet ou incomplet, congruent ou non congruent. La seule exception à cette règle d'atteinte campimétrique bilatérale et homonyme est liée au fait que la partie la plus antérieure de la scissure calcarine ne reçoit que l'information émanant des 30° les plus périphériques de la rétine nasale de l'œil controlatéral (correspondant au champ visuel temporal de 60 à 90°). En effet, il n'y a pas de champ visuel nasal correspondant de l'œil adelphe, le champ visuel s'arrêtant en nasal à 50 à 60°. De ce fait, une atteinte occipitale très antérieure se manifeste par une perte du croissant temporal du champ visuel de l'œil controlatéral à la lésion. Une lésion occipitale qui épargne cette zone calcarine antérieure est responsable d'une hémianopsie homonyme totale sur un champ visuel automatisé des 30° centraux, mais avec une épargne du croissant temporal du champ visuel de l'œil controlatéral à la lésion, aisément démontré par périmétrie de Goldmann ou par confrontation.
Une atteinte chiasmatique se manifeste toujours par une atteinte bilatérale de la fonction visuelle : déficit bitemporal du champ visuel ou syndrome jonctionnel associant une neuropathie optique unilatérale et un déficit temporal du champ visuel de l'œil adelphe.
Une atteinte antéchiasmatique , au sens large du terme, signifie une lésion située en avant du chiasma optique : nerf optique, rétine, corps vitré, cristallin et cornée. L'atteinte de chacune de ces structures résulte en une présentation clinique spécifique. Une neuropathie optique associe une atteinte visuelle (acuité visuelle, vision des couleurs, champ visuel) à la présence d'un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) homolatéral, même en cas de diminution modérée de la fonction visuelle (seule exception à cette règle: la neuropathie optique de Leber au stade aigu). En cas de rétinopathie, un DPAR n'est présent que lors d'une atteinte rétinienne étendue, et les symptômes pourront inclure aussi métamorphopsies, photophobie et photopsies. Les atteintes du vitré s'associent à des myodésopsies mobiles et/ou des phosphènes. Les atteintes du cristallin et de la cornée peuvent se manifester, en plus de la diminution de l'acuité visuelle, par une intolérance aux lumières fortes, essentiellement de nuit ainsi que par une diplopie monoculaire. Aucune des atteintes prérétiniennes n'est associée à un DPAR, même en cas de perte visuelle sévère. Un scotome à limites nettes ne résulte jamais d'une atteinte du vitré, du cristallin ou de la cornée.
Examens paracliniques complémentaires en neuro-ophtalmologie
OCT
Depuis l'avènement du spectral domain optical coherence tomography (SD-OCT), cet examen est l'outil de choix pour aider au diagnostic et suivre l'évolution d'un patient atteint de rétinopathie, neuropathie optique ou atteinte des voies visuelles chiasmatiques ou rétrochiasmatiques. L'OCT ( optical coherence tomography ou tomographie par cohérence optique) permet non seulement de visualiser l'architecture de la rétine et d'en mesurer son épaisseur, mais aussi de mesurer sélectivement les épaisseurs de la couche des cellules ganglionnaires rétiniennes et de la couche des fibres nerveuses péripapillaires. De plus, une segmentation adéquate permet d'étudier de manière isolée d'autres couches rétiniennes, notamment la couche ellipsoïde correspondant spécifiquement aux photorécepteurs.
Autofluorescence
Cet examen simple permet de mettre en évidence des anomalies subtiles de la région maculaire (hyper- ou hypo-autofluorescence), alors que l'examen du fond d'œil est encore normal. De plus, les drusen du nerf optique sont plus facilement visualisables par cette technique photographique (les drusen calcifiées apparaissent hyperautofluorescentes).
Électrophysiologie
Les potentiels évoqués visuels (PEV) corticaux ne sont presque plus utilisés de nos jours, étant donné les informations obtenues par l'OCT. Les PEV sont encore employés pour démontrer que les voies visuelles sont intègres, par exemple en cas de perte visuelle non organique. Enfin, dans certains cas d'atrophie optique d'origine inexpliquée, avec fonction visuelle préservée, les PEV peuvent mettre en évidence un retard significatif du temps de culmination de l'onde P100, par exemple séquellaire de démyélinisation.
L' électrorétinogramme (ERG) full-field est très utile pour confirmer la suspicion d'une rétinopathie diffuse affectant les cônes et/ou les bâtonnets. L'ERG full-field est en principe normal en cas de dysfonction maculaire isolée et également normal en cas de neuropathie optique, même très sévère.
L' ERG multifocal (mERG) est un outil très utile en cas de perte visuelle centrale/paracentrale inexpliquée, permettant de distinguer une neuropathie optique (mERG normal) d'une maculopathie (mERG anormal).
Le pattern ERG était surtout utilisé avant l'avènement de l'OCT. Il permet de distinguer une maculopathie d'une neuropathie optique selon que l'onde P50 (rétine externe) ou N95 (cellules ganglionnaires) est diminuée. De nos jours, cette technique n'offre que peu d'indications utiles pour la prise en charge clinique du patient.
Angiographie rétinienne
L'utilisation de la fluorescéine permet de visualiser au mieux la rétine, les vaisseaux rétiniens et la vascularisation papillaire. L'utilisation du vert d'indocyanine est indiquée en cas de suspicion de choroïdopathie.
Pseudo-neuropathies optiques
Rétinopathies
Choriorétinopathie séreuse centrale
Avant l'avènement de l'OCT, la choriorétinopathie séreuse centrale (CRSC) était un grand classique de pseudo-neuropathie optique étant donné un fond d'œil parfois confondant, surtout si l'examen ne se faisait pas dans de bonnes conditions (myosis, ophtalmoscopie directe). Au stade aigu, l'OCT permet de lever tout doute diagnostique, en dévoilant le soulèvement typique de CRSC ; la rétinophotographie en infrarouge du pôle postérieur permet généralement de bien identifier les limites du décollement rétinien, ce dernier apparaissant plus sombre que le reste de la rétine, et l'angiographie rétinienne peut mettre en évidence le point de fuite de l'épithélium pigmentaire rétinien, source du décollement séreux (fig. 12-1
Fig. 12-1
Choriorétinopathie séreuse centrale.a.Baisse d'acuité visuelle de l'œil droit à6/10, alors que l'examen du fond d'œil n'est pas réellement révélateur. b.L'œil gauche est normal avec une acuité visuelle de10/10. c, d.L'angiographie rétinienne à la fluorescéine au temps précoce montre un point de fuite de colorant en sus-fovéolaire à l'OD(c) avec une nette augmentation de la zone hyperfluorescente au temps tardif(d). e.Une photographie en infrarouge d'un autre patient atteint de CRSC montre la zone de décollement rétinien qui est bien délimitée et apparaît plus sombre. f.Une coupe en OCT passant par la fovéa montre le décollement rétinien.
). Au stade plus tardif, des cicatrices peuvent être visibles après résolution du soulèvement ; ces cicatrices sont aussi visibles en autofluorescence.
Toxicité maculaire
Une maculopathie toxique peut parfois passer inaperçue, du moins au début de l'atteinte toxique, mais n'échappe pas à une investigation multimodale de la rétine associant mERG, OCT, autofluorescence et, parfois, angiographie rétinienne. La maculopathie à l'hydroxychloroquine (Plaquénil®) en est le prototype (fig. 12-2
Fig. 12-2
Toxicité maculaire de l'hydroxychloroquine.a, b.En cas de toxicité maculaire débutante, le champ visuel présente une altération(a, scotome péricentral supérieur), non expliqué par l'examen du fond d'œil qui ne montre pas de pathologie évidente(b). c.L'OCT maculaire retrouve un très net amincissement de la couche ellipsoïde périmaculaire. d.L'autofluorescence maculaire est pathologique.
).
Hypovitaminose A
La vitamine A est essentielle à la vision ; c'est le chromophore du pigment visuel des cônes et des bâtonnets, sa forme isomérique changeant sous l'effet de l'absorption de photons. Elle est nécessaire au maintien de l'intégrité des segments externes des photorécepteurs. Étant donné les importantes réserves de vitamine A (liposoluble) d'un individu en bonne santé, il faudra des mois de carence pour que les premières manifestations visuelles soient perçues par le patient. Les symptômes visuels sont initialement vagues mais évoluent vers une baisse de l'acuité visuelle, une dyschromatopsie (xanthopsie), une cécité nocturne, un rétrécissement concentrique du champ visuel. Les résultats de l'ERG full-field sont pathologiques, la dysfonction scotopique étant souvent plus marquée que la dysfonction photopique (fig. 12-3
Fig. 12-3
HypovitaminoseA.Un an après une pancréatite, un homme de 70ans se plaint de cécité nocturne, de xanthopsie et de diminution de l'acuité visuelle. Une hypovitaminose A sévère est retrouvée. a.Initialement, le champ visuel est nettement perturbé ainsi que l'ERG scotopique. L'ERG photopique est dans les normes. b.Après traitement de vitamineA intramusculaire, le patient est asymptomatique et les champs visuels ainsi que l'ERG scotopique se sont presque normalisés. L'ERG photopique est inchangé.
). L'OCT peut révéler une couche ellipsoïde fragmentée ainsi que l'accumulation de matériel hyperréfléctif sous la couche ellipsoïde. La supplémentation en vitamine A tend à faire disparaître ces anomalies[1].
Sous nos latitudes, la dénutrition est rarissime et les cas d'hypovitaminose A résultent pour la plupart de dysfonctions hépatobiliaires (cirrhose hépatique, pancréatite) ou de malabsorption après opération gastro-intestinale ( bypass gastrique notamment). Il est important d'évoquer cette possibilité étiologique car la guérison des troubles visuels se fait dans les 48 à 72 heures après le début d'un traitement parentéral de vitamine A. Le pronostic visuel est excellent si un traitement de substitution est maintenu.
Rétinopathies paranéoplasiques
Il y a plusieurs types de rétinopathies paranéoplasiques (voir chapitre 4.8 ). Certaines n'ont initialement aucune traduction lors de l'examen du fond d'œil comme la cancer-associated retinopathy (CAR), la melanoma-associated retinopathy (MAR) ou la dystrophie des cônes paranéoplasique. L'atteinte est en général bilatérale, mais une asymétrie interoculaire peut être présente. Les symptômes incluent une baisse d'acuité visuelle, des scotomes paracentraux annulaires, un rétrécissement concentrique du champ visuel, une cécité nocturne, des photopsies. Les résultats de l'ERG full-field confirmeront une rétinopathie diffuse affectant les cônes et les bâtonnets (CAR), une atteinte sélective des cônes, ou encore un ERG électronégatif en cas de MAR.
Souvent la tumeur primaire est occulte, asymptomatique, sauf pour les cas de MAR qui sont liés à un mélanome cutané, en général au stade métastatique. Il est important d'évoquer le plus tôt possible une étiologie paranéoplasique afin de donner au patient un meilleur pronostic tant visuel que général. Un traitement par plasmaphérèse pourra permettre dans certains cas d'améliorer le pronostic visuel. La tumeur primaire étant souvent de petite taille, sa prise en charge précoce peut permettre d'améliorer le pronostic vital au patient.
Syndrome d'élargissement de la tache aveugle ( big blind spot syndrome [BBSS])
Rappelons qu'un élargissement de la tache aveugle résulte le plus souvent d'une anomalie de la rétine péripapillaire : atrophie péripapillaire, élévation de la rétine péripapillaire en cas d'œdème papillaire de stase ; dans de tels cas, l'examen du fond d'œil est diagnostique. Dans le BBSS, l'examen du fond d'œil ne montre ni œdème du nerf optique, ni lésion rétinienne péripapillaire: le fond d'œil est normal. Ce diagnostic doit être évoqué chez un patient qui se plaint d'un scotome temporal avec, souvent, des photopsies dans la région de ce scotome [2]. La fonction visuelle centrale est souvent préservée et l'examen du champ visuel montre que ce scotome ne respecte pas les méridiens horizontaux et verticaux. Les clichés en autofluorescence et l'angiographie rétinienne à la fluorescéine peuvent parfois permettre de visualiser des anomalies de la rétine péripapillaire, et l'utilisation du vert d'indocyanine permet d'explorer l'intégrité de la choroïde péripapillaire [3]. Le mERG montre une dépression des potentiels temporaux (fig. 12-4
Fig. 12-4
BBSS.Une femme de 27ans se plaint d'un scotome temporal monoculaire gauche scintillant de manière continue dans l'obscurité. a, b.L'examen du fond d'œil est normal. c, d.L'examen du champ visuel de l'œil gauche montre un net élargissement de la tache aveugle(c) et un «scotome électrique » est visible sur l'ERG multifocal(d). e, f.Les angiographies rétiniennes à la fluorescéine(e) et au vert d'indocyanine(f) sont normales, sans mettre en évidence d'altération péripapillaire.
). L'ERG full-field peut être normal si l'atteinte rétinienne est bien localisée, mais pourra être perturbé en cas de rétinopathie plus étendue. L'OCT peut révéler un amincissement péripapillaire de la couche ellipsoïde, confirmant une atteinte primaire des photorécepteurs [4].
Le plus souvent, les recherches de maladie infectieuse ou inflammatoire systémique sont négatives. Souvent, l'anamnèse révélera un événement infectieux banal des voies respiratoires hautes 2 à 4 semaines avant le début des symptômes visuels. En règle générale, l'évolution se fait de manière spontanément favorable, sans traitement. Il n'y a pas de médecine fondée sur les preuves qui permette de recommander un traitement par corticostéroïdes. La guérison peut prendre plusieurs mois, jusqu'à une année.
Syndrome des taches blanches évanescentes ( multiple evanescent white dot syndrome [MEWDS])
Le MEWDS est une rétinopathie bénigne, souvent unilatérale, mais pas toujours. Il survient fréquemment chez une femme jeune et en bonne santé, 3 à 4 semaines après un épisode d'infection banale des voies respiratoires supérieures (comme dans le cas du BBSS). Les symptômes incluent une diminution de l'acuité visuelle, une dyschromatopsie, des photopsies et un scotome central ou temporal. L'examen oculaire peut révéler des cellules dans le vitré, une turgescence papillaire, une maculopathie et, surtout au stade aigu, de multiples taches blanches rétiniennes [5]. Dans sa présentation typique, et au stade aigu, le MEWDS ne pose aucun problème diagnostique et ne devrait pas être confondu avec une neuropathie optique (fig. 12-5
Fig. 12-5
MEWDS: présentation typique au stade aigu.Une femme de 25ans se plaint de diminution de son acuité visuelle à l'œil droit et de photopsies de manière diffuse. a, b.L'examen du fond d'œil montre de multiples taches blanches intrarétiniennes, un aspect granulaire orangé de la macula et une légère papillite à l'œil droit(a), alors que le fond d'œil est normal à l'œil gauche(b). c, d.L'angiographie à la fluorescéine(c) montre quelques lésions faiblement hyperfluorescentes, alors qu'avec le vert d'indocyanine(d) de multiples lésions hypocyanescentes sont visibles sur tout le pôle postérieur de l'œil droit.
). En revanche, au stade subaigu, lorsque les taches blanches rétiniennes ont disparu ou migré en périphérie rétinienne, une neuropathie optique peut alors être faussement diagnostiquée, étant donné la subtilité des lésions résiduelles et la présence d'une papillite légère à modérée (fig. 12-6
Fig. 12-6
Évolution du MEWDS.a, c.Initialement, de multiples lésions blanches sont visibles à l'examen du fond d'œil(a) et de multiples lésions hypocyanescentes sont visibles lors de l'angiographie rétinienne au vert d'indocyanine(c). b, d.Un mois plus tard, sans aucun traitement, les taches blanches rétiniennes ont disparu(b), de même pour les lésions hypocyanescentes(d). Il faut relever la persistance de l'aspect granulaire de la macula (en diminution) et aussi un faible degré de turgescence papillaire persistante.
). Les clichés en autofluorescence permettent de visualiser les anomalies non visibles au fond d'œil. L'ERG full-field peut être altéré, en fonction de l'étendue de la rétinopathie. L'angiographie rétinienne (voir fig. 12-5) montre une hyperfluorescence de certaines lésions rétiniennes avec la fluorescéine, et l'utilisation du vert d'indocyanine peut révéler de multiples lésions choroïdiennes [6,7]. En OCT, une interruption de la couche ellipsoïde est typiquement présente [8]. La maculopathie du MEWDS est exsudative à son tout début, pour évoluer vers un aspect granité assez évocateur (fig. 12-7
Fig. 12-7
Maculopathie du MEWDS.a, c.Initialement, la macula est normale(a) mais l'angiographie fluorescéinique montre un œdème maculaire circonscrit et une fuite modérée de colorant au niveau de la papille(c).b, d.Une semaine plus tard, un aspect granulaire de la macula est visible(b) et l'œdème maculaire ainsi que la papillite ont pratiquement disparu(d). e.En infrarouge, la maculopathie du MEWDS apparaît comme une zone plus sombre. f, g.Une coupe en OCT montre l'interruption de la couche ellipsoïde(f) et un OCT en face, au niveau de la couche ellipsoïde du même patient, révèle la lésion visualisée précédemment(g), mais aussi de multiples lésions satellites.
). Comme le nom du syndrome l'indique, les taches blanches initiales du pôle postérieur disparaissent en quelques jours, et d'autres lésions apparaissent plus en périphérie pour disparaître à leur tour. Sept à 14 jours après le début des symptômes, il ne persiste que la maculopathie, parfois subtile, et la turgescence papillaire, qui disparaîtront en 3 à 4 semaines. À ce stade, le diagnostic différentiel avec une papillite idiopathique/démyélinisante peut se poser.
Certains auteurs pensent que le BBSS et le MEWDS sont partie intégrante d'un même mécanisme de rétinopathie para-infectieuse. Comme pour le BBSS, la majorité des patients avec MEWDS évoluent spontanément favorablement, et il n'y a pas de médecine fondée sur les preuves pour recommander un traitement, notamment des corticostéroïdes.
Rétinopathies occultes, ellipsoïdopathies
Certains patients peuvent se présenter avec des plaintes visuelles unilatérales ou bilatérales (baisse de l'acuité visuelle, dyschromatopsie, amputation importante du champ visuel), alors que l'examen du fond de l'œil ainsi que l'angiographie rétinienne ne montrent aucune altération. Leur OCT est globalement normal mais une segmentation au niveau de la couche ellipsoïde révèle une atteinte géographique des photorécepteurs. L'atteinte de l'ellipsoïde est généralement définitive, même si la performance visuelle peut parfois s'améliorer, sans jamais récupérer totalement.
Ces patients forment actuellement un groupe mal défini, caractérisé par une atteinte élective de la couche ellipsoïde. Le mécanisme sous-jacent est inconnu, mais fortement suspecté d'être auto-immun. Un traitement par corticostéroïdes, éventuellement immunosuppresseurs, peut être empiriquement proposé aux patients évoluant défavorablement, sans qu'il n'y ait de médecine fondée sur les preuves à ce sujet.
Kératocône
Le kératocône est une cause classique de perte visuelle inexpliquée, pouvant faire évoquer la possibilité d'une neuropathie optique. Cliniquement, il n'y a ni dyschromatopsie ni atteinte du champ visuel en présence de kératocône. De même, il n'y a jamais de DPAR dans un kératocône isolé, même en présence d'un effondrement de la vision. De plus, le kératocône est associé à des troubles réfractifs évolutifs, astigmatisme ou myopie se majorant. La vision de près peut être meilleure que celle à distance. Un examen de topographie cornéenne confirmera le diagnostic (fig. 12-8
Fig. 12-8
Kératocône.La topographie cornéenne est un outil précieux pour diagnostiquer un kératocône. Une topographie cornéenne normale(a) est comparée à des exemples de degré croissant de kératocônes(b–e) –stade1 (b), stade1-2 (c), stade2 (d) et stade3 (e)– caractérisés par des degrés croissants de rayons de courbure cornéenne excentrés. Un kératocône sévère est assez facilement identifiable au biomicroscope(f).
).
Perte visuelle non organique
Une étiologie non organique peut être évoquée devant un tableau associant une perte visuelle inexpliquée et des résultats d'examens paracliniques normaux. Toutefois, cette possibilité étiologique ne pourra être retenue comme définitive qu'une fois qu'il aura été démontré que la fonction visuelle du patient est en fait supérieure à celle spontanément clamée. Enfin, la prudence est de rigueur car jusqu'à 25 % des patients avec une composante non organique présentent une pathologie organique sous-jacente (voir chapitre 24) [9].
Perte visuelle unilatérale non organique, pseudo-neuropathie optique
L'absence de DPAR, la normalité de l'aspect du fond d'œil et la normalité des examens paracliniques ophtalmologiques (OCT, autoflorescence maculaire) suggèrent une étiologie non organique. Des investigations électrophysiologiques peuvent être nécessaires pour conforter le clinicien dans l'absence de pathologie sous-jacente. Toutefois, c'est l'utilisation de tests cliniques simples, visant à tromper le patient, qui permettra de démontrer que la vision est supérieure à celle qui est mesurable par les moyens habituels (mesure monoculaire de l'acuité visuelle, vision des couleurs et champ visuel). La liste des examens que le clinicien peut effectuer dans son cabinet de consultation est longue et la seule règle qui s'applique en face du patient non organique est d'être imaginatif.
Tests utilisables en clinique (liste non exhaustive) lors de suspicion d'une composante fonctionnelle non organique surajoutée
  • Cécité totale monoculaire : test du miroir oscillant, test du prisme vertical devant l'œil avec une acuité visuelle normale, tests de la vision stéréoscopique.
  • Acuité visuelle abaissée de manière unilatérale : examen de l'acuité visuelle après cycloplégie et en binoculaire, mais avec un brouillage de +4D du bon œil.
  • Champ visuel atteint de manière monoculaire : l'examen du champ visuel en binoculaire (au moyen du périmètre de Goldmann, par exemple) peut être utile lors de l'atteinte inexpliquée du champ visuel d'un œil. Si l'atteinte est non organique, une amputation du champ visuel binoculaire peut être visible, alors que le champ visuel de l'œil sain est normal. En principe, le champ visuel binoculaire ne peut pas être plus mauvais que le résultat de l'œil sain en condition monoculaire.
Bibliographie
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