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Chapitre 4
Neuropathies optiques
4.1.
Orientation devant une neuropathie optique

S. Defoort-Dhellemmes,

C. Marks,

V. Smirnov,

I. Drumare


Lorsque l'on suspecte une neuropathie optique (NO) devant une baisse d'acuité visuelle (BAV) avec altération de la vision des couleurs et contrastes, un déficit pupillaire afférent relatif (DPAR) en cas de trouble unilatéral ou asymétrique, et des modifications de l'aspect de la papille optique, l'interrogatoire et l'examen ophtalmologique complétés par des examens paracliniques de première orientation (fonctionnels et OCT) vont guider la démarche diagnostique, ces signes cliniques n'étant ni constants ni spécifiques. La synthèse des données recueillies pendant le bilan neuro-ophtalmologique permet le plus souvent d'évoquer un ou plusieurs mécanismes pathologiques : inflammatoire, vasculaire, tumoral, héréditaire, etc. (tableau 4-1
Tableau 4-1
Neuropathies optiques selon leur mécanisme.
Neuropathie optique Causes
Inflammatoire
  • Maladies démyélinisantes (SEP, neuromyélites optiques)
  • Maladies infectieuses (syphilis, maladie de Lyme, tuberculose, etc.)
  • Maladies systémiques non infectieuses (auto-immunes, sarcoïdose, etc.)
Vasculaire ischémique Causes artéritiques ou non artéritiques, antérieures le plus souvent (rarement postérieures)
Traumatique Traumatisme direct ou indirect
Compressive/infiltrative
  • Tumeur du nerf optique: gliome, méningiome des gaines
  • Autres tumeurs orbitaires, maladie de Basedow, tumeurs intracrâniennes (adénome, craniopharyngiome, méningiome, anévrisme)
  • Méningite carcinomateuse, leucémie
HIC/HTA
  • HIC idiopathique, thrombose veineuse cérébrale, HIC tumorale
  • HTA maligne
  • Séquelle d'œdème chronique de stase
Toxique et/ou carentielle
  • Causes médicamenteuses, produits phytochimiques, etc.
  • Carences: vitamines B, cuivre, etc.
  • Intoxications alcoolotabagiques
Héréditaire
  • AO dominantes, AO récessives, neuropathie optique de Leber (mitochondriale)
  • Neuropathie optique héréditaire syndromique (souvent récessive, maladies neurologiques)
AO: atrophie optique ; HIC: hypertension intracrânienne ; HTA: hypertension artérielle ; SEP: sclérose en plaques.
). L'ophtalmologiste peut alors demander le ou les examens paracliniques appropriés nécessaires pour poser le diagnostic étiologique et initier la prise en charge thérapeutique.
Démarche clinique d'orientation diagnostique
Orientation étiologique par l'interrogatoire méthodique
Lors de l'interrogatoire, il faut recueillir précisément les caractéristiques des différents symptômes (latéralité, mode de survenue, circonstances déclenchantes, intensité, durée), les facteurs de risque et les symptômes associés généraux ainsi que les antécédents personnels et familiaux.
Antécédents, âge et genre du patient
Ces éléments sont évocateurs de certaines pathologies mais ne sont en aucun cas exclusifs. D'autres cas de malvoyances dans la famille sont recherchés au mieux par la réalisation de l'arbre généalogique afin d'évoquer une cause héréditaire et son mode de transmission.
Les antécédents familiaux de NO héréditaire ou la notion d'une pathologie périnatale doivent être documentés (récupérer les comptes rendus et photographies) et comparés au tableau clinique. La génétique doit être confirmée et, au moindre doute, un bilan neurologique est nécessaire.
Chez un sujet de plus de 50 ans, une maladie de Horton doit toujours être évoquée et éliminée en urgence.
Chez les plus jeunes, les causes les plus fréquentes de NO sont :
  • chez la femme jeune de 20 à 40 ans, d'origine caucasienne, une névrite optique ;
  • chez l'homme de la cinquantaine, une origine vasculaire ;
  • chez l'homme jeune de 20 à 40 ans, une neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL) ;
  • chez l'enfant, la souffrance périnatale et les causes tumorales à l'âge préverbal et les maladies héréditaires, les tumeurs et les traumatismes à l'âge verbal.
Contexte général et traitements en cours
  • Une cécité brutale totale à fond d'œil (FO) normal constatée au décours d'un bas débit cardiaque en unité de réanimation ou au réveil d'une chirurgie est due à une NO ischémique postérieure .
  • Si la NO survient chez un patient qui a une maladie générale connue (comme la sclérose en plaques [SEP]) ou un traitement potentiellement neurotoxique, la cause de la NO paraît évidente, mais cela ne dispense pas d'un bilan ophtalmologique méthodique amenant parfois, en cas d'atypies, à reprendre le bilan étiologique.
Côté (uni- ou bilatéral), mode de survenue et évolution de la baisse d'acuité visuelle
Ces éléments sont importants dans l'orientation du mécanisme pathologique de NO. Ils sont évoqués dans le tableau 4-2
Tableau 4-2
Éléments d'orientation devant une neuropathie optique en fonction du mode de survenue.
Mode de survenue Atteinte unilatérale Atteinte bilatérale
Aigu, brutal, horaire
  • NOIA(le plus souvent): artéritique ou non artéritique
  • NOIP (rare: maladie de Horton, hypovolémie)
  • NO traumatique
  • Complication aiguë de compression
  • NOIA artéritique
  • NOIA non artéritique (contexte chirurgical/hypovolémie ou séquentielle lente)
  • NOIP (rare: maladie de Horton, hypovolémie)
  • NO traumatique
  • Complication aiguë de compression
Subaiguë, moins de 15 jours 
  • Névrite typique (SEP)
  • NOHL
  • Compression/infiltration
  • Névrite de l'enfant <10ans
  • Névrite optique atypique
  • NOHL: bilatérale d'emblée ou séquentielle
  • Compression/infiltration
Lentement progressive:
  • vers la cécité en l'absence de traitement
  • très peu évolutive ou stable
  • Compression/infiltration
  • Névrite optique «atypique »
  • Tumeur des deux nerfs optiques
  • Cause toxique ou carentielle
  • Atrophie optique héréditaire dominante ou récessive
  • NOHL chez le jeune enfant
NO: neuropathie optique ; NOHL: neuropathie optique héréditaire de Leber ; NOIA: neuropathie optique ischémique antérieure ; NOIP: neuropathie optique ischémique postérieure ; SEP: sclérose en plaques.
.
Douleur
La douleur est le symptôme d'accompagnement dont l'analyse est essentielle pour orienter la stratégie diagnostique et définir le degré d'urgence. Elle peut être au premier plan ou précéder la BAV.
Une douleur qui augmente à la mobilisation du globe est caractéristique d'une névrite optique. Elle est présente dans 92 % des névrites optiques typiques (SEP) et disparaît en 7 à 10 jours. Lorsqu'elle est absente ou dure plus de 15 jours, il faut évoquer une névrite optique atypique.
Des douleurs périorbitaires ou des céphalées sont aussi possibles dans une compression du nerf optique par un méningiome du sphénoïde ou par un volumineux anévrisme non rompu (carotido-ophtalmique) ; une sclérite postérieure associée (cause de cette douleur) à une névrite optique ; une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) artéritique (maladie de Horton).
Une douleur « explosive » et des nausées ou vomissements accompagnant une BAV brutale sont le signe d'une urgence vitale (rupture d'anévrisme ou apoplexie hypophysaire) qui impose une prise en charge immédiate dans un centre d'urgence neurovasculaire.
Signes cliniques extra-oculaires
Une altération de l'état général avec asthénie doit faire rechercher un cancer– cause exceptionnelle de NO par métastase orbitaire ou syndrome paranéoplasique–, une maladie de Horton et une origine carentielle. Des facteurs de risque cardiovasculaire –hypertension artérielle, troubles du métabolisme lipidique, apnée du sommeil et diabète– sont propices à la survenue de neuropathies optiques ischémiques antérieures (NOIA), surtout en cas de petite papille pleine à risque. Chez l'enfant ou l'adulte jeune , des signes généraux ( surdité , diabète, cardiopathie, par exemple) associés à une atrophie optique bilatérale orientent le diagnostic vers une cause héréditaire.
Orientation étiologique par l'examen clinique
Inspection du patient et palpation du crâne
Une exophtalmie évoque une neuropathie compressive (tumeur du nerf optique ou orbitaire, neuropathie basedowienne). Le comblement, voire la voussure du creux temporal, signe un méningiome de la petite aile du sphénoïde. Chez l'enfant, une pseudo-exophtalmie (exorbitisme) doit faire penser à une craniosténose (oxycéphalie), cause d'hypertension intracrânienne (HIC) chronique ; le diagnostic sera étayé par la mesure du périmètre crânien et confirmé par le scanner tridimensionnel.
Mesure d'acuité visuelle et examen pupillaire
La BAV et la mise en évidence d'un DPAR sont essentielles au diagnostic positif mais n'orientent pas le diagnostic étiologique. A contrario, une NO avec BAV massive sans DPAR est en faveur d'une NOHL (les cellules ganglionnaires à la mélanopsine étant épargnées). Une hypermétropie acquise évoque une compression postérieure du globe.
Examen oculomoteur
Une limitation des mouvements oculaires oriente vers une NO compressive (tumeurs orbitaires ou myopathie basedowienne) ou inflammatoire (myosite associée).
Examen du segment antérieur
Cet examen peut retrouver des nodules de Lisch en faveur d'un gliome du nerf optique dans le cadre d'une neurofibromatose de type 1 (NF1), des signes d'orbitopathie thyroïdienne chez un patient exophtalme, une uvéite en faveur d'une névrite optique.
Examen du fond d'œil
L'étude comparative des deux papilles est l'étape essentielle de l'examen clinique. La papille est par définition normale à la phase aiguë des atteintes postérieures inflammatoires et ischémiques. Elle peut être normale à la phase précoce de la NOHL et des NO compressives ou toxiques.
L'œdème papillaire (OP) sectoriel, modéré, pâle est en faveur d'une NO ischémique  ; global, il est évocateur d'une NO tumorale ou d'une NO inflammatoire . Une névrite optique avec OP important, exsudats, hémorragies n'est pas en faveur d'une SEP mais doit faire rechercher une autre cause (neuromyélite optique, sarcoïdose, névrites infectieuses). À noter que les neuropathies œdémateuses sont toujours associées à une BAV ou à un déficit plus ou moins marqué du champ visuel à l'inverse de l'OP de stase.
La pâleur papillaire ou l' atrophie optique n'ont pas de valeur étiologique. En effet, elles sont retrouvées au stade séquellaire de nombreuses NO et même des rétinopathies diffuses.
Une excavation oriente vers une NO glaucomateuse mais lorsqu'elle s'associe à une pâleur ou atrophie papillaires, il faut éliminer une autre cause de NO (compression tumorale ancienne ou syndrome de Wolfram en particulier).
Les autres anomalies associées au FO sont :
  • une étoile maculaire, une uvéite, une vascularite rétinienne qui évoqueront des NO inflammatoires ou vasculaires ;
  • des plis rétiniens dans le cadre d'une tumeur orbitaire.
Examens complémentaires
Les examens fonctionnels de la vision et l'imagerie par tomographie par cohérence optique ( optical coherence tomography [OCT]) sont nécessaires au diagnostic différentiel et au suivi d'une NO. Associés à la clinique, ils ont une grande valeur d'orientation, particulièrement dans les formes paucisymptomatiques ou frustes.
Étude de la vision des couleurs
La vision des couleurs est altérée de façon constante et précoce dans toutes les NO non glaucomateuses. Une dyschromatopsie d' axe bleu-jaune est un argument notable en faveur d'une atrophie optique héréditaire dominante ou d'un glaucome avancé . Une dyschromatopsie d'axe rouge-vert est un signe précoce de NO toxique chez un sujet qui se plaint de troubles visuels sans signes cliniques francs de NO.
Champ visuel
Certains déficits campimétriques orientent d'emblée vers un mécanisme particulier de NO après exclusion d'une lésion rétinienne. Le scotome centrocæcal évoque une NO héréditaire ou toxique lorsqu'il est bilatéral et une cause inflammatoire ou une NOHL lorsqu'il est unilatéral. Le déficit altitudinal n'est pas spécifique mais évocateur d'une cause vasculaire. Les déficits centraux diffus sont en faveur d'une NO inflammatoire lorsqu'ils sont unilatéraux et d'une cause toxique débutante ou en voie de récupération lorsqu'ils sont bilatéraux. L'association d'une NO à un déficit hémianopsique ou quadranopsique controlatéral signe une lésion de la jonction chiasmatique (gliome, adénome, craniopharyngiome, anévrisme).
Potentiels évoqués visuels
Les potentiels évoqués visuels (PEV) ont une latence et une amplitude altérées dans tous les types de NO à la phase aiguë. Une altération du PEV à la phase précoce , lorsque l'acuité visuelle est subnormale, évoque une NO toxique ou carentielle. Une augmentation de la latence constatée au niveau de l'œil « sain » ou persistant après récupération fonctionnelle du côté de la NO est signe de NO démyélinisante . Une diminution d'amplitude sans augmentation de latence à la phase aiguë d'une NO évoque une cause compressive ou vasculaire.
OCT et angiographie
À la phase initiale, l'OCT est intéressant pour le diagnostic différentiel avec les rétinopathies (occultes surtout) et pour confirmer une atteinte du nerf optique en cas de doute sur une pâleur papillaire, mais n'a pas ou peu d'intérêt pour le diagnostic étiologique d'une NO. L'angiographie fluorescéinique ou l'angio-OCT peuvent mettre en évidence une ischémie choroïdienne associée à la NO, signe de maladie de Horton.
Conclusion
Le bilan neuro-ophtalmologique complet permet de formuler des hypothèses sur le mécanisme de la NO et ainsi d'orienter la demande d'examens – neurologiques, cardiologiques, biologiques, radiologiques– nécessaires pour affirmer le diagnostic étiologique. La demande d'imagerie, le plus souvent une imagerie par résonance magnétique (IRM), est ainsi étayée par les données de ce bilan. L'examen clinique peut parfois suffire, par exemple pour diagnostiquer une névrite optique typique (SEP). À l'inverse, le diagnostic de certaines NO de mécanisme mitochondrial (toxique, métabolique ou génétique) peut requérir de nombreuses investigations. Celui de NO vasculaire, infectieuse ou héréditaire reste parfois un diagnostic de probabilité si le cas est sporadique, quand le patient est vu au stade d'atrophie optique et lorsque la pathologie n'est ni évolutive ni récidivante.
4.2.
Neuropathies optiques inflammatoires et infectieuses

V. Touitou,

D. Saadoun,

J. de Sèze

Points importants
  • Un bilan étiologique doit être réalisé devant toute névrite optique.
  • L'étiologie la plus courante des névrites optiques est la SEP, avec une présentation typique de la neuropathie optique inflammatoire (NOInfl).
  • L'association à une myélite ou une atteinte du tronc cérébral peut faire rentrer la NOInfl dans le cadre des maladies du spectre de la neuromyélite optique (NMO), souvent associées à des anticorps anti-AQP-4 ou anti-MOG où les récidives sont fréquentes.
  • Dans de rares cas, une maladie systémique (lupus, sarcoïdose, syndrome de Sjögren, maladie de Behçet) est retrouvée. Dans ces affections, les névrites ont souvent un pronostic visuel sévère et sont volontiers cortico-résistantes.
  • Quand l'IRM et l'analyse du liquide cérébrospinal (LCS) sont normales, la NOInfl est habituellement considérée comme idiopathique et le patient devra être surveillé.
  • En cas d'atypies (cliniques, biologiques, radiologiques) faisant suspecter une névrite optique infectieuse, la ponction lombaire est indispensable, voire urgente.
  • La fréquence des manifestations oculaires de la syphilis, incluant la névrite optique, est en constante augmentation.
  • En cas de suspicion de névrite optique virale, le traitement est initié dès l'imagerie et la ponction lombaire est réalisée sans attendre les résultats de la polymerase chain reaction (PCR).
  • La névrite optique peut être la manifestation initiale d'une méningoencéphalite herpétique ou zostérienne et engager le pronostic vital du patient.
  • Le traitement des névrites optiques infectieuses (bactériennes, virales ou fongiques) est toujours parentéral et prolongé.
Quoi de neuf ?
  • Le diagnostic de SEP peut être posé dès la première poussée (critères de McDonald 2017).
  • Les traitements de fond de la SEP sont proposés de plus en plus tôt, idéalement dès la première poussée.
  • Des traitements de fond de la SEP par voie orale sont maintenant disponibles : fingolimod, tériflunomide, diméthyl fumarate. De nouveaux anticorps monoclonaux sont venus compléter le traitement (natalizumab, alemtuzumab, ocrelizumab).
  • Le diagnostic de NMO peut être posé dès la première poussée si la sérologie AQP-4 est positive (critères de Wingerchuk de 2015).
  • La découverte des anticorps anti-MOG a permis d'invalider le concept de névrite optique récidivante. Cette affection représente environ 20 % des neuropathies optiques anciennement qualifiées d'idiopathiques et rentre également dans le spectre de la NMO.
  • La prise en charge thérapeutique de la NMO a beaucoup évolué avec les résultats récents (2019) de trois essais de phase 3 avec des nouveaux anticorps monoclonaux qui viennent s'ajouter au rituximab déjà très efficace: satralizumab, éculizumab et inébilizumab.
  • Dans le cadre de la maladie de Behçet, les atteintes d'organes sévères menaçant une fonction sont une indication à un traitement immunosuppresseur (azathioprine, voire anti-tumor necrosis factor ou interféron) en plus de la corticothérapie (recommandations de l'European League Against Rheumatism [EULAR] 2018).
  • Dans le cadre du lupus, les immunosuppresseurs ou les immunomodulateurs peuvent être introduits d'emblée, en plus de la corticothérapie, en cas d'atteinte menaçant un organe ou une fonction. En cas d'échec des immunosuppresseurs ou des immunomodulateurs, le cyclophosphamide peut être proposé (recommandations EULAR 2019).
  • La NOInfl de Lyme est considérée comme un neuro-Lyme et nécessite la réalisation d'un test ELISA ( enzyme-linked immunosorbent assay ) à la fois dans le sang et le LCS comme toute suspicion de neuro-Lyme. Un Western blot doit ensuite être réalisé en cas de positivité. Il n'est pas utile de suivre la négativation des tests biologiques lors du traitement ( guidelines de 2019 des sociétés françaises scientifiques sur le diagnostic et le traitement de la maladie de Lyme).
Neuropathie optique inflammatoire typique et atypique, éléments de gravité
V. Touitou
Les neuropathies optiques inflammatoires (NOInfl) ou névrites optiques sont le plus souvent suspectées chez un sujet jeune, en général une femme caucasienne, devant un tableau clinique typique bien connu. Celui-ci associe des symptômes et des signes qui localisent l'atteinte au niveau du nerf optique et évoquent son mécanisme inflammatoire ou infectieux (encadré 4-1
Encadré 4-1
Éléments en faveur du mécanisme inflammatoire ou infectieux d'une neuropathie optique
  • Patiente de sexe féminin (F/H = 3/1)
  • Âge moyen 32 ans (20–40ans)
  • Origine caucasienne
  • Baisse d'acuité visuelle variable mais en règle générale modérée
  • Progression de la baisse d'acuité visuelle sur moins de 2 semaines
  • Baisse d'acuité visuelle unilatérale le plus souvent
  • Douleurs à la mobilisation du globe
  • Fond d'œil normal 70 % (30 % d'œdème papillaire)
  • Amélioration rapide de la baisse d'acuité visuelle sous corticoïdes
  • Récupération spontanée sous 1 mois
).
Symptômes et signes localisant l'atteinte au niveau du nerf optique
  • BAV variable.
  • Altération de la vision des couleurs.
  • Altération de la vision des contrastes.
  • Altération variable du champ visuel (scotome central, déficit fasciculaire, déficit diffus, etc.).
  • DPAR.
  • FO normal (70 %) ou œdème papillaire (OP) généralement modéré (30 %).
Symptômes et signes évoquant un mécanisme inflammatoire ou infectieux
  • Douleurs péri-oculaires majorées par la mobilisation du globe, pouvant précéder la BAV.
  • La BAV évolue de manière rapidement progressive en moins de 15 jours (le plus souvent moins de 8 jours).
  • Signes inflammatoires ou infectieux locaux ou régionaux associés.
  • Phénomène de Pulfrich, à type d'illusions visuelles stéréoscopiques. Le patient perçoit une trajectoire anormale (elliptique) d'un objet en mouvement ; ce phénomène est lié à une asymétrie de transmission de l'influx nerveux entre les nerfs optiques.
  • Phénomène d'Uhthoff à type de baisse visuelle transitoire lors de l'augmentation de la température corporelle.
  • Le phénomène d'Uhthoff comme celui de Pulfrich peuvent révéler, accompagner ou être séquellaire d'une névrite optique typique démyélinisante.
Atypies, éléments de gravité
Il est essentiel de reconnaître la présence d'atypies qui justifient un bilan étiologique plus poussé (encadré 4-2
Encadré 4-2
Névrite optique
  • Patient âgé > 50 ans ou jeune < 12 ans
  • Origine Afrique, Asie, Caraïbes
  • Antécédents personnels de néoplasie, maladie de système, maladie infectieuse, voyages récents, griffures de chat, piqûre de tique, etc.
  • Antécédents familiaux de malvoyance
  • Acuité visuelle < 1/10
  • Progression de la baisse d'acuité visuelle sur plus de 2 semaines
  • Atteinte bilatérale simultanée ou rapidement séquentielle
  • Absence de douleurs
  • Douleurs persistantes > 2 semaines ou au premier plan
  • Œdème papillaire important
  • Hémorragies péripapillaires, décollement séreux rétinien, vascularites, etc.
  • Signes associés : signes neurologiques, respiratoires, digestifs, aphtose, etc.
  • Absence de récupération après 4 semaines
  • Rechute à l'arrêt des corticoïdes
), ainsi que l'existence d'éléments de gravité qui nécessitent une prise en charge diagnostique et thérapeutique urgente et plus agressive en milieu spécialisé (encadré 4-3
Encadré 4-3
Éléments de gravité d'une névrite optique
  • Absence de perception lumineuse
  • Atteinte bilatérale
  • Signes neurologiques associés : confusion, diplopie, vomissement, hoquet persistant, syndrome méningé (fièvre)
  • Myélite extensive associée
  • Absence de récupération après 4 semaines
  • Rechute à l'arrêt des corticoïdes
  • Patient immunodéprimé
). Certains tableaux cliniques sont susceptibles de se décompenser très rapidement : méningoencéphalite virale, spectre des neuromyélites optiques, patient immunodéprimé. Ces patients qui se présentent initialement à l'ophtalmologiste avec un tableau de simple BAV peuvent engager à court ou moyen terme leur pronostic visuel voire vital si les éléments de gravité initiaux n'ont pas été relevés et si le traitement approprié n'a pas été administré. Bien que rare, il faut toujours garder en mémoire la possibilité d'une évolution dramatique lors de l'évaluation initiale de ces malades.
Diagnostic positif de névrite optique
V. Touitou
Diagnostic de neuropathie optique inflammatoire
Le diagnostic est avant tout clinique et sera étayé par les éléments de l'examen neuro-ophtalmologique  [1,2].
L'étude de la vision des couleurs permet de confirmer le diagnostic de NO en particulier dans les cas douteux. Dans la NOInfl, la dyschromatopsie d'axe variable est souvent plus marquée que la BAV.
Avec le champ visuel, tous les types de déficits peuvent être observés au cours d'une NOInfl, même si les atteintes diffuses et centrales sont les plus fréquentes. Le champ visuel permet également d'obtenir des éléments sur une éventuelle atteinte bilatérale passée inaperçue cliniquement, voire de diagnostiquer une atteinte chiasmatique associée si l'inflammation dépasse le nerf optique. Enfin, le champ visuel fait partie de l'évaluation initiale et contribue à apprécier la récupération visuelle.
L'OCT n'est pas indispensable au diagnostic positif de NOInfl. Au stade aigu, même dans la forme rétrobulbaire, il existe souvent une petite augmentation de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRFNL). À ce stade, un amincissement de la pRNFL et/ou de la couche des cellules ganglionnaires rétiniennes maculaires évoque d'éventuelles poussées antérieures, sur le même œil ou sur l'œil controlatéral.
Les PEV sont surtout utiles en cas de doute diagnostique, pour confirmer une atteinte minime ou débutante ou controlatérale passée inaperçue, et dans le bilan d'une SEP sans poussée visuelle connue. Ils retrouvent typiquement un allongement de la latence de l'onde P100.
Imagerie par résonance magnétique cérébrale et orbitaire
L'IRM cérébrale et orbitaire est un élément majeur du diagnostic positif et étiologique des névrites optiques. À la phase aiguë, elle retrouve une prise de contraste du nerf optique et un hypersignal T2. La longueur et la localisation de la prise de contraste ainsi que l'extension à la méninge péri-optique et/ou à la graisse orbitaire sont des éléments d'orientation étiologique importants. L'aspect de l'IRM cérébrale est également un élément majeur du diagnostic étiologique (voir chapitre 2 ).
Bilan de névrite optique
V. Touitou
Une fois le diagnostic de névrite optique posé, il convient d'effectuer un bilan étiologique adapté , dont l'exhaustivité dépend de la présentation clinique initiale, de la présence éventuelle d'éléments atypiques ou de gravité et des données de l'IRM cérébrale et orbitaire. Cette imagerie participe en effet au diagnostic positif et au bilan étiologique. Elle permettra de rechercher des arguments pour une maladie inflammatoire du système nerveux central (critères radiologiques de SEP, signes d'atteinte inflammatoire de l'area postrema, acute disseminated encephalomyelitis [ADEM], etc.), des signes évocateurs de neurosarcoïdose (infiltration granulomateuse du nerf optique, infiltration de la tige pituitaire, pachyméningite, élargissement de la glande lacrymale), des signes de neuro-Behçet, ou encore des signes d'infection, tels qu'une méningoencéphalite virale avec atteinte des lobes temporaux dans les infections herpétiques, ou des lésions en cocarde en cas de toxoplasmose. L'IRM doit être cérébrale et orbitaire, avec des coupes fines axiales et coronales en pondération T2, T1 avant et après injection de produit de contraste, avec suppression de la graisse orbitaire.
Bilan minimal d'une névrite optique typique
Il n'y a pas de consensus sur le bilan minimal d'une névrite optique typique chez un patient caucasien sans antécédent. Les éléments suivants nous semblent nécessaires :
  • examen neurologique ;
  • bilan biologique : numération formule sanguine (NFS), vitesse de sédimentation (VS), C-reactive protein (CRP), glycémie à jeun, bilan hépatique, enzyme de conversion de l'angiotensine ;
  • bilan infectieux : sérologie de la syphilis – treponema pallidum hemagglutinations assay (TPHA)- venereal disease research laboratory (VDRL)–, sérologie de Lyme, sérologie du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ;
  • bilan auto-immun : anticorps antinucléaires, anti-ADN natifs, ANCA ( antineutrophil cytoplasmic antibodies ). La recherche systématique des anticorps anti-MOG( myelin oligodendrocytes glycoprotein ) et anti-AQP-4 (aquaporine4) est fonction des équipes et nous la recommandons lors d'un premier épisode de névrite optique ;
  • radiographie thoracique et électrocardiogramme (ECG) avant bolus de corticoïdes ;
  • ponction lombaire : elle n'est pas systématique si tous les critères radiologiques diagnostiques de SEP sont présents, mais la présence de bandes oligoclonales (BOC) dans le LCS peut remplacer le critère de dissémination dans le temps dans la dernière version des critères diagnostiques de SEP (critères de McDonald 2017) ;
  • IRM médullaire : elle n'est pas systématique si tous les critères diagnostiques de SEP sont présents, mais elle peut montrer une dissémination dans l'espace.
Bilan plus large
En cas d'atypies ou d'éléments de gravité, un bilan plus large doit être réalisé, guidé par le tableau initial clinique et l'IRM, incluant le terrain et les antécédents. Il peut comporter :
  • une angiographie à la fluorescéine et infracyanine, ainsi que des clichés monochromatiques et en autofluorescence, qui peuvent avoir leur place pour éliminer des diagnostics différentiels et rechercher des arguments en faveur d'une étiologie : granulomes choroïdiens de la sarcoïdose ou de la tuberculose ; vascularites de la maladie de Behçet, du lupus ou de la sarcoïdose ; placoïde de la syphilis, etc. ;
  • un examen clinique général, neurologique, cutané et muqueux, des aires ganglionnaires, etc. ;
  • un bilan biologique : NFS, VS, CRP, glycémie à jeun, bilan hépatique, enzyme de conversion de l'angiotensine, bilan phosphocalcique et lysozyme sérique ;
  • un bilan infectieux : TPHA-VDRL, sérologie de Lyme, bartonellose, toxoplasmose, cryptococcose, VIH1 et 2, herpes simplex virus (HSV), varicella-zoster virus (VZV), EBV, cytomégalovirus (CMV), hépatite et quantiféron ;
  • un bilan auto-immun : anticorps anti-nucléaires, anti-ADN natifs, ANCA. La recherche des anticorps anti-MOG et anti-AQP-4 est systématique et urgente en cas de névrite optique bilatérale, de myélite ou d'encéphalite associée, ou devant un syndrome de l'area postrema ;
  • une ponction lombaire : elle sera systématique dès lors qu'une atteinte infectieuse est suspectée, qu'il s'agisse d'une atteinte bactérienne, virale, mycologique ou parasitaire. Elle est à effectuer en urgence, après l'IRM cérébrale, en cas de vomissements avec troubles de la conscience, afin d'éliminer une méningite virale associée à la névrite optique, dont le traitement doit être débuté sans attendre les résultats de la PCR virologie ;
  • une IRM médullaire à la recherche d'une dissémination dans l'espace ou en cas de symptômes de myélite ;
  • un bilan à la recherche d'une maladie systémique pouvant comprendre : scanner thoraco-abdomino-pelvien (TAP), scintigraphie, biopsie des glandes salivaires accessoires, lactate-déshydrogénase (LDH), β2-microglobuline et autres examens plus ciblés en fonction de l'étiologie suspectée.
Formes cliniques, diagnostics différentiels, et pièges
V. Touitou
Les formes cliniques comprennent les périnévrites, les papillites et les neurorétinites. Les diagnostics différentiels concernent les atteintes inflammatoires ou infectieuses qui jouxtent le nerf optique sans l'affecter (sclérites postérieures, orbitopathies inflammatoires), ainsi que toutes les neuropathies optiques d'un autre mécanisme – non inflammatoires et non infectieuses. On peut inclure dans l'éventail des diagnostics différentiels les autres causes de BAV à FO normal [3].
Périnévrites
Parfois associées à une névrite optique homo- ou controlatérale, les périnévrites isolées s'en distinguent par certaines caractéristiques. L'acuité visuelle est en général conservée et il n'y a pas de DPAR. Le champ visuel montre un élargissement de la tache aveugle plutôt qu'un scotome, la vision des couleurs est normale, et l'IRM met en évidence une prise de contraste et un hypersignal T2 des gaines du ou des nerfs optiques, avec parfois une extension à la graisse orbitaire. Les étiologies des périnévrites recoupent celles des névrites optiques, en particulier la syphilis, la neurosarcoïdose et la tuberculose. L'association périnévrite et névrite optique évoque une sarcoïdose et une névrite aux anti-MOG ; la périnévrite isolée n'est pas reliée à une pathologie démyélinisante.
Papillites et neurorétinites
Les papillites et les neurorétinites sont des formes particulières et atypiques de névrite optique. Contrairement à la majorité des névrites optiques typiques dont le FO est normal (deux tiers des cas), la papillite et la neurorétinite sont caractérisées par la présence constante d'un OP d'importance variable. D'autres signes ophtalmologiques, quand ils sont présents, permettent d'orienter le diagnostic : vascularites, œdème maculaire, hyalite, nodules cotonneux, hémorragies, foyer rétinien, exsudats.
Dans la neurorétinite, une couronne d'exsudats maculaires permet de faire le diagnostic écartant de facto une pathologie démyélinisante. Les étiologies des neurorétinites sont nombreuses : 64% des neurorétinites stellaires de Leber sont associées à une infection par Bartonella haenselae  ; toutefois, il conviendra d'étendre le bilan à la recherche d'autres étiologies infectieuses telles que toxoplasmose, syphilis, maladie de Lyme, tuberculose, rickettsie, EBV, virus de l'hépatiteB (VHB), chikungunya, ou plus rarement des causes non infectieuses, telles que sarcoïdose, granulomatose avec polyangéite (anciennement maladie de Wegener).
En cas de papillite isolée sans prise de contraste en arrière de la lame criblée à l'IRM, le bilan sera encore plus large, à la recherche d'une cause infectieuse (principalement la syphilis, mais également les autres étiologies précédemment évoquées) ou non infectieuse (maladie de Behçet, sarcoïdose, lupus, granulomatose avec polyangéite, panartérite noueuse).
Sclérites postérieures
Une sclérite postérieure peut également s'accompagner d'une BAV douloureuse à FO d'apparence normale. C'est un diagnostic différentiel des névrites optiques rétrobulbaires. La présence d'une rougeur oculaire, en cas de participation antérieure, orientera facilement le diagnostic ; en revanche, lorsque l'atteinte est uniquement postérieure, le diagnostic différentiel est plus délicat. La présence de plis choroïdiens ou d'un décollement séreux rétinien au FO, à l'OCT ou à l'angiographie à la fluorescéine permet d'évoquer le diagnostic de sclérite postérieur. L'échographie en mode B permet de redresser le diagnostic en montrant une sclère postérieure épaissie et inflammatoire, avec parfois une inflammation orbitaire associée également visible à l'IRM.
Neuropathies optiques non infectieuses et non inflammatoires
Neuropathies optiques ischémiques antérieures aiguës
Les neuropathies optiques ischémiques antérieures aiguës, survenant en particulier chez des patients de moins de 45 ans, sont un diagnostic différentiel parfois difficile. L'absence de douleur, un début brutal, la présence d'une petite papille pleine «à risque » controlatérale et un déficit altitudinal au champ visuel sont des arguments en faveur d'une atteinte ischémique, mais certaines névrites optiques atypiques sont non douloureuses et d'authentiques déficits altitudinaux ont été observés. L'IRM orbitaire et encéphalique de bonne qualité, à la phase aiguë, ni trop précoce ni trop tardive, permet de différencier les deux types d'atteintes, car il n'y a pas de prise de contraste dans la neuropathie optique ischémique antérieure. Les PEV peuvent également apporter des arguments en distinguant atteinte axonale et démyélinisante. L'absence de récupération fréquente dans les neuropathies optiques ischémiques antérieures est également un argument en faveur de ce diagnostic.
Neuropathies optiques ischémiques postérieures aiguës
Les neuropathies optiques ischémiques postérieures aiguës peuvent constituer un autre problème diagnostique. Dans un contexte de radiothérapie, on évoquera facilement la neuropathie optique postradique. Chez les patients de plus de 50 ans, on évoquera de principe une maladie de Horton. Dans les deux cas, le tableau est celui d'une BAV profonde, brutale, à FO normal. En général, ces baisses visuelles sont indolores. Les céphalées souvent associées à la maladie Horton peuvent être confondues avec des douleurs à la mobilisation du globe.
Neuropathies optiques compressives et infiltratives
Les neuropathies optiques compressives et infiltratives peuvent être douloureuses et mimer une névrite optique. Le terrain, le bilan biologique et l'aspect IRM permettent de redresser le diagnostic.
Autres causes de baisse d'acuité visuelle à fond d'œil normal
De nombreuses affections rétiniennes peuvent également être confondues avec une névrite optique. Le syndrome de tache aveugle élargie, les taches blanches évanescentes, les maculopathies occultes ou encore certaines toxicités médicamenteuses ou l'utilisation de poppers peuvent être à l'origine d'un diagnostic erroné de neuropathie optique. L'examen attentif du FO, l'OCT rétinien, les clichés monochromatiques, l'autofluorescence et l'angiographie permettent en général de redresser le diagnostic.
Étiologies
Névrites optiques « démyélinisantes »
J. de Sèze
Les NOInfl associées à une démyélinisation sont souvent des névrites optiques typiques. L'interrogatoire retrouve une douleur périorbitaire ; la BAV est lentement progressive de quelques heures à quelques jours, souvent associée à une dyschromatopsie, une réduction de la vision des contrastes et un DPAR  [4]. Les patients peuvent également signaler un phénomène d'Uhthoff ou de Pulfrich. Les anomalies du champ visuel sont variables. Les PEV montrent un allongement de l'onde P100 du côté atteint avec parfois un ralentissement controlatéral en cas d'atteinte infraclinique, notamment dans la SEP [5]. Les trois affections les plus fréquemment associées à une NOInfl démyélinisante sont la SEP, la neuromyélite optique associée aux anti-AQP-4 (ou NMO de Devic) et la neuromyélite optique associée aux anti-MOG. Les NOInfl de la NMO associée aux anticorps anti-AQP-4 sont typiquement très sévères, avec une moins bonne récupération visuelle sous traitement, et récidivent fréquemment (fig. 4-1
Fig. 4-1
Névrite optique bilatérale chez un patient avec anticorps anti-AQP4.a–c.Hypersignal bilatéral visible sur les coupes coronales enT2(a) et réhaussé par le gadolinium en T1 SPIR coronal(b) et axial(c), plus étendu à gauche et prédominant en postérieur. d, e.Hypersignal du chiasma en T2 coronal(d) et rehaussé par le gadolinium(e). f, g.Hypersignal médullaire T2(f) s'étendant sur plus de 3corps vertébraux et rehaussé par le gadolinium(g).
Source: F. Héran.
). Les NMO associées aux anticorps anti-MOG sont volontiers bilatérales, œdémateuses (fig. 4-2
Fig. 4-2
Névrite optique bilatérale associée aux anticorps anti-MOG.a, b.Baisse visuelle douloureuse rapidement progressive avec œdème papillaire bilatéral. c.IRM T2 coupe coronale: hypersignal des deux nerfs optiques. d, e.Séquence T1 injecté SPIR axial(d) et coronal(e): aspect de névrite et périnévrite étendue. f, g.Coupes coronales T2(f) et T1 injecté(g): discret hypersignal chiasmatique prédominant à gauche et non rehaussé par le contraste.
Source: C.Vignal Clermont.
) avec des récidives fréquentes. La sévérité de ces deux dernières affections et le risque de myélite imposent d'en faire un diagnostic précoce et de connaître les différentes caractéristiques de la NOInfl dans ces étiologies (tableau 4-3
Tableau 4-3
Comparaison des caractéristiques de la neuropathie optique entre les différentes étiologies les plus fréquentes.
NMO AQP-4 NMO-MOG SEP
Âge de début moyen 35–40 (possible aux âges extrêmes) 30–35 (possible aux âges extrêmes) 30–35
Sex-ratio F/H 6–8/1 1/1 3/1
Ethnies Non caucasiennes >caucasiennes  Causasiennes =non causasiennes (asiatiques)  Causasiennes >non causasiennes 
Sévérité de la neuropathie optique +++ ++ +
Œdème papillaire Rare Très fréquent Rare
IRM HS étendu Très fréquent (Postérieur) Très fréquent (Très antérieur) Rare
Bilatéralité simultanée Rare Fréquent Exceptionnel
Récidive OPH Fréquent Très fréquent Moins fréquent
Ponction lombaire (profil oligoclonal) 30 %  10 %  90 % 
AQP-4: aquaporine 4 ; HS: hypersignal ; IRM: imagerie par résonance magnétique ; MOG: NMO: neuromyélite optique ; OPH: ophtalmologique ; SEP: sclérose en plaques.
).
Sclérose en plaques
L'étiologie la plus fréquente de NOInfl est la SEP, signe de début de cette affection dans environ 25 % des cas. Il s'agit donc du diagnostic évoqué en premier lieu devant une névrite optique unilatérale typique, notamment chez les femmes jeunes caucasiennes. L'étude Optic Neuritis Treatment Trial (ONTT) a montré que 50 % des patients présentant une NOInfl développent une SEP cliniquement définie (au moins une nouvelle poussée) après 15 ans de suivi [6]. Ce chiffre atteint presque 80 % lorsque l'IRM montre au moins une lésion cérébrale. Il diminue à 20 % en cas de normalité de l'IRM cérébrale initiale. Si la dissémination temporelle n'est pas visible à l'IRM, la ponction lombaire permet d'affirmer le diagnostic et aide également au diagnostic différentiel notamment en cas de méningite importante, avec un taux de leucocytes supérieur à 50 éléments.
Quand l'IRM et la ponction lombaire sont normales, une hypothèse virale est souvent évoquée mais rarement démontrée et la NOInfl est dite « idiopathique ». Cependant, la première étape dans le champ des névrites optiques démyélinisantes est de s'assurer du caractère inflammatoire de la neuropathie. Il faut savoir évoquer des diagnostics différentiels, notamment les neuropathies optiques ischémiques antérieures en cas de début brutal, de facteur de risque vasculaire ou d'âge supérieur à 50 ans ou les méningiomes de la gaine ou du nerf optique en cas de caractère très lentement progressif sans douleur. Les critères de McDonald (tableau 4-4
Tableau 4-4
Critères de McDonald 2017.
Présentation clinique Données supplémentaires nécessaires pour le diagnostic de SEP
≥ 2 poussées cliniques et preuve clinique objective d'au moins 2 lésions ou plus  Aucune
≥ 2 poussées cliniques et preuve clinique objective d'une lésion  DIS démontrée par une nouvelle poussée clinique impliquant un autre territoire du SNC par IRM
1 poussée clinique et preuve clinique objective d'au moins 2 lésions ou plus  DIT démontrée par une nouvelle poussée clinique par IRMBOC spécifiques du LCS
1 poussée clinique et preuve clinique objective de 1 lésion  DIS démontrée par une nouvelle poussée clinique impliquant un autre territoire du SNC par IRMDIT démontrée par une nouvelle poussée clinique par IRMBOC spécifiques du LCS
BOC: bandes oligoclonales ; DIS: dissémination dans l'espace ; DIT: dissémination dans le temps ; IRM: imagerie par résonance magnétique ; LCS: liquide cérébrospinal ; SEP: sclérose en plaques ; SNC: système nerveux central.
) ont été récemment révisés permettant de poser le diagnostic de SEP dès la première poussée, par exemple de NOInfl, à condition d'avoir une dissémination spatiale à l'IRM et temporelle (sur l'IRM ou la ponction lombaire). Il faudra bien sûr éliminer les diagnostics différentiels avant de poser le diagnostic de SEP. Ces nouveaux critères [7] ont pour principale conséquence un diagnostic et un traitement de fond plus précoces.
Neuromyélite optique
La NMO a longtemps été considérée comme un sous-type de SEP, mais les données actuelles montrent qu'il s'agit d'une pathologie différente, médiée par les lymphocytes B et pour laquelle nous possédons deux marqueurs biologiques sériques, les anticorps anti-aquaporine4 (AQP-4) et, plus récemment, les anticorps antimyéline oligodendrocytaire glycoprotéine (MOG) [8,9]. En cas de positivité d'un de ces deux anticorps, le risque de rechute après un épisode de NOInfl est élevé sous la forme soit d'une autre NOInfl homo- ou controlatérale, soit d'une myélite ou d'une atteinte du tronc cérébral. Ces patients sont donc considérés à haut risque de récidive et un traitement de fond immuno-actif doit être discuté. Pour les anticorps anti-AQP-4, leur haute spécificité a d'ailleurs conduit le comité d'experts de la NMO à proposer le diagnostic de «spectre NMO » dès le premier épisode [10]. Cette classification permet un diagnostic précoce suivi d'un traitement rapide, ce qui est important car les NOInfl appartenant au spectre NMO sont particulièrement sévères notamment celles liées aux anticorps anti-AQP-4.
Actuellement, certains auteurs proposent de tester les anticorps anti-MOG et anti-AQP-4 de façon systématique devant une NOInfl, mais pour d'autres, ces examens ne doivent être réalisés qu'en cas d'atypie, notamment pour le diagnostic de SEP : normalité de l'IRM cérébrale, bilatéralité, sévérité, difficultés des récupérations, récidives, etc. Dans le groupe des neuropathies optiques récidivantes autrefois considérées comme idiopathiques ( recurrent inflammatory optic neuritis [RION]), le pourcentage de patients avec des anticorps anti-MOG approcherait les 25 à 30 % [11], ce qui rend absolument nécessaire le dosage des anticorps anti-MOG (et AQP-4) en cas de récidive de NOInfl.
Autres névrites optiques
V. Touitou
Les névrites optiques non démyélinisantes, inflammatoires et infectieuses, sont plus rares, mais souvent plus sévères que les névrites optiques démyélinisantes (tableau 4-5
Tableau 4-5
Principales étiologies des neuropathies optiques non démyélinisantes.
Névrites optiques inflammatoires non démyélinisantes Névrites optiques infectieuses
Bactériennes Virales Fongiques ou parasitaires
Causes fréquentes Sarcoïdose Syphilis Maladie de Lyme Tuberculose HSV Rougeole Oreillon Rubéole VIH Toxoplasmose
Causes plus rares Lupus érythémateux disséminé Maladie de Behçet Syndrome de Gougerot-Sjögren MICI (maladie de Crohn, rectocolite hémorragique) Panartérite noueuse Granulomatose avec polyangéite Maladie de Whipple VZVEBVCMV Dengue Chikungunya Zika Cryptococcose Aspergillose Candidose Toxocarose
CMV: cytomégalovirus ; EBV:  ; HSV:  ; MICI: maladies inflammatoires chroniques de l'intestin ; VIH: virus de l'immunodéficience humaine ; VZV: .
)  [12,13].
Névrites optiques non infectieuses dans le cadre de maladies de système
Sarcoïdose
La sarcoïdose est l'une des causes les plus fréquentes de NOInfl non démyélinisante  [14]. La névrite optique peut y être isolée, et parfois révéler la maladie, mais aussi s'intégrer dans un tableau de sarcoïdose systémique ou de neurosarcoïdose connue. Elle peut être purement inflammatoire ou mixte: inflammatoire et infiltrative (fig. 4-3
Fig. 4-4
Névrite optique purement inflammatoire révélatrice d'une sarcoïdose (flèche) histologiquement prouvée.La patiente a présenté une neuropathie optique inflammatoire extrêmement douloureuse associée à une perte de la perception lumineuse.
et4-4
Fig. 4-3
Névrite optique avec atteinte chiasmatique en coupe coronale(a) et sagittale(b) chez un patient avec sarcoïdose histologiquement prouvée.La névrite optique est mixte, inflammatoire et infiltrative avec une augmentation de volume du chiasma (flèche).
). Le diagnostic repose sur un faisceau d'arguments cliniques et paracliniques nécessitant l'implication des équipes de médecine interne ou de neurologie. La BAV initiale est souvent profonde, avec une mauvaise réponse à la corticothérapie, des récidives fréquentes et un mauvais pronostic visuel.
Maladie de Behçet
La maladie de Behçet peut être associée à des névrites optiques, dans un tableau généralement floride associant des vascularites rétiniennes et parfois une vascularite cérébrale  [15,16]. D'autres éléments cliniques permettent d'orienter le diagnostic étiologique tels qu'une folliculite, une aphtose bi- voire tripolaire (buccale, génitale, conjonctivale), ou encore une thrombophlébite cérébrale parfois compliquée d'HIC. Si la maladie de Behçet peut être responsable d'authentiques névrites optiques, celles-ci restent rares et il est plus fréquent d'observer des neuropathies optiques ischémiques ou des œdèmes papillaires de stase par HIC. Certains patients avec une maladie de Behçet se présentent d'emblée avec un tableau d'atrophie optique uni- ou bilatérale. Il n'est alors plus possible de savoir le mécanisme initial.
Lupus érythémateux disséminé
Le lupus érythémateux disséminé est également une autre cause classique, mais rare, de névrite optique  [ 17–19 ]. Elle peut s'associer dans un second temps à une myélite. Comme la sarcoïdose, le pronostic visuel est en général assez réservé car les atteintes inflammatoires sont souvent sévères, parfois bilatérales et répondant mal à la corticothérapie (fig. 4-5
Fig. 4-5
Séquelle de névrite optique bilatérale lupique (flèches) chez une jeune patiente atteinte d'un lupus érythémateux disséminé sévère avec encéphalite limbique associée.
). Il n'est pas rare d'observer, comme dans la maladie de Behçet, une composante ischémique associée, surtout en cas de syndrome des antiphospholipides ; les décisions thérapeutiques qui en découlent sont souvent délicates à prendre oscillant entre un traitement à visée immunitaire et un traitement anticoagulant/antiagrégant.
Autres maladies
De nombreuses autres maladies systémiques peuvent entraîner une névrite optique telles que la rectocolite hémorragique, la maladie de Crohn, la granulomatose avec polyangéite, le syndrome de Gougerot-Sjögren. Dans une étude portant sur 82 patients atteints de neuro-Sjögren, plus de 25% étaient atteints de NOInfl clinique et/ou paraclinique (anomalies des PEV), rentrant parfois également dans le cadre du spectre NMO [20]. L'implication d'une équipe expérimentée de médecine interne est indispensable dans le cadre de la prise en charge diagnostique et thérapeutique de ces différentes maladies.
Névrites optiques infectieuses
Les névrites optiques infectieusesconstituent une entité variée dont le pronostic est souvent réservé. Parmi elles, les névrites optiques virales, du fait de leur association fréquente avec une méningite ou une méningoencéphalite, constituent des urgences diagnostiques et thérapeutiques absolues. Les patients immunodéprimés, plus sujets aux névrites optiques virales ou fongiques, doivent donc faire l'objet d'une attention toute particulière lors du bilan étiologique. Il convient toutefois de rappeler que les névrites optiques infectieuses peuvent toucher des patients parfaitement immunocompétents, en particulier pour les étiologies bactériennes telles que la syphilis, la maladie de Lyme ou encore la tuberculose  [ 21–24 ]. Dans tous les cas de névrite optique infectieuse, la ponction lombaire est obligatoire. De plus, le traitement par voie parentérale et prolongé est la règle dans toutes ces névrites optiques infectieuses.
Névrites optiques d'origine virale
Les névrites optiques d'origine virale ne sont pas les plus fréquentes mais sont de loin associées au pronostic le plus sombre. Elles sont sévères, avec une BAV souvent profonde ou très rapidement évolutive, et peuvent être associées à un tableau de nécrose rétinienne virale ou d'uvéite granulomateuse. Elles peuvent également être isolées et dans ce cas le diagnostic étiologique est plus difficile. La présence de céphalées importantes, de nausées, de vomissements et de troubles de la conscience doit justifier la réalisation d'une ponction lombaire dans les plus brefs délais, après imagerie cérébrale, et le traitement par voie intraveineuse sera débuté sans même attendre les résultats de la PCR virale. Le patient doit être transféré en urgence dans un service de réanimation, de maladies infectieuses, de neurologie ou de médecine interne. Les virus les plus fréquemment en cause sont VZV et HSV (fig. 4-6
Fig. 4-6
Névrite optique bilatérale(a) et chiasmatique(b) chez un patient avec méningoencéphalite à varicella-zoster virus (flèches).Découverte d'une infection au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) associée.
et 4-7
Fig. 4-7
Névrite optique gauche à herpes simplex virus (flèche) associée à une nécrose rétinienne aiguë et une méningite herpétique.
). Des névrites optiques associées à une infection à CMV, VIH, la rougeole, les oreillons, la rubéole, le West Nile virus , la dengue, le chikungunya ou encore virus zika ont également été rapportés.
Névrites optiques bactériennes
Les névrites optiques bactériennes sont plus fréquentes que les névrites optiques virales. L'histoire clinique permet souvent d'orienter le diagnostic étiologique.
La syphilis , maladie à déclaration obligatoire, est l'une des étiologies les plus fréquentes avec une incidence croissante en France. Sa recherche doit être systématique devant tout tableau de névrite optique. La ponction lombaire est obligatoire et le traitement par antibiothérapie parentale doit être prolongé. Le bilan des différentes localisations de la maladie, l'initiation du traitement et la prévention de la réaction de Jarisch-Herxheimer, la recherche d'autres maladies sexuellement transmissibles et le dépistage systématique des partenaires sexuels doivent être effectués en milieu spécialisé  [22].
Outre la syphilis, les autres causes de névrites optiques bactériennes incluent la maladie de Lyme (fig. 4-8
Fig. 4-8
Névrite optique bilatérale chez un patient avec une maladie de Lyme (flèches).
)  [23,24], la tuberculose (fig. 4-9
Fig. 4-9
a, b. Neuropathie optique tuberculeuse.L'atteinte dans ce cas est mixte: à la fois inflammatoire (flèche avec trait plein) et compressive en rapport avec les multiples tuberculomes cérébraux (flèches avec trait en pointillé).
), ou encore d'autres causes plus rares telles que la maladie de Whipple.
Névrites optiques parasitaires et fongiques
Les névrites optiques parasitaireset fongiques surviennent quasi exclusivement chez des patients immunodéprimés : corticothérapie, diabète, traitement immunosuppresseur, chimiothérapie, hémopathie maligne, infection VIH. Chez ces patients, devant un tableau de névrite optique, il faut toujours rechercher une cause spécifique. Outre les étiologies précédemment évoquées, la toxoplasmose, l'aspergillose invasive et la cryptococcose seront tout particulièrement redoutées.
Traitement
Névrites optiques démyélinisantes
J. de Sèze
Traitement de la névrite optique
L'étude ONTT a montré que les corticoïdes par voie orale à faible dose (1 mg/kg) favorisaient le risque de rechute précoce. Le traitement actuel de la phase aiguë repose sur les corticoïdes à forte dose. Historiquement, il était proposé un traitement de 1g/jour de méthylprednisolone pendant 3 à 5 jours par voie intraveineuse (IV) et un relais par voie orale pendant 11 jours, habitude qui a été le plus souvent abandonnée pour laisser place à un traitement de 1g/jour pendant 3 à 5 jours de méthylprednisolone IV. Une étude récente a cependant démontré que la voie d'administration n'était probablement pas le problème majeur dans les différences retrouvées entre les groupes traités dans l'étude ONTT et que de fortes doses de méthylprednisolone par voie orale étaient aussi efficaces [25]. En cas d'échec du traitement, il est possible de refaire des bolus de méthylprednisolone 2 à 4 semaines plus tard et/ou de proposer des échanges plasmatiques (EP), et ce même s'il y a un faible niveau de preuve d'efficacité. L'expérience des centres experts dans ce domaine pousse à utiliser les EP le plus précocement possible en cas BAV initiale profonde et d'absence d'efficacité des corticoïdes, notamment dans la NMO [26]. Dans ces cas, il est donc nécessaire d'effectuer un contrôle précoce de la fonction visuelle 1 semaine à 10 jours après les corticoïdes IV.
Traitement préventif des rechutes
Le traitement des rechutes visuelles ou neurologiques va dépendre de la pathologie causale sous-jacente. Il existe actuellement près d'une dizaine de traitements de fond dans la SEP divisés en traitements de première ligne (interféron bêta, acétate de glatiramère, tériflunomide et diméthyl fumarate) et de deuxième ligne (natalizumab, fingolimod et ocrelizumab)  [27]. Ces traitements peuvent être utilisés en première intention ou en deuxième intention en fonction de la sévérité de la maladie. Leur efficacité a été démontrée sur la fréquence des poussées, l'IRM et la progression à 2 ans le plus souvent. Si ces traitements ne permettent pas de récupérer d'une séquelle fixée depuis quelques mois, il est actuellement préconisé de traiter dès le premier épisode neurologique pour éviter les rechutes. Cependant, cette stratégie ne permet pas de connaître l'histoire naturelle de la maladie sans traitement, sachant que 10 à 20 % des patients atteints de SEP n'ont possiblement pas besoin d'un traitement de fond.
Pour la NMO, les traitements de fond sont encore hors autorisation de mise sur le marché (AMM), mais trois études de phase 3 avec des anticorps monoclonaux viennent de se terminer (satralizumab, éculizumab et inébilizumab) avec des résultats très positifs montrant une réduction de 70 à 80 % des risques de rechute chez les patients traités. En attendant ces nouvelles molécules, les traitements actuels restent fondés sur les immunosuppresseurs classiques: azathioprine, mycophénolate mofétil, voire méthotrexate en première ligne ; rituximab, voire mitoxantrone en deuxième ligne [28]. Pour les anticorps anti-MOG, la prise en charge thérapeutique est plus discutée, car il s'agit d'une individualisation récente et les études thérapeutiques sur le sujet sont rares, contenant de petits effectifs et souvent hétérogènes. Il est tout d'abord conseillé de contrôler le dosage des anticorps, car ceux-ci peuvent être transitoires. En cas de persistance des anticorps, il est habituellement recommandé de traiter par bolus de corticoïdes puis d'effectuer un relais de quelques mois par voie orale et d'envisager un traitement immunosuppresseur en cas de rechute précoce et/ou de sévérité de l'atteinte.
Ces traitements semblent également indiqués dans les NMO doubles négatives mais ils n'ont pas été totalement validés.
Enfin dans les cas de NOInfl idiopathiques, il n'est pas préconisé de traitement préventif des rechutes en cas d'épisode unique. En revanche, en cas de récidives, un traitement par immunosuppresseur du type de ceux utilisés dans la NMO peut être discuté  [29].
Névrites optiques non démyélinisantes non infectieuses
V. Touitou, D. Saadoun
Le traitement des NOinfl associées à la sarcoïdose, aux vascularites ou aux connectivites est souvent complexe. En effet, ces NOinfl sont souvent associées à un pronostic visuel plus sévère que les neuropathies optiques démyélinisantes malgré la corticothérapie intraveineuse et peuvent présenter un haut niveau de corticodépendance. Le traitement d'attaque par corticothérapie intraveineuse à forte dose (500 mg à 1g/jour pendant 3 à 5 jours, voire davantage dans les formes sévères) suivi d'un relais oral prolongé (0,5 à 1mg/kg/jour) est la règle. La décroissance doit être suffisamment lente pour éviter tout effet rebond, en particulier à partir de 10mg/jour et le relais par corticothérapie orale est en général proposé au long cours.
À côté de la corticothérapie, sera souvent discutée l'introduction d'un traitement d'épargne cortisonique, immunosuppresseur ou immunomodulateur. Le choix du traitement est fonction de l'étiologie suspectée :
  • dans le cadre de la sarcoïdose, si l'atteinte initiale est sévère ou en cas de rechute, un traitement par mycophénolate mofétil, méthotrexate, ou anti-tumor necrosis factor (anti-TNF) sera proposé. Le cyclophosphamide est utilisé en cas d'échec des lignes précédentes de traitement ou dans les formes sévères. Le choix du traitement de fond sera discuté au cas par cas par l'interniste et/ou le neurologue, en fonction de l'atteinte systémique et cérébrale, et du terrain du patient ;
  • dans le cadre du lupus érythémateux disséminé, le mycophénolate mofétil ou le cyclophosphamide associé aux corticoïdes sont fréquemment proposés et semblent donner des résultats supérieurs à la corticothérapie seule. Chez ces patients, une corticothérapie orale en relais de la corticothérapie intraveineuse est le plus souvent proposée ;
  • dans le cas des NOinfl associées aux vascularites à ANCA, le rituximab ou le cyclophosphamide associé aux corticoïdes sont fréquemment proposés ;
  • dans le cas de la maladie de Behçet et des formes sévères impliquant le segment postérieur et dans les neuropathies optiques, en plus du traitement par méthylprednisolone intraveineux, les recommandations stipulent la nécessité d'adjoindre un traitement immunosuppresseur (azathioprine) à la corticothérapie, voire dans les cas les plus sévères un anti-TNF ou interféron alpha (INF-α).
Névrites optiques infectieuses
V. Touitou, D. Saadoun
Le traitement des névrites optiques infectieuses est une urgence , en particulier pour les névrites optiques à herpesvirus. Ces dernières doivent toujours être considérées comme des méningoencéphalites virales et traitées de façon appropriées en milieu spécialisé. Concernant les névrites optiques herpétiques, le traitement intraveineux par aciclovir 10 mg/kg/8heures est initié sans attendre les résultats des PCR et peut être augmenté à des posologies plus importantes si la fonction rénale le permet, selon la sévérité initiale. En cas de névrite optique sévère ou d'infection à VZV, le traitement fera appel le plus souvent au cidofovir (ou au foscarnet). À l'issue de la prise en charge initiale, un relais per os par aciclovir pour une durée prolongée est le plus souvent proposé.
Le traitement des névrites optiques bactériennes repose sur l'antibiothérapie intraveineuse adaptée au germe en cause. Dans le cadre de la maladie de Lyme, la ceftriaxone ou la céfotaxime à forte dose semblent efficace pour le traitement des manifestations neurologiques. Le traitement de première intention peut reposer sur la doxycycline per os pendant 2 à 3 semaines (respectivement, en cas de cas de traitement précoce ou tardif), mais est souvent prolongé au-delà de ces durées habituelles par de nombreuses équipes. Une alternative repose sur l'utilisation de ceftriaxone (2g/jour) parentéral pendant 3 semaines.
Le traitement de la névrite optique syphilitique repose sur la pénicilline G forte dose pendant 2 semaines. En cas d'allergie à la pénicilline, un traitement par ceftriaxone IV pendant 10 jours ou doxycycline per os pendant 28 jours peut être proposé. Il faudra distinguer les allergies à la pénicilline se manifestant par une hypersensibilité 15 à 20 minutes après l'injection chez 3 à 5% des patients, de la réaction de Jarisch-Herxheimer survenant dans les 4 à 12 heures après l'injection, et attribuée au relargage d'endotoxines par les spirochètes détruits. La corticothérapie donnée en association avec l'antibiothérapie ne prévient pas la réaction de Jarisch-Herxheimer, mais en diminue la sévérité.
Suivi
V. Touitou
Dans les névrites optiques idiopathiques, l'IRM cérébrale est répétée à distance, en général entre 3 et 6 mois, afin de s'assurer de l'absence d'apparition de lésions initialement absentes, qui orienteraient vers une maladie inflammatoire démyélinisante.
Concernant les névrites optiques non démyélinisantes, l'IRM pourra également être répétée entre 1 et 3 mois afin d'observer si d'autres manifestations de la maladie causale sont présentes (infiltrations de la tige pituitaire, de la glande lacrymale, méningée, par exemple) et pour vérifier la régression des anomalies initiales éventuellement associées à la neuropathie optique (vascularite cérébrale dans le cas d'une vascularite ou d'une connectivite, prise de contraste des nerfs crâniens associée dans la sarcoïdose, encéphalite lupique). La surveillance sera avant tout clinique, avec suivi de l'amélioration du champ visuel et de l'évolution de l'OCT ganglion cell complex (GCC) et peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL). La tolérance du traitement devra également être évaluée cliniquement et biologiquement (bilans mensuels) à chaque consultation et un suivi conjoint avec le service de médecine interne ou de maladie infectieuse devra être instauré.
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4.3.
Neuropathies optiques ischémiques – Artérite à cellules géantes

M.-B. Rougier,

G. Clavel-Refregiers,

T. Sené

Neuropathies optiques ischémiques
M.-B. Rougier
Points importants
  • Neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) non artéritique :
    • la baisse de vision est brutale, indolore et constatée le matin au réveil dans la moitié des cas seulement ;
    • la petite papille pleine demeure le facteur de risque principal ;
    • le bilan doit rechercher la présence de facteurs de risque associés : hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie, syndrome d'apnées du sommeil ;
    • certains médicaments sont susceptibles de favoriser une NOIAA non artéritique : inhibiteurs de la 5-phosphodiestérase, amiodarone ;
    • en cas de persistance de l'œdème papillaire au-delà de 6 semaines, il faut rechercher une cause compressive par une IRM cérébrale et orbitaire ;
    • aucun traitement n'a fait la preuve de son efficacité.
  • Neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) artéritique :
    • la baisse de vision de la NOIAA artéritique est brutale, profonde et s'accompagne d'un œdème papillaire très pâle ;
    • en cas de difficulté diagnostique, l'angiographie à la fluorescéine peut apporter des arguments en montrant une ischémie choroïdienne (la place de l'OCT-angiographie reste à définir) ;
    • devant toute suspicion de NOIAA artéritique, le bilan biologique à demander en urgence doit comporter CRP, VS, NFS et plaquettes ;
    • la corticothérapie intraveineuse en urgence reste le traitement de première intention ;
    • la NOIAA artéritique représente 80 % des atteintes visuelles de la maladie de Horton.
Quoi de neuf ?
  • Il n'y a toujours pas de traitement reconnu à la NOIAA non artéritique.
  • Dans les NOIAA non artéritique, en cas de comorbidité vasculaire, le risque de présenter un accident vasculaire cérébral est multiplié par 3.
  • L'imagerie vasculaire devient l'examen de première intention pour le diagnostic d'artérite à cellules géantes et la biopsie de l'artère temporale est réalisée dans les cas où l'imagerie ne peut être effectuée dans de bonnes conditions ou ne permet pas de conclure.
  • Le tolicizumab est le traitement de deuxième intention de la maladie de Horton en cas de corticodépendance, de corticorésistance ou d'intolérance à la cortisone.
Neuropathie optique ischémique antérieure aiguë non artéritique
Les NOIAA non artéritiques sont les neuropathies optiques les plus fréquentes chez les sujets de plus de 50 ans en dehors du glaucome, mais elles peuvent survenir chez des sujets plus jeunes. L'incidence aux États-Unis est évaluée entre 0,54 et 2,3 pour 100 000 habitants respectivement pour les sujets de moins de 50 ans ou de plus de 50 ans, mais la majorité des patients ont entre 60 et 70 ans, avec un sex-ratio de 1.
Concepts physiopathologiques
Malgré l'intérêt que suscite cette pathologie, à ce jour les mécanismes physiopathologiques en jeu demeurent inconnus. On en reste ainsi à considérer la NOIAA non artéritique comme un accident ischémique secondaire à une hypoperfusion de la tête du nerf optique [1]. Cette hypoperfusion résulterait d'un défaut des mécanismes d'autorégulation au niveau des artères ciliaires courtes postérieures favorisé par l'athérosclérose, un vasospasme ou certains médicaments (voir plus loin le paragraphe «Causes iatrogènes »). En revanche, ce qui est prouvé, c'est qu'elle survient sur une papille dite à risque, avec un petit diamètre et une excavation minime ou absente. L'événement ischémique initial entraîne un œdème qui, dans cette conformation et en raison de l'absence d'espace libre, a comme conséquence une compression des vaisseaux aggravant l'œdème et réalisant un cercle vicieux à type de syndrome de loge.
Diagnostic positif
Le diagnostic positif d'une NOIAA non artéritique est essentiellement clinique. Elle se caractérise par une baisse visuelle unilatérale, brutale et indolore. Le trouble visuel est décrit par le patient soit comme une vision trouble, soit sous la forme d'une amputation du champ visuel ou enfin comme une perte totale de la vue. La vision peut s'aggraver dans les jours qui suivent les premiers symptômes. La notion classique de survenue le matin au réveil est loin d'être vérifiée. Dans la grande étude prospective Ischemic Optic Neuropathy Decompression Trial (IONDT)  [2], 42% des patients décrivaient la baisse de vision dans les 2 heures suivant le réveil, quand 41% l'avaient ressentie à un autre moment de la journée et 17% ne s'en souvenaient pas. La présence d'une douleur, surtout si elle est déclenchée par les mouvements oculaires, doit faire évoquer une névrite optique. L'examen pupillaire retrouve, comme dans toutes les neuropathies optiques unilatérales, un DPAR, et le FO met en évidence un œdème papillaire. Celui-ci est volontiers hyperhémique et s'accompagne d'une ou de plusieurs petites hémorragies péripapillaires (fig. 4-10a
Fig. 4-10
Neuropathie optique ischémique antérieure aiguë non artéritique d'un œil droit.a.La papille apparaît légèrement hyperhémiée, avec un œdème prédominant en nasal, associé à des hémorragies satellites. b.Sur le cliché angiographique très précoce, la papille n'est toujours pas perfusée alors que la choroïde et l'artère centrale de la rétine le sont. c.Sur les temps tardifs, il existe une diffusion du colorant en lien avec l'œdème papillaire. d.Le champ visuel (Octopus®) retrouve une quadranopsie inféronasale. e.Un mois plus tard, l'œdème papillaire a disparu et il existe une pâleur temporale.
) ; les nodules cotonneux sont rares. L'œdème papillaire disparaît en 4 à 6 semaines environ pour laisser la place à une atrophie optique (fig. 4-10e). La persistance de l'œdème papillaire au-delà doit faire rechercher une autre cause et réaliser une IRM cérébrale et orbitaire à la recherche d'une compression. Si l'œdème papillaire n'a pas été observé (patient vu trop tard), l'IRM devra également être réalisée.
Le champ visuel retrouve un déficit typiquement altitudinal, le plus souvent inférieur, avec ou sans respect du point de fixation (fig. 4-10d). Mais un scotome central ou cæcocentral est possible. Dans les formes majeures, le déficit est complet, et seul un champ visuel de Goldmann sera réalisable.
L'OCT est peu contributif au stade aigu et retrouve un épaississement de la pRNFL et une absence de retentissement sur la couche des cellules ganglionnaires (CCG). L'OCT-angiographie peut être utile à la phase aiguë, notamment pour le diagnostic différentiel avec les œdèmes papillaires non ischémiques, montrant une diminution de la densité capillaire du réseau péripapillaire (fig. 4-11
Fig. 4-11
OCT-angiographie d'une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë non artéritique.a.Le plexus superficiel est remanié avec capillaires papillaires dilatés et tortueux. b.Coupe B-scan correspondante.
)  [3,4].
En cas de doute diagnostique avec un autre type de neuropathie optique, comme une papillite, une angiographie à la fluorescéine avec des clichées précoces permettra de confirmer le diagnostic. En cas de NOIAA non artéritique, la papille, qui doit normalement fluorescer dès les temps choroïdiens, donc avant le temps artériel, se remplira totalement ou partiellement avec retard (fig. 4-10b, c).
Diagnostic différentiel
Le diagnostic différentiel se pose avec les baisses brutales d'acuité visuelle d'une part, avec les œdèmes papillaires unilatéraux d'autre part. En pratique, c'est la névrite optique antérieure qui constitue la difficulté principale en raison de la baisse d'acuité associée à un œdème papillaire et des déficits au champ visuel de topographie non spécifique. Mais dans le cas d'une neuropathie inflammatoire, les sujets sont généralement plus jeunes, les douleurs à la mobilisation du globe sont fréquentes et la baisse visuelle est rapidement progressive. En cas de doute, l'OCT-angiographie, l'angiographie à la fluorescéine et l'IRM cérébrale et orbitaire sont utiles.
Bilan
En urgence
Dès que le diagnostic est établi, il faut éliminer en urgence une forme artéritique, essentiellement une maladie de Horton chez les plus de 50 ans, par un interrogatoire, un examen clinique et un bilan biologique à la recherche d'un syndrome inflammatoire obtenu immédiatement (voir encadré 4-4
Encadré 4-4
Signes cliniques et biologiques évocateurs
Signes cliniques
  • Altération de l'état général
  • Fièvre
  • Céphalées : inhabituelles, volontiers temporales, inflammatoires
  • Dysesthésies du cuir chevelu*
    *
    Signes spécifiques.
  • Claudication de la mâchoire*
  • Pseudo-polyarthrite rhizomélique (PPR)
  • Troubles visuels transitoires, baisse visuelle par NOIAA (80 % des baisses visuelles), plus rarement occlusion de l'artère centrale de la rétine, diplopie par atteinte du III et moins souvent du VI
  • Abolition d'un pouls temporal, induration de l'artère temporale*
Biologie
  • NFS, plaquettes
  • CRP, VS ± fibrinogène
  • Ionogramme sanguin, bilan hépatique
  • Facteur antinucléaire (FAN), antineutrophil cytoplasmic antibodies (ANCA), anticorps antimyéloperoxydase (anti-MPO) et antiprotéinase 3 (anti-PR3)
).
Recherche de facteurs de risque
Oculaires
Il a été démontré que le facteur de risque principal est la présence d'une petite papille avec un rapport cup/disc très faible. S'il n'est pas aisé de déceler une telle morphologie sur une papille œdématiée, cet aspect sera détectable sur l'œil controlatéral qu'il faut examiner. Par ailleurs, la présence de drusen de la papille constitue un facteur de risque reconnu  [5], plus fréquemment chez les jeunes. Elle pourra être détectée en réalisant des coupes OCT B-scan en enhanced depth imaging (EDI) de la papille. La NOIAA non artéritique peut aussi compliquer un œdème papillaire de stase.
Systémiques
De nombreux facteurs de risque systémiques ont été rapportés dans la survenue d'une NOIAA non artéritique.
  • Hypertension artérielle. Une hypertension artérielle est retrouvée chez 50 % des patients dans pratiquement toutes les études. Par ailleurs, l'existence d'une hypotension nocturne a été longtemps considérée comme favorisant l'hypoperfusion de la tête du nerf optique. Cette hypothèse soutenue par Hayreh [6] corroborait l'idée que les NOIAA non artéritiques surviennent plutôt le matin au réveil. Dans la grande étude de l'IONDT [2], seuls 42% des patients ont constaté leur perte visuelle le matin en se levant. Cette même étude relève que ces patients ne prenaient pas davantage de traitements antihypertenseurs, ce qui remet en question l'influence d'une hypotension nocturne iatrogène dans la genèse de la NOIAA non artéritique. Le rôle de l'hypotension nocturne reste donc controversé [7] et Miller [1] recommande d'éviter la prise de traitements antihypertenseurs le soir au coucher. La réalisation d'un Holter tensionnel, en précisant au cardiologue ce que l'on recherche, permettra de corriger d'éventuelles chutes de la pression artérielle au-delà de l'hypotension nocturne physiologique et, pour certains, préviendrait l'atteinte de l'œil controlatéral.
  • Diabète. Le diabète constitue un autre facteur de risque de NOIAA non artéritique. La plupart des études, toutes rétrospectives, évaluent la prévalence du diabète chez les patients présentant une NOIAA non artéritique autour de 25 %. Une étude relativement récente [8] s'intéressant a contrario à l'incidence des NOIAA non artéritiques a montré que sur un suivi d'un peu plus de 13 ans, un sujet diabétique avait une augmentation du risque de 40 % par rapport à un sujet non diabétique, avec une augmentation supplémentaire de 30 % chez les hommes diabétiques.
  • Dyslipidémies. Les dyslipidémies sont également souvent retrouvées chez les patients présentant une NOIAA non artéritique, parfois même découvertes à cette occasion  [9]. En revanche, aucun consensus n'est établi concernant le rôle que pourrait jouer l'hyperhomocystéinémie, ainsi que les facteurs de risque thrombotique (facteur V de Leiden, anticorps anticardiolipide, déficit en protéine C et S, etc.) dans la survenue d'une NOIAA non artéritique [1].
  • Syndrome d'apnées du sommeil. Le syndrome d'apnées du sommeil (SAS), induisant une hypoxie cérébrale et une sécrétion de substances vasogéniques, a également été incriminé dans la survenue des NOIAA non artéritique. Les premières études ont porté sur des petites séries de patients ayant présenté une NOIAA non artéritique et chez qui l'incidence de SAS était élevée  [10]. Plus intéressante est l'étude de cohorte de Yang [11] qui évalue le risque de survenue d'une NOIAA non artéritique chez les patients SAS comme étant 3,8 fois supérieur à un groupe contrôle. Dans une autre étude [12], il a été montré que dans l'année suivant le diagnostic de SAS, 0,36% des patients présentaient une NOIAA non artéritique contre 0,2% dans le groupe contrôle, ce risque étant encore plus marqué chez les patients SAS jeunes (30–39 ans).
  • Migraine. La migraine a également été incriminée, mais non démontrée : la NOIAA non artéritique surviendrait pendant ou juste après la céphalée [13]. Un mécanisme vasospastique a été évoqué et, chez les patients migraineux avec un antécédent de NOIAA non artéritique, les traitements bêtabloquants seraient à éviter [1].
Causes iatrogènes
Les inhibiteurs de la 5-phosphodiestérase (5-sildéfanil, tadalafil et vardénafil), traitement des dysfonctions érectiles, favorisent la survenue des NOIAA non artéritique par le biais d'une hypotension importante  [14]. Il est actuellement recommandé d'interroger le patient sur la prise de ce type de molécule afin qu'il évite de poursuivre ce traitement.
L'amiodarone, bien que de moins en moins prescrite, reste un traitement classique de l'arythmie cardiaque et peut entraîner des NOIAA non artéritiques. Cependant, les patients prenant un tel traitement étant le plus souvent porteurs d'autres facteurs de risque vasculaire, il est possible que la survenue des NOIAA non artéritiques ne soit pas spécifiquement liée à cette molécule. Le tableau clinique de ces neuropathies diffère par le fait qu'elles sont d'installation insidieuse, plus souvent bilatérales, ne touchant pas des papilles à risque, avec un œdème papillaire persistant plus longtemps et un déficit du champ visuel global plutôt qu'altitudinal  [15,16].
Certaines chirurgies cardiaques ont été décrites comme facteur déclenchant d'une NOIAA non artéritique  [17]. Enfin, un cas de NOIAA non artéritique a été décrit avec l'utilisation d'oxyde nitrique présent à forte dose dans les régimes de bodybuilding [18]. Ce cas aujourd'hui anecdotique pourrait le devenir moins compte tenu de l'usage incontrôlé de ce type de substance.
Au total, une fois la NOIAA artéritique éliminée, le bilan à réaliser consiste en un interrogatoire à la recherche de prises médicamenteuses susceptibles d'entraîner une NOIAA non artéritique, et de troubles du sommeil évocateurs d'un SAS. Un bilan sanguin recherchera un diabète mal équilibré et une dyslipidémie. Enfin, un Holter tensionnel permettra de vérifier l'absence d'hypertension artérielle méconnue. Dans les tableaux typiques, aucune imagerie complémentaire, type IRM des voies visuelles, n'est nécessaire.
Traitement
Médical systémique
La corticothérapie générale a été longtemps proposée dans le but de diminuer localement l'œdème papillaire afin d'interrompre le cercle vicieux entretenant, voire aggravant, la compression vasculaire, source de réduction du flux sanguin. Malheureusement, les différentes études menées étaient soit non randomisées  [19], soit sans amélioration significative de l'acuité visuelle [20]. De plus, la comorbidité induite par une corticothérapie à fortes doses chez ces patients souvent polyvasculaires limite son utilisation. Lévodopa et aspirine ont également été proposées, mais sans succès.
Local
La brimonidine en collyre, présumée neuroprotectrice, n'a pas démontré d'effet positif dans les NOIAA non artéritiques  [21]. Les injections intravitréennes de triamcinolone ont également été évaluées. Chez l'animal, on obtient une moindre altération des cellules ganglionnaires comparée aux animaux non injectés [22]. Chez l'homme, seules de courtes séries rétrospectives ont montré des résultats encourageants, mais à ce jour aucune étude prospective n'a pu confirmer ces données [23].
Chirurgical
Le mécanisme principal des NOIAA non artéritiques étant une diminution du flux sanguin des petites papilles non excavées, diminution du flux encore aggravé par l'œdème compressif (comme dans un syndrome de loge), la décompression de la gaine du nerf optique est apparue comme une solution logique. Ce traitement chirurgical a été étudié par l'IONDT dans les années 1990 sur près de 100 patients [2]. Non seulement la chirurgie n'a pas apporté de bénéfice visuel comparé à l'évolution naturelle, mais le risque de perdre plus de 3 lignes d'acuité visuelle était plus important dans le groupe opéré.
En conclusion, on retiendra que malheureusement aucune étude de niveau de preuve élevé ne permet de recommander un traitement dans les NOIAA non artéritique  [24,25].
Pronostic
Le pronostic visuel est le plus souvent médiocre. Le risque de récidive sur le même œil est évalué à 5% à 5 ans [25]. Ce risque assez faible est attribué à l'atrophie optique secondaire à la NOIAA non artéritique qui «libère » de l'espace pour les fibres restantes et supprime l'effet compressif de la petite papille pleine. En ce qui concerne le risque de bilatéralisation, il est évalué entre 15 et 25% après 4 à 5 ans de suivi moyen. La présence de drusen papillaires, démontrée dans une étude récente [26], et la mauvaise observance du traitement du SAS sont des facteurs majeurs de bilatéralisation.
Par ailleurs, il a été suggéré que, malgré ses mécanismes pathogéniques différents, la survenue d'une NOIAA non artéritique serait associée à une augmentation du risque d'accident vasculaire cérébral (AVC). Une étude rétrospective de cohorte taïwanaise  [27] a montré que, chez les patients présentant une comorbidité cardiovasculaire, la survenue d'une NOIAA non artéritique multiplie par 3 le risque d'AVC. En revanche, les patients NOIAA non artéritique sans facteur de risque cardiovasculaire ont le même risque d'AVC que le groupe contrôle. Ce résultat a été confirmé en 2018 par une autre étude de cohorte coréenne [28]. Cela souligne l'importance de rechercher et de traiter les facteurs de risque vasculaire au décours d'une NOIAA non artéritique afin de diminuer le risque de survenue d'un AVC.
Neuropathies optiques ischémiques antérieures aiguës artéritiques
Les NOIAA artéritiques constituent une urgence à la fois visuelle et vitale : elles entraînent une perte visuelle sévère et peuvent se bilatéraliser dans les heures qui suivent l'atteinte du premier œil, et la maladie de Horton est susceptible de provoquer des thromboses des gros vaisseaux, comme l'aorte ou les artères cérébrales.
Physiopathologie
À la différence des NOIAA non artéritiques, les NOIAA artéritiques relèvent d'un mécanisme thrombotique. Ce thrombus inflammatoire est dû à une vascularite des artères ciliaires courtes postérieures généralement secondaire à une artérite gigantocellulaire, souvent dénommée en France maladie de Horton. Cette vascularite touche les vaisseaux de moyen et gros calibre. Le thrombus entraîne une diminution brutale du flux choroïdien, avec une ischémie choroïdienne, puis du nerf optique puisque la choroïde contribue pour une grande part à la vascularisation de la papille  [29]. D'autres vascularites auto-immunes, comme la maladie de Behçet, peuvent se compliquer de NOIAA artéritique.
Les NOIAA artéritiques sont moins fréquentes que les NOIAA non artéritiques (1,3 pour 100 000 sujets ≥ 50ans) et touchent des sujets plus âgés (pic entre 70 et 80 ans). Elles sont deux fois plus fréquentes chez les femmes.
Diagnostic
Interrogatoire
Comme dans les NOIAA non artéritiques, la baisse de vision est brutale mais plus sévère. Plus de la moitié des patients ont une acuité visuelle réduite à « voit bouger la main ». Les NOIAA artéritiques surviennent en général dans un contexte général riche qu'il faut rechercher à l'interrogatoire (voir plus loin encadré 4-4
Encadré 4-5
Principales étiologies des neuropathies optiques compressives (selon la structure en cause) et des infiltrations du nerf optique
  • Muscles oculomoteurs :
    • orbitopathie dysthyroïdienne
    • infiltration lymphomateuse des muscles orbitaires
    • inflammation orbitaire
    • rhabdomyosarcome
  • Région pituitaire :
    • adénome hypophysaire
    • apoplexie pituitaire
    • craniopharyngiome
  • Méninges :
  • Paroi osseuse orbitaire :
    • dysplasie fibreuse
    • maladie de Paget
  • Vaisseaux sanguins :
    • anévrisme, ectasie de la carotide interne
    • malformation vasculaire caverneuse (par exemple hémangiome orbitaire)
  • Hémorragie orbitaire :
    • drépanocytose
    • traumatisme orbitaire
  • Tumeur orbitaire :
    • lymphangiome
    • métastase, etc.
  • Glande lacrymale :
    • granulomatose avec polyangéite
    • sarcoïdose
  • Sinus :
    • mucocèle
    • mucormycose
  • Tumeur primitive du nerf optique :
  • Infiltration cellulaire du nerf optique :
    • lymphome
    • leucémie
    • carcinomatose méningée
    • sarcoïdose
    • tuberculose
): notons que 5 à 15% des patients porteurs d'une pseudo-arthrite rizhomélique développent une maladie de Horton. La survenue d'amaurose et/ou de diplopie transitoires dans les jours ou semaines précédant la perte visuelle est également un signe d'orientation. Cependant, dans 25% des cas confirmés par une biopsie de l'artère temporale positive, aucun signe d'accompagnement n'est retrouvé, ce qui fera parler d'artérite occulte [30]. On complétera l'interrogatoire par la palpation des artères temporales à la recherche d'une induration et/ou d'une disparition du pouls.
Examen ophtalmologique
En cas d'atteinte unilatérale ou asymétrique, on retrouve un DPAR et au FO, un œdème papillaire très blanc (fig. 4-12a etd
Fig. 4-12
Neuropathie optique ischémique antérieure aiguë artéritique bilatérale dans le cadre d'une maladie de Horton.a–c.L'œdème papillaire est discret mais la papille est très ischémique(a) sans aucune hémorragie satellite ; l'angiographie à la fluorescéine aux temps intermédiaires retrouve des zones non perfusées correspondant à une ischémie choroïdienne(b) dont certaines persistent aux temps tardifs(c). d–f.L'atteinte est plus sévère: l'œdème ischémique de la papille prédomine en temporal et s'ajoute une occlusion artérielle rétinienne caractérisée par un œdème rétinien (flèche) contigu à la papille(d). Aux temps précoces de l'angiographie(e) la papille reste non perfusée, ainsi que la zone rétinienne contiguë. Aux temps tardifs(f), l'ischémie rétinochoroïdienne persiste (flèche) sous la forme d'une absence totale de perfusion de l'hémipapille temporale et de la rétine contiguë.
). Le champ visuel est souvent non réalisable en raison de l'acuité effondrée. Le reste de l'examen consiste à rechercher d'autres signes d'ischémie oculaire sur l'œil atteint et l'œil adelphe. Pour l'ischémie choroïdienne, souvent associée, c'est l'angiographie à la fluorescéine aux temps précoces qui est le meilleur examen (fig. 4-12b, c, e, f). Parfois il est possible de mettre en évidence cette ischémie en OCT-angiographie en réalisant des coupes sur la choriocapillaire. Une occlusion artérielle rétinienne est parfois associée (fig. 4-12d, e, f), facilement diagnostiquée au FO sous l'aspect d'une macula rouge cerise lorsqu'il s'agit de l'artère centrale de la rétine. L'examen de la motilité oculaire permettra de rechercher une anomalie secondaire à une ischémie des muscles et/ou des nerfs oculomoteurs.
Diagnostic différentiel
Le diagnostic différentiel le plus fréquent reste la NOIAA non artéritique. Récemment, il a été décrit un tableau très évocateur de NOIAA artéritique dans le cadre d'une calciphylaxie(autrefois appelée artériolopathie urémique calcifiante). C'est une maladie rare, présente chez environ 5 % des patients au stade terminal d'une insuffisance rénale dialysés ou non, qui se caractérise par une calcification des parois vasculaires conduisant à une occlusion thrombotique. Outre l'insuffisance rénale, l'atteinte la plus fréquente est cutanée sous la forme de lésions chroniques nécrotiques très douloureuses. Le tableau visuel, très rare, est très évocateur d'une NOIAA artéritique, car la baisse de vision est majeure, l'œdème papillaire très pâle et l'angiographie montre une ischémie choroïdienne associée. De plus, la biopsie de l'artère temporale retrouve une calcification diffuse de la média et de l'intima [31]. La corticothérapie pouvant majorer la calciphylaxie est contre-indiquée et le traitement consiste en l'administration intraveineuse de thiosulfate de sodium.
Bilan
Si la clinique et le bilan sanguin restent les premiers éléments d'orientation du diagnostic en urgence, le rôle et la place de la biopsie de l'artère temporale dans le diagnostic de certitude sont en cours de réévaluation en raison des progrès de l'imagerie non invasive des vaisseaux : voir plus loin le paragraphe «Artérite à cellules géantes (maladie de Horton, artérite gigantocellulaire »).
Bilan sanguin
Dès la suspicion de NOIAA, un bilan sanguin en urgence à la recherche d'un syndrome inflammatoire doit être demandé (voir plus loin encadré 4-4). La VS, le taux de plaquettes mais surtout la CRP constituent les éléments de base du diagnostic. Selon les études les plus anciennes  [25], la sensibilité de la VS et de la CRP combinées est de 97%. Cependant, ces paramètres peuvent être anormaux en cas de pathologies inflammatoires ou infectieuses concomitantes, et la VS est dépendante du sexe, de l'âge et de la présence d'une anémie. Pour mémoire, on retiendra que chez l'homme la VS normale est <âge /2 et chez la femme <(âge + 10)/2. Une étude récente démontre que c'est plutôt la combinaison CRP et plaquettes qui serait la plus prédictive pour le diagnostic de maladie de Horton [32]. Ainsi, la CRP, la NFS, avec le taux de plaquettes, et la VS restent à ce jour les paramètres biologiques indispensables, mais leur normalité ne doit pas exclure le diagnostic de maladie de Horton.
Biopsie de l'artère temporale
La biopsie de l'artère temporale était l'élément déterminant pour affirmer le diagnostic de maladie de Horton, même si une biopsie négative ne l'éliminait pas. Depuis ces dernières années quelques discussions ont eu lieu autour des critères diagnostiques positifs de la biopsie. Un diagnostic formel repose sur la présence de trois éléments : des signes actifs d'inflammation (lymphocytes, macrophages, cellules géantes polynuclées et granulomes), des lésions de la paroi vasculaire (fragmentation de la lame élastique interne et épaississement de l'intima) et un thrombus [33]. Des lésions plus limitées ont parfois été décrites comme pouvant être potentiellement des artérites à cellules géantes «cicatrisées » et prises en charge comme telles [34]. Dans ces cas-là, aujourd'hui, il est préférable de compléter le bilan par une imagerie ou de surveiller le patient de façon rapprochée avant de les considérer comme porteur d'une maladie de Horton. La biopsie de l'artère temporale demeure un geste agressif, d'autant que pour augmenter les chances de résultat positif, elle devrait avoir une longueur de 1,5 cm [35]. C'est ainsi que l'imagerie prend une importance grandissante dans le diagnostic de l'artérite de Horton.
Imagerie
Échographie Doppler
L'échographie Doppler des artères temporales superficielles est un examen inoffensif, rapide et bon marché. Entre des mains expérimentées, la sensibilité et la spécificité sont excellentes (aux alentours de 85 %), mais elles baissent rapidement si le radiologue n'est pas habitué à la pratique de cet examen [33,35]. Une étude récente ( TABUL study [36]) a comparé, sur 380 patients suspects de maladie de Horton, la biopsie de l'artère temporale versus l'échographie Doppler: la sensibilité était de 39% et 54%, et la spécificité de 100 % et 81% respectivement. Ainsi, l'échographie Doppler serait plus sensible que la biopsie et il est proposé de réserver la biopsie de l'artère temporale aux patients ayant un Doppler non contributif.
Imagerie par résonance magnétique
L'IRM 3 Testla du scalp apparaît encore plus sensible (78,4%) et spécifique (90,4%). Les artères temporales apparaissent épaissies avec un hypersignal. De plus, la valeur prédictive négative est très élevée (98%), ce qui pourrait faire de l'IRM un très bon test pour confirmer l'absence de maladie de Horton chez les patients à risque faible. En revanche, cette technique, parfois difficile à obtenir dans les délais, nécessite un radiologue entraîné.
Tomographie par émission de positrons
La tomographie par émission de positrons ( positron emission tomography [PET-scan]) est une technique d'imagerie fonctionnelle qui montre une hyperfixation du glucose radioactif dans les parois vasculaires enflammées. Sa sensibilité dans la maladie de Horton est de 89,5% et sa spécificité de 97,7%. En revanche, elle ne détecte que les anomalies des gros vaisseaux (>4mm de diamètre). Elle est donc difficilement exploitable dans les cas de NOIAA artéritique sans autre atteinte vasculaire.
Traitement et surveillance
Le traitement de la NOIAA artéritique est celui de la vascularite causale, le plus souvent la maladie de Horton et doit être initié en urgence en raison du risque de thrombose controlatérale ou sur d'autres gros vaisseaux. La cortisone demeure le traitement de première intention ; même si le pronostic visuel de l'œil atteint reste sombre et si des aggravations sont possibles à la phase initiale du traitement, la mise en place d'une corticothérapie parentérale dans les 24 premières heures est associée à un plus grand nombre d'améliorations visuelles. En raison des effets secondaires potentiels majeurs dans cette population âgée et de la découverte de nouvelles molécules, la collaboration avec les internistes est indispensable: voir plus loin le paragraphe «Artérite à cellules géantes : point de vue de l'interniste »).
Neuropathie optique ischémique postérieure aiguë
Les neuropathies optiques ischémiques postérieures aiguës (NOIPA) sont rares et peuvent être artéritiques ou non artéritiques  [25,37]. Leur diagnostic est délicat car elles se présentent sous la forme d'une baisse brutale et indolore de l'acuité visuelle avec un FO normal, ce qui est plutôt l'apanage des névrites optiques. Elles restent donc un diagnostic d'élimination. La chirurgie rachidienne, avec patient en décubitus ventral, semble présenter un risque de NOIPA non artéritique, surtout si une hypovolémie et/ou une anémie surviennent en cours d'intervention. Les NOIPA sont souvent bilatérales dans ce contexte, et de plus mauvais pronostic que les NOIAA non artéritiques, également susceptibles de survenir [38]. En dehors de ce contexte périopératoire, une NOIPA artéritique doit être suspectée.
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Artérite à cellules géantes

G. Clavel-Refregiers,

T. Sené

Points importants
L'artérite à cellules géantes est une urgence diagnostique et thérapeutique et l'instauration du traitement doit se faire sans attendre la réalisation des examens complémentaires.
Quoi de neuf ?
  • Le cadre nosologique de l'artérite à cellules géantes a évolué, avec la distinction des formes « céphaliques » et des formes «aorto-artéritiques », de présentation et de pronostic différents.
  • Les examens d'imagerie (échographie des artères temporales, IRM cérébrale et PET scan) tendent à supplanter la biopsie d'artère temporale pour le diagnostic de certitude de l'artérite à cellules géantes.
  • La corticothérapie reste la pierre angulaire du traitement de l'artérite à cellules géantes, mais des molécules immunomodulatrices (notamment tocilizumab et méthotrexate) ont fait la preuve de leur efficacité à visée d'épargne cortisonée et peuvent être proposées en cas de corticodépendance et/ou d'effets secondaires graves de la corticothérapie.
L'artérite à cellules géantes(ACG) – ou maladie de Hortonou artérite gigantocellulaire– est segmentaire et plurifocale, prédominant aux vaisseaux de moyen et de gros calibre du territoire céphalique, en particulier les branches de la carotide externe et de l'artère ophtalmique. Il s'agit de la plus fréquente des vascularites des sujets de plus de 50 ans en Europe. Le pic de prévalence est compris entre 70 et 80 ans [1].
Diagnostic
Les examens ne doivent pas retarder l'initiation du traitement et doivent être réalisés le plus rapidement possible car certains signes peuvent disparaître sous traitement (8 à 10 jours). Il faut toujours rechercher les diagnostics différentiels: autres vascularites (granulomatose avec polyangéite+++), infections, cancer et syndrome paranéoplasique [2].
Clinique
Les symptômes sont rarement spécifiques, très variables d'un sujet à l'autre (encadré 4-4)  [1].
On distingue deux formes cliniques, qui peuvent se chevaucher :
  • la forme « céphalique »: la symptomatologie céphalique prédomine, la biopsie de l'artère temporale est plus souvent positive que dans la forme «aorto-artéritique ». Cette forme intéresse particulièrement l'ophtalmologiste car elle est plus souvent compliquée de manifestations ischémiques, notamment oculaires ;
  • la forme « aorto-artéritique »: les signes généraux et/ou de pseudo-polyarthrite rhizomélique (PPR) sont au premier plan. L'aortite est plus fréquente que dans la forme céphalique [3].
Biologie
La biologie recherche un syndrome inflammatoire. Elle doit éliminer les autres vascularites auto-immunes, notamment une vascularite des petits vaisseaux (granulomatose avec polyangéite) (voir encadré 4-4)  [2]. L'absence de syndrome inflammatoire ne permet pas d'exclure le diagnostic (voir plus haut le paragraphe «Neuropathies optiques ischémiques antérieures aiguës artéritiques »).
Imagerie
  • Angio-IRM cérébrale (1,5 ou 3T) : elle objective un épaississement de la paroi artérielle, un rehaussement après injection de produit de contraste ; l'IRM permet d'étudier les artères intra- et extracrâniennes, elle est plus intéressante dans les formes «céphaliques » [ 4–5] .
  • Échographie Doppler : il doit porter sur les troncs supra-aortiques, l'artère temporale ±les artères axillaires. Elle montre un signe du halo ou son équivalent, à savoir la persistance d'un aspect hypoéchogène malgré une compression de la lumière artérielle. Elle retrouve parfois une sténose artérielle [6,8] (fig. 4-13
    Fig. 4-13
    Artérite à cellules géantes.a, b.IRM cérébrale montrant un épaississement de la paroi artérielle (cercles rouges) avec reconstruction(b) de l'artère temporale. c.Échographie Doppler des artères temporales: signe du halo. d.PET-scan montrant une aortite.
    ).
  • TEP scan : il est plus intéressant dans les formes « aorto-artéritiques », car il ne permet pas de bien visualiser les artères céphaliques ; c'est un examen très sensible pour le diagnostic d'aortite [9].
Biopsie d'artère temporale
L'analyse histologique n'est positive que dans 60 à 80 % et montre alors un infiltrat inflammatoire des couches de la paroi artérielle, en général centré sur la média, en majorité composé de lymphocytes T et de macrophages, avec des cellules géantes multinucléées. On trouve une destruction des cellules musculaires lisses de la média, focale ou étendue, et une destruction de la couche élastique interne. Des thrombi sont fréquemment présents [10].
Stratégie diagnostique
En cas de suspicion diagnostique, lorsque cela est possible, l'imagerie est actuellement réalisée en première intention et en urgence après le bilan biologique  [2]. Dans les formes avec atteinte visuelle, l'IRM de paroi est la technique de choix, car elle est très sensible pour la détection d'une inflammation pariétale des branches de l'artère carotide externe et de l'artère ophtalmique [5]. Il convient de proposer la biopsie d'artère temporale lorsque l'imagerie ne peut être effectuée dans de bonnes conditions (délai et/ou expertise) ou lorsque les examens d'imagerie ne permettent pas de conclure [2].
Prise en charge thérapeutique
Les objectifs du traitement de l'ACG sont :
  • l'obtention rapide d'une rémission clinique (disparition des symptômes et signes cliniques) et biologique (disparition du syndrome inflammatoire biologique) ;
  • la prévention des rechutes/récidives, des complications ischémiques irréversibles (notamment visuelles) et des complications aortiques (dilatation, dissection, rupture d'anévrisme) ;
  • la prévention des complications de la corticothérapie.
Moyens thérapeutiques spécifiques
La corticothérapie par prednisone représente le traitement de référence dans l'ACG, et est le plus souvent suffisante pour traiter la maladie  [11]. Différents médicaments immunomodulateurs ou biothérapies ont été proposés comme traitements adjuvants avec un objectif d'épargne cortisonée. Le méthotrexate a une efficacité démontrée, mais modeste et avec délai, sur l'épargne cortisonée et la prévention des rechutes [12]. Le tocilizumab (anticorps monoclonal anti-IL6) a démontré dans deux essais randomisés contre placebo son efficacité dans la prise en charge de l'ACG et a récemment obtenu l'AMM dans cette indication [ 13–14 ]. Les données concernant d'autres traitements adjuvants (azathioprine, léflunomide, abatacept, ustékinumab, etc.) sont à l'heure actuelle moins robustes. À ce jour, aucun médicament adjuvant n'a démontré un potentiel curatif supérieur à la corticothérapie conventionnelle.
Stratégie thérapeutique
Artérite à cellules géantes nouvellement diagnostiquée
Le traitement d'induction repose à l'heure actuelle sur la corticothérapie seule, dont la posologie et le mode d'administration varient en fonction de la présence ou non de complications (atteinte ophtalmologique, aortite, ischémie de membre) de l'ACG (tableau 4-6
Tableau 4-6
Traitement d'induction d'une artérite à cellules géantes nouvellement diagnostiquée.
Forme d'artérite à cellules géantes Traitement
Non compliquée Prednisone 0,7mg/kg/jour 
Atteinte ophtalmologique En urgence:
  • méthylprednisolone 500–1 000mg/jour pendant 1 à 3 jours, puis relais par prednisone 1mg/kg
  • aspirine 75 à 300mg/jour
Aorto-artérite non compliquée Prednisone 0,7mg/kg/jour 
Aorto-artérite compliquée Prednisone 1mg/kg/jour 
)  [11].
Dans un contexte évocateur d'ACG, la réalisation d'examens complémentaires ne doit pas retarder l'instauration immédiate du traitement. La corticothérapie doit être débutée en urgence en présence de manifestations ophtalmologiques (idéalement moins de 24 heures avant le début des troubles ophtalmologiques). La posologie initiale est maintenue entre 2 et 4 semaines jusqu'à l'obtention de la rémission clinique et biologique. La cortico-résistance est rare et doit faire remettre en question le diagnostic d'ACG.
Après obtention de la rémission, la corticothérapie est diminuée progressivement (objectif : de 15 à 20 mg à 3 mois, 10mg à 6 mois, 7,5mg à 9 mois, 5mg à 12 mois) et maintenue pour une durée totale de 18 à 24 mois en cas d'évolution favorable.
D'une manière générale, il n'est pas préconisé de prescrire en première intention un traitement adjuvant à la corticothérapie. Chez les rares patients pour qui l'épargne cortisonée constitue un enjeu majeur du fait de comorbidités sévères qui risquent de s'aggraver sous corticoïdes (diabète mal équilibré, troubles psychiatriques, ostéoporose fracturaire sévère, hypertension artérielle sévère, etc.), il peut se discuter, avec l'aide d'un expert de la maladie, d'associer d'emblée un traitement adjuvant  [2,11].
Rechute d'artérite à cellules géantes ou corticodépendance de haut niveau
Les rechutes correspondent à une reprise évolutive clinique et/ou biologique lors de la phase de décroissance de la corticothérapie, les récidives à une reprise évolutive suite à l'arrêt de la corticothérapie. Parmi les rechutes, il faut distinguer les situations de corticodépendance de faible niveau de celles de haut niveau (d'au moins 7,5 mg/j de prednisone). Environ 40 % des patients avec une ACG feront une ou plusieurs rechutes ou récidives.
La décision du traitement à donner en cas de rechute ou de récidive dépend du type de rechute, du niveau de corticodépendance, du nombre d'épisodes de rechute et de la tolérance générale de la corticothérapie. En cas de première rechute ou de rechute sous faible dose de corticoïdes, il est conseillé de reprendre la corticothérapie à la posologie préalablement efficace. En cas de rechutes multiples, de corticodépendance supérieure à 7,5 mg/jour et/ou de mauvaise tolérance de la corticothérapie, il est préconisé de débuter un traitement adjuvant dont le choix se fera après discussion avec un médecin expert [11].
Traitements associés
La prévention des effets secondaires de la corticothérapie (notamment l'ostéoporose) et du risque cardiovasculaire représente un volet majeur de la prise en charge  [11]. La prescription d'aspirine à doses antiagrégante (75 à 300mg/jour) est conseillée aux seules ACG avec atteinte ophtalmologique [2,11].
Suivi
L'objectif du suivi est de s'assurer du bon contrôle de l'ACG, de rechercher les éventuelles rechutes/récidives, de vérifier la tolérance du traitement, de dépister les complications précoces et tardives de la maladie ou de ses traitements, d'assurer l'éducation thérapeutique du patient.
Le rythme des consultations doit être adapté au cas par cas en fonction de l'évolution de la maladie, de la tolérance du traitement et des comorbidités. Les consultations se font à un rythme approximativement mensuel au cours des 3 premiers mois, puis tous les 3 à 6 mois, et comprennent une surveillance clinique et biologique (dont CRP, fibrinogène) [11].
Les recommandations françaises proposent de réaliser une imagerie thoraco-abdominale au diagnostic d'ACG puis tous les 2 à 5 ans pour dépister une éventuelle complication aortique [11].
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4.4.
Neuropathies optiques compressives et infiltratives – orbitopathie dysthyroïdienne

R. Hage,

A. Lecler,

D. Chauvet,

A. Boschi

Points importants
  • L'évolution des neuropathies optiques compressives et infiltratives est lente et leur diagnostic souvent fortuit.
  • Elles font partie des neuropathies optiques responsables d'une excavation papillaire et peuvent être confondues avec un glaucome.
  • Elles peuvent s'accompagner d'un syndrome orbitaire.
  • L'examen clinique recherche des anomalies des mouvements oculaires, des paires crâniennes et des pupilles (DPAR, syndrome de Claude Bernard-Horner).
  • Le diagnostic repose sur l'imagerie, essentiellement l'IRM orbitaire centrée sur le nerf optique avec des séquences FAT-SAT, sans et avec injection de produit de contraste.
  • Le traitement dépend de l'étiologie.
  • Une surveillance prolongée est indispensable.
  • La prise en charge de l'orbitopathie dysthyroïdienne est multidisciplinaire et le traitement médical et/ou chirurgical est fonction de la sévérité et de l'activité de la maladie.
Quoi de neuf ?
  • Le pronostic visuel peut être évalué grâce à la mesure de l'épaisseur de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL) et du ganglion cell complex (GCC) maculaire à l'OCT.
  • Les orbitopathies à immunoglobulines G4 (IgG4) doivent être évoquées devant un tableau d'orbitopathie sans anomalie thyroïdienne et en présence d'une atteinte de la glande lacrymale.
  • De nouvelles séquences d'IRM et de nouvelles antennes dédiées à l'imagerie de l'orbite vont permettre une étude plus fine du nerf optique tout en réduisant le temps d'acquisition de l'examen.
Neuropathies optiques compressives et infiltratives
Contexte clinique ophtalmologique et diagnostic positif
R. Hage
Définition
Depuis leur sortie du globe oculaire jusqu'au chiasma optique, les axones des cellules ganglionnaires qui composent le nerf optique sont en rapport avec de nombreuses structures anatomiques qui, dans des conditions pathologiques, peuvent venir à leur contact. On parle de neuropathie optique compressive (NOCompr) lorsque ce contact entraîne une souffrance de ces axones suffisante pour induire une anomalie de la fonction visuelle. Une compression prolongée peut entraîner la perte de la vision en lien avec la mort des cellules ganglionnaires. On appelle neuropathies optiques infiltratives (NOInfiltr) les lésions envahissant la structure même du nerf optique (encadré 4-5).
Circonstances de découverte
Les NOCompr entraînent dans la grande majorité des cas une atteinte visuelle chronique, peu bruyante cliniquement. Il n'est pas rare qu'elles soient découvertes de manière fortuite, lors d'un bilan ophtalmologique systématique ou sur une imagerie réalisée pour une autre raison, et parfois à un stade avancé de leur évolution. Le rôle de l'ophtalmologue est de mesurer l'atteinte visuelle en lien avec la compression afin de guider la prise en charge thérapeutique ou la surveillance.
La plainte du patient la plus fréquente est la baisse d'acuité visuelle (ou l'anomalie du champ visuel) unilatérale. Celle-ci est souvent remarquée fortuitement à la fermeture de l'œil adelphe. En fonction de la taille de la lésion, un syndrome orbitaire peut apparaître et doit être systématiquement recherché. Le patient peut alors se plaindre d'exophtalmie, de diplopie binoculaire, de céphalées, de lourdeur ou de douleur périorbitaire, à distinguer des douleurs aux mouvements oculaires qui ne surviennent pas ou rarement dans ce contexte. L'interrogatoire doit s'attacher à mettre en évidence des arguments de chronicité des symptômes et rechercher des facteurs favorisants : traitements hormonaux pour un méningiome, antécédents de néoplasie pour une métastase orbitaire, dysthyroïdie.
Clinique
L'examen neuro-ophtalmologique doit être complet et systématique. Dans une NOCompr, le DPAR est constant si l'atteinte intéresse un seul nerf optique ou les deux de façon asymétrique. Au stade initial, l' acuité ou le champ visuel peuvent être altérés en l'absence d'anomalie visible au FO . Inversement, des lésions au FO tels que des plis choroïdiens (évoquant un effet de masse sur la sclère postérieure) peuvent se révéler asymptomatiques. Un examen attentif des mouvements oculaires et des paires crâniennes (recherche d'anomalies sensitives cutanées faciales, d'anosmie, etc.) est indispensable au bilan clinique afin de conforter la demande d'imagerie et guider le radiologue avec des arguments permettant de localiser la lésion. Une invasion du sinus caverneux peut entraîner une atteinte variable des IIIe , IVe et VIe paires crâniennes jusqu'à l'ophtalmoplégie, ainsi qu'un syndrome de Claude Bernard-Horner par interruption de la voie sympathique au niveau de son 3e neurone qui chemine dans l'orbite. La sensibilité cutanée et la sensibilité cornéenne doivent être explorées à la recherche d'une atteinte du nerf trijumeau . Enfin, une large tumeur intracrânienne peut être à l'origine d'une authentique NOCompr. Dans ce cas, des signes en faveur d'une hypertension intracrânienne doivent être recherchés.
Examen de la papille
Après plusieurs mois d'évolution, l'examen du FO peut révéler une papille d'aspect pathologique : elle peut être œdématiée, pâle ou excavée . Le seul signe d'examen pouvant orienter vers une compression chronique est la présence d'un shunt optociliaire (fig. 4-14
Fig. 4-14
Shunt optociliaire secondaire à une compression chronique du nerf optique droit par un méningiome de sa gaine.La papille apparaît pâle. Le pronostic visuel est défavorable.
), témoin d'un ralentissement chronique du flux de la veine centrale de la rétine. L'examen de la papille ne donne pas d'orientation étiologique sur l'origine de la compression mais donne des indices sur sa localisation. Ainsi, un œdème papillaire est fréquent lorsque la compression intéresse la partie antérieure du nerf, alors qu'une atteinte orbitaire postérieure chronique va plutôt donner une pâleur qui peut s'accompagner d'une excavation.
La compression est l'une des étiologies à évoquer devant une neuropathie optique avec excavation papillaire, notamment en l'absence d'hypertonie oculaire et l'examen attentif du champ visuel et de l'OCT est crucial dans ce cas. Une atteinte isolée du champ visuel central et/ou une conservation des quadrants supérieurs et inférieurs sur l'OCT doivent faire suspecter une autre étiologique que le glaucome (voir chapitre 12 ).
En présence d'une excavation papillaire avec une pression intraoculaire normale, le risque d'avoir une NOCompr est augmenté si le patient a moins de 50 ans, si l'acuité visuelle est diminuée, si le champ visuel central est atteint ou si une pâleur papillaire est associée. Au contraire, une hémorragie en flammèche, des antécédents familiaux de glaucome et un déficit arciforme du champ visuel iront dans le sens d'un glaucome [1]. Enfin, l'analyse de la coloration de la papille excavée permet d'orienter vers une neuropathie non glaucomateuse quand une pâleur est retrouvée [2].
Rôles de l'OCT
Une NOCompr s'accompagne progressivement d'un amincissement de la couche des fibres nerveuses péripapillaires (pRNFL) et du complexe des cellules ganglionnaires maculaires (GCC). L'importance de l'amincissement est corrélée à la durée de la compression et a un intérêt pronostique. Ainsi, les patients présentant une diminution du pRNFL et du GCC ont plus de risque de garder des séquelles visuelles en postopératoire d'une chirurgie de décompression du nerf optique  [3]. Il est toutefois impossible de prédire la survenue et, par conséquent, l'importance de la récupération visuelle après traitement, celle-ci étant toujours possible malgré une atteinte anatomique avancée.
L'analyse de la pRNFL et du GCC doit également être qualitative et différents quadrants seront diminués d'épaisseur selon qu'il s'agit d'une neuropathie glaucomateuse ou d'une atteinte compressive. Dans le glaucome, les quadrants temporal supérieur et temporal inférieur du pRNFL seront atteints plus précocement que les autres, à l'inverse des NOCompr où l'atteinte sera plus diffuse et intéressera très fréquemment le quadrant temporal  [4].
L'atteinte structurelle peut parfois précéder l'atteinte fonctionnelle. Dans les cas de découverte fortuite d'une compression du nerf optique sur une imagerie, il est nécessaire de compléter l'examen du champ visuel par un OCT, surtout si le premier est normal. En l'absence d'autres facteurs pouvant expliquer un amincissement du GCC, un tel résultat doit faire craindre la survenue prochaine d'une atteinte fonctionnelle et adapter le protocole de surveillance ou la prise en charge thérapeutique en conséquence  [5].
Champ visuel
L'atteinte campimétrique dans les NOCompr est variable. Elle peut être diffuse mais intéresse souvent le centre du champ visuel. Elle est le plus souvent unilatérale si la compression est intra-orbitaire. Des anomalies du champ visuel controlatéral peuvent être retrouvées dans le cas d'une compression en arrière du canal optique.
Imagerie
A. Lecler
Le diagnostic positif et étiologique d'une NOCompr repose essentiellement sur l'imagerie (tableau 4-7
Tableau 4-7
Aspect radiologique des principales lésions compressives et infiltratives des nerfs optiques.
Morphologie Signal en IRM Éléments clés Autre
Orbitopathie dysthyroïdienne (Fig 4-15) Épaississement d'un ou de plusieurs muscles oculomoteurs Isosignal T1 Hypersignal T2 franc Épargne le tendon, au contraire des myositesMuscle droit inférieur le plus souvent atteint Injection de PDC non nécessaire
Méningiome des espaces sous-arachnoïdiens péri-optiques (ou gaine du NO) (Fig 4-16 et Fig 4-17 ) Masse arrondie bien limitée centrée sur le NO Iso- ou hyposignal T1 Iso- ou hypersignal T2 modéré à franc PDC souvent marquée La visibilité du nerf optique au centre de la masse est un bon élément en faveur du diagnostic Calcifications inconstantes en scanner
Gliome du NO (Fig 4-18) Masse fusiforme bien limitée englobant le NO Iso- ou hyposignal T1 Iso- ou hypersignal T2 discret PDC absente ou modérée Zones kystiques inconstantes
Lymphome orbitaire (Fig 4-19) Masse arrondie bien limitée intra-orbitaire Isosignal T1 Hypo- ou isosignal T2 PDC absente ou modérée Restriction marquée de la diffusion ayant une excellente orientation diagnostique Vascularisation en arborescence avec index de résistance bas en échographie Doppler
Macroadénome hypophysaire Masse arrondie bien limitée centrée sur la loge hypophysaire Isosignal T1 Hypersignal T2 Pas de PDC Aspect en bouchon de champagne en cas d'extension extrasellaire supérieure Hypersignal T1 en cas de composante hémorragique
Malformation vasculaire caverneuse (ex-hémangiome caverneux) (Fig 4-20) Masse arrondie bien limitée intra-orbitaire Isosignal T1 Hypersignal T2 francPDC marquée Rehaussement centripète progressif sur les séquences dynamiques ou de perfusion
IRM: imagerie par résonance magnétique ; NO: neuropathie optique; PDC : produit de contraste.
)  [6,7]. L'IRM cérébrale et orbitaire est l'examen de choix à réaliser et permet de confirmer le diagnostic de compression et d'apporter des éléments étiologiques dans la grande majorité des cas. L'IRM caractérise la lésion et permet l'évaluation de l'extension intra-orbitaire et intracrânienne. Elle doit inclure une exploration orbitaire multiplan centrée sur le nerf optique complétée par une exploration encéphalique, avec des séquences sans et avec injection de produit de contraste. Le protocole sera adapté en fonction des anomalies radiologiques découvertes, pouvant nécessiter l'utilisation de séquences multiparamétriques à visée de caractérisation tumorale ou de séquences de tractographie afin de visualiser les fibres nerveuses du nerf optique. L'échographie Doppler orbitaire est également un bon examen de dépistage mais ne permet l'exploration que du contenu orbitaire jusqu'à l'apex. Le scanner n'est utilisé qu'en seconde intention en cas de pathologie osseuse associée.
Étiologies, pronostic, traitements
R. Hage
Une fois la compression mise en évidence par l'imagerie et la souffrance du nerf optique prouvée par l'examen, se pose la question de la nature de la lésion entrant en contact avec le nerf. La plupart du temps, le diagnostic radiologique est suffisant et il n'y a pas lieu d'intervenir pour obtenir de preuve histologique. La biopsie est réservée aux cas les plus douteux pour lesquels la prise en charge varie grandement en fonction de la nature de la lésion. Le risque d'aggravation visuelle lors de ce geste n'est pas anodin et toute manipulation du nerf optique peut induire une perte visuelle irréversible. Le patient doit être informé de ce risque avant tout geste neurochirurgical dans la région du nerf optique.
Neuropathies optiques compressives
Les étiologies des NOCompr sont le plus souvent bénignes.
Le macroadénome hypophysaire , dont le diamètre est supérieur à 10 mm, donne typiquement un syndrome chiasmatique avec une hémianopsie bitemporale qui en facilite la suspicion. Cependant, l'atteinte visuelle dépend de la position de l'adénome par rapport aux nerfs optiques, au chiasma et aux tractus optiques. Un adénome antéversé peut ne comprimer qu'un seul nerf optique. La prise en charge est multidisciplinaire et fait intervenir les endocrinologues (voir chapitre 6 ). Dans le cas très particulier de l'apoplexie pituitaire, la baisse de la vue est ressentie brutalement dans un contexte de céphalées intenses et est souvent accompagnée de troubles oculomoteurs. Une hospitalisation en réanimation doit être organisée et un avis neurochirurgical demandé en urgence.
L' orbitopathie dysthyroïdienne est une pathologie auto-immune très fréquente caractérisée par l'augmentation de taille des muscles oculomoteurs qui peuvent comprimer le nerf optique à l'apex (fig. 4-15
Fig. 4-15
Orbitopathie dysthyroïdienne.Coupes coronales T1(a), T2(b), T2 avec saturation de graisse(c). Hypertrophie des muscles droits, prédominant sur les muscles droits inférieurs (flèches) et causant une neuropathie optique compressive bilatérale.
 ; voir plus loin).
Les méningiomes sont les tumeurs les plus fréquentes du système nerveux central. Ils sont bénins et leurs complications sont uniquement liées à leur taille et à leur localisation. Ils touchent surtout les femmes après 40 ans et leur croissance peut être favorisée par des traitements hormonaux, essentiellement acétate de cyprotérone et progestatifs. Les méningiomes se développent à partir des méninges péri-optiques (méningiomes de la gaine du nerf optique [MGNO]) et représentent 1 à 2% de l'ensemble des méningiomes intracrâniens. Ils sont primaires quand leur point de départ est la gaine du nerf optique ou secondaires quand il s'agit d'une lésion intracrânienne qui s'est étendue à la gaine du nerf optique. Enfin, les méningiomes comprimant le nerf optique peuvent trouver leur origine dans les parois orbitaires, notamment l'os du sphénoïde. Le diagnostic est radiologique (fig. 4-16 et 4-17a
Fig. 4-16
Méningiome des espaces sous-arachnoïdiens péri-optiques droits (gaine du nerf optique droit, flèche).Coupes coronales T2(a) et T1(b) après injection de gadolinium et saturation de la graisse. Le méningiome se réhausse fortement à l'injection de gadolinium et le nerf optique reste iso-intense.
Fig. 4-17
Méningiome de la gaine du nerf optique droit.a.Image en rail typique avec hypersignal T1 injecté de part et d'autre du nerf optique droit. Le méningiome intéresse la partie antérieure du nerf optique. b, c.Au fond d'œil, on retrouve un œdème papillaire important(b), qui régresse en quelques semaines après le traitement par radiothérapie(c).
).
La prise en charge repose avant tout sur la surveillance tous les 4 à 6mois. Il faut mettre en évidence une aggravation de l'atteinte visuelle ou bien, si elle est avancée, formellement établir son lien avec le méningiome avant de proposer un traitement à ces patients qui doivent avoir un suivi neurochirurgical et neuroradiologique en parallèle.
La chirurgie n'est pas un traitement du MGNO mais plutôt de ses complications. En effet, les capillaires sanguins à l'origine de la vascularisation du nerf optique traversent la gaine du nerf sur toute sa longueur, ce qui contre-indique toute dissection du MGNO. Celle-ci aurait pour résultat une lésion ischémique du nerf et une perte visuelle irréversible. La prise en charge chirurgicale des MGNO est donc limitée aux cas suivants : envahissement du canal optique, risque d'envahissement controlatéral ou exophtalmie majeure. Dans les cas de compression au niveau du canal optique, une chirurgie d'ouverture est proposée. Lorsque le risque est controlatéral, la tumorectomie permet de préserver le nerf optique sain au détriment de celui où siège la lésion. Enfin dans les cas d'exophtalmie majeure ou d'extension intracrânienne, une réduction chirurgicale du volume tumoral peut améliorer les symptômes.
La radiothérapie est le traitement le plus utilisé. Elle est indiquée, seule ou en traitement adjuvant de la chirurgie, afin de stabiliser voire réduire le volume tumoral. Les protocoles de radiothérapie diffèrent selon les centres mais dans tous les cas, il s'agit d'un traitement fractionné stéréotaxique pendant lequel le patient reçoit quotidiennement une dose de traitement pendant plusieurs semaines. En raison des doses cumulées, la radiothérapie ne peut pas être répétée si la tumeur récidive. Étant donné la proximité de la rétine, une surveillance particulière, sur plusieurs années, doit être mise en place chez ces patients afin de dépister une éventuelle rétinopathie radique, dont le traitement est la panphotocoagulation rétinienne quand il existe une ischémie rétinienne étendue. La radiothérapie peut donner une résolution rapide d'un œdème papillaire secondaire à un MGNO (fig. 4-17b etc)
Les lésions vasculaires incluent les hémangiomes caverneux, lésions bénignes d'évolution lente, les varices et les anévrismes (voir fig. 4-20
Fig. 4-20
Malformation vasculaire caverneuse (ex-hémangiome caverneux).Les coupes coronales T2(a) et T1 après injection de gadolinium et saturation de la graisse(b) montrent une lésion ovale (flèche), au contenu homogène, qui se rehausse fortement. Les coupes axiales dynamiques après injection de gadolinium(c) montrent un signal (flèche) qui se modifie avec le temps, signe de mouvements à l'intérieur de la lésion.
).
Neuropathies optiques infiltratives
Les NOInfiltr ont un pronostic plus réservé que les NOCompr en raison de la plus grande fréquence des pathologies néoplasiques.
Les gliomes sont les tumeurs des nerfs optiques les plus fréquentes (fig. 4-18
Fig. 4-18
Gliome du nerf optique droit.Coupes coronales T2(a) et T1(b) après injection de gadolinium et saturation de la graisse. La tumeur (flèche) se développe aux dépens de nerf optique lui-même qui est augmenté de diamètre. La gaine est respectée.
). Ils peuvent être divisés en gliomes de bas grade, survenant chez les enfants, et en gliomes de haut grade, touchant les adultes. Chez les enfants, les gliomes sont le plus souvent associés à la neurofibromatose de type 1 (NF1). Près de 40 % des enfants porteurs d'un gliome du nerf optique sont atteints de NF1 et les gliomes bilatéraux sont quasi pathognomoniques de NF1. La tumeur refoule la gaine du nerf optique. L'aspect radiologique typique est une augmentation fusiforme de la taille du nerf. Une ectasie durale est fréquente. Les gliomes sont hypo-/iso-intense en T1 et légèrement hyperintense en T2 et leur prise de contraste est variable. L'évolution est très variable et non prédictible. Les facteurs de mauvais pronostic sont un âge inférieur à 3 ans au moment du diagnostic et l'extension hypothalamo-hypophysaire. Le pronostic est meilleur chez les patients NF1. Les options thérapeutiques sont limitées et incluent la radiothérapie et la chimiothérapie.
Chez l'adulte, en dehors de la découverte tardive d'un gliome de l'enfant, le pronostic est très sombre avec une évolution rapide incluant une extension à l'hypothalamus et une bilatéralisation en quelques semaines. L'espérance de vie dépasse rarement 15 mois, malgré le traitement.
Les leucémies aiguës peuvent se compliquer d'infiltration du nerf optique, même en période de rémission, en raison de la moindre efficacité des chimiothérapies, qu'elles soient intraveineuses ou intrathécales, sur le nerf optique.
Différentes lésions lymphoprolifératives peuvent se développer dans l'orbite (fig. 4-19
Fig. 4-19
Lymphome orbitaire gauche.Coupes axiales T2(a), T1 après injection de gadolinium et saturation de la graisse(b) et coupe axiale diffusion(c). Le signal de l'infiltration lymphomateuse (flèche) apparaît iso-intense en T2, et hyperintense en T1 injecté et sur les séquences de diffusion.
). Elles ont une croissance lente et l'urgence est au bilan d'extension car 30 à 50 % des patients développent un lymphomesystémique. La neuropathie optique complique essentiellement un lymphome systémique avec atteinte du système nerveux central.
Avis des neurochirurgiens
D. Chauvet
Les tumeurs compressives du nerf optique peuvent être abordées neurochirurgicalement par voie haute dite « transcrânienne » pour les méningiomes sphénoïdaux ou par voie basse dite «endoscopique endonasale » pour les adénomes hypophysaires (voir chapitre 6) [8].
Deux abords plus spécifiques permettant d'accéder à la paroi supérolatérale de l'orbite et au canal optique sont présentés ici de façon synthétique.
Abord de la paroi supérolatérale de l'orbite
Principes
Cette chirurgie est nécessaire pour les ostéoméningiomes sphéno-orbitaires (entité spécifique qui associe un méningiome intradural et un ostéome du dièdre sphénoïdal, qui est responsable de l'exophtalmie). L'accès à la paroi latérale de l'orbite se fait par une incision coronale et une dissection du muscle temporal récliné vers l'avant. On met alors en évidence le ptérion qui sera fraisé à l'aide d'un système de neuronavigation afin d'effondrer progressivement les parois latérale et supérieure de l'orbite. Souvent, la périorbite pathologique, infiltrée par le meningiome, est aussi retirée.
Avantages
Cet abord purement extradural permet facilement de mettre à jour la quasi-totalité des parois latérale et supérieure de l'orbite. Il permet aussi dans les ostéoméningiomes sphéno-orbitaires de diminuer l'exophtalmie.
Inconvénients
La dissection du muscle temporal peut entraîner un « creux temporal » inesthétique et d'éventuelles difficultés de mastication passagères. Plus en profondeur, la proximité de la fissure orbitaire supérieure impose une grande prudence du fait du risque d'ophtalmoplégie postopératoire.
Abord du canal optique
Principes
L'abord du canal optique a pour but d'ouvrir ce dernier sur son versant supérieur et latéral. On effectue ce geste principalement pour les méningiomes pénétrant le canal. Cette ouverture est faite à l'aide d'un fraisage précautionneux (du fait de l'étroite proximité du nerf optique). Il existe des voies extradurale transcrânienne (mais aussi endonasale) et intradurale plus commune.
Avantages
En raison du faible calibre du canal optique, la présence d'un méningiome à ce niveau entraîne rapidement des troubles visuels patents. En cas d'ouverture du canal optique dans des délais rapides, on peut donc espérer une récupération visuelle très significative.
Inconvénients
En raison du fraisage du canal optique, le nerf optique adjacent est soumis à des contraintes mécaniques et thermiques. Ainsi, outre la nécessité d'avoir des gestes précautionneux, il est impératif d'utiliser des fraises diamantées (moins invasives) et d'irriguer le nerf pour le refroidir. Malgré ces mesures, le risque de dégradation visuelle est inévitable.
Orbitopathie dysthyroïdienne
A. Boschi
L'orbitopathie dysthyroïdienne (ODT) est une pathologie inflammatoire de l'orbite, d'origine auto-immune et associée à une dysfonction thyroïdienne (maladie de Basedow, thyroïdite auto-immune) qui se complique dans les formes graves (5 à 10 %) d'une neuropathie optique compressive. La symptomatologie orbitaire est associée à l'hyperthyroïdie dans plus de 90 %, mais une forme purement oculaire, euthyroïdienne se rencontre dans 10 % des cas. Le mécanisme auto-immun a pour cible les récepteurs à la thyroid stimulating hormone (TSH) et à l' insulin growth factor   1 (IGF-1) des fibroblastes orbitaires. Les facteurs déclenchants de l'ODT sont une hyperthyroïdie active et de longue durée, le traitement par iode radioactif (131 I), la survenue d'une hypothyroïdie et le tabac. Le patient âgé et de sexe masculin aura également tendance à développer une forme d'ODT plus sévère [9].
Symptômes et signes de l'orbitopathie dysthyroïdienne
Au départ, on peut observer une rougeur des yeux et des paupières, un gonflement, une sensation de plénitude ou de pression au niveau des paupières, une sensation d'irritation oculaire, une sensibilité à la lumière et un larmoiement excessif (fig. 4-21
Fig. 4-21
Orbitopathie dysthyroïdienne active (œil droit).On note une rétraction palpébrale, un œdème/léger érythème de la paupière supérieure, un chémosis et une injection conjonctivale.
), puis peuvent apparaître progressivement :
  • une rétraction de la paupière supérieure, avec une exacerbation latérale, dans 98 % des cas ;
  • une exophtalmie non douloureuse, associée à une rétraction de la paupière inférieure et une fermeture palpébrale incomplète (lagophtalmie) ;
  • une diplopie, par restriction des muscles extra-oculaires, se manifestant progressivement pour devenir constante. En phase inflammatoire, les mouvements oculaires peuvent être douloureux. Le muscle le plus fréquemment atteint est le droit inférieur suivi par le droit médial puis le complexe supérieur (releveur de la paupière et droit supérieur), le droit latéral et les obliques, avec une épargne du tendon, ce qui aide à différencier l'ODT des autres myosites (encadré 4-6
    Encadré 4-6
    Causes les plus fréquentes d'élargissement des muscles extra-oculaires
    • Orbitopathie dysthyroïdienne
    • Myosites :
      • spécifiques : infectieuses (cellulites orbitaires), autres atteintes inflammatoires (IgG4, sarcoïdose, granulomatose avec polyangérite, amylose, etc.)
      • non spécifiques (pseudo-tumeurs inflammatoires)
    • Métastases orbitaires (sein, poumon, prostate)
    • Lymphome
    • Fistule carotidocaverneuse
    ). L'atteinte musculaire est évaluée cliniquement, mais le volume et l'inflammation des muscles et de l'orbite seront précisés par l'imagerie orbitaire (scanner ou IRM avec séquences multiplans T1, T2, STIR) qui sera répétée dans le suivi des formes sévères (voir fig. 4-15).
Chez 5 à 10 % des patients, l'ODT se complique d'une neuropathie optique par compression à l'apex orbitaire ou plus rarement par étirement. La baisse visuelle est associée à une altération de la perception des couleurs souvent inaugurale et à un déficit du champ visuel. Au FO, un œdème papillaire est observé dans environ 50 % des cas. L'atteinte est le plus souvent bilatérale, ce qui explique la faible fréquence du DPAR [10]. Celui-ci doit toutefois être recherché systématiquement (fig. 4-22
Fig. 4-22
Homme de 55ans, fumeur, consulte pour baisse visuelle bilatérale à4/10 P3 en rapport avec une neuropathie optique compressive compliquant une orbitopathie dysthyroïdienne (ODT).a.On note une exophtalmie bilatérale, une rétraction palpébrale, un chémosis et un œdème de la plica bilatéral. b.Le champ visuel retrouve un déficit campimétrique diffus bilatéral prédominant en inférieur. c.IRM en coupe coronale T2 avec suppression du signal de la graisse montrant l'hypertrophie musculaire bilatérale avec compression du nerf optique. d.Champ visuel une semaine plus tard après corticothérapie intraveineuse. d1. OG: œil gauche. d2. OD : œil droit.
Source: C.Vignal Clermont.
).
Évolution naturelle de l'orbitopathie dysthyroïdienne
L'évolution naturelle de l'ODT passe par une phase initiale inflammatoire, dite active , caractérisée par une progression des signes et symptômes, suivie d'une phase de stabilisation, pour ensuite entrer dans une phase d'évolution spontanément favorable, avec cependant la persistance, dans la majorité des cas, d'altérations de l'aspect du regard et de la fonction visuelle et/ou de la fonction oculomotrice. Cette phase finale non évolutive , non inflammatoire est considérée comme inactive . La détermination de la phase clinique d'ODT est fondamentale pour établir la prise en charge adéquate, le traitement immunomodulateur n'étant efficace que pendant la phase inflammatoire active (encadré 4-7
Encadré 4-7
Score d'activité clinique
1 point est attribué à chaque item présent à l'examen. Le score initial est sur 7, le score de suivi sur 10. Un SAC ≥3 définit la phase active .
  • Douleur, oppression au niveau et/ou derrière le globe oculaire
  • Douleur lors des mouvements oculaires
  • Rougeur des paupières
  • Rougeur de la conjonctive
  • Œdème conjonctival (chémosis)
  • Œdème palpébral
  • Œdème de la caroncule et/ou du pli semi-lunaire
  • Réévaluation entre 1 et 3 mois (score de suivi):
    • majoration de l'exophtalmie de plus de 2 mm
    • diminution de l'excursion oculaire dans une direction de plus de 8°
    • baisse visuelle supérieure ou égale à une ligne de Snellen
)  [11]. La sévérité est évaluée sur base des signes caractéristiques de l'ODT, la classification suggérée par l'European Group on Graves' Orbitopathy (EUGOGO) guide la prise en charge des patients (encadré 4-8
Encadré 4-8
Classification de la sévérité de l'orbitopathie dysthyroïdienne selon l'EUGOGO
  • Légère = impact minime sur la qualité de vie, un ou plusieurs signes suivants :
    • rétraction paupière supérieure ≤ 2mm ;
    • œdème/érythème minime des tissus mous ;
    • exophtalmie < 3mm ;
    • diplopie absente ou transitoire sans impact sur la qualité de vie ;
    • exposition de la cornée répondant au traitement lubrifiant.
  • Modéré-sévère = impact significatif sur la qualité de vie justifiant une immunosuppression (si active) ou une chirurgie (si inactive). Les patients présentent un ou plusieurs des signes suivants :
    • rétraction paupière supérieure > 2mm ;
    • atteinte modérée à sévère des tissus mous ;
    • exophtalmie ≥ 3mm ;
    • diplopie constante ou inconstante avec impact sur la qualité de vie.
  • Sévère avec menace visuelle = présence d'une neuropathie optique, d'ulcères cornéens, d'une subluxation du globe oculaire, de plis choroïdiens, de mouvements oculaires sévèrement limités nécessitant une prise en charge immédiate.
) [12].
Prise en charge de l'orbitopathie dysthyroïdienne
Pour tous les patients  [11]:
  • arrêt du tabac  ;
  • larmes artificielles et pommade ou gel pour la nuit ;
  • lunettes solaires ;
  • restaurer l'euthyroïdie. La surveillance biologique sera effectuée en partenariat avec l'endocrinologue et portera sur le taux des hormones thyroïdiennes (T4 libre, TSH), des anticorps antirécepteurs à la TSH ( TSH-Rezeptor-Antikörper [TRAK]) et parfois des anticorps antithyroglobuline ;
  • prismes si diplopie gênante.
Le traitement sera adapté à la sévérité de l'ODT (fig. 4-23
Fig. 4-23
Traitement de l'orbitopathie dysthyroïdienne (ODT), d'après les recommandations European Thyroid Association (ETA)/European Group on Graves' Orbitopathy (EUGOGO) 2016.CTC: corticothérapie ; IV: voie intraveineuse ; NO: neuropathie optique.
)  [ 12–14 ].
Les fortes doses de corticoïdes nécessitent le suivi de la fonction hépatique, de la glycémie, de la pression artérielle et de la pression intra-oculaire, ainsi qu'une protection gastrique et des règles hygiénodiététiques. Au stade des séquelles, une chirurgie peut être proposée, en démarrant si nécessaire par la réduction de l'exophtalmie, puis la correction des troubles oculomoteurs et enfin la chirurgie palpébrale.
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4.5. Neuropathies optiques héréditaires

S. Leruez,

P. Amati-Bonneau,

V. Procaccio,

P. Reynier,

C. Verny,

C. Bris,

C. Vignal Clermont,

D. Bonneau,

G. Lenaers

Points importants
  • Les neuropathies optiques héréditaires (NOH) sont des maladies génétiques responsables de la dégénérescence des cellules ganglionnaires de la rétine. Elles sont caractérisées par une baisse d'acuité visuelle variable, allant de formes modérées à la cécité légale, avec un scotome central ou cæcocentral et une dyschromatopsie. Ces caractéristiques communes à toutes les NOH sont modulées dans leur sévérité par la cause génétique qui en est à l'origine.
  • L'histoire familiale et l'association à des symptômes extra-oculaires peuvent orienter vers une étiologie moléculaire précise. Il en est de même de certains paramètres ophtalmologiques tels que la dyschromatopsie d'axe bleu-jaune pour l'atrophie optique dominante due aux mutations du gène OPA1 , et la présence d'un pseudo-œdème papillaire pour la neuropathie optique héréditaire de Leber.
Quoi de neuf ?
  • La loi de bioéthique pose les grands principes de la réalisation des examens des caractéristiques génétiques des personnes. Les modalités de prescription sont précisées par un arrêté paru au Journal Officiel du 27 mai 2013.
  • Les progrès de la génétique permettent actuellement de séquencer (par séquençage à très haut débit : next generation sequencing [NGS]) la totalité de l'ADN mitochondrial, ciblant en une seule fois les variants pathogènes référencés pour la neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL).
  • Les variants du gène OPA1 sont retrouvées chez 60 % des personnes avec atrophie optique dominante. À ce jour plus de 400 variants pathogènes d' OPA1 ont été rapportés dans la base de données internationale dédiée à ce gène.
  • S'il n'existe actuellement aucun traitement permettant d'inverser complètement la baisse visuelle liée à la NOHL, l'idébénone a montré une tendance à l'amélioration visuelle dans cette maladie et a depuis 2015 une AMM européenne. Les premiers résultats des études de thérapie génique demandent à être confirmés.
  • Une meilleure compréhension de la physiopathologie des NOH et l'existence de modèles animaux (récemment souris OPA1) devraient déboucher sur de nouvelles pistes et études thérapeutiques dans les années à venir.
Rappels de génétique
Les neuropathies optiques héréditaires (NOH) sont des maladies génétiques toutes causées par une altération de gènes codant des protéines localisées à la mitochondrie et impliquées dans ses fonctions  [1]. La seule exception concerne le syndrome de Wolfram, associé au gène WFS1 qui code pour la wolframine, une protéine localisée à l'interface entre la mitochondrie et le réticulum endoplasmique. En raison de son origine mitochondriale, la génétique des NOH implique, en plus du génome nucléaire, le génome mitochondrial présent en centaines voire milliers de copies dans la cellule, comme c'est le cas de la neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL) [2].
Les NOH dues à l'altération d'un gène nucléaire sont transmises le plus souvent sur le mode autosomique dominant ou récessif (fig. 4-24
Fig. 4-24
Neuropathies optiques héréditaires : modes de transmission, évolution clinique et anomalies génétiques.a.Arbres généalogiques associés à une transmission dominante (à gauche), récessive (au milieu) et mitochondriale (à droite) ; les individus en noir présentent la pathologie ; les individus en gris pour la neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL) sont porteurs de la mutation mais ne sont pas malades. b.Évolution clinique des neuropathies optiques héréditaires en fonction de leur mode de transmission. Les traits pleins représentent l'évolution classique des 3types de neuropathie optique héréditaire, alors que les traits hachurés représentent les rares formes frustes ou très sévères d'AOD (à gauche). Pour la NOHL (à droite), les pointillés représentent soit une absence de pénétrance de la maladie, soit une récupération partielle de l'acuité visuelle après le déclenchement de la maladie. c.Listes des gènes nucléaires publiés responsables des AOD (à gauche) et des AOR (au milieu), et identité des 3principales mutations du génome mitochondrial responsables de la NOHL (à droite). AV: acuité visuelle.
). Un locus a également été décrit sur le chromosome X (OPA2), mais le gène correspondant n'a pas été identifié à ce jour [3].
La NOHL est causée par des variants spécifiques de l'acide désoxyribonucléique mitochondrial (ADNmt) transmis exclusivement par la mère. Cela rend compte du mode de transmission particulier de cette maladie où l'on n'observe que des transmissions maternelles dans les arbres généalogiques (voir fig. 4-24).
Une autre particularité du génome mitochondrial est qu'au sein d'une même cellule, les copies de l'ADNmt peuvent être soit identiques et l'on parlera alors d'homoplasmie, soit différentes, certaines mutées d'autres non, et l'on parlera alors d'hétéroplasmie. Cette dernière joue probablement un rôle dans l'expressivité de la maladie. De plus, il est à noter que les deux facteurs principaux qui influencent la pénétrance des mutations NOHL sont l'âge et le sexe (voir fig. 4-24).
Les différents contextes cliniques
Neuropathies optiques isolées
Neuropathie optique héréditaire de Leber (MIM #535000)
La NOHL est l'une des deux neuropathies optiques héréditaires les plus fréquentes, avec une prévalence estimée à plus de 3/100 000 individus. Cette maladie a été décrite pour la première fois en 1871 par Théodor Leber [4] qui évoquait déjà une atteinte préférentielle des hommes et une transmission maternelle. Théodor Leber ayant donné son nom à de nombreuses autres pathologies ophtalmologiques, le terme de «maladie de Leber » est souvent utilisé pour désigner non seulement la NOHL mais aussi d'autres entités comme l'amaurose congénitale, la neurorétinite stellaire, les anévrismes miliaires rétiniens, ce qui peut prêter à confusion.
La NOHL est causée principalement par l'un des trois variants pathogènes suivants de l'ADNmt : m.3460G> A, m.11778G> A et m.14484T> C, qui rendent compte de 90 % des cas [5]. Seize autres variants pathogènes de l'ADNmt ont été identifiés dans les 10 % des cas restants1 . Ces variants rares de l'ADNmt sont présents à l'état homoplasmique dans 85 à 90 % des cas [6].
Les deux facteurs de risque principaux de perte visuelle sont l'âge et le sexe.
La pénétrance des mutations NOHL est, en effet, spécifique de l'âge. Ainsi, un homme porteur d'une mutation pathogène asymptomatique à 50 ans n'a qu'un risque de 5% de développer des signes ophtalmologiques dans le reste de sa vie. Le sexe intervient également de façon très importante dans la modification de la pénétrance des mutations NOHL. Les risques de l'apparition d'une atteinte visuelle en fonction du sexe et de la mutation sont résumés dans le tableau 4-8
Tableau 4-8
Risque de développer une neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL) en fonction de la mutation et du sexe.
Variant de l'ADNmt Risque de développer une NOHL
Hommes Femmes
m.3460G 49%  28% 
m.11778G 51%  9% 
m.14484T 47%  8% 
ADNmt: acide désoxyribonucléique mitochondrial.
[7]. L'hétéroplasmie joue probablement un rôle sur les risques d'apparition de l'atteinte visuelle et de transmission, mais aucune étude rigoureuse n'a permis de le confirmer [8].
Par ailleurs, le risque d'apparition d'une atteinte visuelle est conditionné par des facteurs environnementaux (tabac, alcool, médicament, anesthésie, nutrition, conditions générales), des gènes modificateurs, notamment portés par le chromosome X mais non identifiés [9], et des prédispositions anatomiques au niveau de la papille optique [10].
Cliniquement, la NOHL est caractérisée par une baisse d'acuité visuelle subaiguë, indolore, classiquement unilatérale avec une bilatéralisation survenant en quelques semaines ou quelques mois dans plus de 97% des cas. Des atteintes bilatérales d'emblée ont également été décrites. Le plus souvent, la NOHL touche de jeunes adultes, mais dans la littérature l'âge de début varie de 4 à 87 ans [11]. Il s'agit dans 80 à 90 % des cas de sujets masculins [5,12], sans que l'on ait à l'heure actuelle de rationnel clair pour expliquer la variabilité de l'expressivité des mutations en fonction du sexe.
Lors de la phase aiguë, le fond d'œil montre un aspect évocateur de pseudo-œdème papillaire, associant une hyperhémie, une dilatation des artérioles et des télangiectasies péripapillaires (fig. 4-25a etb
Fig. 4-25
Présentation clinique typique de la neuropathie optique héréditaire de Leber.a.Fond d'œil d'un garçon de 10ans ayant une baisse visuelle bilatérale, plus sévère à gauche. On remarque l'hyperhémie papillaire associée aux télangiectasies. À gauche, il existe déjà une pâleur temporale. b.La tomographie des fibres nerveuses rétiniennes (RNFL) confirme la surélévation du nerf optique et le «faux-œdème » papillaire. c, d.Champs visuels de Goldman du même patient: il existe un scotome central expliquant la baisse de l'acuité visuelle(c) ; l'atteinte est limitée à un élargissement de la tache aveugle(d).
). La présence d'une ou de deux petites hémorragies en flammèches n'est pas rare. À l'angiographie à la fluorescéine, le pseudo-œdème de la NOHL se distingue d'un véritable œdème papillaire par l'absence de diffusion du colorant. Néanmoins, dans 20 % des cas, le fond d'œil apparaît normal au début de l'atteinte visuelle [13].
L'atteinte du champ visuel n'est pas spécifique de la mutation de l'ADNmt en cause : classiquement, on retrouve un scotome central ou cæcocentral (fig. 4-25c) et la vision des couleurs est très perturbée en particulier dans l'axe rouge-vert. Après 6 mois d'évolution, une atrophie optique temporale ou globale est visible au fond d'œil et par OCT, mettant en évidence une diminution sévère de l'épaisseur de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL) responsable d'une acuité visuelle effondrée pouvant aller jusqu'à la cécité légale. Le variant m.14484T> C est associé à un meilleur pronostic visuel avec une récupération spontanée mais partielle de l'acuité visuelle survenant dans environ 65% des cas [13].
Atrophie optique autosomique dominante
L'atrophie optique autosomique dominante (AOD), décrite pour la première fois par l'ophtalmologiste danois Poul Kjer en 1956  [14], est la neuropathie optique héréditaire la plus fréquente avec une prévalence de 1/25 000 individus. Au Danemark, où il existe un effet fondateur, la prévalence de la maladie atteint 1/10 000 individus [15].
Le premier gène à avoir été identifié comme responsable de l'AOD est OPA1 (MIM #165500) [16,17]. L'identification d'une mutation causale dans ce gène confirme le diagnostic clinique parfois difficile d'AOD. Les variants du gène OPA1 sont retrouvées chez 60 % des personnes avec AOD, avec des variations géographiques possibles. À ce jour, plus de 400 variants pathogènes d' OPA1 ont été rapportés dans la base de données LOVD (Leiden Open Variation Database) internationale dédiée à ce gène [18]. D'autres loci génétiques associés à l'AOD ont été identifiés et sont résumés dans le tableau 4-9
Tableau 4-9
Hétérogénéité génétique des neuropathies optiques héréditaires autosomiques.
Locus Gène Localisation Transmission/signes associés Référence MIM
OPA1 3q29 AD, isolé ou forme «AOD plus »  Delettre et al. [16]  #165500
OPA2 Xp11.4-p11.21 RLX, AO sévère et précoce, isolée ou associée à une DI et anomalies neurologiques Assink et al. [3]  %311050
OPA3 19q13.32 AD, AO +cataracte  Reynier et al. [19]  #165300
OPA4 18q12.2-q12.3 AD Kerrisson et al. [20]  %605293
OPA5 12p11.21 AD, AO isolée Gerber et al. [21]  #610708
OPA6 8q21-q22 AR, AO début précoce Barbet et al. [22]  %258500
OPA7 11q14.1 AR, AO isolée ou associée à une neuropathie auditive Hanein et al. [23]  #612989
OPA8 16q21-q22 AD, AO isolée ou associé à une surdité Carelli et al. [24]  %616648
OPA9 22q13.2 AR Metodiev et al. [25]  #616289
OPA10 6q21 AR, AO isolée ou associée à une ataxie, DI, épilepsie Angebault et al. [26]  #616732
OPA11 10p12.1 AR +DI, ataxie, leucoencéphalopathie  Hartmann et al. [27]  #617302
AD: autosomique dominant ; AO: atrophie optique ; AOD: atrophie optique dominante ; AR: autosomique récessif ; DI: déficience intellectuelle ; RLX: récessif lié à l'X.
.
L'AOD est caractérisée par une baisse d'acuité visuelle progressive souvent diagnostiquée pendant les deux premières décennies de la vie. Le déficit visuel est variable, habituellement modéré (de 2/10 à 6/10). Ce déficit peut néanmoins être sévère, causant une cécité légale (<1/20), ou au contraire très modéré, voire absent chez les personnes asymptomatiques. Les formes sévères sont fréquemment découvertes pendant l'enfance, voire au cours de la première année de vie devant un nystagmus. Les formes frustes peuvent n'être diagnostiquées qu'à l'âge adulte dans le cadre d'un examen systématique ou d'une enquête familiale. Cette variabilité d'expression peut être intrafamiliale et impose l'examen systématique de tous les membres des familles dans lesquelles a été identifié un cas index. Par ailleurs, le déficit visuel semble progresser lentement avec l'âge, avec une aggravation en moyenne de 0,032 logMar/an [28]. L'atteinte du champ visuel n'est pas spécifique du génotype: classiquement, on retrouve un scotome central ou cæcocentral, avec une bonne préservation des isoptères périphériques. D'autres déficits peuvent également être observés, notamment une atteinte bitemporale centrale qui conduit à rechercher une lésion chiasmatique.
Un critère diagnostique important des AOD est la tritanopie ou dyschromatopsie d'axe bleu-jaune qui différencie l'AOD liée aux mutations d' OPA1 des autres types d'atrophie optique, y compris des autres AOD, dans lesquelles l'axe de confusion des couleurs est en général dans l'axe rouge-vert  [29].
L'atrophie optique est visible au FO sous la forme d'une pâleur papillaire essentiellement temporale bilatérale et symétrique. Chez les personnes âgées ou dans les formes sévères, la papille peut être totalement atrophique. À l'inverse, chez les personnes asymptomatiques ou paucisymptomatiques, l'atrophie optique peut être indétectable.
L'analyse de la pRNFL et celle des cellules ganglionnaires réalisées en OCT permettent une quantification de la perte axonale et neuronale, y compris chez les personnes asymptomatiques porteuses d'un variant pathogène du gène OPA1   [12]. La présence d'une excavation papillaire est possible et rend parfois difficile le diagnostic différentiel avec un glaucome, notamment à pression normale.
Neuropathies optiques récessives non syndromiques
Longtemps négligées, les NOH récessives sont devenues ces dernières années des entités cliniques incontestables en neuro-ophtalmologie, et ce grâce à l'identification de mutations dans plusieurs gènes associés à des formes récessives non syndromiques . Ainsi des mutations récessives dans RTN4IP1 , TMEM126A , NDUFS2 et ACO2 ont été décrites chez des personnes présentant une atteinte visuelle isolée et précoce, suggérant une implication de ces gènes dans la maturation prénatale des cellules ganglionnaires de la rétine et le développement du nerf optique (tableau 4-10
Tableau 4-10
Les différents tableaux cliniques des neuropathies optiques héréditaires selon leur mode de transmission.
Atrophie optique dominante Neuropathie optique récessive Neuropathie optique héréditaire de Leber
Prévalence 1/50 000–1/10 000 Inconnue 1–9/100 000
Sex-ratio H =F  H =F  H >>>F 
Âge de survenue Deux premières décennies Précoce, périnatal 10–30 ans 
Mode de survenue Progressif Progressif Brutal, sévère Unilatéral d'abord, puis atteinte du second œil dans les semaines ou mois qui suivent
Sévérité AV =2 à 6/10  AV <3/10  AV <1/10 
Dyschromatopsie Bleu-jaune pour Rouge-vert
Fond d'œil Pâleur papillaire temporale Atrophie ±excavation papillaire  Pâleur papillaire Au début: pseudo-œdème papillaire, puis atrophie 
Atteintes associées 10 à 15% des cas: surdité, ophtalmoplégie, ptosis, neuropathie périphérie, ataxie  Encéphalopathies Leber «plus » : neuropathie périphérique, myopathie, atteinte cardiaque, atteinte de la substance blanche cérébrale à l'IRM similaire à celle de la SEP Syndrome parkinsonien 
AV: acuité visuelle ; F: femme ; H: homme ; IRM: imagerie par résonance magnétique ; SEP: sclérose en plaques.
)  [26]. Par ailleurs, des mutations bi-alléliques du gène WFS1 , codant pour la wolframine, ont été impliquées non seulement dans le syndrome de Wolfram mais aussi dans des formes de NOH récessives isolées. De plus, des mutations dominantes de WFS1 peuvent également être responsables d'une NOH associée à une surdité neurosensorielle (syndrome «Wolfram- like  »). Dans les cas de NOH isolées dues à des mutations récessives ou dominantes de WFS1 , l'atteinte visuelle est en général moins sévère que celle observée dans le syndrome de Wolfram.
Neuropathies optiques syndromiques
Les NOH étant des maladies mitochondriales, leur expressivité clinique inclut souvent d'autres symptômes.
Atrophie optique dominante plus (MIM #125250)
L'AOD peut, dans 10 à 15% des cas, être associée à des manifestations extra-ophtalmologiques avec principalement une surdité ou des atteintes de plusieurs organes [30] similaires à celles observées dans les cytopathies mitochondriales [31]. La surdité neurosensorielle, due à une altération du ganglion spiral de la cochlée, est l'atteinte extra-ophtalmologique la plus fréquente. Elle est retrouvée chez deux tiers des personnes ayant une AOD syndromique et 6% des personnes porteuses d'une mutation du gène OPA1 [32]. Les autres atteintes associées peuvent être une ataxie, une neuropathie périphérique, une myopathie et une ophtalmoplégie progressive externe [30]. Dans de rares cas, des mutations bi-alléliques d' OPA1 , impliquant en particulier la mutation hypomorphe p.I382M et un second variant pathogène, sont responsables du syndrome de Behr associant une atrophie optique sévère et précoce à un retard de développement, une ataxie spinocérébelleuse et une neuropathie périphérique [33].
Neuropathie optique héréditaire syndromique ou Leber « plus »
La NOHL est le plus souvent isolée, mais des atteintes extra-ophtalmologiques associées ont été rapportées, parmi lesquelles des anomalies de la conduction cardiaque, des dystonies (MIM #500001), des troubles psychiatriques et des syndromes parkinsoniens. Ces formes syndromiques de NOHL sont dénommées Leber «plus ».
Le variant m.14459G > A est le plus fréquemment associé à ce tableau de Leber «plus », avec une expression clinique très variable allant de l'atteinte visuelle isolée à la dystonie spastique ou au syndrome de Leigh (MIM#256000).
La question de l'association de la sclérose en plaques (SEP) à la NOHL reste débattue. Des cas de personnes présentant à la fois une NOHL, des troubles neurologiques (troubles sensitifs, atteinte proprioceptive, myélite, troubles urinaires, etc.) et des anomalies IRM compatibles avec une SEP ont été décrits dans la littérature  [34,35]. Bien que la prévalence d'une NOHL associée à une SEP ne soit pas supérieure à celle de la survenue fortuite de ces deux maladies, il semblerait que cette combinaison induise, avec une prédominance féminine, des épisodes de baisse visuelle récidivants (plus de deux épisodes) et un intervalle de déclenchement plus long entre les deux yeux [35].
Syndrome de Wolfram (MIM #222300)
Le syndrome de Wolfram  [36], également connu sous l'acronyme DIDMOAD ( Diabetes Insipidus, Diabetes Mellitus, Optic Atrophy and Deafness ) est une maladie neurodégénérative très rare, de transmission autosomique récessive, dont la prévalence de l'ordre de 1/700 000.
Habituellement, le diabète sucré est le premier symptôme (âge médian d'apparition avant 10 ans) précédant l'apparition de la neuropathie optique. Cette dernière entraîne une perte visuelle progressive, souvent sévère, aboutissant à une cécité légale, une dyschromatopsie d'axe rouge-vert et une atteinte du champ visuel central et périphérique. Dans quelques cas, une excavation papillaire [37] s'associe à l'atrophie optique (fig. 4-26
Fig. 4-26
Fond d'œil d'une jeune fille de 12ans atteinte d'un syndrome de Wolfram.On remarque l'excavation papillaire associée à une pâleur de l'anneau neurorétinien.
).
L'examen ophtalmologique peut retrouver une cataracte, une rétinopathie pigmentaire et une rétinopathie diabétique. Cette dernière est cependant une complication moins fréquente avec une évolution plus progressive que celle rencontrée dans le diabète de type 1 classique [38]. L'atteinte d'autres organes comprend: un diabète insipide central (72% des individus), une surdité de perception (66% des individus), des signes neurologiques et psychiatriques progressifs (62% des individus), une vessie neurologique et d'autres anomalies endocriniennes (hypothyroïdie, retard de croissance).
Ataxies spinocérébelleuses
Les ataxies spinocérébelleuses forment un groupe de maladies avec des modes de transmission et des tableaux cliniques variables. Elles sont souvent associées à des manifestations multisystémiques pouvant inclure des signes ophtalmologiques. Dans l'ataxie spinocérébelleuse de type 1 ( spinocerebellar ataxia type   1 [SCA1], MIM#164400) et de type3 (SCA3, MIM#109150), on retrouve une neuropathie optique modérée, alors que dans l'ataxie spinocérébelleuse de type7 (SCA7, MIM#164500), l'atteinte maculaire est classique. Récemment, une maculopathie a également été décrite chez des personnes présentant une SCA1 [39]. D'une manière surprenante, des mutations dominantes du gène AFG3L2 , initialement décrites comme responsables de l'ataxie spinocérébelleuse de type28 (SCA28, MIM#610246), ont été retrouvées dans des formes non syndromiques d'AOD, sans aucun signe clinique d'ataxie [40,41].
Paraplégies spastiques héréditaires (ou maladie de Strümpell-Lorrain)
Les paraplégies spastiques héréditaires sont un groupe de pathologies caractérisées par une atteinte de la voie pyramidale entraînant une spasticité progressive et sévère. Les paraplégies spastiques héréditaires causées par des mutations du gène SPG7 (MIM #607259) sont très fréquemment associées à une atteinte du nerf optique [42]. Inversement, certaines mutations du gène SPG7 peuvent être responsables d'une NOH sans signe évident de spasticité [43].
Ataxie de Friedreich (MIM #229300)
L'ataxie de Friedreich est l'ataxie autosomique récessive la plus fréquente avec une prévalence de 1/30 000 à 1/50 000. Elle débute avant l'âge de 25 ans et associe une atteinte spinocérébelleuse, des troubles de la sensibilité profonde, une dysarthrie et une aréflexie [44]. Le tableau peut se compléter par un diabète insulino-dépendant, une cardiomyopathie hypertrophique et des anomalies ostéo-articulaires. Chez ces personnes, l'atteinte du nerf optique, révélée par l'OCT, est constante, mais le plus souvent asymptomatique [45].
Maladie de Charcot-Marie-Tooth
Le terme de maladie de Charcot-Marie-Tooth regroupe des neuropathies périphériques héréditaires avec des modes de transmission et des tableaux cliniques extrêmement variables. Plusieurs formes de la maladie de Charcot-Marie-Tooth sont associées à une neuropathie optique, notamment celles liées à des mutations du gène MFN2 (MIM #609260 et#617087) dont la protéine partage des analogies structurelles et fonctionnelles avec celle codée par le gène OPA1 . MFN2 intervient dans le mécanisme de fusion des mitochondries. L'atteinte visuelle causée par l'altération de ce gène est très variable en fonction des formes cliniques et n'est pas spécifique [46].
Syndrome PEHO (MIM #260565)
Le syndrome PEHO ( Progressive Encephalopathy and Edema, Hypsarrhythmia and Optic atrophy ) est une pathologie récessive très rare causée par des mutations du gène ZNHIT3   [47].
Ce syndrome pédiatrique associe une encéphalopathie épileptique avec une déficience intellectuelle profonde, une atrophie cérébrale extrême et une neuropathie optique.
Cytopathies mitochondriales
Des neuropathies optiques sont régulièrement décrites dans les pathologies mitochondriales telles que :
  • MERRF ( myoclonic epilepsy with ragged red fibers , MIM #545000) ;
  • MELAS ( mitochondrial encephalopathy, lactic acidosis and stroke-like episodes , MIM #540000) ;
  • MNGIE ( mitochondrial neurogastrointestinal encephalomyopathy , MIM #603041) ;
  • l'ophtalmoplégie progressive extrinsèque avec ou sans rétinopathie pigmentaire (syndrome de Kearns-Sayre, MIM #530000).
Neuropathies optiques liées à l'X
Il existe de très rares cas de neuropathies optiques, isolées ou syndromiques, liées à l'X et en particulier au locus OPA2 en Xp11 [3] ; néanmoins le gène causal demeure inconnu. On peut citer, par ailleurs, le syndrome de Mohr-Tranebjaerg ou deafness-dystonia-optic neuronopathy syndrome (DDON, MIM#304700), qui associe à une neuropathie optique, une surdité, une dystonie et des troubles mentaux liés à des mutations dans le gène TIMM8A au locusXq22 [48].
Examens complémentaires
Examens ophtalmologiques
L'histoire naturelle des NOH est marquée par l'atrophie des nerfs optiques et la dégénérescence des cellules ganglionnaires de la rétine, avec des signes communs à toutes les NOH, indépendants de l'origine héréditaire ou du gène impliqué. Néanmoins, quelques signes discriminants peuvent orienter le diagnostic.
Rétinophotographies
Les rétinophotographies permettent de documenter les anomalies du FO. À la phase aiguë de la NOHL, on retrouve au FO dans 80 % des cas (voir fig. 4-24) une discrète surélévation de la papille avec hyperhémie, des télangiectasies péripapillaires avec tortuosités des capillaires péripapillaires et parfois quelques hémorragies en flammèches. Ces anomalies peuvent survenir avant la baisse de l'acuité visuelle et sont rarement présentes 6 mois après la perte brutale de l'acuité visuelle dans la phase chronique de la maladie [13].
Une excavation papillaire peut être retrouvée dans l'AOD et dans le syndrome de Wolfram (voir fig. 4-26).
Angiographie à la fluorescéine
L'angiographie à la fluorescéine permet de distinguer le pseudo-œdème papillaire de la NOHL d'un véritable œdème papillaire présent, par exemple, dans une neuropathie optique inflammatoire ou ischémique. Il est important de réaliser cet examen au moindre doute, sachant que le terrain et le tableau clinique d'une névrite optique et d'une NOHL peuvent être similaires. Dans la NOHL, il n'y a pas de diffusion papillaire, contrairement à ce que l'on voit dans les œdèmes papillaires dus à une autre cause (inflammation, ischémie ou œdème de stase, par exemple) (fig. 4-27
Fig. 4-27
a.Angiographie à la fluorescéine du patient avec neuropathie optique héréditaire de Leber de la fig.4-25 présentant un pseudo-œdème au fond d'œil et une surélévation à l'OCT. b.Même personne à un temps plus tardif: aucune hyperfluorescence ni aucune diffusion papillaire ne sont détectables.
).
Tomographie en cohérence optique (OCT)
pRNFL et GCC
L'OCT dans les cas de NOHL est très important pour qualifier et quantifier les évolutions structurales des nerfs optiques entre les différents stades de la maladie (fig. 4-28
Fig. 4-28
Homme de 26ans présentant une neuropathie optique héréditaire de Leber, atteignant d'abord l'œil gauche puis se bilatéralisant sur l'œil droit après 17mois.On voit sur l'œil gauche les stades évolutifs avec l'apparition d'une atrophie optique au fond d'œil et à l'OCT. Sur l'œil droit, au stade présymptomatique, on observe déjà l'atteinte des cellules ganglionnaires avec une augmentation caractéristique de la pRNFL précédant de quelques semaines la baisse de l'acuité visuelle.
)  [49].
Au stade asymptomatique , on peut retrouver au FO une discrète surélévation papillaire, confirmée à l'OCT par une augmentation de l'épaisseur de la pRNFL dans les quadrants temporaux et inférieurs.
Au stade présymptomatique , environ 4 semaines avant la baisse de l'acuité visuelle, l'augmentation de l'épaisseur de la pRNFL dans les quadrants temporal et inférieur est caractéristique et s'associe à un amincissement du GCC en nasal, reflétant l'atteinte initiale du faisceau intermaculopapillaire.
Dans les 3   mois suivant la baisse d'acuité visuelle, à la phase subaiguë , il existe une discordance entre l'épaisseur de la pRNFL qui est normale, voire augmentée, et le GCC dont l'épaisseur diminue de façon centrifuge jusqu'à atteindre tous les quadrants. Après 3 mois d'évolution, les quadrants temporal et inférieur de la pRNFL s'atrophient, alors que les quadrants supérieur et nasal, atteints plus tardivement, sont encore augmentés. À la phase dynamique, entre 6 et 12   mois , l'épaisseur de la pRNFL continuent à diminuer. Au stade chronique (après 12   mois) , l'atrophie concerne tout le nerf optique et l'ensemble de la couche des cellules ganglionnaires.
Dans les AOD, l'atteinte de la pRNFL prédomine en temporal. Elle est liée, là encore, à l'atteinte préférentielle du faisceau interpapillomaculaire.
OCT maculaire
Des anomalies microkystiques de la couche nucléaire interne sont décrites dans les NOH, avec une prévalence allant de 6% [50] à 75% [51] en fonction des séries. Ces microkystes présents dans toutes les atrophies optiques ne sont pas spécifiques de l'atteinte héréditaire [51].
Épaisseur choroïdienne en OCT EDI et SS
L'épaisseur choroïdienne maculaire et péripapillaire mesurée en mode enhanced depth imaging (EDI) et swept source (SS) est augmentée au stade aigu de la NOHL, puis diminue simultanément avec la pRNFL  [52]. Dans l'AOD, l'épaisseur choroïdienne est diminuée [52].
OCT-angiographie
Lors de la phase aiguë de la NOHL, les télangiectasies prépapillaires sont bien visibles en OCT-angiographie  [53]. Lors de la phase chronique, on note une diminution de la densité capillaire péripapillaire [54].
Champ visuel
L'atteinte du champ visuel dans les NOH est essentiellement centrale.
Dans l'AOD, une atteinte bitemporale centrale peut conduire à rechercher une lésion chiasmatique (fig. 4-29
Fig. 4-29
Champs visuels centraux d'un patient présentant une atrophie optique autosomique dominante.Il existe une atteinte bitemporale mimant une atteinte chiasmatique, mais le méridien vertical n'est pas respecté. a.Œil gauche. b.Œil droit.
).
Vision des couleurs
Dans la majorité des NOH, on constate une anomalie marquée de la vision des couleurs, essentiellement dans l'axe rouge-vert (protan)  [55], mais une dyschromatopsie d'axe bleu-jaune (tritan) évoquera une AOD due à une mutation du gène OPA1 .
Examens radiologiques
À l'IRM, un hypersignal de la portion postérieure des nerfs optiques s'étendant jusqu'au chiasma, avec un aspect élargi de celui-ci, est retrouvé dans la majorité des NOHL et doit faire évoquer le diagnostic  [56]. De façon générale, l'IRM orbitaire pourra mettre en évidence une atrophie des nerfs optiques et éliminer une origine compressive ou tumorale.
Examens génétiques
Les techniques de biologie moléculaire permettant de faire le diagnostic étiologique des NOH ont été bouleversés ces dernières années par l'introduction des méthodes de séquençage de l'ADN à haut débit dites de nouvelle génération ( next generation sequencing [NGS])  [57].
Jusque dans les années 2010, la méthode de séquençage classique de l'ADN (méthode de Sanger) ne permettait d'effectuer qu'une analyse « gène par gène » lente et peu rentable sur le plan diagnostique. Actuellement, les techniques de NGS permettent de séquencer en une seule réaction une quantité d'information génétique 10 000 à 100 000 fois plus importante. Il est actuellement possible, par exemple, de séquencer en une seule opération:
  • la totalité de l'ADNmt (16,5 kb) ;
  • plusieurs dizaines ou centaines de gènes d'intérêt sur des panels ciblés par groupe de pathologies ;
  • la totalité des séquences codantes du génome (séquençage de l'exome, 22 000 gènes, 30 mégabases) ;
  • la totalité du génome (3,2 gigabases).
Les modalités pratiques des examens génétiques sont détaillées plus loin (voir plus loin le paragraphe « Point de vue du généticien et du chercheur »).
Diagnostics différentiels
Le diagnostic de NOH est facile à poser lorsqu'il existe des antécédents familiaux ou, dans le cadre d'une NOHL, un tableau typique de baisse brutale de l'acuité visuelle, mais plus difficile lorsque l'évolution est chronique et que le patient est vu tardivement au stade atrophique.
Neuropathies optiques toxiques
Bilatérales, symétriques et progressives, les neuropathies optiques toxiques peuvent simuler une NOH et poser un problème difficile de diagnostic différentiel, car elles sont assez souvent isolées. Celles liées à la prise d'éthambutol ou à l'intoxication par le plomb sont les plus marquantes, car elles provoquent une dyschromatopsie d'axe bleu-jaune présente dès le début de l'atteinte visuelle. Les neuropathies optiques liées à la consommation d'alcool éthylique et de tabac sont caractérisées par une dyschromatopsie d'axe rouge-vert et peuvent mimer une NOHL en raison de leur possible caractère subaigu. Par ailleurs, les étiologies toxiques et génétiques peuvent s'associer, faisant rechercher une histoire familiale et impliquant de demander un examen génétique en cas de non-récupération malgré l'arrêt de l'exposition au toxique. À l'inverse, une prise de toxique peut être un facteur déclenchant ou aggravant d'une NOHL et doit être recherchée à l'interrogatoire des patients.
Pathologies compressives
Une pathologie compressive peut entraîner une atrophie optique. Ce diagnostic doit être écarté devant la découverte d'une neuropathie optique. Dans l'AOD, l'atteinte centrale peut respecter le méridien vertical avec une atteinte bitemporale, mimant une atteinte chiasmatique. Il faut évoquer ce diagnostic si l'IRM cérébrale écarte de façon formelle une anomalie hypophysaire ou chiasmatique (voir fig. 4-29).
Glaucome à pression normale
La perte des cellules ganglionnaires est au cœur de la physiopathologie des neuropathies optiques communes dont le glaucome. Il est de ce fait possible que des formes de neuropathies optiques mimant un glaucome puissent être liées au gène OPA1 , d'autant que certains variants introniques d' OPA1 ont été impliqués dans la susceptibilité pour le glaucome et, en particulier, pour le glaucome à pression normale (GPN) pour lequel la physiopathologie reste imparfaitement connue  [58]. Cliniquement, le GPN est caractérisé par une atteinte du champ visuel périphérique et une acuité visuelle longtemps conservée. À l'opposé, dans les NOH, l'atteinte du champ visuel est centrale et l'acuité souvent diminuée, voire effondrée. De même en OCT, l'atteinte prédomine dans les secteurs supérieurs et/ou inférieurs dans le glaucome, alors que dans les NOH, le faisceau intermaculopapillaire est touché de façon caractéristique. Enfin, la vision des couleurs est souvent normale dans le glaucome, alors qu'elle est précocement altérée dans les NOH.
Névrite optique
Au stade aigu, le principal diagnostic différentiel de la NOHL est la neuropathie optique inflammatoire. Les signes cliniques suivants sont en faveur d'une NOHL : absence de douleur, atteinte bilatérale et sévère, sexe masculin et antécédents familiaux de malvoyance, pseudo-œdème et absence de diffusion à l'angiographie, absence de récupération visuelle. Distinguer les deux entités peut être compliqué, ce d'autant qu'il existe des associations possibles entre NOHL et SEP.
Traitement
La prise en charge des patients atteints de NOH comprend l'évaluation et l'accompagnement du handicap visuel, un soutien psychologique, un conseil génétique, ainsi que des mesures thérapeutiques qui restent actuellement limitées. Dans tous les cas, un suivi ophtalmologique régulier est nécessaire. Les mesures diffèrent selon la neuropathie optique en cause. La NOHL est une maladie complexe, de survenue brutale, et dans laquelle l'existence d'une mutation de l'ADNmt est influencée par d'autres facteurs génétiques, environnementaux et hormonaux. Les récupérations visuelles spontanées sont rares (10 % environ) chez les patients porteurs de la mutation ND4 qui (10 % environ) chez les patients porteurs de la mutation ND4 qui représentent 70 % des malades. L'évolution visuelle de l'atrophie optique dominante est progressive et en général très lente, ce qui rend plus difficile l'appréciation de l'efficacité des thérapeutiques. Aucun traitement ne permet actuellement d'inverser complètement la perte visuelle liée à la NOHL et de modifier l'évolution de l'AOD. Les axes thérapeutiques sont développés ci-dessous [59,60].
Évaluation et l'accompagnement de la déficience visuelle
L'évaluation et l'accompagnement de la déficience visuelle est réalisée par le binôme ophtalmologiste/rééducateur. Elle peut se faire, selon la rapidité d'installation de l'affection, sa sévérité et les déficits associés, soit en ville avec un orthoptiste spécialisé en basse vision, soit dans un centre intégré. Elle permet l'optimisation de la vision résiduelle grâce à la rééducation orthoptique, la prescription de verres filtrants et surtout d'aides optiques, dont l'acquisition sera facilitée par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) après constitution du dossier. Les aides humaines (auxiliaires de vie scolaires chez l'enfant) ainsi qu'un reclassement professionnel sont nécessaires en cas de handicap sévère et/ou d'apparition brutale de la maladie, telle une NOHL (voir chapitre 13 ).
Mesures hygiéno-diététiques communes
Dans tous les cas, une alimentation équilibrée est recommandée, évitant le tabac et limitant au maximum la consommation d'alcool ; certains médicaments toxiques pour le nerf optique sont également à éviter (voir chapitre 4.6). Les compléments nutritionnels polyvitaminiques (BArray, B, B, C, E et acide folique) n'ont cependant pas prouvé leur efficacité sur de larges séries dans ces affections.
Amélioration de la biogenèse mitochondriale
L'amélioration de la biogenèse mitochondriale est une piste thérapeutique car il a été récemment mis en évidence que les porteurs sains NOHL ont une augmentation du nombre de copies d'ADNmt par rapport aux sujets atteints. Les œstrogènes et les fibrates qui améliorent la biogenèse mitochondriale pourraient avoir un effet bénéfique dans cette affection et sont à l'étude ; pour la même raison, une restriction calorique associée à un régime cétogène a été proposée par certains auteurs pour majorer la probabilité de récupération visuelle après atteinte d'un œil dans la NOHL et prévenir l'atteinte du second.
Idébénone et neuroprotection
L'idébénone (Raxone®) est un antioxydant, analogue de l'ubiquinone, qui permettrait de pallier les déficits du complexe I de la chaîne respiratoire, altéré par les mutations de l'ADNmt. Il a fait l'objet d'une étude randomisée contre placebo (RHODOS) à la dose de 900mg par jour pendant 24 semaines chez 82 patients NOHL et d'une étude rétrospective sur 103 patients avec une baisse visuelle de moins de 1 an et un suivi de 5 ans. Ces deux études ont montré un léger bénéfice visuel chez certains patients traités, cette tendance étant surtout retrouvée chez les patients vus à un stade précoce et pour les mutations 11778 et 3460 [61,62]. Le Raxone® a obtenu une AMM européenne en novembre 2015 pour les patients atteints de NOHL, avec une délivrance hospitalière du médicament [63]. Récemment, un consensus international d'experts a recommandé de prescrire l'idébénone à la dose de 900mg/jour dès l'installation de la baisse d'acuité visuelle liée à la NOHL, et pendant une durée minimale d'une année, sous surveillance de la fonction hépatique [64]. L'idébénone a été testé à des doses variables chez quelques patients avec une mutation OPA1 sans preuve d'efficacité démontrée. L' EPI-743 , anti-oxydant et analogue de l'ubiquinone a montré, dans une étude ouverte chez 5 patients NOHL, des résultats prometteurs qui demandent à être confirmer.
La ciclosporine   A et la brimonidine ont été évaluées de manière prospective chez des patients avec une neuropathie optique unilatérale récente liée à la NOHL, mais aucun de ces deux traitements n'a pas permis de prévenir l'atteinte du second œil.
Thérapie génique
Depuis les travaux de 2008 faisant la preuve de son efficacité sur un modèle murin exprimant la mutation ND4 d'une manière allotopique (ou m.11778G> A), la thérapie génique a fait l'objet de plusieurs études de phaseI etII, et actuellement de phaseIII, visant à évaluer son efficacité chez des patients NOHL porteurs de cette mutation et avec une baisse visuelle récente [65]. Le transgène ND4 est injecté en intravitréen, associé à un adénovirus de sérotype 2. Les effets secondaires sont limités à la survenue d'inflammations locales réversibles sous traitement [66]. Les résultats de ces études ne sont pas encore publiés. Dans l'AOD, la thérapie génique par injection intravitréenne a fait la preuve de son efficacité relative sur un modèle de souris porteuse de la mutation OPA1-c2708delTTAG, la plus fréquemment retrouvée chez l'homme [67].
Point de vue du généticien et du chercheur
Règles de bonnes pratiques pour les examens des caractéristiques génétiques d'une personne à des fins médicales
La loi de bioéthiquepose les grands principes de la réalisation des examens des caractéristiques génétiques des personnes, et les modalités de prescription sont précisées par un arrêté paru au Journal Officiel du 27 mai 2013 [68].
Les principaux points à retenir sont les suivants :
  • un examen génétique ne peut être réalisé qu'à des fins médicales ou de recherche ;
  • cet examen est toujours réalisé après avoir recueilli le consentement écrit de la personne concernée ou de ses représentants, s'il s'agit d'un mineur ou d'une personne sous tutelle. Ce consentement est révocable à tout moment.
Il appartient au médecin prescripteur de juger de l'opportunité clinique pour proposer la réalisation d'un examen génétique.
Cet examen peut être prescrit soit par un médecin généticien soit par un médecin non généticien connaissant la situation clinique (maladie, prise en charge thérapeutique) et les conséquences familiales, et capable d'en interpréter le résultat. Ce médecin doit travailler en relation avec une équipe de génétique clinique. Dans tous les cas, le prescripteur doit être capable de délivrer au demandeur une information préalable complète et compréhensible. Il doit vérifier notamment que la personne a bien compris les conséquences potentielles des résultats à la fois pour lui-même et pour sa famille.
Un examen génétique ne peut être prescrit chez un mineur asymptomatique qu'à condition que celui-ci ou sa famille puissent bénéficier de mesures préventives ou curatives immédiates.
Le résultat d'un examen génétique ne doit pas être directement communiqué au patient par le laboratoire de biologie médicale mais par le prescripteur lui-même.
La personne peut refuser de connaître le résultat de son test génétique.
La communication du résultat par le prescripteur est résumée dans un document écrit. Elle doit s'accompagner d'une information portant sur :
  • les conséquences pour l'individu ;
  • les conséquences familiales ;
  • les modalités d'information de la parentèle.
Une copie du résultat du laboratoire de biologie médicale doit être remise au patient.
Si nécessaire, la personne doit être orientée vers une consultation de conseil génétique complémentaire.
Le recours à un accompagnement psychologique doit être envisagé dans tous les cas.
Le rôle du médecin qui rend le résultat est d'orienter la personne vers la ou les structures les mieux à même de participer à sa prise en charge et à son suivi médical et médico-social.
Analyse moléculaire
Nous utilisons actuellement dans notre laboratoire le schéma diagnostique suivant (fig. 4-30
Fig. 4-30
Stratégie de diagnostic moléculaire des neuropathies optiques héréditaires utilisée en 2019 dans notre laboratoire.NOHL: neuropathie optique héréditaire de Leber.
) :
  • si le tableau clinique oriente fortement vers une NOHL (histoire familiale positive, début brutal chez un homme jeune, lésion rapidement bilatérale, absence de transmission paternelle sur l'arbre généalogique), nous séquençons d'emblée par NGS la totalité de l'ADNmt, ce qui permet de cribler en une seule fois l'ensemble des variants pathogènes actuellement référencés pour la NOHL ;
  • de même, si le mode de transmission n'apparaît pas clairement sur l'arbre généalogique (en particulier devant les cas sporadiques), nous commençons par la séquence de l'ADNmt. En cas de négativité de cet examen, nous passons au séquençage du panel des  88 gènes publiés ou fortement candidats à l'heure actuelle dans les NOH ;
  • si l'arbre généalogique évoque d'emblée une transmission mendélienne dominante ou récessive, nous séquençons d'emblée le panel des 88 gènes.
Avec cette stratégie, nous arrivons à un diagnostic étiologique dans environ 40 % des cas de NOH. Pour les 60 % des cas restant sans diagnostic, nous proposons, après une sélection drastique, un séquençage de l'exome.
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Arrêté du 27
4.6.
Neuropathies optiques toxiques et carentielles

C. Arndt

Points importants
  • Les neuropathies optiques toxiques et carentielles font partie des neuropathies optiques mitochondriales et constituent un ensemble hétérogène de pathologies caractérisées par une atteinte préférentielle du faisceau interpapillomaculaire .
  • L'atteinte visuelle est toujours bilatérale et associe à des degrés variables une baisse visuelle indolore et progressive et une dyschromatopsie. Le champ visuel montre une atteinte cæcocentrale. L'OCT des cellules ganglionnaires maculaires est précocement altéré de manière diffuse, et l'OCT pRNFL au niveau du faisceau interpapillomaculaire dans la partie temporale de la papille. Le diagnostic repose sur l'interrogatoire et le pronostic est fonction de la durée d'exposition au toxique et des carences associées.
  • La liste des toxiques impliqués le plus souvent dans les neuropathies optiques figure dans l'encadré 4-9
    Encadré 4-9
    Substances toxiques pour le nerf optique
    Cette liste est non exhaustive et pour certaines substances peu de cas ont été décrits.
    « Vieux coupables »
    • Alcool éthylique
    • Tabac
    • Méthanol (alcool frelaté)
    • Éthylène glycol (antigel)
    Anti-infectieux
    • Antituberculeux :
      • éthambutol
      • isoniazide
    • Anti-infectieux autres :
      • linézolide
      • ciprofloxacine
      • chloramphénicol
      • érythromycine
      • dérivés de l'hydroxyquinoline
      • dapsone
      • antirétroviraux (inhiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, précipitent des neuropathies optiques héréditaires de Leber)
    Anti-épileptiques
    • Vigabatrin (rétine surtout)
    Immunomodulateur
    • Ciclosporine
    Traitements du cancer
    • Carboplatine
    • Cisplatine
    • Méthotrexate
    • Vincristine
    • 5-fluorouracile
    • Bévacuzimab
    • Imatinib
    • Crizortinib
    • Immunothérapies spécifiques anti-CTLA4 (ipilimumab), anti-PD1 (nivolumab, pembrolizumab), anti-PDL1 (durvalumab, atézolizumab)
    Autres substances
    • Amiodarone
    • Inhibiteurs de la 5-phosphodiestérase (neuropathie optique ischémique antérieure)
    • Chloroquine (toxicité rétinienne surtout)
    • Disulfirame
    • Tacrolimus (antirejet)
    • Interféron alpha (neuropathie optique ischémique antérieure)
    • Lithium
    • Anti-tumor necrosis factor alpha (neuropathies optiques démyélinisantes)
    . En cas de suspicion d'intoxication médicamenteuse, il faut la signaler au centre de pharmacovigilance (site Internet du réseau français des centres de pharmacovigilance : https://www.rfcrpv.fr https://ansm.sante.fr https://signalement.social-sante.gouv.fr ). En cas de suspicion d'intoxication professionnelle, il faut consulter le site Internet de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé () ou le portail Internet de signalement des événements sanitaires indésirables ().
  • La consommation excessive d'éthanol et la chirurgie bariatrique sont les deux situations cliniques à risque les plus fréquentes pour une neuropathie optique nutritionnelle. Le traitement doit être au mieux préventif, avec une supplémentation systématique en vitamine B1 et en vitamine B12 (à vie pour la chirurgie bariatrique).
Quoi de neuf ?
La tomographie par cohérence optique (OCT) est utile au diagnostic et dans le suivi des neuropathies optiques toxiques et nutritionnelles. Les cellules ganglionnaires rétiniennes –  ganglion cell layer (GCL) ou ganglion cell complex (GCC)– sont précocement atteintes et, plus tardivement, il existe un amincissement de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL) qui prédomine en temporal inférieur. L'OCT permet la confirmation morphologique de l'atteinte fonctionnelle décelée à l'examen de la vision des couleurs, du champ visuel et des PEV. L'intensité de l'atteinte fonctionnelle et le risque de séquelles visuelles sont corrélés à l'amincissement de la pRNFL temporale et du GCC visible sur l'OCT au stade d'état.
Les neuropathies optiques toxiques et carentielles constituent un ensemble hétérogène de pathologies caractérisées par une atteinte préférentielle du faisceau interpapillomaculaire . Les fibres du faisceau interpapillomaculaire sont en effet les plus sensibles à une toxicité ou à une carence métabolique du fait de leurs trajets non myélinisés dans l'œil et de leur petit calibre. L'atteinte initiale des fibres de ce faisceau peut se situer à différents niveaux des voies visuelles antérieures : dans les cellules ganglionnaires rétiniennes, les axones non myélinisés intrarétiniens, les axones myélinisés en arrière de la lame criblée dans le nerf optique et le chiasma.
Ces deux types de neuropathie optique font partie d'une entité appelée «   neuropathies optiques mitochondriales » . Elles ont en effet un mécanisme physiopathologique commun au niveau cellulaire, fondé sur l'altération de la chaîne respiratoire ou de la phosphorylation oxydative dans la mitochondrie (fig. 4-31
Fig. 4-31
Schéma mitochondrial.a.La vitamineB1 et la carnitine jouent un rôle essentiel pour l'alimentation du cycle de Krebs. b.Les vitaminesB2, B3 et le cuivre interviennent dans la chaîne de phosphorylation oxydative. ADP: adénosine diphosphate ; ATP: adénosine triphosphate ; FAD: flavine adénine dinucléotide ; H+: hydrogène ; NAD: nicotinamide adénine dinucléotide ; O2: oxygène ; Pi: orthophosphate inorganique.
). Les axones longs des cellules rétiniennes ganglionnaires sont particulièrement vulnérables, car le transport axonal est fortement « énergie-dépendant » et les mitochondries doivent être transportées du corps cellulaire vers la synapse distale terminale.
Symptômes
Cliniquement, les patients atteints de neuropathie optique mitochondrialese plaignent d'une baisse d'acuité visuelle sous forme d'un « brouillard » progressif de loin et de près. Souvent, la lente progression des signes fonctionnels retarde le diagnostic et la prise en charge. Les symptômes sont rarement asymétriques, jamais unilatéraux. La dyschromatopsie peut être le symptôme initial.
Diagnostic clinique
Le diagnostic clinique de neuropathie optique mitochondriale est évoqué devant :
  • l'atteinte visuelle sans douleur, progressive, bilatérale parfois asymétrique ;
  • une dyschromatopsie décelée ou confirmée par un test de 15 Hue désaturé ;
  • une pâleur papillaire temporale bilatérale.
Les anomalies de coloration du nerf optique sont souvent subtiles, surtout dans les stades initiaux. Une démarche systématique est essentielle, en particulier devant une plainte visuelle sans réelle baisse d'acuité et a fortiori devant une baisse d'acuité inexpliquée.
Cette situation doit conduire à un interrogatoire méthodique qui recherche des toxiques, médicamenteux ou non, et des carences quantitatives et/ou qualitatives. Il passe par :
  • l'évaluation du terrain familial, social, privé (loisirs) et professionnel qui permet de suspecter l'exposition à des toxiques (alcool, colles, solvants, pesticides) ;
  • la recherche d'éventuels régimes restrictifs ;
  • les antécédents médicaux et chirurgicaux, en particulier tout traitement actuel ou passé, une éventuelle chirurgie bariatrique.
Cet interrogatoire dépasse le cadre ophtalmologique ; il recherche toute symptomatologie générale associée dont le lien de causalité n'est pas toujours d'emblée évident, en l'occurrence :
  • des troubles sensitifs, en particulier par atteinte des voies longues ;
  • des troubles de la marche par atteinte cérébelleuse.
L'analyse des antécédents familiaux révèle parfois des éléments en faveur d'un facteur génétique ou environnemental (par exemple exploitation agricole familiale avec utilisation de pesticides neurotoxiques).
Examens complémentaires
Concernant les examens complémentaires, comme dans la majorité des pathologies du segment postérieur, l'OCT a pris une place importante dans le diagnostic des neuropathies mitochondriales. Il est très utile pour déceler une atteinte précoce du nerf optique en complément des examens fonctionnels de la vision des couleurs, du champ visuel central et de l'électrophysiologie visuelle.
La combinaison des éléments suivants permet de suspecter une neuropathie optique « mitochondriale »:
  • un amincissement de la couche des cellules ganglionnaires maculaires : c'est le signe le plus précoce (fig. 4-32
    Fig. 4-32
    OCT dans une neuropathie optique liée à un alcoolisme chronique: atteinte initiale du complexe ganglionnaire (GCC), alors que la couche des fibres nerveuses rétiniennes (pRNFL) est toujours normale.
    ). La couche des cellules ganglionnaires s'évalue de façon isolée ( ganglion cell layer [GCL]) ou combinée avec la couche plexiforme interne réalisant le complexe ganglionnaire ( ganglion cell complex [GCC]) ;
  • une perte axonale temporale dans la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires ( peripapillary retinal nerve fiber layer [pRNFL]) : elle survient plus tardivement (voir fig. 4-32) ;
  • un scotome central ou centrocæcal sur la périmétrie statique centrale ;
  • l'altération du PEV (amplitude diminuée et latence allongée de l'onde P100) ;
  • une altération de la réponse du pattern électrorétinogramme (amplitude de l'onde N95).
Une fois le diagnostic de neuropathie optique mitochondriale établi, se pose la question du diagnostic étiologique  : l'origine de l'atteinte est souvent toxique, parfois génétique (voir chapitre 4.5) et rarement carentielle. La liste des toxiques les plus fréquents figure dans l'encadré 4-9
Points importants
  • Les neuropathies optiques héréditaires (NOH) sont des maladies génétiques responsables de la dégénérescence des cellules ganglionnaires de la rétine. Elles sont caractérisées par une baisse d'acuité visuelle variable, allant de formes modérées à la cécité légale, avec un scotome central ou cæcocentral et une dyschromatopsie. Ces caractéristiques communes à toutes les NOH sont modulées dans leur sévérité par la cause génétique qui en est à l'origine.
  • L'histoire familiale et l'association à des symptômes extra-oculaires peuvent orienter vers une étiologie moléculaire précise. Il en est de même de certains paramètres ophtalmologiques tels que la dyschromatopsie d'axe bleu-jaune pour l'atrophie optique dominante due aux mutations du gène OPA1 , et la présence d'un pseudo-œdème papillaire pour la neuropathie optique héréditaire de Leber.
. En cas de suspicion d'intoxication médicamenteuse, ou professionnelle, il faut la signaler (voir plus haut encadré «Points importants »).
La consommation excessive d'éthanol et la chirurgie bariatrique sont les deux situations cliniques à risque les plus fréquentes pour une neuropathie optique nutritionnelle.
Neuropathies optiques toxiques les plus fréquentes
La voie visuelle antérieure est susceptible d'être altérée par de multiples agents toxiques, principalement iatrogènes. Les neuropathies optiques toxiques sont classiquement causées par des médicaments antituberculeux (éthambutol, isoniazide), antibiotiques (linézolide, sulfanylamide, chloramphénicol), anticancéreux (vincristine, méthotrexate), antiarythmiques (amiodarone, digitaliques). Cette liste importante d'agents potentiels contraste avec le petit nombre de substances pour lesquelles une toxicité sur le nerf optique a été démontrée.
Le mécanisme de toxicité est variable (voir fig. 4-31) :
  • le blocage de la phosphorylation oxydative est provoqué par l'éthambutol, le chloramphénicol, le linézolide, l'érythromycine, la streptomycine et les agents en rétroviraux  [1] ;
  • une dysfonction mitochondriale autre que le blocage de la phosphorylation oxydative est impliquée lors du traitement par l'amiodarone, l'infliximab, la quinine, la dapsone, la phéniprazine, la suramine et l'isoniazide  [1].
Le diagnostic précoce de neuropathie optique toxique est essentiel pour agir sur l'évolution de la maladie, en particulier pour interrompre le traitement à temps, permettant d'espérer une amélioration fonctionnelle. Il est difficile en raison de la normalité de la papille au stade précoce, les premiers signes fonctionnels précédant de loin la pâleur ou l'atrophie papillaires. Pour cette raison, l'OCT reste un outil complémentaire à l'examen clinique et à l'évaluation de la fonction visuelle pour le diagnostic et le suivi de l'atteinte toxique des cellules ganglionnaires rétiniennes (CGL ou GCC) et de la couche des fibres nerveuses rétiniennes (pRNFL). L'OCT peut être normal au début, ce qui n'élimine pas le diagnostic, mais lorsqu'une atteinte est présente, elle apporte la confirmation morphologique de l'atteinte fonctionnelle décelée à l'examen de la vision des couleurs, du champ visuel et des PEV (fig. 4-33
Fig. 4-33
Patiente de 58ans suivie dans le cadre de son traitement par trithérapie rifadine, éthambutol et moxifloxacine.a.L'acuité visuelle est conservée à10/10, l'évaluation de la vision des couleurs au test de 15Hue désaturé retrouve une dyschromatopsie plutôt d'axe rouge-vert. Le fond d'œil est normal. b, c.L'OCT des fibres nerveuses péripapillaires est normal. d.Le champ visuel central est normal, mais les potentiels évoqués visuels sont altérés au petit damier à droite et à gauche. Les examens fonctionnels sont plus sensibles que l'OCT à dépister une toxicité débutante.
). Dans certains cas, avant l'atrophie optique, les toxiques mitochondriaux s'accumulent à l'intérieur des axones, ce qui se traduit par un épaississement axonal à l'OCT à la phase aiguë  [2]. Dans les formes subaiguës ou chroniques, il existe un amincissement de la couche des fibres nerveuses rétiniennes (pRNFL) au niveau du faisceau interpapillomaculaire dans le secteur temporal avec un amincissement de l'ensemble de la couche des cellules ganglionnaires rétiniennes [1].
Éthambutol
L'hydrochloride d'éthambutol, agent antituberculeux bactériostatique, est probablement le médicament le plus souvent impliqué dans les neuropathies optiques toxiques. L'éthambutol et son métabolite sont responsables d'une chélation au niveau des systèmes enzymatiques métalliques (cuivre et zinc) qui inhibe des métalloprotéinases  [3]. Des expériences animales ont montré que la toxicité de l'éthambutol affecte les cellules ganglionnaires rétiniennes, le nerf optique, le chiasma et le tractus optique [4].
Chez l'homme, la neuropathie optique induite par l'éthambutol peut devenir cliniquement patente à tout moment entre 2 et 12 mois de traitement. L'élimination du produit se fait essentiellement par le rein. La dose doit être adaptée à la fonction rénale qui doit être surveillée.
Si l'anomalie est reconnue précocement, elle est souvent réversible. Toutefois, si le patient est traité par des doses entre 15 et 25 mg/kg/jour et s'il présente une altération de l'état général, et plus particulièrement une insuffisance rénale, le dommage risque d'être irréversible et peut continuer plusieurs semaines après son arrêt.
À un stade précoce , une augmentation de la pRNFL est observée à l'OCT  [5]. Une étude récente incluant 21 patients traités par éthambutol, pendant une période allant de 2 à 12 mois, démontre un épaississement et un œdème initial de la pRNFL qui persiste plus de 3 mois après le début des symptômes [6]. Cette épaisseur se normalise 12 mois après l'arrêt de l'éthambutol. À un stade précoce, l'OCT est un outil intéressant pour la détection et le suivi d'une atteinte infraclinique liée à l'éthambutol [7], en complément des examens fonctionnels.
Dans les stades avancés , il existe un amincissement de la pRNFL, prédominant dans le quadrant inférotemporal. Les patients dont les quadrants temporaux sont plus fins ont une acuité visuelle plus basse et une altération significative de la vision des couleurs. Les anomalies OCT sont souvent corrélées aux anomalies du champ visuel central. De plus, une diminution précoce du complexe ganglionnaire (GCC) a été observée. Sur l'OCT de suivi réalisé après 6 mois, l'épaisseur moyenne du GCC et de la pRNFL est également diminuée par rapport à l'évaluation préthérapeutique.
Au total, dans la neuropathie optique liée à l'éthambutol, la couche des cellules ganglionnaires (isolée ou couplée à la plexiforme interne) peut servir comme marqueur anatomique. Malgré sa facilité d'utilisation, l'OCT n'est pas recommandé comme seule méthode de suivi d'une neuropathie optique liée à l'éthambutol et doit être associé aux examens fonctionnels. L'examen de la vision des couleurs révèle une dyschromatopsie d'axe deutan ou tritan dans la moitié des cas ; cet examen est sensible mais pas spécifique. Les altérations du champ visuel sont présentes dans 60 % des cas avec des anomalies variables: un scotome central, centrocæcal ou arciforme. Une altération du PEV est rapportée dans près d'un tier des cas (voir fig. 4-33) [7].
Suivi d'un traitement par éthambutol
Après un bilan initial comportant la mesure de l'acuité visuelle, un examen de la vision des couleurs, un champ visuel automatisé et un OCT maculaire (GCC) et pRNFL, le rythme de surveillance recommandé est tous les 2 mois. En cas de doute sur une atteinte, en particulier pour des doses élevées (15–25 mg/kg/j), il faut compléter par un champ visuel central et un PEV (ou un pattern électrorétinogramme).
Méthanol
Le méthanol est une cause classique de neuropathie optique toxique, plus fréquente dans les pays en voie de développement. C'est aussi l'intoxication la plus dramatique en raison de l'atteinte visuelle majeure associée à une atteinte systémique responsable d'une acidose métabolique avec une perte visuelle irréversible, un coma, voire le décès. Les modifications dans le nerf optique sont essentiellement dues à un œdème cytotoxique dans la rétine et le nerf optique survenant dans les 48 premières heures après l'ingestion d'alcool.
Cliniquement, au début l'acuité est généralement non chiffrable, il existe un œdème papillaire bilatéral au FO et les PEV ne permettent pas d'enregistrer une réponse discernable. Ensuite, une atrophie optique s'installe.
L'OCT, à la phase aiguë, montre un épaississement du pRNFL et une accumulation de liquide intrarétinien, puis une diminution de la pRNFL à la phase chronique. La perte axonale la plus importante est temporale  [8]. En OCT maculaire, il est possible de voir des microkystes dans la couche nucléaire interne comme dans toutes les autres neuropathies optiques atrophiques [8].
Le traitement de l'intoxication par méthanol est fondé sur l'administration d'éthanol, de vitamines B1, B9, B12 et de corticoïdes à 1mg/kg/jour. Le fomépizole est une thérapeutique efficace de l'intoxication par méthanol [9], mais le coût élevé de ce produit limite sa disponibilité. Le pronostic est généralement mauvais et l'acuité visuelle finale ne dépasse pas le «compte les doigts » [9], même si des récupérations visuelles après traitement par une combinaison de l'érythropoïétine intraveineuse, de corticoïdes systémiques, de la vitamine B12 et de l'acide folique ont été rapportées chez deux patients [10].
Exposition tabagique
La neuropathie liée à l'exposition tabagique est une entité discutable et doit rester un diagnostic d'exclusion. Le tabac est souvent considéré comme un facteur aggravant associé à une neuropathie optique carentielle, mais son effet toxique direct en dehors d'une dénutrition n'est pas démontré ni consensuel. Le tabac augment également le risque de déclencher une neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL) chez les patients génétiquement prédisposés, car il pourrait altérer le métabolisme des enzymes soufrés entraînant une intoxication chronique aux cyanures toxiques pour les mitochondries  [11]. La pathologie est caractérisée par une perte axonale lentement progressive du faisceau interpapillomaculaire, responsable d'un scotome central et d'une baisse d'acuité visuelle. L'apparence de la papille est généralement normale au stade précoce, avec parfois une dilatation des capillaires et des hémorragies péripapillaires, alors que la pâleur papillaire ne s'installe qu'à des stades plus tardifs [12]. Le diagnostic ne peut être retenu sans avoir éliminé une neuropathie optique héréditaire, carentielle ou l'implication d'autres toxiques [13]. En cas de suspicion d'une neuropathie optique nutritionnelle associée, il est plus facile de compenser les carences et d'améliorer le régime alimentaire que de faire arrêter et même diminuer le tabac (et/ou l'éthanol).
Éthanol
La neuropathie à l'éthanol est une neuropathie carentielle, elle est traitée avec les neuropathies nutritionnelles  [13].
Amiodarone
L'amiodarone est un traitement antiarythmique utilisé particulièrement dans les tachyarythmies auriculaire et ventriculaire. Le mécanisme physiopathologique suspecté dans la neuropathie optique liée à l'amiodarone est une accumulation d'inclusions lysosomiales liées au couplage de l'amiodarone avec des phospholipides. La présentation clinique peut parfois mimer une neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) non artéritique  [14]. Cependant, la neuropathie liée à l'amiodarone se développe classiquement de façon insidieuse avec une baisse d'acuité visuelle moindre que celle observée dans les NOIA non artéritiques ; l'œdème papillaire est le plus souvent bilatéral et symétrique, et persiste plus longtemps. De plus, l'œdème papillaire et la neuropathie optique peuvent continuer à progresser au-delà de l'arrêt du traitement [15]. Sur l'OCT, la pRNFL s'épaissit à la phase initiale du traitement, avec ensuite une perte axonale et une atrophie optique [15].
Linézolide
Le linézolide est un antibiotique à large spectre. La présentation clinique de la neuropathie optique est typique avec une baisse d'acuité visuelle progressive et souvent une pâleur papillaire temporale. Des études en OCT révèlent l'existence de lésions microkystiques dans la RNFL et la CGL chez les patients présentant une neuropathie optique induite par le linézolide, comme c'est aussi le cas dans beaucoup d'autres neuropathies optiques. Ces lésions disparaissent dans les 6 semaines après l'arrêt et sont corrélées avec la baisse de l'acuité visuelle [16].
Chimiothérapies anticancéreuses
Plusieurs molécules utilisées en chimiothérapie anticancéreuse ont été impliquées. Le tableau comporte généralement une baisse d'acuité visuelle avec pâleur papillaire d'installation progressive. L'aspect en OCT est documenté chez un patient avec une leucémie myéloïde aiguë traitée par cytarabine et daunorubicine. À 6 semaines du début des symptômes, l'OCT révèle un amincissement de la RNFL temporale et de la couche des cellules ganglionnaires maculaires dans les deux yeux. Ces résultats OCT sont restés stables après le remplacement du traitement par un autre protocole de chimiothérapie [17].
Neuropathies optiques nutritionnelles
Des neuropathies optiques carentielles isolées sont rares, elles sont plus fréquentes chez des patients malnutris. La consommation excessive d'éthanol retentit sur le nerf optique par la malnutrition qu'elle engendre, en particulier par la carence en vitamines B1 [18] et surtout B9 et B12. Dans des régions de famine, les neuropathies optiques carentielles peuvent prendre un aspect endémique.
Dans les pays à haut niveau socio-économique, les neuropathies optiques carentielles peuvent être associées à de nombreuses causes : une alimentation déséquilibrée, une chirurgie bariatrique (manque de facteur intrinsèque!), une grève de la faim, une anorexie mentale ou une malabsorption des vitamines du complexe neuropathies optiques B (classiquement B12 et folates) [19]. Le plus difficile est d'y penser!
Comme dans les neuropathies optiques toxiques, l'ensemble des voies visuelles antérieures peut être atteint lors d'un déficit nutritionnel et la majorité des carences perturbent la phosphorylation oxydative de la mitochondrie  [20].
Toutefois, le mécanisme physiopathologique de l'atteinte visuelle antérieure est variable selon la cause. Des carences en vitamine B12(cyanocobalamine), vitamine B1 (thiamine) [21] ou d'autres vitamines (riboflavine, niacine, pyridoxine, acide folique), zinc, cuivre [22], carnitine et d'autres protéines composées par des acides aminés sulfurés ont été associées à des neuropathies optiques [23]. Le pronostic visuel dépend de multiples facteurs, en particulier la cause et la durée d'évolution. À des stades plus avancés caractérisés par une atrophie optique, la récupération est plus aléatoire que dans les stades précoces [21]. Des neuropathies optiques carentielles sont très rares chez les enfants.
L' acuité visuelle peut être normale surtout au début ; très rarement, l'acuité peut se limiter à une simple perception lumineuse. Le plus souvent l'acuité visuelle est proche de 1/10, parfois meilleure, le réflexe photomoteur est diminué et il n'y a pas de déficit pupillaire afférent car l'atteinte est bilatérale.
La papille peut avoir un aspect normal ou légèrement hyperhémié (fig. 4-34
Fig. 4-34
Patient de 30ans avec une intoxication mixte alcoolotabagique associée à une diminution du taux plasmatique de thiamine (vitamineB1) et présentant également une dysesthésie des membres inférieurs et une instabilité à la marche.a–d.L'acuité visuelle est à1/10 à droite et à gauche avec une pâleur papillaire bilatérale (a, b) et une réduction modérée de l'épaisseur temporale en OCT pRNFL(c, d). Le sens chromatique n'est pas interprétable du fait d'une protanopie manifeste (test d'Ishihara). e.Le scotome centrocæcal au champ visuel central confirme l'atteinte du faisceau interpapillomaculaire. L'acuité visuelle remonte au bout de 2mois à10/10 à droite et à gauche après vitaminothérapie.
) dans les stades précoces avec des petites hémorragies péripapillaires. Au bout d'un certain temps (quelques semaines à plusieurs mois), une pâleur temporale s'installe (fig. 4-35
Fig. 4-35
Neuropathie optique nutritionnelle.Patient de 60ans présentant une baisse de l'acuité visuelle bilatérale depuis 6mois avec altération de l'état général, perte de poids de 10kg (l'acuité visuelle est à4/10 à droite et 6/10 à gauche) et pâleur temporale bilatérale(a, b). Il n'existe aucun antécédent familial ou personnel (pas de consommation excessive d'alcool, de tabac ; pas d'exposition à un autre toxique ; pas d'histoire familiale). Une perte axonale exclusivement temporale est retrouvée(c, d). Au champ visuel cinétique type Goldmann, il existe un scotome cæcocentral bilatéral(e, f). Une anémie macrocytaire et un déficit en folates sont mis en évidence. Une IRM abdominale révèle un glucagonome probablement responsable d'une malabsorption du folate. Après chirurgie d'exérèse et supplémentation en folates, l'acuité visuelle remonte à6/10 à droite et2,5/10 à gauche.
).
L' altération du sens chromatique, du champ visuel et du PEV est fonction de la sévérité de l'atteinte.
L'OCT permet d'analyser les variations de l'épaisseur de la pRNFL temporale, en particulier l'épaississement au stade précoce, l'amincissement au stade tardif (voir fig. 4-34 et 4-35).
La carence en vitamines B1, B12, folates doit être recherchée par un dosage sanguin. Cependant, des signes neurologiques et de neuropathies optiques nutritionnelles sont possibles avant que le taux de vitamineB12 devienne anormal. Il est alors utile de doser l'acide malonique sanguin qui sera diminué et l'homocystéinémie qui sera augmentée. Une anémie macrocytaire, par carence en B12 et/ou folates est possible, mais elle peut être microcytaire en cas de carence martiale associée. Enfin, il est souvent utile, une fois les dosages réaliser, de commencer un test thérapeutique en corrigeant les carences.
Le traitement consiste à supplémenter le patient en vitamines (voir fiche n°21 ). Ce traitement sera à vie et géré avec un nutritionniste en cas de chirurgie bariatrique, de résection intestinale ou gastrique, ou de pathologie responsable de malabsorption chronique. Dans ces cas, la supplémentation de la vitamine B12 sera souvent parentérale.
En cas d'intoxication alcoolotabagique chronique, il ne faut pas s'acharner à demander une diminution ou un arrêt des toxiques qui sont souvent impossibles ou très longs à obtenir. Par ailleurs, l'effet toxique direct de l'éthanol et du tabac n'est pas clairement démontré ni consensuel. Il est plutôt souhaitable et plus rapide de rééquilibrer l'alimentation qui ne contient plus assez de nutriments d'origine animale qui apportent les vitamines du complexe B. Ces patients sont en effet souvent désocialisés et n'ont plus d'appétence pour les produits carnés. En attendant, une supplémentation en vitamines est donnée par voie orale le plus souvent car il n'y a pas de malabsorption (voir fiche n°21 ). Les aides d'un nutritionniste, d'un hépatologue et d'un addictologue sont nécessaires pour faire le bilan plus général de pathologies associées à l'intoxication chronique et pour prévenir des rechutes.
Dans tous les cas, si les carences sont importantes et anciennes, leur correction peut ne pas améliorer la vision. Il est alors légitime de rechercher une cause génétique associée si cela n'a pas été fait au début. Il faut également prévenir une nouvelle rechute qui pourrait aggraver la vision restante et adresser le patient en rééducation basse vision.
Conclusion
Les neuropathies optiques toxiques et carentielles atteignent préférentiellement la vision centrale qui est véhiculée par les fibres parvocellulaires situées dans le faisceau interpapillomaculaire, ce qui engendre une baisse d'acuité visuelle, une dyschromatopsie, un scotome central et une perte axonale temporale sur l'OCT pRNFL. Même si un mécanisme toxique ou un terrain génétique est évoqué, un bilan systématique à la recherche d'une carence en micronutriments, particulièrement ceux impliqués dans la phosphorylation oxydative, doit être réalisé (voir fiche n° 20). En attendant les résultats du bilan, certains micronutriments peuvent être prescrits à titre systématique en raison du fort bénéfice potentiel pour la fonction mitochondriale et du faible risque de toxicité (voir fiche n°21).
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4.7. Neuropathies optiques et traitements du cancer

D. Psimaras

Points importants
  • Dans le cadre des traitements anticancéreux, des cas de neuropathie optique ont été retrouvés après irradiation cérébrale intéressant les voies optiques (neuropathie optique radio-induite [NORI]) et après utilisation de thérapies ciblées (bévacizumab, crizotinib, imatinib) ou d'inhibiteurs de checkpoints immuns (ipilimumab, anti-PDL1).
  • Aucun traitement curatif n'a démonté une réelle efficacité dans la NORI ; la meilleure solution reste la prévention par l'épargne de dose délivrée aux voies visuelles antérieures grâce à l'amélioration des techniques de radiothérapie, notamment la protonthérapie. Une étude plus approfondie des mécanismes radiobiologiques en cause permettrait de mieux caractériser les processus physiopathologiques et ainsi de développer des thérapies plus adaptées.
Quoi de neuf ?
Le pronostic visuel des neuropathies optiques induites par les thérapies ciblées (inhibiteurs de checkpoints immuns) est bon en cas d'interruption rapide de la molécule en cause et d'un traitement par corticothérapie systémique, selon les recommandations de 2019.
Nous effectuons ici un état des lieux des neuropathies optiques associées aux traitements anticancéreux, à savoir la radiothérapie, les thérapies ciblées et l'immunothérapie.
Neuropathie optique et radiothérapie
Fréquence
La neuropathie optique radio-induite (NORI) est une forme de radionécrose retardée du système nerveux central (SNC)  [1] de pronostic redoutable puisque 85% des patients auront à terme une acuité visuelle inférieure ou égale à 20/200 [ 2–5 ]. Cette radionécrose des voies visuelles antérieures a été décrite pour la première fois en 1956 [6] mais ce n'est qu'en 1985 que la NORI à proprement parler a été définie [7]. La physiopathologie reste incertaine, les hypothèses étant une nécrose ischémique du nerf optique (via des lésions de l'endothélium vasculaire induites par les radicaux libres créés par les rayons) [8] et/ou des mutations radio-induites des cellules progénitrices gliales aboutissant à une démyélinisation et une dégénérescence neuronale [4].
Après irradiation de tumeurs de la tête ou du cou, une étude de 2002 retrouvait un taux de cécité post-radique de 35 % par rétinopathie ou NORI [9] lorsque le nerf optique ou le chiasma sont situés dans le champ d'irradiation. Cependant, l'amélioration des techniques de radiothérapie après les années 2000, avec l'arrivée de la radiothérapie conformationnelle, de la radiothérapie par modulation d'intensité ( intensity modulated radiotherapy [IMRT]), de la stéréotaxie et de la protonthérapie, a permis de réduire cette incidence aux alentours de 9% [5,10]. La NORI peut survenir entre 3 mois et 9 ans après l'irradiation, la majorité survenant dans les 3 ans avec un pic d'incidence entre 1 et 1,5 an [1,11].
Diagnostic
Le diagnostic de NORI est un diagnostic d'exclusion, posé sur des signes cliniques et radiologiques évocateurs dans un délai compatible et en l'absence de toute étiologie alternative à la baisse d'acuité visuelle (fig. 4-36
Fig. 4-36
Neuropathie optique induite par la radiothérapie chez une patiente traitée par protonthérapie pour un craniopharyngiome.a.Coupe coronale T2, hypertrophie du nerf optique droit sans hypersignal (flèche). b.Coupe millimétriques coronale T1 spin écho injecté avec suppression du signal de la graisse, rehaussement unilatéral segmentaire du nerf optique droit dans sa portion cisternale (flèche). c.Séquence en pondération diffusion (b1400) haute résolution, hypersignal du nerf optique droit (tête de flèche). d.Coupe T1 injecté en 500μ isotropique, mettant en évidence le caractère segmentaire du rehaussement. e, f.Contrôle à 3mois, coupes coronales et axiales T1 injecté avec suppression du signal de la graisse, persistance malgré les traitements (par corticothérapie à fortes doses, puis bévacizumab) de l'atteinte du nerf optique droit et apparition d'une atteinte controlatérale (flèches).
Source: J.Savatovsky.
). Le diagnostic différentiel principal est celui de récidive tumorale  [4].
L'atteinte du nerf optique est plus fréquemment de type postérieure  [2,4]. Ainsi, une étude de 2015 retrouvait parmi 9patients atteints de NORI, 3 cas de NORI antérieure et 6 cas de NORI postérieure [10]. Par ailleurs, la bilatéralité semble assez fréquente, un à trois quarts des patients évoluant vers une bilatéralisation [1,10], [12] dans les 3 à 6 mois après l'apparition des premiers symptômes [1,12].
Facteurs de risque
Les facteurs de risque reconnus de NORI sont majoritairement imputables aux modalités d'irradiation. Le risque de cécité par NORI est :
  • inférieur à 5 % pour des doses maximales (Dmax) aux voies optiques antérieures <55Gy en fractions <2Gy ;
  • entre 3 et 7 % pour des Dmax entre 55 et 60Gy ;
  • entre 7 et 20 % pour des Dmax > 60Gy [13].
Le risque de NORI est significativement majoré pour des doses > 2Gy/fraction [10,13], et un plus grand fractionnement est significativement associé à un moindre risque de NORI [4,10]. Cela est compatible avec l'hypothèse d'une lésion radique du tissu endothélial vasculaire que l'hyperfractionnement permettrait de préserver, l'endothélium vasculaire étant un tissu à renouvellement lent [10]. Les recommandations actuelles sont donc de respecter une Dmax <55Gy en fractions <2Gy à au moins l'un des nerfs optiques et au chiasma. Cette tolérance est empiriquement diminuée à 50Gy en cas de chimiothérapie adjuvante qui est un facteur de risque reconnu de NORI [4]. Concernant la radiothérapie stéréotaxique, plusieurs séries ont retrouvé une survenue de NORI exceptionnelle lorsque la dose reçue au nerf optique est inférieure à 8 à 10Gy [11,13].
Les autres facteurs de risque reconnus de NORI sont l'âge (> 60 ans) et la compression initiale des voies optiques par la tumeur [4]. La présence de facteurs de risque cardiovasculaire (diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie) a été suggérée comme facteurs de risque sans jamais atteindre la significativité [8,11,14]. Le type histologique a été suggéré comme associé au risque de NORI: incidence de 0,53% après irradiation d'adénomes hypophysaires [15], 2,04% après irradiation de méningiomes des voies optiques antérieures [16] et 8,7 à 9% après irradiation de cancers du nasopharynx, cavité nasale et sinus paranasaux [17]. Le risque de NORI pourrait être majoré après irradiation d'une acromégalie du fait de l'hyperplasie sinusale associée à ce diagnostic, ce qui majore la dose d'irradiation aux voies optiques antérieures, et de la radiosensibilisation des voies optiques induite par les désordres hormonaux [4].
Traitement
La physiopathologie de la NORI restant mal comprise, aucun traitement efficace n'a pu être démontré à l'heure actuelle  [12].
Concernant le traitement préventif, des études précliniques semblent suggérer une efficacité des inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine lorsqu'ils sont administrés après une radiothérapie stéréotaxique pendant 2 semaines [4,18].
Les traitements curatifs des complications post-radiques en général et des NORI en particulier ont montré une efficacité le plus souvent modeste.
Les corticoïdes restent à ce jour le traitement de première ligne. Leur bénéfice potentiel a été longuement argumenté du fait de leur effet anti-œdémateux, anti-inflammatoire et anti-oxydant. Le raisonnement repose sur l'hypothèse d'une similitude physiopathologique entre la radionécrose cérébrale et la NORI  [12,19]. Plusieurs équipes ont proposé un traitement plus ciblé selon le segment du nerf optique atteint. Dans les atteintes antérieures, le traitement par injections intravitréennes de triamcinolone semble préserver l'acuité visuelle [20]. Dans les formes prolifératives avec néovascularisation papillaire, la stratégie thérapeutique repose sur une photocoagulation panrétinienne et des injections intravitréennes de bévacizumab . Un traitement au long cours est alors nécessaire pour permettre un effet durable [21,22]. Concernant la NORI postérieure, les résultats ne sont pas unanimes, certains décrivant une amélioration sous corticothérapie (associée ou non au traitement par pentoxifillyne et vitamine E), mais d'autres ne retrouvant pas d'efficacité de ce traitement [ 23–25 ] alors que les régimes de traitement étaient variés avec des doses initiales toujours élevées (120 à 500 mg/jour en bolus) suivies d'une décroissance progressive [19,26].
Les résultats de l'anticoagulation dans le traitement de la NORI sont également limités et insatisfaisants  [26]. De plus, des cas de NORI ont été documentés chez des patients déjà anticoagulés pour une pathologie cardiovasculaire [4,27].
L' oxygénothérapie hyperbare , utilisée anciennement dans le traitement de la radionécrose osseuse, a été étudiée comme alternative thérapeutique. La première utilisation dans le traitement de la NORI date de 1986  [4]. En permettant une majoration de la concentration de l'oxygène, elle intervient dans l'arrêt de la nécrose ischémique en stimulant l'activité des fibroblastes, la synthèse de collagène et l'angiogenèse dans le tissu irradié [4,28]. Les études montrent une efficacité seulement si l'instauration a lieu dans les 72 heures suivant le début des symptômes [4,29]. Une stabilisation est possible si l'instauration de l'oxygénothérapie hyperbare a lieu jusque dans les 5 jours suivant le début des symptômes. Au-delà de 14 jours, le bénéfice semble nul [28]. Certains recommandent le caisson hyperbare uniquement en cas de début précoce et sans pâleur de la papille optique [30].
Enfin, le bévacizumab a été testé avec des résultats partiellement satisfaisants dans de petites séries  [31]. Des études contrôlées sont nécessaires pour confirmer cette efficacité d'autant que des cas de NORI induits par le bévacizumab ont également été décrits, notamment chez des patients avec comorbidités cardiovasculaires [21].
Neuropathie optique et thérapies ciblées
Les trois molécules associées à des cas de neuropathie optique sont le bévacizumab (Avastin®), l'imatinib (Glivec®) et le crizotinib (Xalkori®)  [32]. Le bévacizumab est un anticorps monoclonal anti-vascular endothelial growth factor (anti-VEGF) qui induit une inhibition de la néovascularisation péritumorale. L'imatinib est un inhibiteur de la tyrosine kinase ciblant la protéine Bcr-Abl, utilisée avec une excellente efficacité dans le traitement des patients atteints de leucémie myéloïde chronique. Le crizotinib est un inhibiteur de l' anaplastic lymphoma kinase (ALK).
Le diagnostic de neuropathie optique en cas de baisse d'acuité visuelle survenant en cours de traitement par l'une de ces trois molécules, même s'il reste rare, doit être rapidement évoqué, d'autant plus que le pronostic semble favorable, avec une récupération de la fonction visuelle antérieure, en cas de prise en charge rapide par interruption du traitement responsable et mise en place d'une corticothérapie systémique. Parmi tous les cas retrouvés dans la littérature, la fonction visuelle ne s'est pas améliorée chez les patients pour lesquels une corticothérapie systémique n'avait pas été introduite ou bien la prise en charge avait été tardive  [33,34]. Dans le cas de neuropathie optique survenant en cours de traitement par thérapies ciblées, le nerf optique est fréquemment normal à l'IRM [ 35–37 ].
Le premier cas de neuropathie optique associée au bévacizumab (Avastin®) a été décrit en 2008, dans un essai clinique randomisé évaluant l'efficacité de l'Avastin® dans les mélanomes. Parmi les 76 patients traités par cette molécule, un patient avait présenté une neuropathie optique 11 jours après la première injection, tandis que l'IRM était sans anomalie notable. La symptomatologie visuelle avait régressé jusqu'à un retour à l'état antérieur à l'arrêt de l'Avastin® [35]. Parmi 503 patients traités entre 2005 et 2008 en deuxième ligne par Avastin® pour un glioblastome, 6 patients ont développé une neuropathie optique dont 3 avaient un hypersignal du nerf optique à l'IRM. Les mécanismes physiopathologiques évoqués étaient une thrombose artérielle et/ou une radiosensibilisation du nerf optique par l'Avastin® [36]. En 2012, un nouveau cas de neuropathie optique chez une patiente en cours de traitement par docétaxel (Taxotère®)-bévacizumab (Avastin®) pour un cancer du sein métastatique décrivait une baisse d'acuité visuelle survenue après la dixième injection d'Avastin®, initialement unilatérale ayant secondairement évolué vers une bilatéralisation avec à terme une cécité totale, sans amélioration après arrêt de l'Avastin® [33].
L'imatinib (Glivec®) est un inhibiteur de la tyrosine kinase ciblant la protéine Bcr-Abl, il est utilisé avec une excellente efficacité dans le traitement des patients atteints de leucémie myéloïde chronique. En 2006, il a été décrit un patient ayant présenté, 25 jours après l'introduction du Glivec®, une neuropathie optique bilatérale dont la symptomatologie avait totalement régressé après son arrêt et la mise en place d'une corticothérapie orale. Une reprise du traitement par Glivec® avait été tentée mais avec une récidive rapide, résolutive après arrêt définitif du Glivec® [37]. Un autre cas a été décrit de neuropathie optique survenue après 51 mois de traitement par Glivec® et ayant totalement régressé après son arrêt et un traitement par corticothérapie orale [46].
Le crizotinib (Xalkori®) est un inhibiteur de l'ALK. Une patiente de 69 ans, traitée par Xalkori® pour un adénocarcinome pulmonaire métastatique cérébral, a développé 3 mois après l'introduction du traitement une neuropathie optique bilatérale avec hypersignal des nerfs optiques à l'IRM. L'interruption du traitement par Xalkori® n'a pas permis d'amélioration de la neuropathie optique et sa réintroduction l'a aggravée [34]. Dans la section «mises en garde et précautions d'emploi » du Xalkori®, l'incidence des baisses d'acuité visuelle sévères est estimée à 0,2% avec une mention particulière concernant les affections du nerf optique [32,47].
Neuropathie optique et immunothérapies spécifiques
Les inhibiteurs de checkpoints immuns (ICI) agissent au niveau de la régulation de l'immunité antitumorale et comprennent les anti-CTLA4 (ipilimumab) et les anti-PD1 (nivolumab, pembrolizumab)/anti-PDL1 (durvalumab, atézolizumab)  [38]. L'incidence des événements de toxicité ophtalmologique des ICI est inférieure à 1% [39].
Le mécanisme physiopathologique en cause dans les neuropathies optiques en cours de traitement par ICI est probablement auto-immun. En effet, les ICI bloquent l'inhibition lymphocytaire T et ainsi stimulent la réponse immunologique contre les cellules tumorales, ce qui peut aboutir à des phénomènes inflammatoires auto-immuns et nécessiter une inhibition de l'activité lymphocytaire T par des corticoïdes ou autres immunosuppresseurs [40,41]. Des recommandations pour la gestion des toxicités liées aux ICI ont été publiées en 2019: dans tous les cas de toxicité sévère, la molécule responsable doit rapidement être arrêtée et une corticothérapie systémique mise en place, intraveineuse puis orale, à la dose de 1mg/kg/jour suivie d'une décroissance progressive. Dans les cas où cette prise en charge ne permet pas une régression complète des symptômes, d'autres immunosuppresseurs peuvent être utilisés [42]. Cette prise en charge permet un excellent pronostic des neuropathies optiques induites par les ICI puisque la récupération de la fonction visuelle était complète dans tous les cas décrits. En cas de reprise évolutive tumorale, se pose la question d'une reprise d'un traitement par ICI, et ce d'autant que toxicité et efficacité des ICI semblent corrélées [43,44]. Cependant, si l'on utilise un traitement par anti-PD1, le risque de toxicité après une toxicité sévère à l'ipilimumab (anti-CTLA4) [43] est faible car les anticorps anti-CTLA4 et anti-PD1/PDL1 activent le système immunitaire à des niveaux différents. Six mois après la régression complète des symptômes, un cas de neuropathie optique sous ipilimumab a ainsi pu être traité par nivolumab sans récidive [45].
On recense dans la littérature trois cas de névrite optique associée aux anti-CTLA4 (fig. 4-37
Fig. 4-37
Neuropathie optique chez une patiente traitée par ipilimumab.a.Coupe coronale T2, nerfs optiques de taille discrètement augmentée (flèches) mais de signal normal. b, c.Coupes millimétriques coronales et axiales T1 spin écho injecté avec suppression du signal de la graisse, rehaussement bilatéral intense et étendu des nerfs optiques (flèches) associé à une atteinte des régions papillaires (têtes de flèches). d.Échographie de l'œil gauche en modeB, avec sonde à haute fréquence, saillie papillaire importante (tête de flèche). e.IRM de suivi à 1mois en T1 injecté avec suppression du signal de la graisse, montrant une régression complète des anomalies après arrêt du traitement et corticothérapie.
Source: J.Savatovsky.
)  [40,45,48]. La symptomatologie était unilatérale pour un cas et bilatérale pour deux. Dans tous les cas, le pronostic était bon puisque les patients ont récupéré leur fonction visuelle antérieure à l'arrêt de l'ipilimumab et à la mise en place d'une corticothérapie. Cependant, dans un des cas, la symptomatologie visuelle est restée dépendante d'une corticothérapie systémique malgré un traitement par mycophénolate mofétil [40]. Dans un autre cas, la récupération de la fonction visuelle a pu se faire sous corticothérapie locale uniquement, sans interruption du traitement par ipilimumab [48]. Dans le troisième cas enfin, la récupération visuelle est restée stable et complète après corticothérapie systémique et 10 séances d'échange plasmatique, et un traitement par nivolumab a pu être introduit 6 mois après l'épisode sans récidive de la symptomatologie visuelle [45]. De façon notable, dans deux des cas, la névrite optique était associée à une atteinte inflammatoire d'une autre zone du système nerveux: hypophysite [40] ou méningoradiculite [45].
Nous avons pu recenser dans la littérature deux cas de névrite optique associés aux anti-PDL1  [44,42]. Dans un cas, l'atteinte était unilatérale, dans l'autre, elle était bilatérale. Chez les deux patients, la symptomatologie a été totalement résolutive après arrêt de la molécule et traitement par corticothérapie systémique, sans rechute à l'arrêt des corticoïdes.
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4.8. Atteintes visuelles paranéoplasiques

F.-X. Borruat

Points importants
  • Il faut savoir évoquer la possibilité d'une étiologie paranéoplasique face à une perte visuelle inexpliquée, surtout chez un patient âgé de plus de 45 ans et lorsque l'atteinte est bilatérale.
  • Les symptômes d'une rétinopathie paranéoplasique incluent des photopsies, une cécité nocturne, une photophobie, une baisse d'acuité visuelle, une dyschromatopsie, une restriction concentrique du champ visuel. Les rétinopathies paranéoplasiques peuvent être à fond d'œil normal ( cancer-associated retinopathy [CAR], melanoma-associated retinopathy [MAR], dystrophie des cônes), ou à fond d'œil pathologique et pathognomonique ( bilateral diffuse uveal melanocytic proliferation [BDUMP], rétinopathie vitelliforme paranéoplasique). Les signes et symptômes de ces rétinopathies paranéoplasiques varient selon la dysfonction cellulaire primaire : cônes, bâtonnets, cellules bipolaires, épithélium pigmentaire, mélanocytes uvéaux.
  • Une neuropathie optique paranéoplasiquese manifeste par une perte visuelle subaiguë (baisse d'acuité visuelle, dyschromatopsie, scotome central) et l'examen montrera souvent une réaction cellulaire vitréenne et une turgescence papillaire.
  • Des nodules cotonneux rétiniens peuvent se retrouver en présence d'un état d'hypercoagulabilité paranéoplasique (le syndrome de Trousseau).
  • Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence de la tumeur primaire, souvent occulte. Il importe d'effectuer un diagnostic le plus précocement possible, le pronostic vital et visuel pouvant en être influencé favorablement. La recherche d'anticorps spécifiques est utile mais non nécessaire, prenant parfois plusieurs semaines.
  • Une prise en charge rapide de la tumeur primaire est primordiale : chirurgie, chimiothérapie, immunothérapie, radiothérapie. Il n'y a pas de médecine fondée sur les preuves pour le traitement spécifique de la perte visuelle paranéoplasique. Les options thérapeutiques incluent: corticostéroïdes, immunoglobulines intraveineuses, plasmaphérèse, immunothérapie.
Introduction
Une altération paranéoplasique de la vision est un phénomène rare et constitue un défi diagnostique. Toute tumeur maligne est susceptible de provoquer des manifestations à distance par des métastases, mais aussi par un phénomène paranéoplasique. Depuis la description princeps d'un syndrome paranéoplasique neurologique par H. Oppenheim en 1888, de nombreux autres types de manifestations ont été décrits, notamment des syndromes endocriniens, mucocutanés, neurologiques, hématologiques ou ophtalmologiques [1,2]. Un phénomène paranéoplasique systémique touche 2 à 20 % des patients atteints de tumeur maligne. Les atteintes peuvent résulter de la présence d'auto-anticorps spécifiques ou de la sécrétion de peptides, d'hormones ou de facteur de croissance cellulaire par la tumeur primaire.
La vision peut être altérée par une dysfonction des photorécepteurs ou des cellules ganglionnaires et/ou de leurs axones. Elle peut se présenter soit chez un patient dont la tumeur primaire est occulte, encore asymptomatique, soit chez un patient connu pour une tumeur diagnostiquée et traitée souvent au stade métastatique.
Atteintes paranéoplasiques rétiniennes primaires
Dans ce type d'atteinte, ce sont les photorécepteurs ou leurs connexions qui sont la cible primaire de l'agression paranéoplasique. Parfois, seuls les cônes ou les bâtonnets sont atteints ; le plus souvent, ce sont tous les photorécepteurs qui sont concernés.
Rétinopathie diffuse ( cancer-associated retinopathy [CAR])
Il s'agit de l'atteinte visuelle paranéoplasique la plus fréquente. La CAR résulte de l'antigénicité croisée entre un antigène tumoral exprimé en surface cellulaire et la recoverine, une protéine de 23 kDa présente dans tous les photorécepteurs [3,4]. La recoverine régule la phosphorylation de la rhodopsine et son blocage par des anticorps entraîne l'apoptose des photorécepteurs, cônes et bâtonnets. La CAR est souvent associée à un carcinome pulmonaire à petites cellules, mais est retrouvée dans n'importe quelle autre tumeur maligne (sein, ovaire, rein, œsophage, pancréas). La présentation classique est celle d'un patient de 45 à 65 ans qui se plaint de photopsies, photophobie, dyschromatopsie, baisse d'acuité visuelle et cécité nocturne, traduisant la dysfonction des cônes et des bâtonnets. Initialement, un scotome annulaire est détecté, évoluant rapidement vers une restriction concentrique. Le défi pour le clinicien est que l'examen du fond d'œil est initialement normal ou ne montre qu'un rétrécissement modéré du calibre des vaisseaux rétiniens (fig. 4-38
Fig. 4-38
Cancer-associated retinopathy (CAR).Le patient présente une diminution rapidement progressive de sa fonction visuelle avec une impression d'assombrissement de sa vision et une réduction concentrique du champ visuel. Le champ visuel montre un rétrécissement concentrique sévère(c, d), et le fond d'œil est normal(a, b), ne laissant pas suspecter la présence d'une rétinopathie diffuse. Par la suite, une réduction du calibre vasculaire deviendra visible.
). L'évolution se fait vers une pâleur papillaire. La confirmation d'une rétinopathie diffuse se fera par un électrorétinogramme (ERG) full-field (fig. 4-39
Fig. 4-39
Exemples d'électrorétinogramme (ERG) full-field.Les deux lignes supérieures reflètent la réponse de la rétine après une stimulation en condition scotopique: réponse pure des bâtonnets pour la ligne supérieure ; réponse mixte (bâtonnets et cônes) pour la deuxième ligne. Les deux lignes inférieures reflètent la réponse globale de la rétine après une stimulation en condition photopique (réponse pure des cônes). Normal= ERG d'un patient normal. CAR= ERG d'un patient atteint de CAR (cancer-associated retinopathy). L'ERG est non détectable, quel que soit le stimulus, traduisant une dysfonction sévère des bâtonnets et des cônes. MAR= ERG d'un patient atteint de MAR (melanoma-associated retinopathy). L'ERG scotopique simple (ligne supérieure) est non détectable, alors que l'ERG scotopique mixte (deuxième ligne) montre une ondea préservée, mais une ondeb absente (ERG électronégatif). La fonction des cônes est normale ou peu altérée. Cone= ERG d'un patient atteint de dystrophie des cônes. L'ERG scotopique est préservé alors que l'ERG photopique est non détectable.
).
Dystrophie isolée des cônes
Une dysfonction isolée paranéoplasique des cônes est possible mais très rare. Ce diagnostic est évoqué devant des symptômes évocateurs de dysfonction photopique (photopsies, photophobie, dyschromatopsie, baisse d'acuité visuelle) et est confirmé par un ERG full-field qui montrera une atteinte spécifique des cônes, les bâtonnets étant épargnés (voir fig. 4-39)  [5,6].
Dysfonction isolée du système scotopique ( melanoma-associated retinopathy [MAR])
Cette atteinte diffère des deux précédentes, car les anticorps responsables de la dysfonction du système scotopique ne sont pas dirigés directement contre les bâtonnets mais contre les cellules bipolaires des bâtonnets. La présentation classique est celle d'un patient connu pour un mélanome non oculaire, préalablement traité et souvent au stade métastatique. Les symptômes sont initialement une cécité nocturne et des photopsies  [ 7–9 ]. L'acuité visuelle est souvent préservée même au stade relativement avancé. La suspicion clinique est confirmée par un ERG full-field qui démontre un ERG électronégatif témoignant d'une dysfonction de la rétine interne: ondea préservée mais ondeb absente ou très altérée (voir fig. 4-39). Un ERG électronégatif n'est toutefois pas pathognomonique d'une MAR, pouvant se rencontrer en cas de cécité nocturne congénitale stationnaire, de rétinoschisis lié au sexe et de toxicité de la vincristine, notamment.
Atteintes secondaires des photorécepteurs
Dans ce type de rétinopathie paranéoplasique, la perte de la fonction visuelle résulte de la l'interaction perturbée des photorécepteurs avec l'épithélium pigmentaire par prolifération cellulaire ou par la présence de substances anormales/toxiques, au niveau choroïdien ou rétinien.
Bilateral diffuse uveal melanocytic proliferation (BDUMP)
La dysfonction visuelle des patients atteints de BDUMP diffère de celle des rétinopathies décrites auparavant. La baisse visuelle initale résulte d'une hypermétropisation, liée à un épaississement choroïdien induit par une prolifération de cellules mélanocytaires bénignes. Rapidement, l'acuité visuelle n'est plus améliorable par correction optique en raison de la dysfonction secondaire des photorécepteurs, responsable aussi de l'atteinte campimétrique. Le BDUMP survient essentiellement chez des patients présentant une tumeur primaire occulte  [10,11]. Le fond d'œil montre des lésions rétiniennes profondes orangées ainsi qu'un œdème maculaire (fig. 4-40
Fig. 4-40
Bilateral diffuse uveal melanocytic proliferation (BDUMP).a, b.L'examen du champ visuel montre une diminution importante de sensibilité aux deux yeux, surtout marquée en supérieur. c, d.Le fond d'œil révèle la présence de multiples lésions rétiniennes nummulaires profondes, parfois coalescentes, entourant l'aire maculaire sur 360°. e, f.En angiographie à la fluorescéine, les lésions rétiniennes profondes apparaissent, en hyperfluorescence, de manière plus intense et coalescente surtout dans la rétine inférieure. De plus, un œdème maculaire et une fuite de fluorescéine au niveau papillaire sont visibles aux deux yeux. g, h.En OCT, les lésions rétiniennes profondes se traduisent soit par une interruption de la couche ellipsoïde, soit par un épaississement sous-rétinien.
Source: A.Schalenbourg.
), puis des nævi choroïdiens peuvent être observés. Une cataracte ainsi qu'une dilatation et une tortuosité des vaisseaux conjonctivaux et épiscléraux complètent le tableau clinique. Le mécanisme incriminé est la sécrétion par la tumeur primaire d'un facteur de croissance cellulaire ( cultured melanocyte elongation and proliferation factor ou CMEP factor ) stimulant la croissance des mélanocytes choroïdiens [11,12]. Une plasmaphérèse précoce peut permettre d'enrayer le processus de destruction de la neurorétine, si le traitement est appliqué tôt [12]. Le pronostic vital d'un patient avec BDUMP est sombre, la survie moyenne après apparition des premiers symptômes visuels étant de 18mois.
Rétinopathie vitelliforme paranéoplasique
Dans cette rétinopathie, la dysfonction des photorécepteurs est secondaire à la présence de dépôts blanchâtres épais et homogènes dans la couche ellipsoïde et des interdigitations, entraînant le développement de multiples bulles de décollement rétinien. Cette atteinte est rare, toujours associée à la présence d'un mélanome métastatique, qu'il soit non oculaire ou choroïdien. Comme pour le BDUMP, l'aspect fundoscopique est pathognomonique : lésions arrondies de décollement bulleux rétinien avec des dépôts blanchâtres inférieurs, de type vitelliforme. Un examen par imagerie multimodale confirme ce diagnostic: en pseudo-infrarouge, les bulles sont mieux visibles ; en autofluorescence, les dépôts intrarétiniens blanchâtres sont hyperfluorescents ; en OCT, l'épaississement de la zone ellipsoïde est évident (fig. 4-41
Fig. 4-41
Rétinopathie vitelliforme paranéoplasique.Exemple de deux patients atteints de rétinopathie vitelliforme paranéoplasique dans le cadre d'un mélanome cutané au stade métastatique. Les deux yeux étaient atteints de manière similaire, seul l'œil gauche de chaque patient est montré. a, c, e.Patient au stade précoce de la rétinopathie, asymptomatique avec une acuité visuelle abaissée à9/10. Les dépôts intrarétiniens vitelliformes visibles au pôle postérieur(a) sont hyperautofluorescents(c). L'examen en OCT révèle un épaississement modéré de la couche ellipsoïde avec deux zones paramaculaires de faible décollement rétinien(e). b, d, f.Patient symptomatique, à un stade plus avancé de la rétinopathie. L'acuité visuelle est à3/10 et il existe une vaste bulle de décollement rétinien maculaire avec présence de matériel vitelliforme en inférieur(b). Le matériel vitelliforme est hyperautofluorescent(d). L'OCT montre non seulement le décollement de la macula, mais également l'important épaississement de la couche ellipsoïde(f).
Source: fig. b, d et f, adapté de Meier. © Georg Thieme Verlag KG. [].
). Les anticorps q identifiés sont dirigés contre une protéine rétinienne de 45kDa de l'épithélium pigmentaire et la neurorétine ( pigment epithelium-derived factor [PEDF]) [13,14]. Le pronostic visuel est en règle générale meilleur que pour les autres rétinopathies paranéoplasiques, le traitement agressif de la tumeur primaire/métastase permettant d'inverser parfois le cours de cette rétinopathie [14].
Neuropathies optiques paranéoplasiques : atteinte primaire des cellules ganglionnaires rétiniennes et/ou de leurs axones
La neuropathie optique paranéoplasique est non seulement rare, mais aussi rarement isolée et le patient montre fréquemment des signes d'atteinte neurologique telle qu'une dysfonction cérébelleuse, une atteinte des nerfs crâniens, un nystagmus, une polyneuropathie. La ponction lombaire retrouve une protéinorachie et/ou une cellularité augmentées  [6]. La neuropathie optique se manifeste généralement par une perte importante de la fonction visuelle de manière aiguë ou subaiguë. L'examen du fond d'œil peut montrer la présence de cellules dans le vitré et aussi la présence d'une turgescence papillaire bilatérale. Les résultats de l'ERG full-field ou multifocal sont normaux, alors que les résultats de PEV sont très altérés.
Atteintes paranéoplasiques combinées associant une rétinopathie et une neuropathie optique
La perte de la vision peut parfois résulter d'un double mécanisme paranéoplasique. La rétinopathie, suspectée devant des symptômes visuels attestant d'une dysfonction scotopique et/ou photopique, est confirmée par une atteinte de l'ERG. La neuropathie optique est suspectée par l'aggravation soudaine de la fonction visuelle, par la présence d'un œdème papillaire bilatéral et une réaction cellulaire dans le vitré (fig. 4-42
Fig. 4-42
Dystrophie paranéoplasique des cônes et neuropathie optique.a.Restriction concentrique modérée du champ visuel chez un patient qui se plaint de photophobie et montre une importante baisse d'acuité visuelle et une dyschromatopsie acquise. Initialement, l'examen du fond d'œil est flou en raison d'une hyalite modérée, mais révèle une légère turgescence papillaire bilatérale [6].L'évolution se fait vers une maculopathie de type bull's eye après quelques mois(b, c) plus facilement visible par angiographie rétinienne à la fluorescéine(d, e).
). Les PEV seront forcément pathologiques en présence d'une atteinte rétinienne centrale sévère. Le mécanisme d'un tel tableau paranéoplasique combiné résulte de la présence d'anticorps circulants  [6,16].
Manifestations paranéoplasiques asymptomatiques
Le syndrome de Trousseau est responsable d'un état d'hypercoagulabilité. Sur le plan systémique, il se manifeste par des emboles artériels (endocardite non bactérienne) et/ou par des thrombophlébites. Des accidents vasculaires ischémiques cérébraux et cérébelleux ont été décrits. Ces patients peuvent présenter des nodules cotonneux rétiniens migrant (fig. 4-43
Fig. 4-43
Exsudats cotonneux dans le cadre d'un syndrome de Trousseau.a, b.Le patient est asymptomatique sur le plan visuel. L'examen du fond d'œil révèle la présence de multiples exsudats cotonneux au pôle postérieur des deux yeux. c, d.Un mois plus tard, de nouveaux exsudats cotonneux sont visibles (flèches), alors que les exsudats cotonneux initialement présents ont disparu ou sont en voie de disparaître.
Source: figure adaptée de Kheir V, Borruat FX. Cotton wool spots as a silent manifestation of Trousseau's syndrome. 2017 ; 234: 541–2. © Georg Thieme Verlag KG.
), asymptomatiques, mais un accident ischémique rétinien ou papillaire significatif est potentiellement possible avec atteinte de la vision centrale et/ou du champ visuel  [17].
Conclusion
Les pertes visuelles paranéoplasiques sont rares et leurs principales caractéristiques sont résumées dans le tableau 4-11
Tableau 4-11
Caractéristiques principales des atteintes visuelles paranéoplasiques.
CAR Cônes MAR BDUMP Vitelliforme NOP Mixte
Photopsies + + + + (+)
Photophobie + + (+)
Cécité nocturne + + + (+)
BAV (+) + (+) + + +
Dyschromatopsie (+) + + +
Hyalite + +
Œdème papillaire + +
Artères fines + + + (+)
Œdème maculaire + +
Atrophie maculaire +
Anomalies ERG + + + (+) (+) (+)
Anomalies LCS + +
CAR:  ; cônes: dystrophie des cônes ; MAR:  ; BDUMP:  ; Vitelliforme: rétinopathie vitelliforme paranéoplasique ; NOP: neuropathies optiques paranéoplasiques ; Mixte: paranéoplasique combinée associant une rétinopathie et une neuropathie optique ; BAV: baisse d'acuité visuelle ; ERG: électrorétinogramme ; LCS: liquide cérébrospinal.
. Le pronostic visuel peut être influencé par un diagnostic précoce, et le pronostic vital peut être engagé par un diagnostic tardif. Il convient donc de garder à l'esprit cette possibilité diagnostique devant toute perte visuelle bilatérale inexpliquée ou atypique, surtout chez un patient âgé de plus de 45 ans. Une rétinopathie paranéoplasique doit être suspectée cliniquement et confirmée par ERG, angiographie rétinienne et OCT. Sitôt une étiologie paranéoplasique suspectée, il faut impérativement rechercher un foyer de tumeur primaire avec un scanner thoraco-abdomino-pelvien, des examens spécialisés (cutané, urologique, gynécologique, notamment), et éventuellement un PET scan du corps entier. Si des anticorps spécifiques peuvent être recherchés, il ne faut pas attendre leur résultat pour établir le diagnostic.
Les options thérapeutiques incluent corticostéroïdes, anticorps monoclonaux, immunoglobulines intraveineuses ou plasmaphérèse. Le traitement agressif et précoce de la tumeur primaire/métastase est évidemment nécessaire et suffit parfois pour stopper la progression de la perte visuelle ou même l'inverser  [14].
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4.9. Neuropathies optiques traumatiques

L. Jeanjean

Points importants
  • Les neuropathies optiques traumatiques peuvent être de mécanisme direct ou indirect.
  • Le scanner cérébral et orbitaire est très utile en urgence pour en faire le bilan, complété secondairement par une IRM orbitaire et encéphalique.
  • Le taux de récupération spontanée varie de 40 à 60 %.
Quoi de neuf ?
  • Aucun traitement n'a démontré sa supériorité par rapport à l'évolution naturelle.
  • Les corticostéroïdes sembleraient être délétères à fortes doses surtout en cas de traumatisme crânien associé.
  • La chirurgie peut se discuter en cas de fracture du canal optique, d'œdème du nerf optique ou d'hématome compressif des gaines du nerf optique, mais elle n'est pas dénuée de risque.
Introduction
Les neuropathies optiques traumatiques après choc direct ou indirect peuvent entraîner des pertes sévères et irréversibles de la vision. C'est Hippocrate en personne qui a décrit le premier un cas de baisse d'acuité visuelle suivant un traumatisme facial  [1]. Ce chapitre abordera la classification des neuropathies optiques traumatiques, leurs différents tableaux cliniques, les investigations à réaliser ainsi que les différentes thérapeutiques à disposition pour les traiter.
Classification
Les neuropathies optiques traumatiques (NOT) peuvent être classées selon leur mécanisme causal en NOT directes et NOT indirectes  [2].
On parlera de NOT directes si un projectile ou un objet tranchant atteint directement le nerf optique – arme blanche, esquille osseuse lors des fractures orbitaires, outil chirurgical lors d'une chirurgie sinusienne, par exemple–, mais également en cas d'hémorragie ou d'emphysème orbitaire comprimant le nerf optique [3].
Les NOT indirectes sont les plus fréquentes, leur prévalence rapportée varie entre 0,5 et 5% selon les études [2,3]. Elles peuvent survenir lors d'un traumatisme crânien, frontal ou touchant la région sus-orbitaire externe ou orbitomalaire [4].
Bien que le mécanisme de la NOT indirecte ne soit pas parfaitement cerné, la physiopathologie cellulaire et biochimique des traumatismes cérébraux et médullaires a permis de mieux comprendre les mécanismes pouvant intervenir dans la NOT. Ainsi, la déformation du toit orbitaire homolatéral près du foramen optique peut léser le système vasculaire de soutien du nerf optique et peut aussi causer un cisaillement du nerf optique.
L' avulsion du nerf optique (fig. 4-44
Fig. 4-44
Avulsion du nerf optique droite.On remarque les très nombreuses hémorragies vitréennes et rétiniennes, en particulier en péripapillaire, ainsi que l'aspect ischémique et blanchâtre de la rétine. On devine l'orifice papillaire.
Source: C. Cochard.
) est un cas particulier qui correspond à une séparation totale ou partielle du nerf optique d'avec le globe oculaire. Elle peut survenir après une plaie (par arme blanche, balle, etc.) au niveau de la lame criblée ou après un traumatisme sans plaie par rotation ou déplacement antérieur brutal du globe  [5].
Dans une revue de 2012, Magarakis rapporte que les fractures du complexe zygomaticomaxillaire sont le type de fracture le plus souvent compliqué d'atteinte visuelle  [6]. Dans une étude d'Anseri portant sur 2503 patients victimes de fractures faciales, les principales causes de cécité étaient par ordre de fréquence décroissante: les hématomes orbitaires rétrobulbaires, les chocs directs au niveau du globe oculaire, les lacérations et les compressions du nerf optique [7].
Tableaux cliniques
La clinique est variable en fonction du mécanisme lésionnel.
En cas d' avulsion complète du nerf optique , le patient présente une cécité complète et définitive, on retrouve au fond d'œil une hémorragie prépapillaire intravitréenne plus ou moins dense et une séparation entre la rétine et le nerf optique avec une interruption de la circulation rétinienne (voir fig. 4-44). En cas d'avulsion partielle, le tableau est moins brutal, la baisse d'acuité visuelle est variable. On retrouve une dépression segmentaire de la papille bordée par des hémorragies péri- ou prépapillaires  [5].
En cas de traumatisme direct , la baisse d'acuité visuelle est variable avec une possible aggravation secondaire. On peut retrouver un « syndrome de loge » lié à la présence d'un hématome orbitaire compressif sur le nerf optique et visible sur l'imagerie.
En cas de traumatisme indirect , le diagnostic peut être délicat car l'examen ophtalmologique est normal en dehors d'un DPAR très évocateur dans ce contexte mais qu'il faut penser à rechercher systématiquement avant dilatation. Toutefois, en cas d'atteinte bilatérale symétrique, le DPAR est absent. Parfois, le diagnostic peut être retardé en cas de traumatisme crânien grave, notamment en cas de troubles de la conscience.
Au niveau clinique , l'atteinte du nerf optique entraîne une baisse variable de l'acuité visuelle, une altération du champ visuel et de la vision des couleurs. Par la suite, une pâleur papillaire variable en fonction du tableau surviendra en 4 à 6 semaines.
Examens complémentaires
Les examens complémentaires ne servent pas uniquement à diagnostiquer la NOT, ils sont utiles pour mettre en évidence des atteintes associées intra- et/ou extra-oculaires, orbitaires et maxillofaciales (hémorragies intracrâniennes, hématomes intra-orbitaires, fractures du massif facial, etc.) ; ils ont également une valeur médico-légale.
  • Scanner cérébral (fig. 4-45
    Fig. 4-45
    Homme de 22ans présentant un traumatisme crânien à la suite d'un accident de la voie publique.L'acuité visuelle gauche constatée au réveil est limitée à «compte les doigts » à 50cm. L'examen retrouve un DPAR gauche et le fond d'œil est normal. Le scanner en fenêtre osseuse montre une fracture du canal optique gauche avec esquille osseuse (flèche). a.Vue axiale. b.Reconstruction sagittale.
    ) sans injection centré sur les orbites avec des reconstructions axiales, coronales et sagittales montrant à la fois les parties molles et l'os en haute résolution : il a une place importante en cas de traumatisme oculaire et/ou orbitaire. Il permet de mettre en évidence des lésions oculaires (déformation du globe, avulsion du nerf optique, corps étrangers, etc.) et des lésions extra-oculaires (fractures, hématome intra-orbitaire, etc.). Les corps étrangers sont bien visibles sur les coupes orbitaires du scanner, il faut toutefois noter que les petits corps étrangers en verre ou en bois peuvent passer inaperçus.
  • IRM  : elle sera plus performante pour la visualisation des tissus mous, mais elle est contre-indiquée en cas de suspicion de corps étranger métallique (fig. 4-46
    Fig. 4-46
    Enfant de 8ans présentant une contusion oculaire droite par une poignée de porte.Absence de perception lumineuse (PL) d'emblée. L'IRM des voies visuelles antérieures en reconstruction axiale montre un hypersignal focal enT2 à l'apex évoquant une section du nerf optique.
    ). On note également dans la littérature des critères diagnostiques en IRM (en diffusion tension imaging [DTI]) qui seraient corrélés au degré de lésion du nerf optique [8].
  • Échographie en mode   B  : elle peut être utile, mais elle ne doit pas être pratiquée en cas de plaie du globe.
  • PEV  : il est licite dans certains cas de réaliser des PEV [9]. En effet, il a été démontré dans ce contexte de NOT que l'amplitude des PEV flashs était un facteur pronostique à long terme.
  • OCT  : il permet de quantifier non seulement la perte axonale optique mais aussi celle des cellules ganglionnaires. Kanamori a rapporté une atteinte de la couche des fibres nerveuses de la rétine péripapillaire ( peripapillary retinal nerve fiber layer [pRNFL]) et du complexe cellulaire ganglionnaire dès la 2e semaine après le traumatisme avec une perte axonale séquellaire stable à partir de la 20e semaine [10]. L'OCT n'est pas toujours réalisable en phase aiguë et ne sera possible que lorsque le patient pourra être assis.
Prise en charge
La prise en charge des NOT reste actuellement controversée et de multiples approches ont été proposées : surveillance simple, traitement médical et/ou chirurgical. Un taux de récupération de   40 à 60 % a été rapporté dans les cas de NOT sans autre traitement que la surveillance, le facteur pronostique principal étant l'acuité visuelle initiale [11,12]. Ce taux important de récupération spontanée complique l'interprétation des différentes études thérapeutiques, souvent rétrospectives et reposant sur de courtes séries.
Corticoïdes
Les corticoïdes ont été utilisés pour traiter les NOT depuis les années 1980 à la suite d'études sur l'animal prouvant leur effet neuroprotecteur en post-traumatique  [13]. Il est cependant à noter que ces études étaient non randomisées, rétrospectives et qu'il est difficile d'en tirer des conclusions solides.
Trois études randomisées –  National Acute Spinal Cord Injury Study (NASCIS)I, II etIII– ont permis d'évaluer l'intérêt des corticoïdes à haute dose dans le traitement des lésions de la moelle épinière [14,15]. Il est cependant difficile de transposer leurs résultats au traitement des NOT tant il existe des différences anatomiques entre ces organes. Dans l'étude randomisée en double aveugle de Rajiniganth, comparant les corticoïdes intraveineux à haute dose à un placebo pour le traitement des NOT récentes, il n'a pas été retrouvé de différence significative entre les deux groupes de patients [16]. Cette absence d'efficacité a été confirmée par différentes études ultérieures qui ne permettent pas de retrouver d'effet bénéfique des corticoïdes à haute dose. Il faut également noter qu'ils ne sont pas dénués d'effets secondaires surtout en cas de traumatisme crânien associé. Ainsi, l'étude multicentrique randomisée CRASH ( corticosteroid randomisation after significant head injury ) qui testait l'efficacité et la sûreté d'utilisation des corticoïdes à hautes doses chez le traumatisé crânien a dû être arrêtée en raison du risque accru de décès 2 semaines après le début du traitement dans le groupe traité [17,18]. D'autres complications peuvent survenir plus volontiers avec de hautes doses de corticostéroïdes (hémorragies, pneumonies, pancréatite, sepsis, psychose, etc.).
Dans la littérature, il n'existe donc pas de preuves de l'utilité des corticoïdes au cours des neuropathies optiques traumatiques et il semblerait même qu'ils soient délétères à fortes doses, surtout en cas de traumatisme crânien associé.
Chirurgie
La chirurgie a pour but de décomprimer le nerf optique. Différentes options sont envisageables selon le tableau clinique : chirurgie du canal optique en cas de fracture à ce niveau, fenestration du nerf optique s'il existe un hématome de ses gaines, évacuation d'un hématome orbitaire. L' International Optic Nerve Trauma Study (IONTS) est une étude non randomisée, multicentrique qui a inclus 133 patients présentant une NOT [19]. Elle comportait trois bras: surveillance simple, traitement médical (méthylprednisolone) et traitement chirurgical (décompression du canal optique). Il n'apparaît finalement aucun bénéfice des hautes doses de corticoïdes ou de la décompression systématique du canal optique par rapport à la surveillance simple.
La chirurgie n'est bénéfique qu'en cas de fracture du canal optique, œdème du nerf optique ou hématome des gaines, mais elle n'est pas dénuée de risque (lésion de l'artère ophtalmique, lésion de la carotide, fuite de liquide cérébrospinal, méningite, etc.)  [20]. Certains auteurs ont proposé la décompression endoscopique du nerf optique par voie endonasale transphénoïdale, cette voie ne laissant pas de cicatrice visible mais cette approche n'a pas montré sa supériorité par rapport à la surveillance simple [21]. Elle doit être évitée en cas de suspicion de brèche méningée ou en cas d'épistaxis associée à la NOT en raison du risque de faux anévrisme post-traumatique de la carotide interne intracaverneuse qui doit être recherché par angioscanner puis embolisé.
Perspectives thérapeutiques
L'utilisation de l'érythropoïétine en intraveineux pourrait être une nouvelle option thérapeutique dans le cadre des NOT. Toutefois, une étude de phase III n'a permis de mettre en évidence qu'une amélioration significative la vision des couleurs sans amélioration des autres critères, et sans effets secondaires notables [22].
Conclusion
Le pronostic des NOT est variable, pouvant entraîner la cécité de l'œil concerné. Il est important de diagnostiquer rapidement les NOT pour adapter la prise en charge. Le traitement des NOT reste actuellement controversé, notamment le traitement par corticoïdes qui n'a pas été validé à ce jour dans cette indication. La décompression chirurgicale est indiquée en cas de compression avérée du nerf optique.
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4.10.
Atrophie optique

E. Tournaire-Marques

Points importants
  • Le bilan d'une atrophie optique dépend des circonstances de découverte.
  • Face à une atrophie optique dont l'évolutivité est incertaine, il convient de rechercher une cause ophtalmologique ou neurologique par un examen oculaire complet, une IRM cérébrale et des voies visuelles et un bilan sanguin.
  • Face à une atrophie optique ancienne et non évolutive, il n'y a aucun bilan à faire dès lors qu'on a récupéré et relu les éléments des bilans antérieurs (y compris les imageries).
  • En cas de découverte fortuite d'une atrophie optique sans retentissement visuel, une IRM orbitaire et cérébrale injectée sera prescrite. Dans tous les cas, le suivi doit être adapté à la situation clinique
Quoi de neuf ?
La définition et le diagnostic positif d'une atrophie optique n'ont pas changé. Les avancées dans le domaine de l'imagerie oculaire (OCT) et cérébrale (IRM), de l'immunologie et de la génétique permettent plus souvent d'obtenir un diagnostic étiologique.
Définition
L'atrophie est une diminution de la taille ou du volume d'un membre, d'un organe ou d'un tissu. L'atrophie du nerf optique correspond donc à une diminution de son volume visible au fond d'œil sous la forme d'une pâleur papillaire ou mesurable en OCT.
En pratique clinique, l'atrophie optique témoigne d'une neuropathie optique ancienne dont la découverte est parfois fortuite.
Elle s'observe suite à une mort des cellules ganglionnaires rétiniennes constituant le nerf optique. La lésion causale peut être localisée n'importe où depuis le corps cellulaire situé dans la couche interne de la rétine jusqu'à la terminaison synaptique située dans le noyau géniculé latéral  [1]. Dans certains cas, la lésion à l'origine de l'atrophie optique est située après la synapse, notamment au niveau du cortex visuel primaire dans le lobe occipital, l'atrophie résulte alors de la dégénérescence trans-synaptique rétrograde [2,3]. De même, une atteinte rétinienne sévère et ancienne peut engendrer une atrophie optique par dégénérescence trans-synaptique antérograde.
Diagnostic
Classiquement, le diagnostic d'une atrophie optique se fait par l'examen attentif de la coloration de la tête du nerf optique lors de l'examen du fond d'œil. Cet examen montre alors une pâleur sectorielle ou diffuse de l'anneau neurorétinien contrastant avec la coloration rouge terne de la rétine péripapillaire (fig. 4-47
Fig. 4-47
Pâleur sectorielle temporale de l'anneau neurorétinien de l'œil droit séquellaire d'une neuropathie optique inflammatoire.
). Ce changement de coloration s'explique par une prolifération astrogliale et par une diminution du nombre et du diamètre des vaisseaux sanguins papillaires secondaire à la perte axonale  [1]. Le diagnostic d'atrophie optique à l'examen du fond d'œil peut être difficile lorsque la pâleur de l'anneau neurorétinien, et donc la perte en fibres optiques, est modérée. Dans ces cas-là, la rétinophotographie et l'OCT de la papille sont une aide au diagnostic d'atrophie optique.
Sur une rétinophotographie, il est plus aisé d'apprécier la coloration de la papille et de constater la raréfaction du réseau capillaire papillaire secondaire à l'atrophie optique. Lors d'une atteinte unilatérale, cet examen permet aussi de comparer avec la coloration de la papille controlatérale, sauf en cas de chirurgie unilatérale de la cataracte  [1]. L'OCT de la papille est un autre examen qui aide au diagnostic positif d'atrophie optique. Il montre alors un amincissement sectoriel ou diffus de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires ( peripapillary retinal nerve fiber layer [pRNFL]), anormal pour l'âge du patient [4]. Il existe généralement une corrélation entre la localisation de l'amincissement du pRNFL en OCT et la pâleur de l'anneau neurorétinien constaté à l'examen du fond d'œil (fig. 4-48
Fig. 4-48
Amincissement pathologique sectoriel temporal de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires de l'œil droit du même patient.
). L'atrophie optique s'accompagne souvent, si elle est diffuse ou temporale, d'un amincissement du complexe des cellules ganglionnaires maculaires ( ganglion cell complex [GCC]).
S'il existe une pâleur papillaire avec un examen OCT normal ou s'il existe une papille de coloration normale avec un examen OCT anormal, il convient de rester prudent sur le diagnostic d'atrophie optique. Dans ces deux situations, surtout si le patient est asymptomatique, que son acuité visuelle, son champ visuel et sa vision des couleurs sont normaux, il s'agit probablement d'un artefact ou d'un faux positif. Le diagnostic d'atrophie optique ne doit alors pas être retenu et le patient doit être surveillé.
Toute variante de la normale (taille et/ou forme de la papille, atrophie péripapillaire, etc.) ou une mauvaise segmentation par l'algorithme de l'OCT peuvent entraîner un aspect d'amincissement de la pRNFL et/ou du GCC sans que celui-ci soit pathologique (fig. 4-49
Fig. 4-49
Aspect d'amincissement non pathologique de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires dans le cas d'une papille droite hypoplasique et dysversique.
). L'analyse du relevé OCT doit être minutieuse et comparée aux données de l'examen de la papille, afin de ne pas diagnostiquer par excès une perte en fibres nerveuses rétiniennes  [5]. Ainsi, une atrophie optique se diagnostique par l'examen de la tête du nerf optique, même si la perte axonale concerne l'ensemble du nerf optique. La portion rétro-oculaire du nerf optique (de sa sortie du globe oculaire au chiasma) est visible sur l'IRM orbitaire et cérébrale comportant des séquences adaptées à l'analyse du nerf optique. En cas d'atrophie optique, l'IRM montre une diminution du calibre du nerf optique et une visibilité anormale du liquide cérébrospinal autour du nerf optique (fig. 4-50
Fig. 4-50
Atrophie de la portion orbitaire des deux nerfs optiques avec visibilité accrue du liquide cérébrospinal péri-optique sur une IRM en séquenceT2 et coupe coronale.
) [6]. Un hypersignal T2 du nerf optique est aussi parfois visible sans préjuger de l'étiologie de l'atrophie optique.
Conséquences sur la fonction visuelle
Une atrophie optique (voir fig. 4-51
Fig. 4-51
Bilan devant la découverte d'une atrophie optique.AV: acuité visuelle ; BAV: baisse d'acuité visuelle ; FO: fond d'œil ; IRM: imagerie par résonance magnétique ; LAF: lampe à fente ; OCT: optical coherence tomography (tomographie par cohérence optique) ; PIO: pression intra-oculaire.
) a des répercussions visuelles variables : baisse d'acuité visuelle, déficit du champ visuel, altération de la vision des couleurs et des contrastes, etc. ; une photophobie peut être présente, mais elle est rarement au premier plan. La baisse d'acuité visuelle est quantifiée par la mesure de la meilleure acuité visuelle corrigée de loin et de près en monoculaire. La vision des couleurs peut être testée à l'aide des planches d'Ishihara ou mieux du test de Farnsworth [7]. Le déficit du champ visuel est évalué par un champ visuel statique automatisé 24°–30°, complété par un 10°–12° en cas d'atteinte centrale ou paracentrale.
Diagnostic étiologique et bilan
Il existe trois situations cliniques de découverte d'une atrophie optique uni- ou bilatérale (fig. 4-51). Dans la première, le patient se plaint d'une déficience visuelle dont le début et l'évolutivité sont difficiles à dater. Dans la deuxième, le patient a une baisse visuelle ancienne et stable. Dans la troisième, le patient n'a aucune plainte visuelle et la découverte est fortuite sur le fond d'œil ou l'OCT de la papille.
Baisse d'acuité visuelle, date de début et évolutivité inconnues
Il convient d'éliminer en premier lieu une maculopathie et une rétinopathie, qui peuvent se présenter comme une neuropathie optique (baisse visuelle centrale, dyschromatopsie et pâleur modérée de la papille), par l'analyse fine des couches de la rétine externe sur des coupes OCT haute résolution. Les éléments aidant à distinguer une neuropathie optiqued'une maculopathie sont présentés dans le tableau 4-12
Tableau 4-12
Différencier une neuropathie optique d'une maculopathie devant une atrophie optique.
Neuropathie optique Maculopathie
Métamorphopsies Rares Fréquentes
Vision des couleurs Altérée, non corrélée à l'acuité visuelle Modérément altérée, corrélée à l'acuité visuelle
Champ visuel Scotome cæcocentral ou autres déficits Scotome central
Déficit pupillaire afférent relatif Oui, si neuropathie optique unilatérale ou asymétrique Rare
OCT maculaire Normal Altération des couches externes
Clichés en autofluorescence Normaux Altérations maculaires
Électrorétinogramme multifocal Normal Anormal
  [1,7]. En cas de doute, et surtout si l'atteinte est bilatérale, l'exploration électrophysiologique incluant électrorétinogramme (ERG) plein champ, PEV et ERG multifocal permet de localiser l'atteinte.
La neuropathie optique étant confirmée, dans cette situation où la date de début et l'évolutivité sont inconnues, il faut mener un bilan de neuropathie optique, alors qu'il n'y a souvent pas ou peu d'éléments d'orientation, afin d'éliminer une pathologie ophtalmologique ou neurologique à risque d'évolutivité. L'interrogatoire, l'atteinte uni- ou bilatérale, l'aspect du déficit du champ visuel, la localisation de l'amincissement de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires et du complexe des cellules ganglionnaires maculaires [4,8] sont des éléments d'orientation étiologique importants (voir chapitre 4.22
2.
Voir aussi l'algorithme « Orientation devant une neuropathie optique » disponible sur l'application smartphone.
). L'interrogatoire est primordial ; il fait suspecter une cause carentielle, s'il existe un antécédent de malnutrition, d'anorexie, de régime très restrictif, ou de chirurgie bariatrique sans supplémentation vitaminique [9]. Une cause toxique peut être évoquée suite à la consommation excessive d'alcool ou de manioc associée à une alimentation carencée en vitamines et en protéines [10,11]. Une cause iatrogène médicamenteuse (éthambutol) ou radique est également recherchée [12]. L'IRM cérébrale et orbitaire injectée, avec des coupes multiplans et fines sur les voies visuelles incluant des séquences avec saturation du signal de la graisse orbitaire [13], est le premier examen à prescrire. Cet examen permet le diagnostic d'un processus comprimant ou infiltrant les voies visuelles ou d'une pathologie responsable d'une hypertension intracrânienne à l'origine de l'atrophie optique. L'IRM cérébrale permet aussi le diagnostic d'une pathologie démyélinisante du système nerveux central comme la sclérose en plaques [14], qui est une cause d'atrophie optique. Si cette imagerie est de bonne qualité et si elle est normale, il convient de faire un bilan biologique minimal standard et de rechercher une maladie du spectre des neuromyélites optiques par le dosage sanguin des anticorps anti-aquaporine 4 (AQP-4) et des anticorps antimyéline oligodendrocyte glycoprotéine ( myelin oligodendrocytes glycoprotein [MOG]).
Le bilan biologique minimal d'une atrophie optique comprend :
  • NFS, plaquettes, ionogramme sanguin, urémie, créatininémie, glycémie, bilan hépatique
  • Sérologies : TPHA, VDRL, VIH1 et 2, Lyme, hépatites A, B et C, bartonellose
  • FAN, Ac anti-ADN, anti-ECT, APL, ECA, Ac antiAQP4 et antiMOG
  • B12, folates
  • Dosage sanguin de l'homocystéine et de l'acide méthylmalonique (payant, si suspicion d'origine toxique/carentielle)
  • Dosage de l'activité de la biotinidase
Si le résultat est négatif, et que l'atteinte visuelle est bilatérale et prédomine sur le faisceau interpapillomaculaire, il est intéressant de rechercher une cause héréditaire sur un échantillon sanguin et par l'examen des apparentés. Il est alors recherché une mutation de l'ADN mitochondrial de la neuropathie optique de Leber, un variant pathogène des gènes nucléaires impliqués dans les neuropathies optiques héréditaires, et un déficit en biotinidase  [15].
Baisse d'acuité visuelle ancienne non évolutive
Un bilan étiologique a souvent déjà été réalisé, incluant une imagerie cérébrale et des voies visuelles. L'absence d'évolutivité visuelle est rassurante et la prescription d'autres examens est inutile dans ce cas-là. Cependant, il faut récupérer et revoir les données de ce bilan préalable, en particulier le CD de l'imagerie. Au moindre doute sur une évolutivité de la baisse visuelle et/ou de l'atrophie optique, l'IRM et le bilan présentés plus haut doivent être refaits, voire un second avis doit être demandé.
Découverte fortuite en l'absence de plainte visuelle
Dans cette situation clinique, l'acuité visuelle, le champ visuel et la vision colorée sont normaux. Le diagnostic d'atrophie optique est porté sur la découverte d'une pâleur de la papille et/ou sur un amincissement pathologique de l'épaisseur de la pRNFL ou du GCC en OCT  [16]. Il convient de bien analyser le relevé OCT pour éliminer un faux positif. Le seul examen à prescrire est une IRM cérébrale et orbitaire injectée à la recherche d'une pathologie compressive ou démyélinisante intéressant les voies visuelles. Après discussion avec le patient, et surtout s'il existe des antécédents familiaux, les apparentés peuvent être examinés à la recherche d'autre cas d'atrophie optique non symptomatique, qui orienterait vers une cause héréditaire, en particulier l'atrophie optique dominante.
Suivi
Quelle que soit la situation clinique initiale, le bilan étiologique peut être non contributif. Le suivi du patient permet de savoir si la neuropathie optique est évolutive ou non. Le rythme du suivi initial dépend de l'ancienneté et de l'évolutivité. Si l'atrophie optique est ancienne sans évolutivité démontrée, il est proposé un contrôle ophtalmologique annuel. Si le début de l'atrophie optique est inconnu, le contrôle ophtalmologique peut avoir lieu entre 3 et 6 mois, puis espacé lorsque la stabilité est montrée. Les examens utiles au suivi sont la mesure de l'acuité visuelle, le champ visuel, la vision des couleurs, l'analyse en OCT du pRNFL et du GCC. En cas d'évolution d'un de ces examens, il est important de rapporter cette dégradation à la neuropathie optique et non à une autre pathologie ophtalmologique. Si l'évolutivité de la neuropathie optique est confirmée, il convient de vérifier avec un neuroradiologue la bonne qualité (avec les bonnes séquences) et la normalité de l'IRM cérébrale et orbitaire, car une compression a pu être méconnue sur la première imagerie [17]. Il faut ensuite répéter l'IRM et le bilan biologique minimal standard, se poser la question d'un possible glaucome atypique et si besoin demander un second avis spécialisé.
Traitement
Le traitement est celui de la cause si elle est connue. Il convient également d'éviter les facteurs pouvant aggraver la perte en fibres optiques altérant la fonction visuelle : carence vitaminique, mauvaise alimentation, consommation excessive d'alcool, prise de médicaments neurotoxiques et hypertonie oculaire. En fonction de la gêne visuelle, on pourra proposer le port de verres teintés s'il existe une photophobie ou orienter le patient vers un orthoptiste ou une structure spécialisée en basse vision.
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4.11. Et si c'était un glaucome ?

C. Lamirel

Points importants
  • Devant un glaucome atypique, la plupart des autres neuropathies optiques peuvent être éliminées par l'interrogatoire, l'examen clinique attentif et le mode évolutif. La seule cause traitable que la clinique seule ne peut éliminer, c'est la compression du nerf optique et/ou du chiasma, justifiant en cas de doute la réalisation d'une IRM orbitaire et encéphalique.
  • Devant une neuropathie optique dont le bilan étiologique reste négatif, surtout si elle est évolutive, il faut systématiquement évoquer un glaucome et faire un bilan oculaire complet à la recherche d'argument pour un glaucome et/ou une hypertonie oculaire. Dans ce cas, même en dehors d'un diagnostic de certitude, un hypotonisant peut être prescrit pour traiter une composante pressionnelle.
Rappels pratiques sur le glaucome
Quelle que soit la valeur de la pression intraoculaire (PIO), le glaucome est reconnaissable à une atteinte progressive structurelle de la tête du nerf optique, et fonctionnelle du champ visuel (CV) [1]. La papille glaucomateuse présente une excavation verticale avec à l'OCT un amincissement de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL) dans la partie supérieure (S) et/ou inférieure(I), qui la différencie des autres neuropathies optiques. L'OCT maculaire retrouve un amincissement souvent localisé du ganglion cell complex (GCC), commençant en temporal de la fovéa enS et/ouI. Sur le CV, l'atteinte commence préférentiellement en nasal S ou nasal I sur les CV des 24–30° centraux puis s'étend vers la tache aveugle tout en progressant vers le centre et/ou la périphérie du champ visuel. Parfois l'atteinte est paracentrale, mieux visible sur les CV des 10–12° centraux. L'acuité visuelle (AV), la vision des couleurs (VC) et le seuil fovéolaire (SF) du CV automatique sont épargnés ou relativement préservés, jusqu'à un stade très tardif de la maladie. Il faut souvent une atteinte campimétrique paracentrale encadrant le point de fixation en supérieur et en inférieur pour que l'AV, la VC et le SF s'altèrent. Cependant, les glaucomes à PIO très élevée et la crise aiguë de fermeture de l'angle peuvent faire chuter ces paramètres de manière précoce. L'hypertonie oculaire (HTO) ne fait pas partie de la définition du glaucome, mais elle est un très bon signe d'alerte et d'orientation. Elle doit toujours s'apprécier en fonction de la pachymétrie cornéenne centrale (PCC) et la PIO maximale avant traitement est un élément important dans la prise en charge du glaucome.
Devant un glaucome atypique : et si c'était de la neuro-ophtalmologie ?
Cette question doit se poser devant un glaucome à pression normale (GPN) ou un glaucome atypique par sa présentation ou son évolution : les signes d'alerte sont résumés dans le tableau 4-13
Tableau 4-13
Arguments pouvant orienter vers une neuropathie optique glaucomateuse ou non glaucomateuse.
Neuropathie optique non glaucomateuse Glaucome
Acuité visuelle Souvent abaissée
  • Longtemps épargnée sauf si PIO très élevée
  • Relativement préservée par rapport à l'atteinte du nerf optique ou du CV
  • Si abaissée, sur le CV automatique 10–12°: atteinte paracentrale encadrant le point de fixation en S et en I
Champ visuel
  • Seuil fovéolaire souvent abaissé
  • Souvent scotome central ou cæcocentral
  • Si respect méridien vertical: atteinte chiasmatique ou retrochiasmatique
  • Seuil fovéolaire ainsi que la partie cæcocentrale du CV automatique longtemps conservés
  • Pas de respect du méridien vertical
  • Atteinte fasciculaire et respect du méridien horizontal fréquents
Vision colorée Souvent altérée Normale ou discret déficit dans l'axe bleu-jaune
LAF et gonioscopie Absence de mécanisme de pics d'HTO
  • Angle étroit
  • Dispersion pigmentaire
  • Pseudo-exfoliation capsulaire
Papille Pâle plus qu'excavée
  • Encoche de l'anneau neurorétinien
  • Excavation verticale de la papille
  • Hémorragie du bord neurorétinien
  • Atrophie péripapillaire bêta
OCT pRNFL Atteinte temporale ou diffuse Amincissement en S et/ouI (temporal S et/ou temporal I selon la machine) 
Relation structure/fonction
  • Discordance structure/fonction
  • Atteinte unilatérale ou très asymétrique
  • Concordance topographique
  • Atteinte souvent bilatérale sauf glaucome secondaire
HTO: hypertonie oculaire ; I: inférieur ; LAF: lampe à fente ; OCT: (tomographie par cohérence optique) ; PIO: pression intraoculaire ; pRNFL:  ; S: supérieur.
. Il s'agit avant tout de rechercher et/ou d'éliminer des causes non glaucomateuses qui sont traitables et/ou une pathologie neurologique [2]. Les neuropathies optiques non glaucomateusesqui peuvent mimer un glaucome soit par l'excavation papillaire (fig. 4-52
Fig. 4-52
Neuropathie optique droite compressive par un adénome hypophysaire avec excavation papillaire plus marquée à droite qu'à gauche.La papille droite est également un peu plus pâle, mais surtout le patient présente une baisse d'acuité visuelle, une dyschromatopsie et un déficit diffus du champ visuel peu compatibles avec un glaucome.
), soit par l'atteinte visuelle (fig. 4-53
Fig. 4-53
Neuropathie optique droite associée à des drusen papillaires prise pour un glaucome à pression normale chez une patiente de 47ans avec une acuité visuelle à10/10.Le déficit arciforme inférieur du champ visuel(a) avec seuil fovéolaire normal est concordant avec l'amincissement supérieur de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL) visible à l'OCT(b). Pourtant l'analyse du bord neurorétinien par l'OCT(c) ne montre pas d'excavation de la papille, tout comme l'examen du fond d'œil(d) qui retrouve une papille saillante évocatrice de drusen papillaires vues en autofluorescence(e).
) sont résumées dans le tableau 4-14
Tableau 4-14
Neuropathies optiques pouvant mimer un glaucome.
Neuropathies optiques pouvant s'accompagner d'une excavation papillaire
Mécanisme Étiologie Arguments discriminants
Ischémique Maladie de Horton
  • BAV brutale
  • OP à la phase aiguë
  • Symptômes et signe de maladie de Horton
  • Au moindre doute: NFS, VS, CRP en urgence
Bas débit circulatoire
  • Peut se voir sur n'importe quelle papille à la différence de la NOIA non artéritique classique
  • Encoche papillaire localisée possible
  • Interrogatoire: contexte+++
  • Non évolutive dans le temps
Héréditaire Atrophie optique dominante
  • Antécédents familiaux
  • BAV dans la première décennie ou ancienne
  • Puce NGS des NO héréditaires
NO héréditaire de Leber
  • Hérédité maternelle
  • BAV rapide, profonde et séquentielle
  • Analyse de l'ADNmt
Compressif NO compressive
  • Atteinte unilatérale ou très asymétrique
  • Syndrome orbitaire
  • IRM orbitaire et encéphalique
Compression chiasma/jonction NO et chiasma
  • Respect du méridien vertical sur le CV
  • Symptômes et signes endocriniens
  • IRM orbitaire et encéphalique
Toxique/carentiel Intoxication au méthanol, à l'éthambutol Interrogatoire: contexte 
Neuropathies optiques pouvant mimer un glaucome sur l'atteinte visuelle (préservation AV, VC, SF)
Étiologie Arguments discriminants
NO associée à l'OP de stase
  • Signe d'HIC et histoire neurologique
  • OP ou aspect pâle et saillant à la phase atrophique
  • Lignes de marée autour de la papille
  • Engainement des vaisseaux à l'émergence de la papille
  • Stable après disparition de l'HIC et de l'OP, sauf en cas d'atrophie papillaire majeure (plus d'OP possible même si HIC)
NO associée aux drusen papillaires
  • Papille saillante, sans pâleur évidente si drusen enfouies
  • Parfois drusen visibles au FO
  • Rechercher les drusen en autofluorescence, en OCT papillaire mode EDI et en échographie
  • Peu symptomatique ; si le CV progresse, traiter comme un GPN
NOIA non artéritique dans sa forme altitudinale
  • BAV brutale mais parfois passe inaperçue
  • Facteurs de risque cardiovasculaire
  • OP à la phase aiguë, puis pâleur sectorielle sans excavation
  • Petite papille pleine à risque de NOIA non artéritique du côté sain
  • Non évolutive sauf second épisode qui est rare (5% à 5ans)
NO compressive et compression du chiasma
  • Atteinte du CV sans BAV possible
  • Atteinte unilatérale si NO, atteinte bilatérale avec respect du méridien vertical si atteinte du chiasma
  • Atteinte progressive
  • Papille normale au début, puis s'excave et pâlit
  • Syndrome orbitaire (NO)
  • Symptômes et signes endocriniens (chiasma)
  • IRM orbitaire et encéphalique
ADNmt: acide désoxyribonucléique mitochondrial ; AV: acuité visuelle ; BAV: baisse d'acuité visuelle ; CRP:  ; CV: champ visuel ; EDI:  ; GPN: glaucome à pression normale ; HIC: hypertension intracrânienne ; IRM: imagerie par résonance magnétique ; NFS: numération formule sanguine ; NGS:  ; NO: neuropathie optique ; NOIA: neuropathie optique ischémique antérieure ; OCT: (tomographie par cohérence optique) ; OP: œdème papillaire ; SF: seuil fovéolaire ; VC: vision des couleurs ; VS: vitesse de sédimentation.
. La plupart des neuropathies optiques peuvent être éliminées par l'interrogatoire, l'examen clinique attentif et le mode évolutif. La seule cause traitable qui ne peut pas être définitivement éliminée par la clinique seule, c'est la compression du nerf optique et/ou du chiasma. C'est pourquoi, l'IRM orbitaire et encéphalique doit être demandée au moindre doute [3] et pour certains systématiquement en cas de GPN.
Outre la compression, l'IRM orbitaire et encéphalique permet d'éliminer une neuropathie optique inflammatoire et/ou infectieuse par l'absence de prise de contraste des nerfs optiques et une atteinte du système nerveux central qui pourrait expliquer la neuropathie optique ou le déficit du CV. Elle peut retrouver un hypersignal du nerf optique, une atrophie du nerf optique et/ou du chiasma qui sont des signes de neuropathie optique, quelle qu'en soit la cause. Enfin dans le GPN, l'IRM renseigne sur la part des facteurs vasculaires en recherchant les signes d'une maladie des petites artères cérébrales (MPAC). La découverte d'une MPAC modérée à sévère (hypersignaux de la substance blanche [HSSB] classés Fazekas 2 ou 3 et/ou microsaignements et/ou infarctus lacunaires) doit amener à une prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire par un neurologue. En son absence, ou en cas d'atteinte minime (HSSB Fazekas 1 ou aspécifiques), la prise en charge peut être faite par le médecin traitant.
Devant une neuropathie optique : et si c'était un glaucome ?
Le glaucome sera plus facilement évoqué lorsque l'AV, la VC et le SF sont normaux, mais il peut être découvert par le patient au stade où l'AV baisse. Comme le glaucome est souvent un peu asymétrique, il est important de rechercher sur l'œil le moins affecté, ou sur des bilans antérieurs s'ils existent, une atteinte visuelle évocatrice [4].
À l'interrogatoire, il faut chercher : des antécédents familiaux de glaucome ou d'HTO ; la prise de corticoïdes au long cours quelle que soit sa galénique (HTO cortico-induite) ; des épisodes de halo ou de possibles crises de fermeture de l'angle iridocornéen. L'examen en lampe à fente recherche des signes de pseudo-exfoliation capsulaire (PEC), de dispersion pigmentaire, une chambre antérieure étroite. La gonioscopie est indispensable, car elle peut donner des arguments en faveur d'un glaucome à pics d'HTO: angle étroit, dispersion pigmentaire, ligne de Sampaolesi dans la PEC. La PIO doit être mesurée à l'aplanation et pas seulement à l'air et interprétée en fonction de la PCC.
L'évaluation de la papille doit se faire après dilatation pupillaire pour mieux apprécier son relief à l'aide d'une fente fine décalée de l'axe optique, comme on le fait pour l'examen de la cornée, et avec le séparateur optique s'il existe. L'excavation peut être en pente douce en particulier dans le GPN et passer pour une pâleur si la papille est illuminée directement par une fente large et sans dilatation pupillaire. La distinction classique entre pâleur et excavation n'est pas toujours facile ni spécifique  [5]. Il faut rappeler que les petites papilles ne s'excavent que tardivement dans le glaucome et que, chez le myope fort ou en cas de dysversion papillaire importante, l'excavation papillaire peut être impossible à apprécier. L'OCT pRNFL et GCC peut aussi apporter des arguments pour une atteinte structurelle d'origine glaucomateuse. Toutefois, il peut être inutilisable dans la forte myopie. Au stade très avancé, il montre une atteinte diffuse, non spécifique.
Devant une neuropathie optique dont le bilan étiologique reste négatif, surtout si elle est évolutive, il faut systématiquement évoquer un glaucome, ce d'autant qu'il est dans ce cas la seule cause traitable (fig. 4-54
Fig. 4-54
Neuropathie optique gauche atypique.Patient de 40ans avec une acuité visuelle mesurée à12/10, une vision des couleurs normale, une pression intraoculaire à 18mmHg pour une pachymétrie cornéenne centrale à 560μm. a.Le champ visuel (CV) montre un déficit arciforme supérieur(S) et inférieur(I), plus étendu enI et plus dense en nasal avec un seuil fovéolaire normal. b.Au fond d'œil, la papille est petite, pleine et pâle sans excavation. c.L'OCT montre un déficit diffus de la peripapillary retinal nerve fiber layer (pRNFL). L'œil droit est normal avec une petite papille pleine à risque de NOIA non artéritique. Le bilan de cette neuropathie optique est revenu négatif, elle a été considérée initialement comme une NOIA non artéritique passée inaperçue. d.Toutefois, la surveillance du CV démontre une progression plutôt linéaire, alors que l'acuité visuelle, la vision des couleurs et le seuil fovéolaire restent stables. Le bilan, répété une deuxième fois, est revenu négatif. Cette neuropathie optique est dorénavant considérée et traitée comme un glaucome à pression normale atypique.
). En effet, par définition, le bilan paraclinique d'un glaucome est négatif hormis les signes IRM aspécifiques décrits plus haut. Dans ce cas, un traitement hypotonisant peut être prescrit même sans diagnostic définitif de glaucome, en espérant traiter une composante pressionnelle. Il semble alors logique de choisir un traitement local avec le moins d'effets secondaires systémiques, comme les analogues des prostaglandines, qui ont l'avantage de n'être instillés qu'une fois par jour, ou les inhibiteurs de l'anhydrase carbonique, mais qui nécessitent deux instillations par jour. L'attitude sera la même en cas d'HTO ou de PIO limite surajoutées à une neuropathie optique non glaucomateuse, en particulier sévère, même si aucune étude n'a validé ces pratiques empiriques.
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