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Chapitre 6
Atteintes du chiasma optique

C. Cochard,

P. Koskas,

L. Giovansili,

D. Chauvet

Points importants
  • Le mode de découverte des pathologies du chiasma et leur évolution sont variables.
  • En cas de trouble visuel, la localisation au chiasma est évoquée devant l'aspect du déficit campimétrique bilatéral avec respect du méridien vertical.
  • La prise en charge d'une pathologie chiasmatique est multidisciplinaire.
  • L'apoplexie hypophysaire est une complication grave, aiguë et urgente des adénomes hypophysaires, méconnus dans deux tiers des cas ; tout patient ayant un macroadénome hypophysaire doit être prévenu du risque d'apoplexie.
Quoi de neuf ?
  • La localisation d'un trouble visuel au niveau du chiasma peut être évoquée en cas de déficit bilatéral du complexe des cellules ganglionnaires ( ganglion cell complex [GCC]) maculaire respectant le méridien vertical.
  • L'importance de l'amincissement de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL) et du GCC est un facteur pronostique de la récupération visuelle après traitement des tumeurs comprimant le chiasma.
Le chiasma optique présente de nombreuses variations anatomiques de forme, de taille, d'inclinaison et surtout dans ses rapports avec les structures adjacentes, notamment à la loge hypophysaire. Ces variations ainsi que la nature de la lésion et son mode évolutif expliquent les différents tableaux cliniques rencontrés [ 1–4 ]. Le mode de découverte est variable: devant un trouble visuel et/ou oculomoteur, face à une pâleur papillaire, sur une imagerie demandée pour un autre motif (céphalées, troubles endocriniens, etc.). La localisation au chiasma est évoquée devant l'aspect du champ visuel et maintenant du complexe des cellules ganglionnaires ( ganglion cell complex [GCC]) maculaire en tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) [5].
Examen ophtalmologique
Interrogatoire
L'interrogatoire recherche des symptômes et signes en faveur d'une anomalie endocrinienne ou neurologique. Sur le plan visuel, l'atteinte est variable, uni- ou bilatérale, volontiers insidieuse, progressive avec difficultés de lecture, gêne aux tâches de près ou de loin en raison des anomalies campimétriques. Une diplopie est possible, en rapport avec une paralysie oculomotrice, mais aussi en cas d'hétérophorie décompensée liée à la difficulté à fusionner les deux hémichamps visuels nasaux. En cas d'apparition brutale des symptômes, il faudra craindre une masse rapidement expansive ou une apoplexie hypophysaire.
Examen
L'examen recherche :
  • un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) lié à une atteinte compressive unilatérale ou bilatérale asymétrique du nerf optique ;
  • une anisocorie et/ou une paralysie oculomotrice évoquant une atteinte du sinus caverneux ou une hypertension intracrânienne (HIC) ;
  • un nystagmus à bascule ( see-saw nystagmus ), rare, rencontré dans les malformations congénitales (achiasmie, hypochiasmie), les traumatismes ou les volumineuses lésions suprasellaires ;
  • une pâleur papillaire sectorielle ou diffuse. L'atrophie est le plus souvent temporale, parfois globale en cas d'atteinte ancienne. Le plus spécifique est une atteinte en « nœud papillon » ou «   bow-tie » par atteinte des fibres temporales et nasales du nerf optique. L'œdème papillaire est exceptionnel.
L'examen soigneux du fond d'œil élimine les diagnostics différentiels d'atteinte temporale du champ visuel : dysversion papillaire, atteintes choriorétiniennes, syndrome des taches blanches évanescentes.
Champ visuel
Le champ visuel retrouve typiquement une atteinte bitemporale respectant le méridien vertical, parfois asymétrique et plus ou moins complète (fig. 6-1
Fig. 6-1
Patient porteur d'un adénome hypophysaire non sécrétant.a.Atteinte bitemporale du champ visuel de Goldmann, complète sur l'œil gauche (à gauche) et incomplète prédominant en inférieur sur l'œil droit (à droite). b.Les rétinophotographies du patient montrent une pâleur papillaire temporale aux deux yeux (l'œil droit est à gauche et l'œil gauche est à droite).
). Il peut coexister une atteinte du nerf optique et/ou des tractus qui modifie l'atteinte campimétrique permettant de distinguer :
  • le syndrome chiasmatique antérieur ou syndrome jonctionnel de Traquair avec du côté lésé une atteinte du nerf optique et du côté opposé un déficit temporal supérieur respectant le méridien vertical (fig. 6-2
    Fig. 6-2
    Exemple de scotome jonctionnel en périmétrie automatisé.a.Le champ visuel de l'œil gauche montre un déficit diffus avec atteinte du seuil fovéolaire, plus dense en temporal supérieur. b.Le champ visuel de l'œil droit montre un déficit peu profond en temporal supérieur. Le champ visuel localise la lésion à la jonction entre le nerf optique gauche et le chiasma.
    Source: C. Lamirel.
    ) ;
  • le syndrome du corps du chiasma qui donne le tableau typique d'atteinte bitemporale plus ou moins symétrique : il commence en temporal supérieur dans les atteintes inférieures ou antérieures (hypophyse) et inversement en temporal inférieur dans les compressions supérieures ou postérieures comme les craniopharyngiomes ;
  • le syndrome chiasmatique postérieur donne une atteinte hémianopsique bitemporale centrale (par atteinte des fibres d'origine maculaire) respectant le méridien vertical. Si la lésion comprime un tractus optique, une hémianopsie latérale homonyme controlatérale peut être retrouvée.
Les atteintes binasales par compression latérale de chaque côté du chiasma sont exceptionnelles et doivent faire éliminer un glaucome.
OCT
L'OCT retrouve une atteinte diffuse ou prédominant en temporal de la pRNFL ne permettant pas de localiser au chiasma (fig. 6-3
Fig. 6-3
OCT et cliché infrarouge du patient de la fig.6-1: l'œil droit est à droite, l'œil gauche à gauche.a.Le cliché infrarouge, en noir et blanc, montre un assombrissement dans la partie nasale de la macula des deux yeux, respectant le méridien vertical et témoignant de la présence de microkystes de la couche plexiforme interne de la rétine. L'épaisseur de la couche des cellules ganglionnaires de la rétine est figurée en fausses couleurs: on observe une diminution d'épaisseur dans la partie nasale des deux maculas, respectant le méridien vertical et de même localisation que les microkystes sur le cliché infrarouge. Cet aspect doit faire évoquer une atteinte chiasmatique. b.Coupes OCT maculaires horizontales passant par la fovéa et en haute résolution qui montrent les microkystes de la couche plexiforme interne dans la partie nasale des maculas. c.OCT pRNFL qui montrent un amincissement en temporal de la papille droite. Sur la papille gauche, l'atteinte est sur la partie temporale et nasale réalisant l'aspect classique d'atrophie en bow-tie de la papille.
) ; l'aspect caractéristique en bow-tie est rare. À l'inverse, l'atteinte binasale respectant le méridien vertical du GCC aide à la localisation [5]. Des microkystes de la couche nucléaire interne de la rétine sont parfois visibles en OCT et en clichés infrarouges, ils sont de même localisation que les altérations du GCC. L'altération de l'OCT est un facteur de mauvaise récupération visuelle après traitement.
Potentiels évoqués visuels
Les potentiels évoqués visuels sont indiqués chez l'enfant, en cas d'impossibilité de réaliser un champ visuel et en cas d'hypochiasmie ou d'achiasmie. Dans ce contexte, l'OCT GCC peut également être utile.
Imagerie
L'imagerie de référence est l'imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale et orbitaire qui permet dans la grande majorité des cas de faire le diagnostic positif de l'anomalie en cause [6]. En cas d'hésitations sur la nature de la lésion, un scanner permet d'orienter le diagnostic en visualisant des calcifications intralésionnelles (craniopharyngiome), un aspect en verre dépoli du sphénoïde (dysplasie fibreuse), une lyse osseuse (lésions agressives) ou au contraire une condensation avec spicules en surface (pour l'ostéoméningiome).
Chez la femme enceinte, en cas d'apoplexie hypophysaire, l'IRM en urgence est obligatoire, quel que soit le stade de la grossesse. Elle montre un signal T1 élevé en rapport avec des plages de saignement intraglandulaires en hyposignal T2 et surtout en T2 écho de gradient, ainsi qu'une augmentation de volume de l'hypophyse qui déborde dans l'un ou les deux sinus caverneux, avec compression chiasmatique.
Les différents aspects IRM des anomalies du chiasma sont résumés dans le tableau 6-1
Tableau 6-1
Différents aspects IRM des anomalies du chiasma.
Chiasma absent ou hypoplasiqueChiasma aminciChiasma augmenté de volumeChiasma refoulé ou comprimé
Signal du chiasma
Hypersignal T2Hypersignal T2 hétérogène, hyposignal T1, non rehaussé par Gd
  • Hypersignal T2 si souffrance
  • Non rehaussé par Gd
Signes associés
  • Anomalies de la ligne médiane: corps calleux, ventricules et jonction bulbomédullaire (Chiari)
  • Contexte pédiatrique
  • Atrophie optique du tiers postérieur
  • Signes de contusion cérébrale
  • Compression de voisinage
  • Papille excavée
  • Kystes paraoptiques en T2
  • Chiasma en continuité avec NO inflammatoire spectre NMO
  • Lésions de la substance blanche: gliome NF1
  • Multinévrite de la base du crâne avec prise de contraste (sarcoïdose, infectieux, dysimmunitaire)
  • Lésions de SEP
  • Masse intrasellaire avec macroadénome hypophysaire
  • Masse suprasellaire avec calcifications et zones kystiques
  • Masse intrasellaire kystique ou remaniée
  • Lésion tumorale de la tige pituitaire
  • Masse développée aux dépens de: clinoïde, loge caverneuse, apex, jugum
  • Anévrisme de la carotide interne
  • Masse du plancher V3
Étiologies
  • Agénésie, hypoplasie
  • Atrophie secondaire avec glaucome évolué
  • Atrophie optique
  • Toutes causes de NO
  • Glaucome
  • Inflammation
  • Gliome du chiasma/NO isolé ou NF1
  • Tumeurs rares du chiasma (cavernome, MAV)
  • NOHL débutante
  • Adénome hypophysaire, kyste de la poche de Rathke
  • Craniopharyngiome
  • Infiltration inflammatoire ou tumorale
  • Méningiome sphénoïde
  • Dysplasie fibreuse
  • Masses extra-axiales de voisinage: anévrisme de la carotide, cavernome, schwannome, tumeur du plancher du V3
Gd: gadolinium ; MAV: malformation artérioveineuse ; NF1: neurofibromatose de type 1 ; NMO: neuroméylite optique ; NO: neuropathie optique ; NOHL: neuropathie optique héréditaire de Leber ; SEP: sclérose en plaques.
.
Recherche de troubles endocriniens
En présence d'une atteinte chiasmatique, des signes endocriniens et généraux peuvent guider le diagnostic étiologique et la décision thérapeutique (encadré 6-1
Encadré 6-1
Symptômes, signes et circonstances de survenue des anomalies endocriniennes d'origine hypophysaire à rechercher à l'interrogatoire
Hypersécrétion hormonale
  • Hyperprolactinémie :
    • femme : aménorrhée, galactorrhée ;
    • homme : troubles sexuels, gynécomastie ;
    • les deux sexes : infertilité.
  • Acromégalie : syndrome dysmorphique, céphalées, sueurs nocturnes, douleurs articulaires, syndrome d'apnée du sommeil, canal carpien bilatéral.
  • Hypercorticisme : syndrome de Cushing, amyotrophie proximale, fragilité cutanée, vergetures pourpres, visage érythrosique, obésité faciotronculaire.
Insuffisance hypophysaire
  • Déficit gonadotrope :
    • femme : aménorrhée ;
    • homme : troubles sexuels ;
    • les deux sexes : infertilité.
  • Déficit corticotrope : asthénie importante, tendance à l'hypotension et à l'hypoglycémie, amaigrissement.
  • Déficit thyréotrope : asthénie, frilosité, constipation, prise de poids, bradycardie, œdèmes, etc.
  • Diabète insipide :
    • polyurie et polydipsie avec soif intense ;
    • évoque une hypophysite, des métastases et infiltrations ;
    • jamais en préopératoire des adénomes.
  • Déficits multiples : peut aboutir à un panhypopituitarisme.
Contexte clinique
  • Maladie systémique chronique :
    • sarcoïdose multiviscérale, vascularite à ANCA, IgG4 ;
    • pathologie infiltrative ;
    • plus rarement tuberculose, syphilis.
  • Accouchement récent : suspicion d'hypophysite lymphocytaire.
  • Antécédent récent de tumeur faisant évoquer une métastase hypophysaire (sein, poumon).
  • Facteurs favorisant un abcès intrasellaire : septicémie récente, méningite, infection des structures adjacentes.
  • Traitement immunomodulateur : hypophysite auto-immune.
  • Hormonothérapie favorisant les méningiomes.
) [7]. L'interrogatoire et l'examen rechercheront des signes et symptômes en rapport avec un hyperfonctionnement hormonal (hyperprolactinémie, acromégalie, hypercorticisme), une insuffisance hormonale (gonadotrope, corticotrope, thyréotrope, diabète insipide) et un terrain favorisant (accouchement récent, antécédent néoplasique, infectieux, maladie systémique, traitement hormonal).
Bilan biologique
Le bilan biologique a pour but de dépister une hypersécrétion hormonale par un adénome hypophysaire sécrétant, un éventuel déficit hormonal secondaire et, en cas de doute sur une lésion non adénomateuse, de rechercher des arguments pour une maladie systémique, infiltrative ou infectieuse, etc.
Explorations hormonales
Les explorations hormonales analysent l'ensemble des lignées hypophysaires par un dosage des hormones périphériques couplé au dosage des hormones hypophysaires. Pour chaque lignée, les déficits se caractérisent par une baisse de l'hormone périphérique associée à une baisse ou une non-élévation de l'hormone hypophysaire. L'hypersécrétion se caractérise par une élévation de l'hormone périphérique associée à une hormone hypophysaire élevée ou non freinée. Des tests de stimulation ou de freinage peuvent être nécessaires pour confirmer le diagnostic. Les détails de ce bilan figurent dans la fiche no  25.
Autres explorations biologiques
Elles sont orientées en fonction du contexte clinique : dosage de l'enzyme de conversion de l'angiotensine sérique (ECA), de la ferritine ; taux plasmatique d'immunoglobulines de type G4 (IgG4) ; recherche des antineutrophil cytoplasmic antibodies (ANCA), de protéinurie, de syndrome inflammatoire ; sérologies syphilis, Quantiféron® ; dosages des anticorps à la recherche des pathologies auto-immunes associées.
Principales étiologies
Les étiologies sont largement dominées par les lésions compressives, essentiellement les macroadénomes hypophysaires chez l'adulte et le craniopharyngiome chez l'enfant [8].
  • Craniopharyngiomes  : ils sont kystiques et calcifiés, responsables le plus souvent de baisse visuelle importante, de céphalées, de troubles du comportement et endocriniens, avec une atteinte du champ visuel qui prédomine en inférieur. Le traitement est avant tout neurochirurgical, plus ou moins radiothérapie (fig. 6-4
    Fig. 6-4
    Craniopharyngiome.a, b.IRM séquence T2 en coupes coronale(a) et sagittale(b). Masse à développement suprasellaire: contenu pseudo-kystique en franc hypersignal T2 (flèche fine bleue), coque épaisse et hétérogène (flèche épaisse bleue) tissulaire, chiasma refoulé et aminci, non discernable. Noter l'importance du développement suprasellaire et l'aspect hétérogène et sédimentant en déclive de la portion charnue (flèche épaisse orange). c.IRM séquence coronale T1 avec injection: noter le rehaussement de la coque (tissulaire) et l'aspect relativement moins intense par contraste de la portion kystique, non rehaussée. d.Scanner sans injection: calcifications cernant le contour de la masse suprasellaire, typiques de craniopharyngiome. e.IRM séquence de susceptibilité magnétique: calcifications en franc hyposignal cernant le contour de la lésion.
    ).
  • Adénomes (10 à 15 % des tumeurs endocrâniennes): en cas d'expansion suprasellaire, ils sont responsables d'une hémianopsie bitemporale supérieure et d'une baisse d'acuité visuelle très variable. En dehors du traitement médical des tumeurs sécrétantes, le traitement est neurochirurgical.
  • Méningiomes  : développés à partir de l'arachnoïde du tubercule de la selle, de la clinoïde antérieure, du diaphragme sellaire ou du planum, ils réalisent une compression extrinsèque. Ils sont hormono-dépendants et se voient le plus souvent chez la femme d'âge moyen. Ils sont d'évolution lente avec parfois une croissance rapide au cours de la grossesse.
  • Gliome du chiasma  : c'est une tumeur intrinsèque qui peut se voir à tout âge, mais surtout chez l'enfant dans le cadre d'une neurofibromatose de type 1. L'extension aux nerfs optiques et aux tractus est très évocatrice du diagnostic.
  • Métastases hypophysaires  : elles sont rares mais probablement sous-diagnostiquées, touchant principalement la partie postérieure de l'hypophyse avec un diabète insipide parfois révélateur.
  • Ischémie optochiasmatique . Plus rare, elle doit faire éliminer une maladie de Horton, des chiasmatites et hypophysites :
    • inflammatoires (sclérose en plaques, spectre de la neuromyélite optique, sarcoïdose, lupus, histiocytose, granulomatose avec polyangéite) ;
    • infectieuses : virales (groupe herpès, VIH, chikungunya, dengue, oreillons, etc.), bactériennes (méningite, sinusite sphéno-éthmoïdale, maladie de Lyme, syphilis, tuberculose, Mycoplasma pneumoniae , Bartonella , maladie de Whipple, etc.), parasitaires (toxoplasmose, toxocarose, cysticercose, etc.) ou mycotiques (cryptoccocose).
Une atteinte par infiltration peut survenir en cas d'hémopathie. Une atteinte iatrogène est possible après radiothérapie ou chirurgie, après un traumatisme dans les fractures de l'étage antérieur de la base du crâne faisant rechercher anosmie et rhinorrhée associées. Les malformations vasculaires sont exceptionnelles (fig. 6-5
Fig. 6-5
Malformation artérioveineuse à la jonction du chiasma et du nerf optique droit.a–c.IRM séquence T2 en coupes frontale(a), sagittale(b) et axiale(c). Noter l'image de peloton irrégulier vasculaire en franc hyposignal T2 correspondant à des flux vasculaires rapides, comprimant la partie droite du chiasma. d.Au champ visuel, syndrome de la jonction entre le chiasma et le nerf optique droit.
).
Une urgence : l'apoplexie hypophysaire
Complication grave, aiguë des adénomes hypophysaires, notamment non fonctionnels, elle correspond à la survenue d'un infarctus ou d'une hémorragie au sein de l'adénome [9]. Dans plus de deux tiers des cas, l'adénome est méconnu avant la complication aiguë. Tout patient ayant un macroadénome hypophysaire proche du chiasma doit être prévenu du risque d'apoplexie (signes cliniques, situations à risque).
Facteurs déclenchants
De nombreux facteurs ont été évoqués comme la réalisation d'une angiographie numérisée, un traitement anticoagulant, des tests de stimulation endocrinienne, les agonistes dopaminergiques.
Présentation clinique
Le début est brutal et associe des céphalées aiguës , des troubles visuels par compression chiasmatique et/ou atteinte oculomotrice (III, IV et VI). Des signes d'irritation méningée sont possibles : photophobie, nausées et vomissements, parfois une fièvre et des troubles de la conscience pouvant aller jusqu'au coma.
Bilan
Le bilan retrouve un ou plusieurs déficits endocriniens . Le déficit corticotrope est le plus fréquent, pouvant être à l'origine d'une hypotension, de troubles hémodynamiques sévères et d'une hyponatrémie réalisant une insuffisance surrénalienne aiguë . Le diabète insipide est rare et concerne moins de 5 % des patients.
Imagerie
À la phase aiguë, le scanner sans injection est utile au diagnostic car de recours plus aisé. Il montre une hyperdensité spontanée intrasellaire. Idéalement, la réalisation d'une IRM en urgence permet de faire le diagnostic positif de la complication hémorragique et d'éliminer les autres diagnostics. L'injection de gadolinium retrouve parfois une zone d'hypophyse saine tassée au fond de la selle ou refoulée latéralement (fig. 6-6
Fig. 6-6
Apoplexie pituitaire, aspects IRM.a.Séquence T2 en coupe coronale: masse sellaire à développement suprasellaire avec un hyposignal franc (flèche fine) lié au sang et refoulement supérieur du chiasma (flèche épaisse). b.Séquence sagittale FLAIR macroadénome avec complication hémorragique et niveau liquide (flèche). La portion hémorragique antérieure est spontanément hyperintense.
).
Prise en charge thérapeutique
La prise en charge thérapeutique est urgente et multidisciplinaire ; elle commence par la substitution des déficits antéhypophysaires, la compensation d'un éventuel diabète insipide et la correction des troubles hydro-électrolytiques. Le traitement est conservateur par glucocorticoïdes en cas de troubles visuels modérés et stables ou anciens, de paralysies oculomotrices isolées ou de contre-indication à la chirurgie. En cas de troubles de la conscience ou de détérioration secondaire, de troubles visuels sévères récents ou s'aggravant, l'exérèse chirurgicale de l'adénome nécrosé est indiquée.
Les principes thérapeutiques dépendent de l'étiologie
Traitements médicaux
S'il s'agit d'un adénome hypophysaire sécrétant, les traitements médicaux sont efficaces pour contrôler l'hypersécrétion hormonale et réduire la masse tumorale. Les agonistes dopaminergiques (comme le cabergoline) sont les traitements de première intention des adénomes à prolactine. Les analogues de la somatostatine sont indiqués dans le traitement de l'acromégalie avant la chirurgie et en complément de celle-ci en cas de non-guérison.
Les glucocorticoïdes sont efficaces dans le traitement des hypophysites primitives ou secondaires lorsqu'ils sont administrés précocement. Le plus utilisé est la prednisone (20 à 60mg/jour). Une antibiothérapie pendant plusieurs semaines est indiquée en cas de pathologie infectieuse. Enfin, il faut corriger les déficits hypophysaires par une hormonothérapie substitutive (hydrocortisone, L-thyroxine, testostérone, œstroprogestatif, desmopressine).
Suivi des adénomes hypophysaires traités médicalement
Pour les adénomes à prolactine, la surveillance de la prolactinémie est réalisée à 1 mois puis tous les 3 mois jusqu'à sa normalisation, puis tous les ans. Une IRM est recommandée à 3 mois, à 6 mois, puis annuellement tant qu'on observe une poursuite de l'effet antitumoral, puis plus espacée, tous les 5 ans par exemple.
Le suivi de l'acromégalie repose sur le dosage de l' insulin growth factor   1 (IGF-1) toutes les 4 à 6 semaines jusqu'à normalisation, puis espacé à 3 puis 6 mois. Une IRM est réalisée au 6e mois puis annuellement.
Principes de la prise en charge neurochirurgicale
La région chiasmatique est accessible par deux types d'abords neurochirurgicaux, la voie haute dite transcrânienne et la voie basse dite endoscopique endonasale.
Voie haute transcrânienne
La voie haute transcrânienne consiste à inciser le scalp pour réaliser un volet crânien au-dessus et en dehors du rebord orbitaire, ouvrir la dure-mère et se glisser sous le lobe frontal pour approcher de la base du crâne dans le but de décomprimer le chiasma et les nerfs optiques de façon maximaliste, sans manipulation agressive de ces derniers. Cet abord est préféré pour les méningiomes de la base du crâne, en particulier de l'étage moyen ; il permet une exposition anatomique de très bonne qualité et la plupart des tumeurs de la région sont extirpables par cet abord. Cependant, il oblige un certain écartement du lobe frontal pouvant entraîner un œdème parenchymateux et la voie d'abord cutanée et sous-cutanée impose une grande cicatrice et une dissection du muscle temporal, pouvant provoquer des difficultés de mastication passagères.
Voie basse endoscopique endonasale
La voie basse endoscopique endonasale est utilisée depuis plusieurs décennies et consiste à s'introduire dans les fosses nasales pour ouvrir le sinus sphénoïdal et accéder à la loge hypophysaire par son plancher. C'est l'abord préféré pour les adénomes hypophysaires, mais parfois aussi pour les craniopharyngiomes et quelques méningiomes. Ses avantages sont son caractère mini-invasif, sans cicatrice et sans rétraction sur le cerveau, mais la courbe d'apprentissage est plus longue, et cette voie ne permet que rarement de voir le chiasma dans sa globalité et d'accéder aux versants latéraux des nerfs optiques.
Suivi des patients opérés
Le suivi se déroule de la façon suivante :
  • consultations neurochirurgicales à 6 à 8 semaines, puis annuelles pendant 2 à 3 ans pour ensuite espacer à tous les 5 ans. Ce suivi se fait à vie ;
  • consultation ophtalmologique à 3 et 6 mois puis tous les 6mois jusqu'à stabilisation de la fonction visuelle, la surveillance peut ensuite être espacée. En l'absence de toute atteinte visuelle à la première visite postopératoire et de reliquat suprasellaire proche des voies visuelles, le suivi ophtalmologique peut s'interrompre ;
  • IRM et bilan endocrinien à 3 et 12 mois, puis tous les ans pendant 5 ans. Le suivi est ensuite déterminé en fonction de l'absence ou de la présence d'un reliquat identifié et de son évolutivité ;
  • un suivi endocrinologique à vie est indispensable en cas d'adénome hypophysaire, de craniopharyngiome compliqué de panhypopituitarisme ou de diabète insipide postopératoire.
Remerciements   : Dr Vincent Toanen.
Bibliographie
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