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Chapitre 3
Orientation devant un trouble visuel

C. Vignal Clermont

Points importants
  • Devant un trouble visuel, en complément de l'examen oculaire, la démarche diagnostique s'appuie sur les éléments suivants :
    • l'interrogatoire ;
    • la réfraction, avec mesure de l'acuité visuelle corrigée et avec interposition d'un trou sténopéique ;
    • l'examen des pupilles à la recherche d'un déficit pupillaire afférent relatif si le trouble visuel est unilatéral ou asymétrique ;
    • le champ visuel, qui est l'examen clé.
  • En cas de déficit campimétrique sans respect du méridien vertical, la tomographie par cohérence optique et les clichés monochromatiques permettent de vérifier l'état anatomique de la rétine (pathologie de la rétine externe, mais aussi mesure du complexe ganglionnaire).
Quoi de neuf ?
Les progrès de l'imagerie rétinienne (clichés monochromatiques, imagerie grand champ, tomographie par cohérence optique et, demain peut-être, optique adaptative) permettent dorénavant de confirmer la normalité du fond d'œil avant la demande d'imagerie cérébrale.
Devant un trouble visuel, le clinicien doit s'attacher à :
  • localiser l'atteinte ;
  • faire des hypothèses sur son mécanisme afin de planifier le bilan nécessaire au diagnostic.
Éléments nécessaires au diagnostic
Interrogatoire
L'interrogatoire précise :
  • le terrain (antécédents personnels et familiaux, traitements en cours) ;
  • les caractéristiques du trouble visuel :
    • transitoire (circonstances de survenue, cinétique de l'installation brutale ou progressive, durée) ou persistant (circonstances de survenue, installation brutale ou progressive) ;
    • mono- ou binoculaire. Attention   ! Une diplopie binoculaire avec faible décalage des images peut être prise pour un flou visuel binoculaire ;
    • éléments positifs (photopsies, métamorphopsies, illusions visuelles) et/ou négatifs (scotomes) ;
    • symptômes d'accompagnement éventuels (douleurs, syncope, troubles neurologiques, etc.).
Examen du patient
L'examen du patient comporte toujours :
  • la mesure de l'acuité visuelle corrigée de loin et de près, et en interposant un trou sténopéique ;
  • l'appréciation de la vision des couleurs, qui va de la recherche d'une désaturation au rouge au test de Farnworth en passant par le test d'Ishihara, selon le contexte ;
  • l'examen des pupilles à la recherche d'un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) en cas d'atteinte unilatérale ou asymétrique ;
  • l'examen oculaire complet avec mesure de la pression intraoculaire et fond d'œil après dilatation. Une gonisocopie est réalisée en cas de doute ;
  • un champ visuel automatisé. Celui-ci peut mettre en évidence une atteinte sans respect du méridien vertical, le plus souvent unilatérale, localisant l'atteinte en avant du chiasma (œil ou nerf optique), ou un déficit bilatéral respectant le méridien vertical qui témoigne d'une pathologie localisée au chiasma ou en arrière ;
  • la tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) de la rétine et des fibres nerveuses rétiniennes ainsi que des clichés infrarouges et en autofluorescence sont d'une grande aide pour diagnostiquer les anomalies rétiniennes non vues au fond d'œil. L'analyse de l'OCT est guidée par la localisation des anomalies du champ visuel.
La synthèse clinique a lieu à la fin de ce premier temps d'examens ; après avoir obtenu le champ visuel, il faut s'attacher à vérifier la normalité de la rétine dans l'aire correspondant au scotome, cliniquement et sur les coupes natives d'OCT.
Trois situations cliniques sont ensuite possibles
Il s'agit d'un trouble visuel transitoire
Cette situation implique que la fonction visuelle est revenue à l'état antérieur et, qu'en l'absence de pathologie préexistante, le champ visuel est normal . Les troubles visuels transitoires vasculaires (maladie de Horton, pathologie embolique, sténose vasculaire) demandent une prise en charge urgente : ils sont détaillés dans le chapitre 8 et la fiche n°26.
Une anomalie explique le trouble visuel
L'examen oculaire retrouve une anomalie qui explique le trouble visuel. Il peut s'agir d'une pathologie oculaire (problème réfractif, anomalie cornéenne, hypertonie oculaire, inflammation, cataracte, pathologie rétinienne), mais aussi d'une neuropathie optique œdémateuse (avec, dans ce cas, un DPAR homolatéral) uni- ou bilatérale, dont la prise en charge est détaillée dans le chapitre 4 et l'algorithme correspondant de l'application.
Le trouble visuel s'accompagne d'un examen oculaire normal
Dans ce cas, les deux éléments clés sont le champ visuel et l'OCT (fig. 3-1
Fig. 3-1
Algorithme devant un trouble visuel avec examen oculaire normal.DPAR: déficit pupillaire afférent relatif ; IRM: imagerie par résonance magnétique ; IR : infrarouge ; NO: neuropathie optique ; OCT: optical coherence tomography (tomographie par cohérence optique) ; TS: trou sténopéique.
).
Si les données de l'examen orientent vers une atteinte de la voie visuelle à fond d'œil normal (tableau 3-1
Tableau 3-1
Étiologies et tableau clinique des atteintes de la voie visuelle à fond d'œil normal.
ÉtiologieTableau clinique typique
Neuropathie optique inflammatoire et/ou infectieuse (névrite optique) rétrobulbaireAdulte jeune, BAV unilatérale rapide, douleur lors des mouvements oculaires, DPAR
Neuropathie optique compressiveBAV progressive, la papille devient rapidement pâle, DPAR
Neuropathie optique ischémique postérieure de la maladie de HortonRare, patient âgé, signes généraux de la maladie de Horton, retard choroïdien sur l'angiographie, DPAR
Neuropathie optique infiltrative postérieureParfois contexte inflammatoire (pseudo-tumeur, sarcoïdose), DPAR
Neuropathie optique traumatiqueContexte évocateur, DPAR
Neuropathie optique toxique ou carentielleBAV progressive, indolore, souvent bilatérale, scotome cæcocentral, dyschromatopsie
Neuropathie optique héréditaire de LeberBAV indolore, sévère, rapidement progressive, souvent bilatérale séquentielle, scotome cæcocentral, dyschromatopsie
Atteinte du chiasmaChamp visuel: atteinte bitemporale 
Atteinte rétrochiasmatique
  • Déficit latéral homonyme controlatéral
  • En cas d'atteinte du pôle occipital, scotome hémianopsique latéral homonyme controlatéral congruent
  • Parfois troubles neurovisuels associés
BAV: baisse d'acuité visuelle ; DPAR: déficit pupillaire afférent relatif.
), l'imagerie cérébrale permet d'éliminer une compression et de préciser le diagnostic.
Les pathologies rétiniennes « occultes » –dystrophie des cônes, rétinopathie pigmentaire débutante ou sans pigment, rétinopathie autoimmune ( cancer-associated retinopathy [CAR]) ou non, occlusion transitoire de l'artère ou d'une branche de l'artère centrale de la rétine, vue à distance avec reperméabilisation (fig. 3-2
Fig. 3-2
Patient de 51ans avec baisse visuelle droite profonde (voyait noir) durant 5heures, puis récupération à6/10.a.Le fond d'œil est normal, mais l'OCT retrouve un épaississement des couches internes de la rétine à droite en faveur d'une occlusion de l'artère centrale de la rétine reperfusée. b.L'OCT de l'œil gauche est normal.
), ou paracentral acute middle maculopathy (PAMM), choriorétinopathie séreuse centrale (CRSC) a minima– peuvent être de diagnostic difficile sur l'examen du fond d'œil, mais les progrès réalisés en OCT et les clichés monochromatiques ont amélioré la mise en évidence de ces pathologies.
Dans le cas où l'on suspecte une baisse visuelle non organique (champ visuel tubulaire et/ou éléments discordants), on pourra s'aider des tests décrits dans le chapitre 24 .
Enfin, signalons les pathologies dégénératives (maladie d'Alzheimer, atrophie corticale postérieure, maladie de Creutzfeldt-Jakob) qui peuvent se manifester par une baisse visuelle associée à des troubles des fonctions supérieures (dont anomalies neurovisuelles) et parfois à des hallucinations.
Lorsque le patient accuse une baisse visuelle inexpliquée et que l'examen ophtalmologique et neuro-ophtalmologique (pupilles) est strictement normal, le bilan complémentaire comprend, dans un ordre variable, une imagerie par résonance magnétique (IRM) cérébrale et orbitaire et un examen électrophysiologique : électrorétinogramme (ERG) avec ERG multifocal et potentiels évoqués visuels (PEV). Dans tous les cas, l'étude des PEV est couplée à celle de l'ERG. Cependant, l'amplitude et la latence de l'onde P100 peuvent être altérées volontairement ou non par un patient qui ne se concentre pas ou qui ne fixe pas la cible, et la fixation doit être surveillée.